Chapitre 11 : Premier pas
Write by Chrime Kouemo
Armelle jeta un coup d’oeil furtif autour d’elle avant de glisser son doigt sur l’écran de son téléphone pour le déverrouiller. Pourquoi avait-elle l’impression de commettre un forfait ? Bobby l’informait dans son message qu’il l’attendait au pied de son immeuble. Elle rangea son téléphone dans son sac à main avant de se diriger vers les toilettes.
Devant le miroir au dessus du lavabo, elle arrangea d’une main qui tremblait légèrement sa coiffure faite de twist out, puis sortit une vieille petite brosse à dents qu’elle gardait toujours dans son sac et brossa en douceur ses baby hair. Une dernière touche de rouge à lèvres plus tard, elle estima qu’elle était enfin présentable.
Elle marqua une pause devant la porte des toilettes. Elle était à la fois nerveuse et incroyablement excitée. Après deux semaines d’échanges de messages WhatsApp et moult tergiversations, elle avait enfin accepté la proposition de Bobby de déjeuner en tête à tête avec lui.
Des fois, elle ne se comprenait pas elle-même. Elle avait pris la décision toute seule de prendre sa vie sentimentale amoureuse en mains, et ne plus la subir, mais maintenant que l’opportunité se présentait à elle, elle peinait à assumer. Et pourtant Bobby lui plaisait. Énormément. Elle était littéralement tombée sous son charme à Kribi. Toute la soirée durant, ils avaient parlé de tout et de rien comme deux amis qui se retrouvaient après une longue période d’absence. Il l’avait fait danser, rire. À ses côtés, elle avait passé des instants magiques, elle s’était sentie spéciale. Leurs conversations téléphoniques quotidiennes étaient venues renforcer ce sentiment. Alors, pourquoi hésitait-elle tant ? Peut-être que cela irait mieux lorsque Ralph serait rentré de son voyage et qu’elle lui aurait annoncé sa décision de rompre.
Armelle sortit de l’immeuble et scruta les alentours. Sur la gauche, appuyé contre une grosse Land Cruiser noire, Bobby l’attendait. Il la repéra, et aussitôt, marcha vers elle, un grand sourire sur les lèvres. Son jean et sa veste noirs à la coupe ajustée mettaient en valeur ses cuisses puissantes et soulignait sa carrure. Sa paire de tennis d’un blanc immaculé et les lunettes de soleil qu’il avait relevées sur le sommet de son crâne ajoutaient une touche de décontraction à sa tenue.
Le coeur battant et un sourire timide aux lèvres, elle s’approcha de lui.
— Eyenga, enfin ! Tu as accepté mon invitation, commença t-il une lueur taquine dans le regard.
Elle réprima un frisson de plaisir. Elle adorait la façon qu’il avait de l’appeler par son patronyme. Il le faisait d’une voix grave et veloutée additionnée d’une touche de douceur, de poésie, de mystère aussi. Dans sa bouche, son nom n’avait plus rien de commun avec celui porté par de nombreuses d’autres femmes comme elle.
Naturellement, il se pencha pour lui faire la bise, envahissant son espace olfactif des effluves boisées de son parfum.
— Ca va ?
— Oui, merci. Et toi ?
— En pleine forme !
D’une main dans son dos, il l’invita à monter à l’arrière du véhicule. Elle salua le chauffeur qui lui répondit d’un hochement de tête vigoureux avant de démarrer la voiture et s’insérer dans la circulation.
— J’espère que tu n’as pas d’obligation d’être à 14h pile au bureau cet après-midi ? Demanda Bobby
— Euh… non pourquoi ?
— J’ai l’intention de grignoter un peu de ton temps répondit-il avec l’air d’un enfant qui vient de mettre la main sur une cachette secrète de bonbons.
— Ah ! Fit-elle pour seul commentaire.
— Ca fait longtemps que tu bosses à la SGBC ?
— Oui, depuis huit ans. J'y ai fait mon stage de fin d'études et j'ai été recrutée ensuite.
— Et ça te plaît ?
— Oui, je pense. Je me suis rarement, pour ne pas dire pas du tout, posé la question. C'était déjà une chance que de trouver un emploi sans chômer après l'école. Et toi ? Comment t'es-tu retrouvé dans le monde de la musique ?
Bobby s’adossa confortablement avant de répondre. Ses belles dreadlocks reposaient contre sa poitrine, contrastant avec la couleur immaculée de sa chemise. Elle mourait d’envie de les toucher.
