Chapitre 14

Write by leilaji

The love between us


Chapitre 14


Je rigole si fort que je suis sure que ça me fait passer pour une démente. J’essaie de revoir dans ma tête à quel moment j’aurai pu avoir fait cette gaffe idiote qui pourrait sceller à jamais ma vie. Je ne vois rien de probant. Ils se trompent c’est la seule réponse plausible. Je commence à peine à m’habituer à avoir un homme, un seul dans ma vie. Je commence à peine à m’habituer à partager ma vie avec quelqu’un et cette nouvelle me tombe sur la tête comme une noix de coco. Le seul homme avec lequel j’ai eu une expérience similaire c’est Idris. Mais il partageait ma vie en tant qu’ami. L’enjeu n’était pas le même. On n’habitait pas ensemble et je n’avais pas à me soucier du fait qu’il pouvait me briser le cœur en me trompant. Dans quelle merde je me suis mise ?   


- Ce n’est pas possible que je sois enceinte. Vérifiez vos résultats, je murmure tout bas dès que je reprends mes esprits. 

- Vous êtes sous contraceptif ?

- Je vous le répète, ce n’est pas possible que je sois enceinte. On s’est toujours protégé.

- Aucune méthode n’est sure à 100 pour cent vous savez. Sauf évidemment l’abstinence. Mais puisque vous avez dit « on », je suppose que vous avez un compagnon.

- Refaites vos tests.

- Vous obtiendrez exactement le même résultat pour avoir au final une facture plus élevée à payer.

- C’était peut-être un faux positif. Refaite le test.

- Comme vous voudrez. Mais s’ils sont de nouveaux positifs, préparez-vous à prendre une décision. Avec une échographie, on verra à combien de semaine vous en êtes. A moins bien sûr que vous ayez les dates de vos dernières règles.   


Je n’ai pas besoin de me préparer pour prendre une quelconque décision. Ce n’est pas comme si j’étais prête pour élever un … bébé. Je ne suis pas faite pour créer une famille. La famille ça ne sert à rien, j’en ai trop bavé pour recommencer ce cycle pourri. Quand je tombe sur un enfant, je lui fourre un objet dans les mains et lui demande d’aller jouer loin de moi. Plus loin ils sont, mieux je me porte. Les mioches, ils passent leur temps à poser des questions débiles alors qu’ils n’ont aucun intérêt pour les réponses qu’on leur donne. Les pires c’est les bébés. Ca bave de partout,  ça pleure sans raison, et on ne peut même pas discuter avec. Mon Dieu si je suis enceinte comment je vais faire pour le garage alors que Patrick veut prendre sa retraite ? 

Non les pires ce ne sont pas les bébés mais les parents de nouveaux nés qui sans cesse passent leur temps à fourrer sous le nez des honnêtes gens des photos de leurs vilains bébés, en espérant recevoir pour le compte de leur progéniture des compliments. 

Et puis un enfant c’est un lien définitif avec un homme. J’aime Pierre. C’est un homme fort à mes côtés. Il ne tergiverse pas, ne s’en laisse pas compter, me protège même quand je suis trop têtue pour admettre que j’ai besoin d’aide. Mais je ne me sens pas prête à laisser sortir un truc vivant de 3 kilos de mon sexe pour lui prouver à quel point je tiens à lui. Un bébé ne devrait pas être une preuve d’amour pour un homme. Parce qu’après quand l’homme s’en va, l’amour pour l’enfant s’en va avec. Et je sais de quoi je parle. Un bébé doit être désiré par la femme qui le porte.  


- Parlez-en au moins avec votre compagnon. Peut-être que son enthousiasme pourra vous aider à y voir plus clair, propose le médecin. 

- Je ne vois pas en quoi ça le concerne, je réplique d’un ton plus sec que je ne le souhaitais.


Elle ne semble pas agacée par mes mauvaises manières. Sa voix douce et son sourire mettent en confiance. 

