Luna : Chapitre 13: Bonne ou mauvaise solution

***Luna****

J'ai fermé mes yeux et pensé à quel point ma vie est actuellement un capharnaüm. C'est la chose qui ne devait pas venir s'ajouter au programme. Les anciens dans les films nigérians diront  <<abomination>>. C'est vraiment une abomination, une fille qui porte l'enfant de son frère. Le fruit de l’inceste, la fille qui a été souillée par son frère, la fille qui a été livrée par son frère. Mes lèvres tremblotaient, mes yeux me picotaient mais je refusais de pleurer, c'est une liberté que je ne peux hélas pas me permettre.

Je me rends compte à quel point j'étais de jugeote facile, bornée enfermée dans une vraie définition du blanc ou du noir, j'avais oublié qu'il y avait d'autres couleurs dans la vie et que des fois ces couleurs nous sont imposées par les circonstances de la vie. Quand on me parlait d'avortement, je voyais tout de suite un meurtre, on m'a enseigné que dès que les gamètes unissent pour former une même cellule, c'est un être humain. Mais la vie a toujours deux revers comme une médaille. Je ne défends pas l'avortement mais dans certaines situations comme la mienne c'est un mal nécessaire. Comment vais-je regarder la société en face? Cette société qui juge à tout va. Cette société me regardera et tout ce qu'elle verra c'est ma grossesse dont l'auteur est mon frère. On m'attribuera des mœurs légères injustement. Et cet enfant comment croyez-vous qu'il sera traité? Il sera un marginalisé, un reclus, un rejeté de la société. Dans la cour de récréation ses camarades se moqueront de lui. Il devra payer en insultes, coups et humiliations les choix de Sylvain. Nous devrons tous les deux payé si jamais cet enfant naît. Autant étouffer le problème dans l’œuf.

[....]

J'ai tourné ma situation dans tous les sens et ma conclusion est toujours la même. J'ai tellement réfléchi que j'en ai mal à la tête. Pourquoi c'est moi qui me prends la tête alors que le responsable vit tranquille?

J'ai caché les tests dans mon placard de douche et je suis allée à l'école suivre les cours de la soirée. Je n'avais pas véritablement envie de suivre les cours mais je voulais sortir de la maison, respirer un autre air. C'était une mauvaise idée, je n'arrêtais pas de réarranger mon uniforme, j'avais tellement peur que quelqu'un se rende compte de mon état. Jusqu'à mon retour à la maison, j'avais l'impression de marcher sur des œufs.

Papa est de nouveau rentré ivre ça ne m'a pas étonné. Chaque fois que je le vois rentrer à la maison, je rends grâce que rien ne lui soit arrivé. J'espérais pouvoir lui parler mais il s'est endormi dès qu'il a atteint le canapé.
Quand j'y repense la dernière fois que j'étais sur le point de tout dire à Papa, il a eu un accident qui a failli lui coûter la vie et si Sylvain était derrière tout ça? Seigneur!!!

Serait-il capable de faire ça?

[....]

Le lendemain matin.

Je me suis réveillée tôt ce matin. Je compte aller en consultation gynécologique. Je veux savoir à combien de mois de grossesse je suis et surtout savoir si une IVG est faisable.

[....]

Le gynécologue m'a reçu après plus d'une heure d’attente, j'étais vraiment mal à l'aise parmi ces femmes qui me regardaient comme si j'étais un animal de foire. Une fois dans son bureau la climatisation m'a fait oublier quelques seconde mon mal être. Le gynécologue est un homme quadragénaire, de teint clair avec une peu d'embonpoint. Son visage dénote une certaine neutralité. Il ne laisse rien paraître. Il n'a pas l'air surpris en lisant la fiche de renseignements que j'ai rempli à l'accueil.

-Bonjour Mlle GBEDJI, je suis le docteur AGADJA

-Bonjour docteur AGADJA fis je en retroussant mes lèvres

- Qu'est ce qui t'a amené à consulter?

J'avais imaginé à l'avance un scénario dans ma tête  mais là j'ai peur de parler.

-Je suis enceinte !

Il a légèrement froncé les sourcils et n'a rien dit. J'ai alors continué

-Enfin je crois que je suis enceinte, j'ai trois tests de grossesse ils étaient tous positifs

J'ai sortis les tests de mon sac à dos.

-Pourquoi as-tu pensé à aller acheter des tests de grossesse? Me questionne-t-il

-J'ai un retard de menstrues

-Ton cycle est d'habitude régulier ?