— Je crois que d’aussi longtemps que je me souvienne, j’ai toujours voulu bosser dans le milieu de la musique. À 15 ans, je rapais avec des potes du lycée. On a monté un groupe qui a eu son petit succès à l’époque, les Young devils, je ne sais pas si tu connais ?
— Oui, mais seulement de nom. Je n'écoutais pas vraiment du rap dans ma jeunesse. Le groupe existe toujours ?
— Non, nous nous sommes séparés. Querelle interne... Tout le monde, y compris mes parents pensaient que j'allais rejoindre le droit chemin en reprenant mes études de médecine, mais je n'avais pas dit mon dernier mot...
Un petit sourire flottait sur ses lèvres.
— Tu voulais devenir médecin à un moment ?
— Bof… C’était plutôt le rêve de mes parents. Comme j’étais bon à l’école, il ne rêvait pour moi que d’une carrière scientifique. Heureusement qu’ils ont très vite compris que mes projets étaient tout autre et m’ont laissé persévérer dans la voie que j’avais choisie. De toutes les façons, je ne leur aurais pas laissé le choix.
— Tu as de la chance. Peu de parents sont aussi compréhensifs.
Elle pensait à sa propre mère qui avait dicté chacune de leur orientation à sa soeur et elle.
Après le repas, Bobby et elle s’installèrent avec leur café et digestif dans le petit jardin privatif situé dans la cour intérieure du restaurant. Le cadre était romantique avec ses arbustes feuillus et les plantes à fleurs aux multiples couleurs. Sur la table à leur gauche, une couple discutait à voix basse en échangeant des regards énamourés.
Armelle avala une gorgée de son café, savourant l’amertume sur sa langue. Elle passait un fabuleux moment avec Bobby, et souhaitait le plus possible retarder sa fin. Contrairement à ce que pouvait laisser penser son allure désinvolte, voire nonchalante, il possédait un esprit vif et était très cultivé.
— Tu as quelque chose de prévu en soirée ce samedi ? Demanda Bobby en reposant son verre vide sur la table.
— Je vais récupérer mon fils Stan chez ses grands parents.
— Bon, ce sera pour une prochaine fois alors ? D'ailleurs, j'espère que tu me présenteras bientôt ton fils.
Elle réprima un sursaut de surprise. Il n’allait pas un peu vite en besogne là ? Ça faisait à peine deux semaines qu’ils se connaissaient.
— Je sais ce que tu penses, fit-il son regard intense braqué sur elle. C’est trop tôt.
Pas seulement, se dit-elle à part soi. Elle avait beau vouloir se lâcher et tourner la page Ralph, mais une part d’elle se méfiait de ce type d’homme qui évoluait dans le monde du show business. Elle recherchait quelqu’un prêt à s’engager dans une vie de famille, et Bobby ne cadrait pas avec l’image qu’elle s’en faisait.
— Oui, je trouve que ça fait trop tôt. On ne se connaît pas depuis longtemps, et ... Puis je t'ai dit que la situation était un peu compliquée avec le père de Stan.
— Est-ce parce que ça ne fait que deux semaines ou parce que tu doutes du sérieux de mes intentions ?
Armelle soupira et détourna ses yeux, se soustrayant à ce regard qui lui embrouillait l’esprit et les sens.
— Parce que ma sincérité ne dépend pas de la durée de notre relation.
— Bobby, tu sais que je vis en couple. Je ne peux pas déjà penser à te présenter mon fils alors que je n’ai même pas encore mis un point final à ma relation avec son père.
— Je sais, tu me le chantes depuis deux semaines. Mais, tu fais quoi là avec moi si tu n'as pas réellement l'intention de passer à autre chose ? C'est peut-être moi qui devrais douter de ta sincérité.
Elle accusa le coup. Un silence embarrassant s’installa entre eux.
— Je vais te raccompagner, dit finalement Bobby après quelques secondes.
Le trajet du retour se déroula dans un mutisme total. Bobby était assis à un extrémité de la banquette et pianotait sur son téléphone. Armelle, elle, s’efforçait de mettre de l’ordre dans ses sentiments en vrac.
Bobby avait raison. Elle ne pouvait prétendre aspirer à une relation sérieuse sans au préalable se séparer de Ralph. Accepter un rendez-vous avec un homme qui la draguait ouvertement alors qu’elle ne cessait de retarder le moment de parler à son compagnon sous le simple prétexte qu’il était en voyage était la preuve qu’elle n’était pas au clair avec elle-même. Elle ne s’était pas non plus mise en quête d’un nouveau logement, preuve que sa décision de quitter le père de Stan n’était pas aussi affermie qu’elle le laissait entendre à sa soeur ou à Denise.