 

- C’est le père de l’enfant. Vous devez en parler avec lui. Et prendre une décision ensemble. On est d’accord ?  


Ce sera bientôt la fin des heures de visite et je pourrai me reposer alors je cesse de répondre à ses questions. Je n’ai pas l’intention de parler de ce bébé à Pierre parce qu’il pourrait ne pas être d’accord avec ce que j’ai l’intention de faire. En réalité je ne sais rien de lui concernant ce point. Est-ce qu’il est prêt à être père ou trouve-t-il que c’est trop tôt comme moi. Pourquoi la vie nous force toujours la main. Encore hier j’étais une célibataire douée pour réparer des voitures et aujourd’hui je dois me transformer en mère douée pour changer des couches ? 

La porte s’ouvre et laisse entrer Pierre qui a en main un panier de fruit. Le médecin se tourne vers lui et son sourire s’agrandit. 


- Mon chéri, mais qu’est-ce que tu fais là ? notre rendez-vous c’est dans une heure, dit-elle en en jetant un coup d’œil à sa montre.


Est-ce qu’elle vient de dire mon chéri ? Nous nous figeons tous les deux de stupéfaction puis Pierre se reprend après m’avoir jeté un bref coup d’œil.


- Bah maman, tu as fait vite, je ne m’attendais même plus à te voir… C’est pour elle que je t’ai appelée. Je suis heureux que tu aies pris le temps de venir.

- Quoi ? Cette jeune femme est ta nouvelle petite amie ?  


Elle se tourne vers moi et m’observe avec calme tandis que son fils entre dans la chambre et pose son panier sur la tablette à ma droite. Il ne manquait vraiment plus que ça. Que sa mère apparaisse au moment le plus bizarre de ma vie. J’ai envie de disparaitre de cette chambre. J’ai la gorge tellement sèche que j’ai l’impression qu’elle est en feu. Je viens de rater ma première impression. 


- Pierre tu peux nous accorder une petite minute s’il te plait ? je lui demande après avoir vidé la petite bouteille d’eau mise à ma disposition. 

- Tu ne me laisses même pas faire les présentations ?


Il pose un baiser sur mon front et se recule d’un pas pour faire face à sa mère. J’essaie de sourire pour paraitre détendue mais à l’intérieur de moi, je sens mes boyaux se tordre d’appréhension. Je ne peux plus rien faire dans son dos vu que sa mère sait. Il va donc forcément falloir que je le lui dise moi-même. Je vais finir par croire que Dieu existe et qu’il est contre moi. Je me masse les tempes pour faire passer la migraine qui pointe le bout de son nez. 

Maintenant qu’ils sont l’un à côté de l’autre, la ressemblance entre la mère et le fils est frappante. C’est donc pour cela que j’avais l’impression de l’avoir déjà vue. A part ses cheveux grisonnant on ne peut pas se douter que cette femme à un enfant de l’âge de Pierre. Elle parait si jeune. C’est donc elle qui l’a élevé et lui a appris à savourer la vie. Peut-être que c’est un trait de caractère de famille.  


- Maman, je présente Manuella et Manuella voici ma mère Docteur Irène. Le coup de fil qui t’as tellement  mise en colère la dernière fois c’était avec elle.

- Oh, j’espère que je n’ai pas causé de problème, intervient la mère en souriant.

- Non maman. T’inquiète. Manu aboie beaucoup mais elle ne mors pas. Du moins pas à ma connaissance.


Je rêve ou Pierre essaie de détendre l’atmosphère. Je crois qu’il fait de son mieux pour que sa mère me voie sous un bon jour. Mais c’est trop tard et il ne le sait pas. Cette femme sait que je couche avec son fils, que je suis tombée enceinte de lui et que je ne veux surtout pas garder le bébé ou en parler à son fils. J’ai déjà brulé toutes mes cartes avec elle. Je ferme les yeux. Si le lit pouvait m’engloutir et me recracher dans mon garage où je pourrais me cacher de tout le monde, ça me fera des vacances. Mais le lit ne m’est d’aucune aide alors j’essaie de relancer les hostilités pour détourner l’attention sur Pierre afin éviter que sa mère ne lui délivre la bonne nouvelle.


