Chapitre 12
Write by MoïchaJones
A travers le voile noir de mes lunettes de soleil, je les regarde s’amuser dans le bassin. C’est Lundi, premier jour de vacances pour Imani, le soleil brille de mille feux et je me retrouve coincée avec 2 gosses. Uhu était censé faire un tour rapide dans ses bureaux du centre-ville, mais les plans ont changé et j’ai dû prendre la semaine, j’en profiterai pour régler les formalités de notre voyage. Dans une semaine nous irons voir mes parents, je leur ferai la surprise. J’ai eu maman au téléphone hier, elle ne s’attend surement pas à me voir débarquer devant sa porte la semaine prochaine. Je me réjouis d’avance de la tête qu’elle va faire.
- Non ! Arrête.
Le cri d’Imani me tire de ma rêverie. Elle tente une échappée, mais est gênée par la pesanteur dans l’eau. Jason la suit de près en l’arrosant à grande eau. L’image me fait sourire. Je tire mon téléphone encore une fois pour immortaliser l’instant, ils ont manqué ces derniers temps dans mon quotidien.
- Tu dois te laver.
- Non…. Maman… Au secours, vient me sauver.
Elle court vers le bord en riant. A l’instant où elle pose le pied hors du bassin, je comprends que j’en ai fini de lézarder. On passe la matinée à barboter dans l’eau, en faisant de temps en temps des pauses gouter pour calmer les gargouillis. Une fois qu’ils commencent à être fatigués, je les emmène déjeuner dans un fastfood avant de se perdre dans les galeries du centre commercial. Jason a besoin de vêtements s’il doit passer quelques jours avec nous.
Je les regarde s’amuser à se taquiner tous les deux et je me plais à me dire qu’il aurait été un bon fils. Peut-être qu’il est temps pour nous de donner un compagnon de jeu à Imani. Elle grandirait peut-être un peu et se sentirait moins le centre du monde.
En fin d’après-midi quand je gare dans l’allée de la maison, tout le monde a atteint son point de non-retour.
- Maman, je peux regarder la télé ?
Je me détourne des paquets que je suis en train de rassembler dans le coffre pour la regarder. Elle a déjà un pied sur la première marche du perron. Y a pas longtemps, elle était profondément endormie, maintenant on dirait Bambi.
- Qui va m’aider ?
Elle prend une mine coupable en faisant demi-tour.
- Je vais porter. Lance Jason en se rapprochant.
- Oui tu vas porter. Bien sûr que tu vas porter, Imani aussi va porter. Nous étions trois à faire les courses et nous allons les ranger ensemble.
Elle me jette un regard meurtrier avant de revenir sur ses pas.
- Je suis fatiguée.
Elle traine le pas, mais finir par venir s’emparer des paquets que je lui tends. Jason prend les sien et emboite le pas d’Imani. Quelques minutes plus tard je les suis à l’intérieur de la maison avec le reste des bagages. A l’instant où je m’engage dans l’escalier, Ils redescendent déjà les bras vide.
- Jason attend moi dans ta chambre.
Il hoche seulement la tête. Je vais prendre ce qui lui appartient et le rejoins. Il est assis sur le bord du lit, ses tennis toujours lacés à ses pieds. J’entre et referme la porte derrière moi.
- Enlève tes chaussures, tu seras plus à l’aise je crois.
Il me regarde une seconde avant de s’exécuter, toujours silencieux.
J’ouvre le placard et commence à y aligner les vêtements neufs.
- Ca te plait ? Je lui demande avec un geste vers la pile d’habit.
- Oui, merci. Mais il ne fallait pas.
- Tu voulais peut-être te balader nu dans la maison ?
Je souris devant sa mine effarouchée.
- J’ai mes habits….
- Ca fait toujours du bien d’avoir des vêtements neufs. Prends ça comme un cadeau d’anniversaire si tu veux.
Il me fait un sourire timide et je le rejoins sur le lit.
- En parlant de ça, tu sais quand je suis allée chez toi la dernière fois, c’est parce que j’avais un cadeau pour toi. Je t’ai attendu au centre mais tu n’es jamais arrivé, alors je me suis dit…
Je m’arrête de parler le temps de sortir le paquet que j’ai glissé au fond du sac cartonné Marwa.
Je peux voir son regard s’illuminer, bien qu’il n’ait pas encore vu ce que contient le sac que je lui tends. Il regarde dedans et je le sens hésitant à sortir le cadeau bien emballé.
- Vas-y, ca ne va pas te mordre.
Il me fait les gros yeux, mais je peux voir la flamme joyeuse au fond.
- Ne soit pas bête.
- Jeune homme surveille ton langage.
On rigole. Je le regarde se saisir délicatement du cadeau. Il tire sur les ficelles et s’arrête pour me regarder.
- C’est quoi ?
