Chapitre 13

Write by leilaji

The love between us

Chapitre 13


Je suis littéralement tombée dans les pommes. Un moment je voyais flou puis j’ai cessé d’avoir mal. Mais je ne me sentais pas bien pour autant. Mes membres ne me répondaient pas aussi bien que je le voulais. Ils me semblaient lourds. Puis à mon grand étonnement j’ai remarqué que le plancher se rapprochait de plus en plus de moi. Et au final j’ai compris que ce n’était pas le plancher qui se rapprochait de moi mais moi de lui. Je tombais. Puis j’ai entendu la voix paniquée de Pierre et pendant la brève seconde que ça a duré, je m’en suis amusé. Lui toujours si confiant complètement paniqué j’ai trouvé ça drôle, juste avant de percuter le sol. 


Et maintenant je suis allongée sur un lit d’hôpital avec des perfusions dans les bras. Et une belle bosse sur le côté du front. Me retrouver à l’hôpital fait toujours remonter de mauvais souvenirs d’enfance. Je n’aime pas ça. J’ai tendance à y entendre des voix. Celle de l’homme qui me disait que c’était la volonté de Dieu qui l’obligeait à me faire ce qu’il me faisait pour me délivrer de l’esprit de perdition qui m’habitait. Et celle de la femme que j’ai prise pour une mère avant qu’elle ne me dévoile son vrai visage.   


Une infirmière entre le sourire aux lèvres me permettant de me reconnecter instantanément avec le présent. Entre deux âges, la blouse toute propre, la mine fraîche, elle vient sûrement de prendre son service. Parce que lorsqu’elles ont enchaîné les gardes et sont fatiguées, il n’y a pas plus vache qu’une infirmière.


- Ma chérie tu t’es réveillée. C’est bien, dit-elle en vérifiant mes constantes. 

- Où est-ce que je suis? 

- SOS médecin. La douleur t’a fait vous évanouir à l’entrée de la clinique. On t’a pris en charge immédiatement après ça. Ne t’inquiète pas, tu es entre de bonnes mains. 

- Ok. C’est gentil de dire tout ça mais ça ne sert à rien. Je ne reste pas.

- Mais la perfusion n’est pas encore terminée et le docteur...

- Vous ne pouvez pas me retenir contre mon gré. Donc je peux sortir. De toute manière c’est toujours comme ça. Vous me gardez et vous ne trouvez rien.


Je tente de me lever mais le vertige mais fait doucement retomber sur mon lit. Qu’est-ce qu’ils ont mis dans la perfusion ? Putain c’est puissant, je ne sens vraiment plus rien. Par contre la faim va me tuer. Je me carre un peu mieux pour oublier que je n’ai pas mangé grand-chose, occupée que j’étais à sourire aux connaissances de Pierre. Ce lit est tellement moelleux. D’habitude les lits d’hôpitaux sont inconfortables comme s’ils voulaient qu’on ne dorme pas pour qu’on sache qu’ils sont en train de nous sauver la vie. 


- Ma chérie tu ne sors pas. On t’a fait une batterie de test et les résultats sont tombés. Tu as de la chance parce que le docteur Catherine est là. Elle va t’expliquer ce que tu as. 

- Comment ça m’expliquer ce que j’ai ? Personne n’a jamais su me l’expliquer. Je veux sortir. 

- Hors de question, répond-elle fermement.


Elle semble déterminée à me garder ici. Je connais bien ces techniques des cliniques. Garder le plus longtemps possible le malade pour lui présenter une facture salée à la fin de son séjour. Trop de fois des charlatans on fait semblant de pouvoir répondre à mes questions pour ne jamais à la fin me dire ce que j’ai exactement. Je ne me ferai plus arnaquer. 


- Où est mon sac? 

- Sur la chaise. Mais je ne t’aiderai pas à t’en aller. Reste ma chérie, celle qui va t’examiner ... c’est l’une des meilleures sur le territoire. En plus ta caution est déjà payée si c’est ça qui te gène. 