- Tu avais dit qu’il ne s’agissait pas d’une femme. 

- C’était pour te rassurer. 

- En quoi c’est rassurant … Bon sang Pierre !

- Bon, ravie de faire votre connaissance Manuella, intervient sa mère pour éviter toute dispute entre nous.  

- Moi de même. Madame. Docteur…

- Maman Irène ça ira largement. 

- OK. M… Madame Irène. 

- Bon je vous laisse bavarder entre femmes, et surtout maman, sois gentille avec elle, 

- Mais tu dis ça comme si j’avais l’habitude d’être méchante ! quand une de tes copines en me plait pas, je te dis tout simplement qu’elle ne me plait pas, je ne porte pas de jugement mais je donne mon avis de mère. J’en ai le droit non Manu ?

- Oui je crois. 

- Oui mais cette fois-ci, il n’y a pas une once de possibilité pour qu’elle ne te plaise pas maman. Je ne sais pas si le message est passé ? 

- Ah ! Tu me menaces ? 

- Non maman, arrête de dramatiser. 

- Est-ce que c’est de ma faute si d’habitude tu ramènes des bimbos sans cervelle dans ton lit sans même remarquer qu’elles courent après ton argent ? 

- Bon, je sens qu’avec toi je vais perdre le débat, dit Pierre en s’emparant d’une pomme avant de nous laisser seule toutes les deux.


Il me fait un clin d’œil et ferme la porte tout doucement.  


- Je ne vais rien lui dire si c’est ce que vous craignez. 

- Vous êtes sa mère, bien sûr que vous allez le lui dire et ainsi me forcer la main.

- Dans ce cas précis, je suis surtout votre médecin avant d’être sa mère. Et je suis tenue par le secret professionnel, donc vous n’avez rien à craindre. 


Je doute vraiment qu’elle le fasse mais de toute manière, je suis à sa merci. Elle s’assoit sur le lit et prends ma main dans la sienne. Je ne pense pas pouvoir être un jour plus mal à l’aise qu’à l’instant même. 


- Vous savez quand je suis tombée enceinte de Pierre, j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps parce qu’à l’époque j’étais trop jeune, pas mariée et sans un sou pour m’occuper de lui. Je bénéficiais d’une bourse de l’Etat mais ce n’était pas suffisant pour vivre, acheter les livres, me vêtir convenablement, etc. Mes parents payaient tout le reste avec le peu d’économie qu’ils avaient. J’étais la seule de leurs enfants à avoir réussi à faire des études supérieures. Moi l’unique fille j’allais devenir docteur en médecine alors que mes frères faisaient de petits métiers pour s’en sortir. Mes parents se sont serrés la ceinture au point où ma mère a eu des problèmes de santé et n’a pas pu se soigner correctement. Mais quand ils ont appris la nouvelle, ils m’ont coupé les vivres. Au début ça a été très difficile. Le père de l’enfant était étudiant en médecine comme moi, pauvre comme moi alors il a fait ce qui lui a semblé juste pour poursuivre sa carrière. Il a nié la grossesse.  C’est pour cela que je ne force jamais une femme à prendre une décision aussi difficile quand je sais que les hommes eux peuvent se permettre de se défiler à chaque fois. 

- Ca a dû être encore plus difficile pour vous. Alors pourquoi vous voulez me forcer à le garder.  