- Ouvre et tu sauras.
Il secoue la tête et se mets à enlever tour à tour chaque morceau de scotch qui relie le papier cadeau. L’impatience… Il ne connait pas. Moi à sa place j’aurai déjà tout déchiré.
- Putain !
Son cri me fait sourire.
- Jeune homme, ton vocabulaire.
- Oh pardon. C’est pas vrai.
- Ca ne te plait pas ?
- Non mais tu rigoles ? C’est trop la dub.
Sa réaction me conforte dans mon choix.
- C’est quoi ça encore, la dub ?
- C’est pour moi ?
- Bien sûr, sinon pourquoi je te l’aurais donné ?
Son regard est intense et ses lèvres tremblent l’une serrée contre l’autre. Quelques minutes plus tard, ma main recueillir les premières larmes sur ses joues.
- J’espère pour toi que ce sont des larmes de joies, sinon le vendeur qui me l’a conseillé ça va me sentir passer.
Il essaie d’empêcher me flow qui ruisselle, mais il ne doit pas essayer très fort. Son visage est inondé. Je l’attire dans mes bras. Ses épaules frémissent, et ça me brise le cœur. Je sais bien qu’il est joyeux, mais ça ne doit pas être tous les jours qu’il reçoit un cadeau de ce genre.
- Chut… Arrête de pleurer.
Je m’emploie à le réconforter et ça me prend plus de temps qu’il n’en faut d’habitude avec Imani pour qu’il se calme.
- On ne m’a jamais rien offert d’aussi beau.
Le rouage de sa voix me fait sourire.
- Je suis heureuse d’être celle qui te fait ce cadeau alors. Je sais que vous les ados d’aujourd’hui vous n’avez d’yeux que pour Iphone…
J’ai dit ça pour le dérider et ça marche.
- J’adore mon nouveau téléphone.
Sa voix est encore rauque, mais elle a retrouvé toute sa fermeté.
- Cool parce que ça m’aurait vraiment fait mal au cœur de devoir le rendre.
Il sort le téléphone de son carton et se mets à étaler tous les accessoires que j’ai pris avec. Il monte le tout et se lève pour me mettre à la charge.
- Joyeux anniversaire bonhomme.
- Merci. Il murmure se réinstallant sur la place qu’il a quitté un peu plus tôt.
Silence.
- Il ne me laissera jamais le garder.
Je ressens comme un mélange de tristesse et de honte quand il parle.
- Qui ça ?
Je sais très bien de quoi il parle, mais il doit extérioriser tout ce qui se passe dans sa tête.
- Mon père.
- Pourquoi ?
Il ne dit rien, mais je le sens tressaillir.
- Jason, qu’est-ce qui se passe avec ton père ?
Il hésite à parler, et je garde le silence pour lui donner un peu de répit.
- Ce n’est pas vraiment mon père… Mon vrai père est mort quand j’avais 5 ans. Un soir maman a ramené Moïse à la maison, et après il n’est plus jamais parti.
Il parle d’une voix basse, tête baissée, mais je peux sentir la haine transpirer de ses pores. L’ambiance dans la pièce est passée en un instant de la joie à la tristesse. Un être sensé être innocent, avec de tels sentiments, ça en devient effrayant.
- Il ne fait rien de ses journées à part trainer dans les bars du quartier. Maman ramène les sous, et lui, il prend tout. C’est à peine si ma scolarité est payée, alors que je suis le seul qui continue avec l’école. Mes frères ont tous laissé tomber.
J’ai envie de le prendre dans mes bras, mais je sais que c’est la chose à ne pas faire. J’ai eu le temps de voir comment il fonctionne. Il n’est vraiment pas du genre à se laisser réconforter. Je prends une inspiration profonde, la boule au fond de ma gorge se fait de plus en plus obstruante.
- Tu as beaucoup de frère ?
Il sourit.
- Nous sommes sept, mais les ainés sont tous partis, nous ne sommes plus que trois à la maison.
- Il vous bat ?
Je retiens mon souffle. On ne dirait pas comme ça, mais je prie pour qu’il me dise non. L’appréhension me ceint l’estomac, bien que ça me semble être une évidence. Ce genre d’histoire est assez commun. La maltraitance n’a pas de limite avec la pauvreté.
- Oui, quand il rentre saoul. Maman dit que ça va lui passer, qu’il a des problèmes, mais ça ne s’arrête pas. C’est derniers temps ça arrive de plus en plus.
- Je suis désolée mon chéri.
- Ce n’est pas de ta faute, tu n’as pas à t’excuser.
On se regarde en silence.
- Tu sais, souvent j’ai envie de le tuer….
- Ne dit pas ça Jason.
- Cet homme, c’est le diable en personne.
