Chapitre 11 - Dernière chance
Write by NafissaVonTeese
-- PRÉCÉDEMMENT --
Quand il a quitté
son appartement à la hâte, elle n’était pas tranquille de le savoir seul, après
les menaces qu’il avait reçu. Amina avait alors décidé de le suivre pour s’assurer
que tout allait bien.
Il n’était directement pas rentré
chez lui comme promis. Maurice s’était retrouvé dans un quartier malfamé, à la
recherche d’un certain El luces qui d’après lui, était derrière les menaces de
mort qu’il avait reçu. Quand elle se décida enfin de rentrer, elle avait été contrainte,
sous la menace d’une arme, de montrer dans une voiture avec trois hommes
qu’elle n’avait jamais vue. Que lui voulaient-ils ?
--
« Qui contrôle le passé contrôle l'avenir. » Aldous Huxley
***
Je
ne savais exactement pas depuis combien de temps nous roulions, ni où nous
allions, mais cela paraissait être à l’autre bout de la terre. Personne n’avait
prononcé un seul mot et le silence pensait encore plus lourd que ma peur de ne
pas survivre à cette virée nocturne. D’où sortaient ces hommes ? Qu’est-ce
qu’ils me voulaient ? Allaient-ils l’intention de me tuer ?
Les
questions se bousculaient dans ma tête sans que je n’aie le courage de les
poser à mes ravisseurs.
Quand
la voiture s’immobilisa, je me rendis compte que le bruit du moteur avait
masqué le son de la radio qui était restée allumée. La voix d’une femme en
sortait mais le volume était si bas que je n’arrivais pas entendre ce qu’elle
dirait.
La
montre de la radio affichait 02:42. J’avais alors très vite calculé mes chances
qu’un inconnu remarque la voiture suspecte garée là aussi tard, et vienne vérifier
si tout allait bien. Après courte réflexion brouillée, je m’étais résignée à
constater qu’elles étaient nettement au dessous de zéro.
Personne
ne réagissait. Aucun des trois hommes ne s’était décidé à descendre de voiture.
Ils ne parlaient pas, ne bougeaient pas, comme complément déconnectés du monde
réel. Je m’étais dit que j’avais peut-être une chance de me tirer d’affaire en
ouvrant en vitesse la portière pour courir aussi vite que je pouvais, dans
n’importe quelle direction. Mais combien de chance avais-je d’échapper à
l’homme qui m’avait menacé avec son arme ? Il m’avait assuré qu’il ne ratait
jamais sa cible. Disait-il vrai ? Il fallait mieux que je n’en sache rien.
Pendant
un instant, j’avais réussi à oublier ma peur en réfléchissant sur la stratégie
à adopter pour m’échapper, mais le bruit de la portière du passager avant qui
s’ouvrit brusquement, me rappela que j’étais dans de salles draps. J’avais
fermé les yeux et serré les dents en essayant tant bien que mal de respirer
calmement.
Quand
il baissa la tête, je me retournai pour lui faire faire. Nous nous étions
regardés les yeux dans les yeux quelques secondes avant qu’il ne m’attrape par
le bras pour me tirer hors de la voiture.
Un
vent fort me frappa de plein fouet. Il n’y avait rien autour de nous à part de
l’herbe, des flaques d’eau et une barrière blanche, qu’on pouvait à peine
distinguer dans le noir, à quelques mètres de nous. Il marchait à pas certains
vers celle-ci, entrainement dans sa course seulement grâce à la force de sa
main qui empoignait mon bras. J’avais jeté un regard derrière moi vers la
voiture, mais ils étaient tous restés dedans. Aucun d’eux n’allait certainement
pas me venir en aide.
-
Qui êtes-vous ?
Il
n’avait pas répondu. On marchait dans l’herbe, droit devant depuis plus de cinq
minutes quand je m’arrêtai. Je l’avais obligé à me libérer en tirant mon bras.
-
Qui êtes-vous ?
Il
s’était alors lentement retourné pour me faire face.
-
Si je te le dis tout de suite, je serai
obligé de te buter plus tôt que prévu.
Il
n’avait pas l’air de plaisanter. Prise de panique, je m’étais mise à crier à
l’aide. Le son de ma voix se multiplia dans la tête comme un écho. J’avais
alors recommencé encore et encore espérant que quelqu’un m’entente et vienne me
secourir.
C’était
alors furieux, qu’il sortit son arme et la pointa sur mon front.
-
Tu as le choix ! Soit tu fermes
ta petite gueule, soit je t’y oblige.