Qu’est-ce qui n’allait donc pas chez elle ? Un coup, elle était sûre de sa décision et l’instant d’après, elle se mettait à douter et se remémorait les bons moments , quoique fugaces, avec Ralph, de de ses rêves de famille parfaite avec celui qu’elle aimait depuis plusieurs années.
La voiture s’arrêta au pied de son immeuble de bureaux. Elle regarda un instant les badauds déambuler sur le trottoir à travers les vitres fumées, puis elle prit une inspiration et se tourna vers Bobby. Son coeur tressauta dans sa famille quand elle découvrant son visage à quelques centimètres du sien. Ses yeux d’un noir profond semblaient vouloir la transpercer, luisant d’une flamme qu’elle ne pouvait ignorer. Elle déglutit avec peine. L’air se raréfia dans l’habitacle et son plus s’accéléra.
Doucement, telle une plume, Bobby posa sa main sur son bras nu. Les poils fins de sa peau se dressèrent aussitôt tandis qu’un frisson la parcourait de la tête aux pieds. Le visage de Bobby se rapprocha encore plus du sien. De son regard, il parcourait son visage, s’attardant sur les lèvres avant de replonger dans ses yeux. Armelle respira profondément. Son coeur semblait s’être lancé dans une course folle que rien ne pouvait arrêter; son tambourinement résonnait sourdement à ses oreilles.
La main de Bobby remontait à présent le long de son bras, agitant son thermomètre interne. Sa main libre s’empara de la sienne pour y entremêler ses doigts. Sa paume était chaude, à la fois douce et calleuse. A son tour, elle fixa sa bouche ourlée. Comme en pilotage automatique, elle posa un doigt sur l’angle marqué de sa mâchoire recouverte d’une douce barbe et le fit courir jusqu’à son menton. Bobby, dans un geste d’une sensualité inouïe, humecta ses lèvres de sa langue, déclenchant une envie qu’elle n’avait plus ressenti depuis longtemps.
La seconde d’après, leurs lèvres fusionnaient, avides, gourmandes l’une de l’autre. Le baiser se fit tout de suite intense, exigeant. Leurs bouches se dévoraient mutuellement. Armelle était comme une assoiffée qui découvrait une oasis après un long périple dans le désert. Elle s’abreuvait de la salive, du goût de Bobby, sans retenue, sans pudeur. Un cri étranglé s’échappa de sa gorge quand leurs langues s’entortillèrent l’une contre l’autre. La sensation était époustouflante, décoiffante.
Elle défit ses doigts de ceux de Bobby, l’accrocha autour de sa nuque puissante et rapprocha étroitement son corps du sien. Les contours de son torse baraqué s’imprimèrent sur son buste de femme, pressant ses seins et faisant bourgeonner leurs pointes.
Ils continuaient de s’embrasser fougueusement, happés par le tourbillon de plaisir qui balayait toute pensée consciente sur son passage.
Un petit coup frappé contre la vitre, les ramena brutalement à la réalité. Ils se séparèrent. Front contre front, le souffle saccadé, ils essayaient de reprendre pied.
— Vous savez que vous êtes garé sur une zone non autorisée , entendit-elle une voix s'adresser au chauffeur.
C’était probablement un agent des services du stationnement municipal. Il y’en a avait toujours deux ou trois qui effectuaient des rondes le long de la rue.
— Oui, je sais, chef, répondit humblement le chauffeur de Bobby. C’est juste pour deux ou trois minutes.
— Ca fait presque dix minutes que vous êtes là. Je vous ai vus arriver tout à l’heure.
Armelle cacha son visage contre la poitrine de Bobby, mortifiée. Heureusement que les vitres arrière fumées de la voiture préservaient un peu leur intimité.
— Je vous laisse encore deux minutes, après j'appelle les gens de la fourrière pour le sabot, reprit l'agent.
— OK, OK, on va y aller, confirma le chauffeur. Patron ? Vous en avez encore pour longtemps ? Demanda t-il à l'adresse de Bobby.
— Non, on a presque fini.
Armelle recula, et remit un peu d’ordre dans sa tenue en ajustant son chemisier. Bobby chercha son regard.
— Je suis prêt à t’attendre, dit-il d’une voix profonde. Mais, je te veux à moi tout seul, je ne partage pas. Quand tu seras fixé, fais-moi signe.
Elle ne put répondre que par un hochement de la tête. Elle était incapable d’aligner plusieurs mots de façon cohérente tant son cerveau était embrumé.
Il remit ses lunettes de soleil et descendit pour lui tenir la portière. Les jambes flageolantes, elle sortit à son tour du véhicule. Après un petit signe de la main, elle regagna les portes d’entrée de son immeuble.