- Par qui ? 

- Ton mari. Il nous a fait les yeux doux pour qu’on s’occupe bien de toi, donc je ne veux pas qu’il vienne se fâcher contre nous oh. En plus ce maton il nous a livré des croissants. A tout le service. Donc tu vois bien que je ne peux pas te laisser partir alors que ton mari a dit qu’il fallait bien s’occuper de toi.    

- Ce n’est pas… bref. 

- Ta famille pourra venir te voir aux heures de visites, tu verras que ça ira très vite.

- Personne ne viendra. 


A l’heure des visites, tandis que je triture la télécommande sans trop savoir quoi regarder, on frappe deux coups réguliers à la porte. Je ne réponds pas et tourne le dos à la porte pour trouver une position confortable. 


- Mais dis donc c’est le grand luxe ici à ce que je vois. 


La voix de Patrick me fait sourire. Je me retourne pour le voir et observe pour la première fois la chambre avec minutie. C’est vrai qu’elle est spacieuse et propre. Une télévision écran plat est fixée au mur et diffuse une chaîne canal plus. Au moins je ne m’ennuierai pas cette nuit. 


- Comment tu as su que j’étais là? 

- Pierre. Il était un peu paniqué. Surtout parce qu’en ce moment c’est un peu chaud pour lui à son boulot. Il ne voulait pas que tu restes seule. Donc je suis là. 

- Et le garage ? T’as pas besoin d’être là. 

- Si tu meurs il n’y aura plus de garage. C’est une entreprise individuelle tu sais, pas une société donc sans toi il n’y a plus de garage.


Je n’ai absolument rien à répondre à ça même si j’ai envie de lui dire que je ne vais pas mourir. Enfin, je l’espère. 


- Tu ne m’as jamais dit que ces histoires de douleurs continuaient, me fait-il constater en fronçant les sourcils.


J’aime bien quand il fait ça. Ça lui donne un air de père noël en colère. 


On se croit toujours fort et indépendant jusqu’à ce qu’on se retrouve « seul et indépendant » dans une chambre d’hôpital à se demander : si je meurs, à qui je manquerai ?  


J’avais déjà été hospitalisée dans une chambre double une fois. La personne qui partageait ma chambre n’arrêtait pas de recevoir des visites. Des frères, des sœurs, des amis, des collègues, les gens défilaient sans cesse à son chevet et elle passait son temps à rire et à être choyée par les siens tandis que je me tordais de douleur sur mon lit. Puis quand Idris est apparu dans ma vie plus jamais je n’ai eu à me sentir seule. Et maintenant c’est Pierre. La vie est faite de succession de rencontres inattendues. Encore heureux qu’on ne sache jamais d’avance qui sera quoi dans notre vie.    

 

- Ce n’est pas comme si tu pouvais y faire quelque chose Patrick. 

- Tu as pensé à te faire consulter par un tradipraticien ? Ce n’est pas toujours une mauvaise idée tu sais. Ce ne sont pas tous des sorciers et des voleurs. Je sais que vous les jeunes vous faites maintenant plus confiance aux substances des blancs mais parfois nous avions des solutions à ces problèmes avant que la médecine du blanc ne vienne nous faire oublier nos traitements traditionnels. 

- Je comprends mais… 

- Tu ne veux pas, je sais. Tu sais être tellement butée parfois, dit-il en soupirant. 

- Tu sais la dernière fois… tu te rappelles de la jeune fille qui avait des jumeaux et qui est partie faire soigner ses enfants chez Fulbert ? 

- Fulbert ? Ça c’est encore quel nom ça ! 

- Oh le mec qui a un temple vers chez toi.


Fulbert. Le mec me donnait la chair de poule à toujours m’observer comme un chat devant un bol de lait quand je passais devant son temple. Je n’ai jamais compris comment on pouvait faire confiance, confier sa vie à une personne qui elle-même vivait dans la misère. 

 

- Ah oui c’est vrai. Nous on l’appelle le Ngoziste. J’avais oublié qu’il s’appelait Fulbert. 