- Parce que je m’en suis sortie. Je suis tombée sur un homme merveilleux qui m’a aidée. Et crois-moi à cette époque sans cette grossesse je ne l’aurai pas rencontré. C’était le directeur de la clinique où je me faisais consulter. Un jour je m’y suis rendue et au moment de payer, je me suis rendue compte que j’avais perdu mon porte-monnaie en chemin. Je devais faire une consultation ainsi qu’une échographie et j’avais perdu tout mon argent. J’ai pleuré comme une madeleine devant l’infirmière qui d’un ton méprisant m’a demandée de rentrer chez moi plutôt que de déranger les autres femmes présentes avec mes fausses larmes.  Je suis sortie de la clinique et je suis restée debout comme un poteau devant le portail de la clinique à me demander ce que je devais faire. Un monsieur s’est arrêté, m’a demandé ce qui n’allait pas et je lui ai tout expliqué. Et c’est cet homme qui plus tard est devenu mon mari et le père de mon enfant. Même si aujourd’hui on a divorcé, pour moi il restera toujours le père de Pierre. Et crois-moi, Pierre est le plus beau cadeau que Dieu m’a offert. C’est juste qu’à ce moment-là je ne le savais pas encore.  Si c’est l’argent le problème…

- L’argent n’est pas le problème. Je gagne bien ma vie, je ne vis pas aux dépens de votre fils...

- Mais ?


J’hésite à me confier. C’est une femme, une mère, comment pourrait-elle me comprendre ?


- Il y a des choses… j’ai manqué de beaucoup de choses durant mon enfance et ça m’a en quelque sorte durcit le cœur. Je ne me sens pas prête à être mère. Qu’on me juge ou pas, je m’en fous mais je ne vais pas me lancer dans une aventure qui dure toute une vie alors que je ne suis pas prête à faire le premier pas. Je ne veux pas faire partie de celles qui se sont entêtées à devenir mères alors qu’elles n’avaient pas une foutue once de maternité en elle. Tout ça parce qu’elles se sont pliées au règles et qu’après c’était trop tard pour faire marche-arrière. Et après ce sont les enfants qui paient le prix et qui se retrouvent dans des familles dysfonctionnelles. Ce sont toujours les enfants qui paient le prix.  Personne ne devrait avoir le droit de faire un enfant s’il n’est pas prêt à l’élever et à l’aimer inconditionnellement. Et moi ça, je ne sais pas faire. 


Je pense à ma mère qui m’a abandonnée dans les bras d’un homme infichu de s’occuper de moi. 

Je pense à ma belle-mère qui a épousé un père et n’a jamais voulu s’occuper de moi. Alors que je faisais partie de l’équation. 

Je pense à toutes les femmes qui ont maltraité des gosses parce qu’elles n’en voulaient pas alors que la société leur a dit, vous êtes des femmes vous êtes donc forcément faites pour ça. N’importe quoi.  


- C’est très noble de votre part de penser ainsi mais vous savez quoi ? On apprend à devenir mère. Et je trouve que vous êtes assez déterminée pour devenir une bonne mère si vous vous en donnez les moyens. 

- Vous ne me connaissez pas. Vous ne pouvez pas savoir.

- C’est vrai. Mais je connais mon fils et il est heureux en ce moment et c’est à vous que je dois le fait que mon fils, soit heureux alors je vous fais confiance pour relever un autre défi. 


Je soupire. En parler ne m’aide pas à y voir plus clair. En plus je commence vraiment à être fatiguée. Après le départ de la mère de Pierre, ce dernier me rejoint le sourire aux lèvres accompagné d’une infirmière qui vient changer le liquide de mon goutte à goutte. Elle vérifie que tout est normal puis nous laisse tranquille. 


- Alors ? Comment cela s’est passé ? 

- Bien. 

- C’est tout ? Juste bien ? 

- Très bien si tu préfères. Ta mère est …

- Sympa quand elle aime bien quelqu’un sinon c’est un vrai dragon.


Il rigole doucement puis commence à m’éplucher une orange. 

- Ils ont trouvé ce que tu as finalement ? 

- Endométriose ou quelque chose du genre, je réponds d’une voix terne car tout d’un coup cette maladie est devenue le dernier de mes soucis.

- Il y a un traitement ? 

- Non. Je vais subir ca toute ma vie. Mais ils peuvent trouver un moyen de diminuer efficacement la douleur. 

- C’est une bonne nouvelle alors. Heureusement que j’ai demandé à ma mère de venir.