***
Denise coinça son téléphone portable entre son épaule et son oreille tout en essayant de tirer la fermeture à glissière de son sac de sport. C’ét
— Bonjour commissaire Avodo
— Bonjour Mademoiselle Moyo. Nous avons du nouveau au sujet de votre plainte. Le numéro de plaque d’immatriculation que vous nous avez communiqué est enregistré au nom du Lieutenant-colonel Abessolo. Vous le connaissez ?
— Non, pas vraiment. C’est le mari d’une de mes élèves. Il m’a menacée la semaine dernière quand je me suis interposée entre sa femme et lui.
— Et vous pensez qu’il pourrait être l’auteur de votre agression ?
— Honnêtement, je n'en sais rien. Je ne l 'ai vu qu'une seule fois et je n'ai presque rien vu du visage de mon agresseur. Qu'allez-vous faire ? Vous allez le convoquer pour lui poser des questions ?
— Hum... Ce n'est pas aussi simple. Le lieutenant-colonel Abessolo est un homme très influent. Si on toi ouvrir une enquête sur lui, il faut être sûr d'avoir des preuves tangibles. Mes supérieurs n'accepteront pas de faire quoi sue ce soit. Je ne vous apprends rien sur la façon dont les choses fonctionnent ici.
— Oui. Merci pour votre retour, commissaire.
— De rien, Mademoiselle. Faites attention à vous.
Denise raccrocha, désappointée. Elle aurait mieux fait de ne pas fonder d’espoirs sur l’issue de cette enquête, mais c’était difficile de reprendre une vie normale en sachant que le malfrat qui s’en était pris à elle, vaquait tranquillement à ses occupations sans être inquiété.
La porte du studio de danse fermée, elle jeta un coup d’oeil circonspect autour d’elle. Plusieurs passants marchaient tranquillement dans la rue. « Elle n’avait rien à craindre », se dit-elle intérieurement. La probabilité que son agresseur l’attaque une deuxième fois était faible. Cependant, au cours des semaines à venir, elle se ferait déposer chez elle en taxi-course quand elle rentrerait après la nuit tombée.
Elle rangea ses clés dans son sac et vérifia son téléphone. Toujours pas de nouvelles de Danielle. Les messages qu’elle lui avait envoyés sur Facebook et WhatsApp demeuraient sans réponse. Elle espérait de tout son coeur qu’elle allait bien et était en sécurité.
Dans le taxi qui l’amenait chez Eloïse pour leur soirée entre filles, son esprit ne cessait de schématiser les scenarii les plus macabres. Elle ferma les yeux, essayant de les repousser. Heureusement que les discussions animées entre le chauffeur de taxi et les deux autres passagères au sujet de la dernière vidéo de Mani Bella la détournèrent un instant de ses inquiétudes.
— Elle n’aurait vraiment pas dû faire cette vidéo, disait l’une des deux passagères. On lui dit qu’elle a le derrière d’un « écran plat » et elle veut prouver le contraire en venant twerker avec un gros caleçon sur le net ?
Le taxi et la deuxième femme s’esclaffèrent. Elle-même esquissa un sourire.
— Il n’y a que vous les ngas que ça dérange hein ? Nous on aime bien les fesses bâchées.
Denise ne put s’empêcher de pouffer de rire cette fois. Se déplacer en taxi-course, au delà du coût supplémentaire que ça engendrerait dans son budget, la priverait immanquablement de ces débats parfois surréalistes et complètement loufoques que les passagers partageaient le temps d’un trajet.
Ethan et Ingrid, les enfants d’Eloïse l’accueillirent en sautillant autour d’elle quand elle entra dans la grande et somptueuse maison de style duplex. Réconfortée, et ses inquiétudes reléguées au second plan, elle les souleva tour à tour dans ses bras.
— Ça fait trop longtemps qu'on ne t'a pas vue tata Denise, se plaignit Ingrid, la plus grande, âgée de six ans, en faisant la moue. Tu nous as manquée !
— Oh ! Merci ma puce ! Vous m'avez manqué vous aussi. J'ai pas mal de travail en ce moment, mais promis, on se fera une petite sortie bientôt.
Les enfants de son amie étaient vraiment des amours, affectueux, et câlins comme elle en avait rarement rencontrés.
Elle sortit de son sac les friandises qu’elle avait achetées pour eux et le leur tendit.
— Ce sera pour le goûter de demain, intervint aussitôt Eloïse qui revenait de la cuisine.
— Maman ! Protestèrent les enfants en choeur.
Denise échangea un regard avec son amie, puis se tourna vers les enfants.