- Bah la mère et l’un des enfants sont morts en plein traitement. Il lui avait dit que son traitement ne marcherait que si elle le suivait consciencieusement pendant deux semaines. Un moment elle a eu un léger doute et est partie à l’hôpital, il l’a appelé pour lui dire qu’elle aurait la mort des enfants sur la conscience. Donc elle est revenue dans le temple. Il lui a dit que c’était sa mère qui s’en prenait à elle et à ses enfants. Et elle l’a cru. Même quand sa santé déclinait et que l’enfant maigrissait sous ses yeux, elle a continué de le croire parce qu’il lui a expliqué que sa mère l’attaquait plus fort parce qu’elle voyait que sa fille allait lui échapper. 

- Je me rappelle de cette histoire. Ils sont morts tous les deux en laissant un des jumeaux. Ce qui est bête c’est que c’est la pauvre mère qu’on accusait de sorcellerie qui s’est retrouvée avec l’orphelin sur les bras.  Si tu vois l’enfant là aujourd’hui, tu ne le reconnaitras pas. Il est en bonne santé et bien vigoureux depuis qu’il est avec sa grand-mère.

- Je serais une cible facile pour eux. Il suffit de me voir et de deviner à quel point mon père était un branleur pour tout lui mettre sur le dos ou faire comme ma belle-mère et tout mettre sur le dos d’un grand-père que je n’ai même pas connu. Je ne veux pas rentrer dans ce cercle vicieux. 

- Je le comprends. 


Un infirmier entre avec un plateau repas et j’en profite pour demander à Patrick de me donner mon téléphone. Je consulte mes messages et mes appels manqués. Beaucoup concernaient le boulot et à chaque client je réponds en donnant un nouveau rendez-vous. Certains rappellent immédiatement pour se plaindre des délais et Patrick m’arrache le téléphone des mains pour que je puisse manger.


Puis il me le rend quand Pierre appelle. Ce dernier me demande de lui accorder encore la journée et qu’il ne pourra être là que le soir. Je lui demande de ne pas s’en faire. Il raccroche. Me voir malade le met toujours mal à l’aise sans que je ne puisse comprendre pourquoi moi je trouve ça drôle et étrange. Un peu comme quand on voit un grand gaillard s’évanouir à la vue du sang sur une petite blessure de rien du tout.   


Patrick et moi continuons à bavarder, à parler boulot. Surtout des commandes à effectuer pour les réparations de voitures avec des systèmes électriques au garage. Puis je lui demande des nouvelles de sa famille. Ca fait tellement longtemps que je leur ai rendu visite que j’ai un peu honte. Puis il s’éclaircit la voix pour me parler de choses plus sérieuses.  


- Ce n’est peut-être pas le moment d’en parler Manu mais je pense sérieusement à prendre ma retraite dans quelques mois. 

- Non. Tu ne peux pas me faire ça. Tu es avec moi depuis le début, me suis-je exclamé en le levant brusquement.

- Hé doucement tu vas faire sauter la perfusion. Je ne suis pas éternel et je me fais vieux. Parfois le matin, je n’ai pas envie de me lever et de venir me faire insulter par les clients. Un jeune homme qui a l’âge d’être mon petit-fils se ramène au garage et commence à mal me parler comme quoi je n’ai pas détecté telle ou telle panne … je n’ai plus la patience. C’est ton garage, c’est toi qu’ils veulent voir sur leur voiture. C’est ton argent, c’est toi qui sait les remettre à leur place, moi ça commence à me fatiguer Manu. Tu sais depuis combien d’années je travaille ? 

- Je comprends. 

- Ok. J’avais besoin de te prévenir. Il faut que tu commences à penser sérieusement à recruter Manu.


A chaque fois qu’il dit Manu, je me sens toujours étrangement calme. Comme si ce diminutif me diffusait de la force et de la détermination dans les situations difficiles. Pourtant c’est le même diminutif que mon salop de père mais je ne l’ai jamais détesté pour autant. Ce diminutif ambigu qui m’a causé bien des problèmes est l’une des choses qui me caractérisent le mieux. 