-Oui docteur

-Tu avais donc commencé les activités sexuelles pour tout de suite t'orienter vers l'hypothèse d'une potentielle grossesse

Tous mes mots étaient bloqués dans ma gorge, je n'arrivais pas à parler

-Luna, tu vas bien?

J'ai pu reprendre le contrôle et répondre

-Oui oui bien sûr désolée

-Je vous demandais si......

-Oui j'ai déjà commencé les activités sexuelles.......en quelque sorte.

-En quelque sorte, veux-tu approfondir s'il te plaît ?

-J'ai.................................. été violée

Voilà c'est sorti

-Allongez-vous sur la table d'examen s'il vous plaît

Pendant toute la durée de l'examen, je me demandais ce que Papa penserait de tout ça. Quand il eut finit le médecin avait une mine attristée, le genre que je déteste qu'on ait à mon égard.

-Tu iras au labo pour quelques analyses dont le test de HCG qui selon sa quantité nous permet d'estimer l'âge de la grossesse et le test de dépistage de MST. Luna?

-Oui je vous écoute, fis-je

-Qui t'a fait ça?

- Ça importe peu docteur. Je veux savoir si je peux interrompre cette grossesse.

Il a baissé la tête et inspiré un coup.

-Tu es mineure et j'ai besoin de l'autorisation de tes parents avant d'envisager une telle chose.

J'ai encaissé l'information

-Tu en as parlé à tes parents ?

Ma respiration s'est accélérée

-Vous allez garder mon secret n'est-ce pas ?

-Tu devrais le dire à tes parents   , ils vont t'aider à surmonter ça, fit-il

-Je préfère qu’ils ne sachent rien pour le moment

-Aucun médecin ne te touchera pour interrompre cette grossesse si tes parents ne donnent pas leur accord.

Je me suis levée en serrant mon sac contre moi.

-Cette grossesse n'ira pas à terme croyez-moi docteur

-Mais au cas où vous devez aller prendre certains médicaments comme l'acide folique par exemple

-Elle n'ira pas à terme, merci de m'avoir reçu.

-Luna.....

J'étais déjà sortie et je marchais le plus vite possible pour qu'il n'ait pas dans l'idée de me rattraper.

[.....]

Prendre de l'acide folique pour quoi faire? Je tergiversais sur le coup que me porte le destin en fulminant intérieurement contre Sylvain. Il était déjà midi passé… je suis alors rentrée à la maison avec une seule idée en tête dormir !

[....]

Trois jours plus tard

Je viens tout juste de briser ma tire lire en mille. Pourquoi? C'est sûrement la question que vous vous posez et vous en connaissez déjà la réponse.

J'ai trouvé un moyen plus disons terre à terre pour parvenir à mon objectif. Il y a toujours dans votre entourage un infirmier ou un médecin de faible conscience professionnelle qui pratique toutes sortes de soins médicaux (légaux ou non) pourvu que l'argent soit au rendez-vous.

Il s'appelle Papa Crédo et à la base, c'est un infirmier diplômé d'état qui avec le temps a appris à faire pas mal d'autre chose comme un curetage. Je suis allée le voir hier, sa maison n'est pas très loin de la mienne. J'y suis donc allée à pied hier après la pause de midi. Il m'a dit sans problème tant que j'ai 80.000f.

J'ai compté l'argent de ma tirelire, je me suis retrouvée avec un total de 183.600f. Après quatre ans d'économies, c'est une somme colossale pour moi.

Je dirai tout à Papa après demain, je serai déjà débarrassée de cette grossesse. Maman a eu du mal à concevoir et je ne me sais pas si Papa me donnera le feu vert pour une IVG même si je porte l'enfant de mon frère. Dans quatre jours c'est le treize et je ne sais pas quelle idée machiavélique trotte dans la tête de Sylvain. Peut-être que son but final c'est de me tuer qu'est-ce que j'en sais?

Demain on est jeudi, j'ai demandé la permission á l'école prétextant une visite chez le médecin.

***Le lendemain matin * **

Je suis le cours d'anglais d'une oreille distraite. J'ai surtout la nausée et le parfum de mon professeur me donne envie de gerber. Je suis tellement tendue.

