Chapitre 12 : Suite
Write by Auby88
Richmond ne se décourage pas à la première tentative infructueuse. Il cogne à nouveau son poing contre la porte. Mais Cica ne lui ouvre pas. Encore et encore, il frappe si tant qu'un voisin sort de sa chambre pour réclamer le silence.
A contrecoeur, il obtempère et se dirige vers la sortie. Une adolescente passe près de lui. Elle vient d'arriver dans la maison. Il ne fait pas attention à elle. Elle frappe à une porte en appelant Cica. Il fait demi-tour et se précipite derrière elle. Avec ses mains, il bloque la porte, empêchant ainsi Cica de la refermer.
- Il faut que je vous parle !
- Je n'ai rien à vous dire, monsieur ! Allez vous-en !
- Laissez-moi entrer. Je serai bref.
L'adolescente s'approche de Cica.
- Hmm ! Cica, ce beau mec est ton petit-ami ?
- Non ! répond-t-elle vivement.
- Laisse-le entrer, conclut l'adolescente en poussant la porte vers l'arrière.
Richmond dévoile un sourire de gratitude à la jouvencelle. Il entre et prend place dans l'un des fauteuils que lui indique l'adolescente. Afiavi, c'est ainsi qu'elle s'appelle, court lui chercher de l'eau à boire. Il la remercie et boit une petite gorgée de cette eau. Elle reste figée devant lui. Cica, quant à elle, est restée debout à l'entrée, observant le manège devant elle.
- Que me voulez-vous ? questionne-t-elle en employant un ton sec.
- Je veux que vous reveniez au studio 8 !
Il se ramène près d'elle.
- Vous ne manquez pas d'air ! Comment osez-vous me demander cela ?
- Je me suis trompé dans mon jugement. Je reconnais avoir été odieux avec vous.
- Vous ne savez vraiment pas ce que vous voulez ! Le vieux m'a dit que vous avez déjà trouvé une chanteuse professionnelle.
- Certes, mais malgré son talent, vous n'avez rien à lui envier.
- Vous êtes vraiment pathétique ! Allez vous plaindre ailleurs.
- Hé Tata, le monsieur est sincère. Faut l'écouter non ? intervient Afiavi.
Cica la fusille du regard. L'adolescente semble comprendre qu'elle est trop indiscrète. Elle s'éclipse en souriant en direction de Richmond. Il lui fait un signe de la main.
- Nous en avons fini, monsieur Richmond. Vous attendez encore quoi ?
Il la fixe longuement.
- Votre Oui.
Il sourit. Sa ténacité et son charme la désabusent. Et son sourire la fragilise. Face à elle, se trouve un Richmond différent. " C'est un gentil garçon ! ", lui a dit le vieux. Et soeur Anne ainsi que soeur Grâce lui ont toujours appris à pardonner. Entre conscience et ressentiment, elle hésite à présent.
Une sonnerie de téléphone retentit. Une musique instrumentale.
- Alice ! s'extasie Richmond. Je suis bien content de t'entendre. Je te rappelle tout à l'heure.
Puis s'adressant à Cica, il poursuit :
- Alors, Cica, affaire conclue ? Vous reprenez quand ?
- Allez vous faire foutre ! Pour rien au monde, je ne travaillerai à nouveau avec vous ! Sortez d'ici avant que je n'alerte les voisins !
Il sait qu'elle ne plaisante pas.
- Ok. Pour l'heure, je m'en vais mais je reviendrai, achève-t-il en remettant les lunettes qu'il avait auparavant ôtées.
A peine, a-t-il posé pieds dehors, que Cica referme la porte avec force. Derrière cette porte, elle se laisse choir sur le sol cimenté, regrettant la façon dont elle venait de se comporter. Jamais auparavant, elle n'a usé de la loi du talion " oeil pour oeil, dent pour dent ". Par rancoeur ou fierté, elle l'a traité comme il l'a fait, sans lui donner une deuxième chance, sans se donner une deuxième chance. Car elle adorait vraiment chanter avec le Panthers Jazz Band et particulièrement, apprendre auprès du vieux.
- Tata ! s'exclame Afiavi. Le beau métis est déjà parti ?
- Oui, murmure Cica.
Afiavi soupire profondément.
- Tu as été trop dure avec lui, tu sais.
Son interlocutrice ne répond rien.
- En tout cas, moi, il m'intéresse ! J'aimerais que tu me files son numéro.