Sa phrase m’enlève les mots de la bouche. Pour une fois je ne sais pas quoi dire pour lui remonter le moral. Je me contente de poser sur lui un regard compatissant.
- Il m’a vendu.
Mon cœur manque un battement. Qu’est-ce qu’il vient de dire ? J’éclate d’un rire nerveux.
- J’ai cru entendre qu’il t’avait vendu.
Il me regarde dans les yeux, le plus sérieusement du monde. Il est raide comme un piquet, et la phrase de l’homme ce soir-là me revient de plein fouet. « Si vous le voyez, dites-lui qu’il me doit 50 000 Shilling sinon il est un homme mort ». Pour 50 000 Shilling. Oh mon Dieu…. Il n’a pas besoin de rajouter quoi que ce soit, j’étouffe. Je me lève et fait quelques pas vers a fenêtre. Le soleil est déjà bien bas dans le ciel, sa couleur légèrement violacée ajoute une couche de tristesse dans mon cœur.
Il n’a pas bougé d’un pouce quand je me retourne dans sa direction. Ses yeux sont toujours aussi tristes, mais en même temps toujours aussi déterminés.
- Je suis sûre que tu as dû mal comprendre.
- Non, je sais ce que j’ai vu. Il a reçu de l’argent de Mzuka, j’ai bien vu l’échange se faire. C’est l’homme à qui il m’a vendu.
Je ne sais pas quoi dire. Je ne sais pas si je dois le croire. Mais pourquoi irait-il inventer une telle histoire ?
- Tu as juste vu des adultes faire une transaction financière, rien ne prouve que…
- Shangazi, je ne suis pas idiot.
J’ouvre la bouche, mais pour dire quoi ? Je ne sais pas de quoi il en retourne. Je ne sais pas ce qui se passe vraiment à Kibera. Je ne suis sûre de rien, j’ai juste mes convictions. Ce qui revient à dire que je ne suis au courant de rien de la vraie vie dans les bas quartiers.
- Ce n’est pas la première fois que ça arrive. Quand il passe dans le quartier pour distribuer de l’argent, des jeunes disparaissent par la suite comme par magie.
J’hallucine. C’est une histoire à dormir debout. Un scénario de film d’action qu’il est en train de me raconter.
- La police…
Je n’ai pas encore finit ma phrase qu’il éclate d’un rire moqueur.
- La police n’est pas avec nous.
Ses mots ont un double sens, mais après bonne réflexion, ça revient au même. Ils sont seuls face à leur destin.
- Qu’est-ce qu’il fait des jeunes qu’il achète ? Je demande après un silence lourd.
- Personne ne sait. Mais on raconte qu’il les sacrifie pour devenir plus riche.
J’ai du mal à le croire, c’est surréaliste.
- Et ta mère, qu’est-ce qu’elle en dit ?
Il se renfrogne avant de répondre sèchement.
- Elle n’arrive pas à lui tenir tête. Elle fait toujours tout ce qu’il lui dit de faire.
- Mais tu es son fils…
- Je la déteste, c’est une femme faible.
On ne peut pas être plus clair. Son ton est sans appel.
- Oh chéri, ne dit pas ça. Il y a surement une explication à tout ça. Je suis persuadée que tu te fais des films.
Je parle mais ça sonne faux. J’essaie de me rassurer plus que de le convaincre, lui. Je n’ai pas envie que ce soit vrai. Il ne faut pas que ce soit vrai.
Jason se lève et me tourne le dos. Quand il reprend la parole, c’est d’un ton désabusé.
- Ne t’inquiète pas, ils ne m’auront pas.
Je lui fais un sourire que je veux rassurant, mais j’ai mal aux mâchoires tellement je suis crispée. Il faut que je fasse quelque chose.
- Repose-toi, on mange à 20 heures.
Je me lève sans plus tarder et l’abandonne là, avant que ma colère éclate. Je vais directement voir Aba pour lui demander plus d’explication. Il a passé son enfance dans la rue, il doit certainement être au courant de ce qui s’y passe. Il ne semble pas étonné par l’histoire de Jason. Au contraire, j’ai l’impression qu’il s’y attendait. Il me répond, laconique, comme s’il ne veut pas développer le sujet. Je ne m’attarde pas longtemps, mais lui donne quelques recommandations. Il faut absolument qu’il se renseigne exactement sur ce qui se passe dans ce quartier. Qui est ce Mzuka, et surtout pourquoi la police n’intervient pas si c’est vrai ce qui se dit.
Je n’arrive pas à me sortir cela de la tête, même des heures après, dans mon lit. Uhu n’est pas encore là et je vieille pour en parler avec lui. Il m’a prévenu qu’il rentrerait tard, mais il est déjà minuit et il n’est toujours pas là. Je tire la couverture sur mes épaules et ferme les yeux un instant. Juste une petite minute, j’y verrai surement plus clair après ça.