Quelques heures plus tard

Je traîne les pas le plus possible sur ce sentier qui me mène inévitablement au fossé que mon destin me creuse, je me demande comment j'en suis arrivée là!  Je devais normalement être en train de suivre mon cours de mathématiques en ce jeudi après-midi mais non. Je suis en train de lutter contre l'inévitable! Pourquoi lutter d'ailleurs ? Ai-je vraiment le choix ? Une abomination pareille ne devra pas voir le jour et pire en mon sein ! Il en est hors de question!

Alors pourquoi est-ce que je me sens alourdie et désemparée!?

Mon père est actuellement dans son bureau au siège de la loterie nationale du Bénin pensant que je suis au cours, inconscient de tout ce qui se passe sous ses yeux! Si seulement il avait fait un peu attention et garder la tête hors de l'eau ! Le matin en allant au boulot, je revois mon père…celui que j'ai toujours connu depuis mon enfance mais chaque soir je vois un homme saoul, éméché et horriblement triste!

Malgré la lenteur de mes pas je parviens à destination malgré moi, je pousse le portail et je pénètre dans la maman de Papa Crédo.

Peu de temps plus tard

Je me couche sur cette table qui à l'origine devait sûrement servir de table à manger. Cette table est recouverte d'un fin film plastique qui empeste l'alcool, elle a été posée derrière la maison où on a un peu d'ombre et à l'abri des regards indiscrets. Papa Crédo, l'infirmier du quartier est vêtu d'un ensemble en tissu bleu qui se constitue d'un bonnet , une blouse , un pantalon et pour clore le tout d’une paire de babouches en plastique que je vois souvent les chirurgiens porter dans les films. Il travaille comme infirmier à la clinique coopérative de Calavi depuis aussi longtemps que je le connais.

-N'aie pas peur ! Je l'ai déjà fait des milliers de fois tout va bien se passer! Murmura papa Credo en me fixant droit dans les yeux.

Ce qui était censé me rassurer fait plutôt accélérer mon rythme cardiaque, j'ai l'impression que mes jambes vont s'effriter. Je respire un bon coup et je rassemble toute la dose de courage dont je suis capable! Autrement dit RIEN. J'ai la trouille!

Papa Crédo s'empare d'une sorte de cordon élastique et d'un bout de coton imbibé d’alcool. Il fait un garrot au niveau de mon avant-bras gauche et prend une seringue contenant un liquide qui m’est inconnu.

-Calme toi, c'est de la lidocaïne pour que tu ne sentes pas la douleur. Tu t'endormiras et quand tu te réveilleras, tout sera fini. Ne t'inquiète donc pas.

Il m'administre le contenu de sa seringue et je me sens partir au fur et à mesure.   Je n'aurai jamais pensé que ma vie allait basculer de la sorte.

**Docteur AGADJA**

- Merci mon frère merci beaucoup.

Je raccroche et je repose mon téléphone sur mon bureau. Ces trois derniers jours j'ai fait des pieds et des mains pour trouver le numéro de Georges GBEDJI mon ami d'enfance. Georges et moi étions les meilleurs amis du monde du primaire jusqu'au secondaire, nos chemins se sont séparés quand je me suis envolé pour la France afin de faire des études de médecine et Georges est resté au pays. On n'avait pas whatsapp ou Facebook à l’époque. On a essayé de de s'écrire et de s'appeler au début mais très vite on a été submergé chacun de son côté par les péripéties de la vie.

Quand je suis rentré dix ans plus tard je pensais plus à me bâtir une carrière et fondé une famille plutôt que de reprendre contact avec mon ami d’enfance.

J'ai appris par un de nos amis commun il y a de cela quelques années il a eu une fille et qu'elle s'appelait Luna. Imaginez ma surprise quand je vois une Luna GBEDJI dans mon bureau.

Je n'ai théoriquement pas le droit de parler de ça sans l'accord de Luna mais j'ai vu tellement de jeunes filles mourir ou bousillées totalement leur utérus en tentant de se faire avorter clandestinement. J'ai aussi une fille et je ne peux m'imaginer ce que je ressentirai si jamais cela lui arrivait.

J'ai pris la feuille sur laquelle est écrite le numéro de Georges, j'ai hésité quelques secondes à composer le numéro et j'ai lancé l'appel.

****Papa Crédo****

Je suis en train de vider son utérus de cet embryon. J'ai entendu le bruit d'une voiture qui pétaradait, j'ai sursauté ce qui m'a valu un faux mouvement avec la curète et elle s'est mise à saigner abondamment....