Cica scrute attentivement la gamine en face d'elle, en secouant la tête. Elle s'est poudré le visage et a troqué son uniforme de collège contre une courte robe. Elle n'a que seize printemps et pourtant elle possède déjà les traits et le verbe d'une aguicheuse.
- Si tes parents pouvaient t'entendre ou te voir, tu recevrais une correction bien méritée. Ne te rends-tu pas compte que cet homme est beaucoup plus âgé que toi ?
- Bah ! fait-elle. L'amour transcende tout, y compris l'âge.
- Je préfère croire que je n'ai rien entendu.
Cica se lève du sol et la tire par la main. On les voit se diriger vers la cuisine, située à l'arrière de la chambre.
Le week-end suivant, Cica retourne à l'orphelinat. À Cotonou, elle ne compte pas revenir. Richmond la contacte à plusieurs reprises, mais elle ne répond ni à ses appels, ni à ses messages.
Debout devant le portail de l'institution, elle inspire profondément, bercée par le vent frais qui souffle doucement les pans de sa robe. Des enfants de l'orphelinat accourent vers elle, très heureux de la revoir. Elle a rapporté des friandises pour eux. Ravie, comblée, elle se sent. Elle affiche un sourire radieux. C'est son monde, sa vie, son repère, l'endroit qu'elle aime le plus au monde, le lieu où elle se sent toujours à son aise, la maison où tous l'aiment pour ce qu'elle est vraiment, sans se soucier de son apparence.
Vers le bureau de soeur Grâce, puis celui de soeur Anne, elle court. Elle prend soin, au préalable, de déposer son grand sac plastique dans la chambre pour ne point les affoler. De toute façon, elle compte les informer de son choix sans rentrer dans les détails. Car monsieur Richmond reste le meilleur donateur de l'orphelinat. Se priver de son aide, pour quelque raison que ce soit, sera préjudiciable pour l'institution.
Soeur Grâce est déçue, tandis que soeur Anne se réjouit de la nouvelle. L'accord qu'elle a donné à Cica, quant au groupe de jazz, était dubitatif, plus accordé pour ne pas contrarier sa supérieure soeur Grâce que pour soutenir Cica. Tout ce qui ne touche pas au sacré n'a pas d'importance pour soeur Anne. Et, elle n'aime pas avoir Cica loin d'elle.
L'après-midi, Cica se rend à sa classe de chant. Elle marche d'un pas pressé. En approchant de la salle, elle entend la voix de soeur Grâce sans distinguer nettement ce qu'elle dit. Elle se dépêche d'entrer. Ce qu'elle voit la trouble. Le livre de chants, de ses mains, tombe. Elle le ramasse. Il est là, debout avec son saxophone.
- Cica, approche, lui dit soeur Grâce. Monsieur Richmond s'est proposé de nous aider pour le concert de noël. A son dernier passage, il a noté l'absence d'instruments de musique.
- C'est exact, Cica. Je jouerai au saxophone pendant que les enfants et vous chanterez.
- Mais ma mère, nous avons toujours chanté sans instruments ! réplique Cica en réprimant sa colère du mieux qu'elle peut, signalant par son regard sa désapprobation à Richmond.
- Je sais. Mais un peu de modernité ne nous fera pas de mal. De toute façon, j'ai donné mon accord. Je vous laisse.
- Quand arrêterez-vous de me harceler de la sorte ? demande t-elle à Richmond. Vous n'avez même pas honte d'utiliser une religieuse pour parvenir à vos fins ! s'indigne-t-elle.
- Je suis ici pour travailler, répond-t-il en affichant un visage sérieux. Vous savez combien je suis rigoureux dans ce que je fais. Actuellement, nous avons accusé dix minutes de retard. Les enfants s'impatientent.
Il a raison. Elle acquiesce de la tête. Il joue superbement bien, comme à l'accoutumée. Elle chante divinement bien, comme à son habitude.
A la fin de la séance, elle se rapproche de lui, bien décidée à poursuivre la discussion.
- Si vous voulez que j'arrête de vous harceler, vous savez ce qui vous reste à faire, Cica.
Il se dirige vers la sortie.
- Vous n'êtes qu'un…
Il l'interrompt.
- Au fait, j'ai reçu l'approbation de soeur Grâce pour cela aussi. Elle m'a dit qu'elle serait enchantée de vous savoir à nouveau parmi nous.
Il s'en va aussitôt, la laissant seule dans la salle. Elle n'ajoute aucune réplique. Désorientée, elle est.