- Pourquoi ne m’as-tu pas dit que c’était à ta mère que tu parlais plutôt que de me laisser dans le doute. 

- Tu es allergique à la belle-mère ? toutes les fois où j’ai voulu lancer la discussion sur nos mères respectives tu t’es toujours défilée. Si je t’avais dit que j’ai parlé de toi à ma mère et qu’elle m’a rappelé pour me demander quand est-ce qu’elle pouvait venir te voir ; qu’est-ce que tu m’aurais répondu ? 

- Hors de question. 

- Voilà. j’ai juste pris les devants c’est tout. Quand est-ce que tu pourras sortir ?


Il pose les tranches d’orange dans une petite assiette en porcelaine et me demande d’e manger un peu. 

 

- Je ne sais pas encore. J’attends des derniers examens. Demain peut-être. 


Je ferme les yeux. Comment je le lui annonce ? Comment je le convaincs qu’on n’est pas prêt, que c’est trop tôt ? 


- Manuella tu es sure que ça va ?

- Oui. Je suis juste un peu fatiguée. 

- Tu veux que je reste cette nuit ?

- Non pas la peine. Je me sens déjà beaucoup mieux, pas la peine de t’inquiéter. 

- OK. Mais si tu as besoin de quoi que ce soit, appelle moi d’accord. 

- D’accord. 


J’ai le cœur qui bat à cent à l’heure. J’ai envie de l’arracher de ma poitrine et de le jeter au loin pour qu’il me lâche enfin la grappe. J’ai envie de m’endormir et de me réveiller demain matin en effaçant cette foutue journée de ma mémoire. 


J’ai peur. Des trop grands bouleversements que tout ça va causer dans ma vie. 


- Tu es sure que ça va ? insiste Pierre en essayant de déterminer si je dis la vérité ou pas. 


Finalement, il ne me laisse pas le temps de lui répondre, enlève ses chaussures et grimpe sur le lit avec moi. Il pose ma tête sur son épaule et la caresse pour m’apaiser. J’enfouie mon visage au creux de son épaule pour m’empêcher de lui répondre. 


- Je suis là ma belle. Je suis là. Tout ira bien t’inquiète. S’il ne trouve pas de solution, tu iras faire des examens en France ou aux Etats-Unis. Je prendrais des congés pour ça et je t’accompagnerai. L’endometri machin chose là on va trouver une solution pour ça, OK ? 


S’il savait. 


- Il ne s’agit pas de ça. 

- De quoi alors ? 


Je bouge la tête et prends une longue inspiration.


- Je suis enceinte. 


Les mots m’ont échappée. Je les ai lâchés et ils se sont fracassés sur le visage de Pierre. Ce n’est pas ce que je voulais dire. Mais comme un secret trop lourd, ils se sont faufilés hors de mes lèvres. Les yeux de Pierre s’écarquillent de surprise. Je sens son souffle effleurer ma joue. Il se redresse dans mon lit. Ses yeux ne clignent même pas une seule fois. 


- Répète parce que j’ai mal compris ce que tu as dit, murmure-t-il.

- Je suis enceinte.

- Je vais être père ? 


Je ne sais pas pourquoi on murmure tous les deux. Sa main me broie le bras me pressant de lui répondre.


- Tu ne vas pas être père Pierre. Je ne suis pas prête. Je ne peux pas. Pas déjà. 

- Attends qu’est-ce que tu essaies de me faire comprendre là ? Que tu vas avorter ? 

- Oui. 

- Mais tu ne peux pas décider toute seule du destin de cet enfant Manuella.     


Le ton monte. 


- Ce n’est pas toi qui va le porter neuf mois Pierre. C’est mon corps c’est moi qui décide.

- Mais c’est aussi mon bébé. On l’a fait tous les deux. 

- On n’est pas prêt. 

- Mais comment peux-tu le savoir si on n’essaie pas ? 

