Chapitre 13 : Le crash
Write by Auby88
"Un coup de chance. Mais la vie est souvent comme ça. Faite d'étranges rebondissements, de coïncidences, d'accidents qui se révèlent être des bénédictions.
Barbara Taylor Bradford ; Lettre d'une étrangère (2012)"
"Les accidents de la vie nous conduisent parfois exactement là où on avait renoncé à aller.
Jo Witek ; En un tour de main (2010)"
Quelques jours plus tard. Richmond s'amène très tôt à l'orphelinat. Il tenait à personnellement venir chercher Cica à Abomey-Calavi, car il n'avait point envie qu'elle change d'avis par rapport au groupe de jazz.
Il l'aide à sortir son bagage, qu'il se hâte de déposer dans le coffre de sa voiture. Elle porte une longue robe, cousue dans un tissu religieux, dont les motifs représentent l'hostie.
Il ouvre ensuite la portière du devant, celle du côté passager puis la prie de s'asseoir. Elle décline son invitation, préférant s'asseoir à l'arrière.
- Voyons, Cica ! Je ne tenterai rien d'indécent.
- Cela ne m'a même pas traversé l'esprit. Ce qu'il y a, c'est que je n'aime pas rester à l'avant.
- Vous avez peur ?
- Oui, c'est cela.
Elle répond en balbutiant quelque peu. Il sourit.
- Rassurez-vous, Cica ! Je suis un conducteur très prudent. De toute façon, je n'ai aucune envie qu'on me prenne pour un chauffeur privé, avec vous à l'arrière. Allez, montez à l'avant ! Nous n'allons pas rester ici éternellement !
Elle se résigne à entrer à l'avant. Durant le trajet vers Cotonou, Richmond initie une conversation qui n'enchante pas Cica. Elle préfère rester muette pour contrôler cette peur qu'elle ressent à chaque fois qu'elle se trouve à l'avant d'une voiture. Il ne note pas qu'elle est mal à l'aise. Il l'informe du départ d'Edith et de l'enthousiasme de Samson, Arsène et le vieux à l'annonce de son retour. Il demande des nouvelles des gens de l'orphelinat et même d'Afiavi qu'il trouve sympathique. Cica répond sans donner de précisions. Elle a l'impression qu'il n'est pas assez attentif au volant.
- Vous devriez arrêter de me parler autant pour vous concentrer sur la voie !
Il la regarde, ébahi.
- Je ne vois pas en quoi, il est mal de parler en conduisant. Détends-toi !
Elle le regarde.
- Je souhaite qu'on se tutoie désormais. Le "Vous" devient trop lourd pour moi.
- Vous …
- Tu, je précise.
- Tu …, reprend-t-elle en s'étonnant du mot qu'elle vient de prononcer.
Elle sourit intérieurement. Malheureusement, les choses s'empirent quand Richmond répond à un appel depuis l'équipement bluetooth accroché à son oreille.
Cica sent sa peur s'intensifier. Elle se met à prier. Cela ne l'aide pas, ne la rassure pas. Inconsciemment, à chaque dépassement qu'il fait, que ce soit camion ou voiture, elle pose ses pieds sur un frein imaginaire, se tortille et dépose une main sur sa bouche pour ne pas crier.
Richmond ne la remarque pas, trop occupé à discuter avec Alice. Il a à peine le temps de réaliser ce qui se passe, quand soudain il sent la main de Cica disputer le volant avec lui, avec le mot "Attention ! ". Son geste est si brusque que pour éviter le camion près d'eux, il fonce droit sur le bas-côté. La voiture échoue violemment contre un poteau. Sa vue se brouille. Il perd connaissance. Elle aussi.
Quand Cica s'éveille, elle se retrouve au milieu d'une foule. Elle semble indemme, à part une petite égratignure sur son pied. Richmond par contre gît inanimé près d'elle, avec une large blessure sur le bras droit. Elle prend peur. Des policiers, venus faire le constat, la questionnent sur les raisons de l'accident. Elle demeure muette, terrorrisée par la vue de Richmond. Elle se rappelle ce qu'elle a fait et se met à murmurer incessamment "Il ne doit pas mourir ! Pas lui aussi ! ", telle une prière récitée en boucle. Ses idées se mélangent. Les policiers la ménagent. Elle semble visiblement en état de choc.
- Tata, lui demande quelqu'un, il faut qu'on prévienne sa famille.