L’arme
qu’il avait dégainée m’avait aussitôt
fait perdre la voix. Mon corps s’était raidi et pour la seconde fois, après le
soir où j’avais trouvé maman inerte par terre, dans sa chambre, je sentis ma
vie me filer entre les doigts. Il me regardait dans les yeux, attendant une
réaction de ma part.
-
Parfait ! avait-il dit en me
lancer un sourire du coin de la bouche.
-
Baisse ton arme.
Je
n’avais distinguée qu’une fine main qui était venue se poser sur l’épaule de
l’homme qui me menaçait.
Il
s’exécuta aussitôt. Cependant, cela ne me donnait pas l’impression d’être tiré
d’affaire. Il s’avança jusque devant moi et s’excusa avec une élégance
accentuée ; ce qui me laissa complètement déroutée.
J’essayais
de distinguer les traits de son visage dans le noir, en vain. Il m’obligea à le
suivre, bras dessus bras dessous, jusqu’à apercevoir une lumière tamisée,
éclairant légèrement la devanture d’une maisonnette en bois. C’est seulement à
l’intérieur que je m’étais rendue compte que l’autre homme ne nous avait pas
accompagné. Les questions se bousculaient dans ma tête pendant que la nervosité
me faisait crisper mes doigts.
Au
milieu de l’unique pièce à la décoration rustique, se trouvait une grande table
en rotin, avec deux chandeliers aux bougies allumées dessus. C’est seulement là
qu’il ma lâcha le bras pour tirer une des chaises en bois disposées autour de
la table, avant de me prier d’y prendre place.
-
Permets-moi de t’offrir quelque
chose à boire, avait-il dit, tout en se dirigeant vers un placard, qui cachait
un frigo-bar.
-
Qu’est-ce que vous voulez ?
Il
avait fait mine de ne pas avoir entendu ma question et s’était contenté de se
diriger vers moi avec une bouteille de jus d’orange dans une main et dans
l’autre, deux coupes à cocktail en verre qu’il posa sur la table avant de les
remplir.
-
Ma femme est persuadée que c’est ce
qui m’empêche de dormir la nuit. Pourtant c’était son idée de remplacer toutes
mes bouteilles d’alcool par des jus de fruit.
Il
avait marqué un temps d’arrêt pour me regarder et j’avais fait de même. Il
avait les traits fins, une mâchoire parfaitement carrée et des yeux revolver d’un noir profond. Il ne paraissait pas avoir dépassé la vingtaine dans sa
chemise à carreaux beiges et jaunes.
-
Qui êtes-vous ?
-
Est-ce important ? Qui suis-je ?
Qui tu es ? Qui sont toutes ces personnes qui nous entourent, que nous
fréquentons tous les jours…
Il
se mit derrière moi et commença à me masser les épaules.
-
Nous risquons de passer un petit
bout de temps ensemble alors détends-toi. N’est-ce pas une bonne idée Fatou
Kiné ?
« Fatou Kiné » ! Plus personne
ne m’avait appelé ainsi depuis des années !
Qui
était cet homme ? Ses hommes m’avaient kidnappés pour me ramener à lui, il
connaissait ma véritable identité et je me retrouvais seule avec lui dans un
coin perdu au bon milieu de je ne savais même où.
Il
avait tiré une chaise jusque près de moi avant de s’y asseoir ; puis
calmement il ajouta :
-
Entre nous, j’aime ton style. Mettre
le feu dans tout un hôtel sans que personne ne fasse le rapport avec toi, il faut
avouer que c’est grandiose. Mais tu laisses beaucoup trop de traces.
-
Personne à part vous !
Mes
craintes avaient disparues. De toute façon, à quoi pouvaient-elles
servir ? S’il voulait me faire du mal, je n’allais certainement pas
pouvoir y échapper. Je m’étais retournée pour le regarder droit dans les yeux.
-
Disons que je sais beaucoup de
choses.
-
Encore une fois, qu’est-ce que vous
voulez ?
-
Si tu y tiens vraiment, d’accord ! Je veux tout simplement qu’on me rende ce qui
est à moi.
« Ce
qui était à lui… ». Il avait remarqué sans grande peine mon air
interrogateur, puis il avait repris :
-
Cette ville est à moi et je n’aime
pas l’idée de devoir la partager.
Avant
même qu’il n’ait terminé sa phrase, j’avais compris. Mon sang ne fit qu’un
tour. Tout était maintenant clair.
-
El luces !
Ce
nom était passé de mes pensées à ma bouche sans que je ne m’en rende compte. Je
venais de réaliser que depuis le début de mes investigations sur le meurtre de
ma mère, c’est à cet homme que je m’adressais à chaque fois que je me retrouvais
dans une impasse.