- Parce que tu penses que c’est la bonne solution. Avoir d’abord le bébé puis essayer d’être parents pour voir si on est doués ou pas. Un enfant ce n’est pas comme une voiture qu’on loue et qu’on peut rendre à tout moment. Une fois qu’on l’a c’est pour toujours.

- Mais prends au moins le temps de réfléchir ! Aujourd’hui tu as peur et je peux le comprendre. Mais tu verras que demain tu verras la situation d’une autre manière. Cet enfant, notre enfant ne manquera jamais de rien. Je serai là pour toi et lui alors où est le problème ? 

- Tu ne me comprends pas. 

- Parce que ce que tu dis n’a pas de sens. Un avortement quand on a été violée OK. Un avortement quand le bébé risque d’être fortement mal formé, OK. Un avortement quand on a déjà quinze gosses et que celui-là est de trop OK. Mais toi c’est quoi ton excuse ? hurle-t-il.   


Une personne cogne à la porte puis l’ouvre. C’est un infirmier qui nous signale que les heures de visite prennent fin et qu’il faut que Pierre s’en aille.


- Je n’ai pas fini Monsieur. 

- Laissez la patiente se reposer. Vous n’avez qu’à revenir demain. 

- J’ai dit que je n’avais pas fini.

- Monsieur vous allez vous calmer ou j’appelle la sécurité.


Pierre se retourne vers moi


- Cette discussion n’est pas terminée Manuella. Bonne nuit. 


Et il sort en trombe bousculant l’infirmier au passage.

  

*

**


C’est Suzie que j’ai contactée pour obtenir le numéro d’un médecin qui accepterait de pratiquer l’IVG. Pendant la semaine où j’ai dû attendre que le rendez-vous soit donné, la tension entre moi et Pierre n’a cessé de croitre. Je me suis posée mille et une questions mais la seule réponse que j’obtenais à chaque fois c’était : je ne suis pas faite pour ça. La veille du rendez-vous il a quitté la maison et n’est pas rentré dormir. Il n’avait encore jamais fait ça. Mais un de ses amis m’a tout de même appelé pour me dire qu’il était ivre mort chez lui. Il est en colère contre moi et c’est bien normal. 


Je ressors de la salle de consultation du docteur encore un peu choquée. Je me sens faible et je me demande si je pourrai  conduire jusqu’à chez moi. Une fois dans le parking de l’hôpital, je trouve Pierre adossé à ma voiture. On se regarde sans rien se dire. Il a une sale tête. Il m’ouvre la portière et j’hésite à monter car nos dernières disputes ont été très houleuses. On reste tous les deux planté là une bonne minute avant que je ne me décide à monter sur le siège passager. Il a dû venir en taxi car je ne vois sa voiture garée nulle part. Sur le chemin du retour aucun de nous deux n’ouvre la bouche pour entamer la discussion. Je me sens tellement épuisée, physiquement et mentalement que je ne sais où trouver la force de lui parler alors qu’il est toujours en colère contre moi. Je comprends sa colère. Elle est légitime. Mais pourquoi lui ne comprend-il pas ma peur ? Elle est tout aussi légitime.


Une fois à la maison, je lui tends une ordonnance qu’il prend sans lire. 


- Un enfant est un bonheur Manuella. Ce que tu as fait me fait mal mais … 

- Mais…

- Est-ce que j’ai le choix ? Je vais te prendre tes médocs. 

- Tu ferais mieux de lire l’ordonnance, je murmure du bout des lèvres.


Il lit à voix basse. Puis un sourire étire ses lèvres lorsqu’il comprend que j’ai un prochain rendez-vous dans un mois. 


- Je n’ai pas pu le faire. 


J’ai parlé d’une voix tremblante. Il faudra gérer le garage, un homme et un bébé !

Je vois Pierre tomber à genoux devant moi et poser sa tête sur mon ventre en me serrant très fort. 


- Tu ne vas pas le regretter je te le promets ma belle, tu ne vas pas le regretter. 


J’espère au plus profond de mon cœur qu’il dit vrai.

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