En bégayant, elle prie quelqu'un de lui prendre son sac à main dans la voiture. Mais, il n'y avait plus de sac, ni aucune trace du téléphone de Richmond, ni du sien que ce soit dans la voiture ou les poches de Richmond. Tout s'est envolé, comme par magie. Elle ne peut accuser personne, même si le voleur se trouve parmi la foule. C'est bien pathétique d'agir ainsi. Profiter du malheur de l'autre pour le dépouiller. Elle se sent coupable. Si seulement, elle n'avait pas agi comme une gamine. Elle éclate en sanglots. Quelqu'un la calme.
L'ambulance s'amène et les emmène vers les urgences du Centre National Hospitalier et Universitaire de la ville. Heureusement, ce n'est pas un jour de grève. Richmond est prioritaire. Cica reçoit les premiers soins. Dans le hall où elle attend, une infirmière s'approche d'elle et lui remet une ordonnance. Il faut au plus vite acheter la longue liste de produits aux noms bizarres. Elle demeure perplexe, ne sachant quoi faire. Quand elle reprend ses esprits, elle essaie de se remémorer quelques numéros de son répertoire. Elle n'ose pas appeler l'orphelinat pour ne pas inquiéter les religieuses. Elle réussit à se souvenir du numéro du vieux. Il lui faut urgemment trouver un moyen pour l'appeler. Elle fait la requête auprès de deux passants, qui demeurent sceptiques. Ils refusent de l'aider. Elle tombe finalement sur un bon samaritain qui accepte de l'aider.
Quelques minutes plus tard, le vieux se présente aux urgences. Elle va se blottir dans ses bras en lui disant que tout est de sa faute. Il aurait bien voulu la laisser au chaud dans ses bras pour la consoler, mais il lui faut se dépêcher par rapport aux produits à acheter. Richmond doit également faire une radiographie pour s'assurer d'aucun dommage cérébral ou d'aucune fracture.
En chemin, il prévient Samson et le prie d'informer les proches de Richmond. Mère, soeur et fiancée arrivent immédiatement, suivis par Samson. Madame AKOWE regarde brièvement la jeune femme près du vieux, se demandant ce qu'une fille comme elle fait auprès de gens de sa position sociale, et pour quelle raison, elle semble tant angoissée.
De toute manière, le plus important reste son fils. L'hôpital publique ne lui semble pas propice. Elle tient à ce qu'il soit transféré dans une clinique privée de renom. Le directeur de l'hôpital public ne s'y oppose pas. Il connait la mère de Richmond. Toutefois, il lui signale qu'elle reste responsable de toute déconvenue …
Trois jours durant, dans la clinique, Richmond reste inconscient. Par chance, il n'a aucun dommage cérébral mais on a dû lui plâtrer le bras droit, à l'exception de la surface occupée par la blessure.
Cica demeure à la clinique, bien que les proches de Richmond ne la veulent pas là. Elle n'est pas de la famille et elle a l'air trop coupable à leurs yeux. Sandra a même insisté pour qu'elle lui raconte ce qui s'était réellement passé, car elle savait que Richmond était allé la chercher à l'orphelinat. Mais Cica n'a pas osé lui dire la vérité.
Trois nuits durant, à l'insu des infirmières de garde, Cica se faufile dans la chambre de Richmond et veille à son chevet, priant pour lui et se cachant dans les recoins possibles, dès qu'elle entend des pas près de la porte.
Au milieu de la troisième nuit, elle est là quand il ouvre les yeux. Elle se penche vers lui. Elle est si heureuse.
- Qu'est ce que tu fais ici ? vocifère-t-il.
Elle manque tomber à la renverse.
- Je me faisais du souci pour toi.
- Sors d'ici ! hurle-t-il à nouveau. Tu as mis ma vie en danger. Je n'en resterai pas là, crois-moi. Je porterai plainte contre toi !
- Je suis désolée, Richmond. Je ne voulais pas que cela arrive.
Ses yeux sont humides.
- Hors de ma vue ! crie-t-il.
Elle demeure immobile.
Rassemblant ses forces, il parvient à s'asseoir et appuie son doigt contre la sonnerie à son chevet.
- Faites-moi sortir cette femme d'ici ! ordonne-t-il aux deux infirmières qui viennent d'entrer. Bande d'incapables. Vous ne faites pas bien votre travail !
Cica est désemparée. Sans s'opposer, elle se laisse entraîner au dehors par l'une des infirmières. Sur un banc, elle s'assoit et pleure à chaudes larmes.