— Maman a raison. Les friandises attendront le goûter de demain. Il ne faudrait pas risquer d’abîmer vos jolies dents. D’accord ?
La mine renfrognée, ils acquiescèrent à contre-coeur. Martin apparut dans l’encadrement de la porte du salon. Vêtu d’un ensemble pyjama au motif à grands carreaux de couleur bleu et marron alors qu’il n’était même pas 20h, il avait tout du papa pantouflard. Il s’avança vers elle pour lui faire la bise.
— Martin, c’est how ? Les poules t’attendent pour dormir à ce que je vois, commenta t-elle taquine.
Martin secoua la tête, amusé.
— Tu vas même changer un jour toi ci ?
— Pourquoi faire ? Je suis bien comme je suis, non ?
— C’est pas faux… Confirma t-il en souriant. Je vais coucher les enfants, amusez-vous bien les filles !
Après un tendre baiser sur les lèvres d’Eloïse, il jucha Ethan le petit dernier sur ses épaules et prit la direction de l’étage où se trouvaient les chambres à coucher.
— Agnès et Patricia arrivent à quelle heure ? Demanda t-elle à Eloïse.
Elle étaient de retour à la cuisine où Eloïse avait joliment disposé sur plusieurs plateaux, des amuse-bouches qu’elles dévoreraient pendant la soirée.
Agnès et Patricia étaient d’anciennes amies du Lycée Leclerc, les seules qu’elle avait réussi aussi longtemps après son départ du Cameroun. C’était Patricia qui avait eu l’idée d’instaurer une soirée entre filles tous les deux mois. Denise préférait largement ce type de retrouvailles aux grandes soirées d’anciens du lycée organisée chaque année.
— Elles ne devraient plus tarder, répondit Eloïse en sortant le saladier du frigo. Finalement, ça a adonné quoi ta plainte ?
— Hum… Tu ne me croiras pas. La voiture du type qui m’a agressée est immatriculée au nom du Lieutenant Colonel Abessolo, le mari de Danielle.
— Wow ! C’est chaud ! La police va faire quelque chose ?
— Rien, je pense. Le commissaire m’a très clairement avoué que le type avait des relations et que sans une preuve solide de ma part, il valait mieux que je ne m’embarque pas dans une procédure judiciaire.
— Wèèèèè ! Le pays ci !
— Je t’assure ! Bref, je vais laisser ça comme ça. Je ne pense pas qu’il m’attaquera de nouveau
— Il faudra faire attention. Et tu as des nouvelles de Danielle ?
— Non, toujours pas. je me fais du souci pour elle. J’espère qu’elle va bien.
— Moi aussi.
Denise s’empara d’une orange dans la corbeille de fruits et se mit à jongler avec. Elle n’avait parlé à personne, même pas à Eloïse, de ce qu’il s’était passé avec Simon. Ca la rongeait depuis une semaine. Elle s’en voulait et en même temps, elle avait parfois l’impression qu’elle avait rêvé cette nuit avec son ami d’enfance. Elle ne l’avait pas revu depuis ce fameux jour, ni même croisé par hasard, à croire qu’il l’évitait. C’était d’ailleurs mieux ainsi. Avec le temps peut-être, elle parviendrait à oublier combien elle s’était sentie si bien dans ses bras, combien elle s’y était sentie à sa place.
— Tu penses à quoi comme ça ?
Eloïse la fixait de son air inquisiteur, les sourcils froncés. Un bref instant, elle envisagea de lui mentir, mais elle se rappela qu’elle n’avait jamais réussi à lui cacher quelque chose pendant longtemps. Et la réciproque était vraie aussi.
— J’ai fait une bêtise samedi dernier.
— Quelle genre de bêtise ?
— J’ai couché avec Simon, avoua t-elle à voix basse.
— What ??? hurla Eloïse. Le séminariste ?
Denise se cacha le visage derrière ses mains.
— Tu n’as même pas besoin de me faire la leçon cette fois, pupuce. C’était complètement stupide et mal de ma part, je le sais.
Durant de longues secondes, sa meilleure amie se contenta de la regarder, sans rien dire.
Denise secoua piteusement la tête. Elle était vraiment un cas désespéré, lui dirait Eloïse quand elle recouvrirait l’usage de la parole. Car il fallait qu’elle n’ait tiré aucune leçon de ses erreurs passées pour faire une bêtise aussi monumentale.
— Eh ben... ils y passent décidément tous dans ton lit hein? Même quand ils jouent les désintéressés au départ. Tu les envoûtes ou quoi ? Lâcha t-elle enfin d’un ton acide.