Il
s’était alors levé pour marcher jusqu’à la petite et seule fenêtre de la pièce.
-
El luces ; avait-il répété
juste avant qu’un son traînant de piano envahisse la cabane.
Il
sortit son téléphone de la poche de son pantalon avant de m’adresser en
souriant « Quand on parle du loup… ».
Il décrocha et aussitôt son sourire malicieux avait disparu pour laisser place
à une mine sévère.
Comme
à ses habitudes, il s’était retenu de prononcer le moindre mot. Il me fixait
des yeux sans aucune impression au visage. J’avais pensé crier à l’aide pour
alarmer la personne avec qui il communiquait, puis j’y avais très vite renoncé.
Je m’étais d’un coup levée pour courir vers la porte que j’avais réussie à
atteindre en un rien de temps. Aussitôt que je l’eus franchise, j’ai été
rattrapée par un des hommes qui m’avaient ramenés quelques minutes plus tôt en
voiture.
-
Tu peux la lâcher !
El
luces m’avait pris par le bras avant de m’annoncer que nous allions faire un tour.
Il m’avait mené jusqu’à une BMW noire garée à l’arrière de la petite maison en
bois, avant de m’ouvrir la portière passager.
-
Où est-ce qu’on va ?
Il
s’était limité à me pousser dans la voiture avant de refermer la portière.
Il fit le tour et prit le volant.
Nous
roulions dans le silence depuis une bonne dizaine de minutes quand je réalisai
que c’était peut-être mon dernier voyage que j’étais entrain de faire.
C’est
là que tout s’arrêtait. Je ne ressentais aucune peur, juste des regrets. J’allais
devoir m’en aller sans savoir qui avait tué maman, sans dire au revoir à
Maurice. A cette pensée, j’avais laissé couler une larme, une dernière qui
derrière les questions qui restaient et resteront toujours sans réponse, avait
un goût d’apaisement. Tout était enfin terminé. Puis je me dis que la réponse
était peut-être cachée dernière ce bourreau au visage d’ange, assis à côté de
moi.
-
Vous avez tué ma mère !
Il
donna un coup sec au frein, ce qui me projeta en avant.
-
Je n’ai pas tué ta satanée mère ;
avait-il crié avant de se ressaisir très vite.
-
C’est qui alors ?
Il
ouvrit la boîte à gants et y sortit une enveloppe qu’il me jeta sur les genoux
avant de redémarrer la voiture.
-
Tes nouveaux papiers ! C’est ta
dernière chance alors ne la gâche pas.
« Dernière chance » il avait dit.
Quand je le vis prendre les deux voies de Sacré-Cœur, je compris qu’il me
ramenait chez moi. Il se gara juste devant mon immeuble comme pour me prouver
qu’il savait absolument tout de moi, et j’imaginais, autant qu’il en savait sur
chaque habitant de cette ville. Je descendis sans lui adresser un mot.
Je
n’avais fait que deux pas vers la porte d’entrée de mon immeuble quand il me
lança :
-
Vol petit oiseau. Vol aussi haut et
aussi loin que tu peux !
Mon
sang ne fit qu’un tour quand je me rappelai du SMS que j’avais reçu la veille,
pensant que c’était de mon père.
-
C’était vous alors !
-
Et cela te convient ! Mais je
ne suis pas El luces ! avait-il dit avant de s’éclipser avec sa
voiture.
Il
n’était pas El luces avait-il dit ! Un coup de bluff je m’étais dite avant
d’ouvrir l’enveloppe qu’il m’avait laissé. Il y avait un nouveau passeport, une
carte d’identité et un billet d’avion avec le logo de la compagnie SN Brussels.
Il avait opté pour un allé simple Dakar-Conakry. Qu’allais-je bien pouvoir faire
dans cette ville où je n’avais jamais mis les pieds ?
Quand
j’ouvris le passeport, il y avait inscrit comme propriétaire :
« Fatou Kiné Fall ». Il ne m’avait pas trouvé une nouvelle identité,
mais rendue la mienne.
« Quel
crétin ! » pensais-je en arrivant devant la porte de mon appart.
J’avais passé ma main dans ma poche pour sortir mes clés quand je me rendis
compte que la porte était déjà ouverte et les lumières allumées.
J’entendais
du bruit venant de l’intérieur, même si en jetant un rapide coup d’œil sur la
pièce principale, je ne voyais personne. S’il y avait quelqu’un, il devait
certainement être dans ma chambre. Je pris le butoir de porte qui était
toujours posé à l’entrée et que j’avais toujours pensé ne servir à rien, avant
d’avancer sur la pointe des pieds, vers la chambre.