- Pourquoi tu m’appelles toujours Manu ? 

- Parce que ce diminutif représente qui tu es réellement. Manuella ce n’est pas toi. Quand je dis à un client, Manuella va te péter la gueule, ça sonne faux. Mais quand je dis, attends-moi là, Manu arrive. Ils réfléchissent avant de parler. 

- N’importe quoi tu ne dis pas ça.


Les pates bolognaises servies par la clinique sont trop sèches pour être réussies, il n’y a pas assez de sauce ou de viandes. Mais je les avale avec application et bois toute la bouteille d’eau minérale. 

 

- Tu te rappelles du jour où j’ai demandé à un client de la présidence de foutre le camp  de mon garage. Le mec m’avait fait miroiter un truc là, j’ai peut-être réparé quatre voitures avant de me rendre compte qu’il ne payait rien. 

- Ah oui c’est vrai. Comment il s’appelait déjà… Oyaya. 

- C’est ça même. Oyaya. 


Mon cœur tremblait dans ma poitrine quand je lui ai dit de dégager avec ses gardes du corps qui restaient près de lui comme un voleur près d’un coffre-fort. J’en ai vécu des choses dans ce foutu garage. 


- Il m’a regardé comme s’il allait lever la main sur moi. je me disais, il n’a même qu’à me frapper comme ça je porte plainte au calme pour récupérer mon argent. 

- Le jour-là moi-même j’avais peur hein. Les gardes du corps me regardaient comme si j’étais de la bonne viande à tabasser. 

- Rhooo. Tu avais peur aussi ? 

- Donc parce que je suis un homme je ne dois pas avoir peur hein. S’ils me cassaient les dents ca allaient repousser ?  

- Tu avais l’air tellement serein quand tu as dit : la jeune dame vous a demandé de partir. Tu as serré la clef dans ta main, j’ai cru que tu allais casser le pare-brise que je venais de réparer. 

- Moi ? j’allais jeter ca sur Oyaya et son gros front d’avare et te tirer pour qu’on fuie oui. 


On éclate tous les deux de rire puis il me prend dans ses bras. Mais je ne le laisse pas s’en aller facilement. Je le retiens et murmure « merci » les larmes aux yeux. Qui a besoin d’avoir un père, ou même une famille quand il a un Patrick dans sa vie. Avant de s’en aller, il me demande de remercier Pierre de sa part. Comme je semble étonnée parce que je sais qu’avec Pierre ne courant n’est jamais passé, il hausse les épaules tout gêné avant de m’expliquer :


- J’ai toujours cru que tu étais faite pour Idris.

- Oh Patrick, ne recommence pas. 

- Je n’ai pas aimé comment tu l’as traité. Il méritait mieux. 


J’ouvre la bouche pour lui exprimer mon point de vue mais il me coupe la parole en levant la main.


- Mais je te comprends. Tu as fui parce que tu avais peur de céder et de te retrouver dans une situation dans laquelle tu ne te reconnaitrais pas, une situation qui te ferait du mal. 

- Chat échaudé craint l’eau froide. 

- Sa mère t’a rappelé ta belle-mère. Ta réaction quand on connait ton histoire est normale. Je comprends Manu parce que je t’ai vu souffrir. 

- Alors pourquoi tu en parles ? pourquoi tu prends toujours ça défense alors que ça fait deux ans maintenant. Pourquoi est-ce que c’est lui ton héros alors qu’il ne s’est décidé que lorsqu’il s’est retrouvé dos au mur avec un futur mariage arrangé sur les bras. « J’ai peur de me marier, de voir ma vie, ma petite routine changer donc je pense que je t’aime Manu pour que tout reste pareil. ». Quelle femme rêve de ce genre de déclaration ?


Patrick se tait et m’observe alors je lui retourne un regard franc. J’ai pris la bonne décision pour moi-même et je suis heureuse de l’avoir prise car ça a permis à Pierre de tenter sa chance avec moi et de la tenter vraiment. Il n’a pas tout simplement plongé le bout de ses orteils dans l’eau pour vérifier si elle était froide ou pas, non, il a plongé tout entier sans réfléchir et avec le sourire. 

  

- J’ai croisé sa femme dernièrement dit-il de but en blanc. 

- La femme de qui ? 

- Idris. Comme j’avais assisté à leur mariage, elle m’a reconnu. 

- Zeina… Toujours aussi belle hein !

- Toujours, avec un sourire… Elle semblait heureuse. Très heureuse. Et toi aussi tu sembles heureuse avec Pierre. Alors il est peut-être temps que j’arrête de bouder.   


Je prends une grande inspiration avant de me questionner intérieurement sur l’état de mes sentiments vis-à-vis de cette information. Et je me rends compte que je suis heureuse d’entendre qu’elle va bien et que surement lui aussi. Je souris à Patrick. 


- Donc c’est Pierre ? me demande-t-il comme pour me donner une dernière chance de me dédire.

- C’est Pierre, j’affirme avec conviction.


J’ai le cœur léger à l’idée que finalement les choses se sont bien passées pour nous deux et que je n’ai plus à me sentir coupable puisqu’il est heureux. 

 

- Bien. tu lui diras, bienvenu dans la famille alors.

- Dis le lui toi-même. 

- Pourquoi ?

- Parce qu’il a peur de toi, je lui explique en rigolant à m’en faire mal aux cotes

- Mais je ne lui ai rien fait. 

- Quand il passe au garage et te dit bonjour, tu réponds : Mfrou. Tu fais un bruit de gorge bizarre comme si tu ne voulais pas lui répondre mais que par politesse il te fallait émettre un son. Tu ne lui souris jamais. Quand il nous ramène tous à manger, tu ne touches pas au plat…


Apres un petit moment de silence, Patrick me prend la main. 


- C’est pour ton bien que je le fais Manu. De nos jours, vous donnez à des petits copains les droits d’un mari sur vous sans qu’il ne fasse l’effort de se présenter comme tel à votre famille. Donc je fais celui qui ne le connais pas c’est tout. Un homme doit toujours avoir peur de son beau-père. Je ne vais jamais lui montrer mes dents si c’est ce que tu attends de moi. Il doit savoir que s’il te fait du mal, c’est ce jour-là qu’il verra mon sourire. Parce que c’est avec joie que je vais enterrer son corps dans la décharge de Mindoumbé. 

- Euh ok. 

- Bon, je te laisse petite.

- Ok le vieux. 


Tout ce que j’ai retenu de cette conversation, c’est qu’il se considère comme le beau-père de Pierre. Et ça, ça vaut toutes les plus belles déclarations du monde. 


*

**


Le docteur qui entre dans ma chambre a un air qui m’est familier mais je ne m’attarde pas trop sur le sentiment de déjà-vu. Peut-être m’a-t-elle déjà consultée dans une autre clinique après tout j’ai fait le tour de tous les hôpitaux de Libreville.  jj


- Alors madame Manuella. Il faut qu’on parle. 

- Ok. Vous avez trouvé ce que j’ai ? 

- J’ai de forte présomption. Maintenant que vous êtes réveillée on va compléter les tests mais je suis sure de ne pas m’être trompée. J’ai besoin de quelques informations complémentaires. 

- D’accord, je vais faire de mon mieux pour vous répondre. 


Elle fait partir l’infirmière qui est entrée à sa suite et s’installe dans le fauteuil réservé aux visiteurs.


- Est-ce que vous avez déjà entendu parler de l’endometriose ? 

- Non. Qu’est-ce que c’est ? 

- C’est une maladie chronique récidivante. Ça ne se guérit pas. Et pour faire simple c’est votre endomètre…

- C’est quoi l’endomètre ?

- Le tissu qui tapisse l’utérus qui fait des siennes en créant des lésions, des adhésions, des kystes ovariens sur vos organes génitaux. Parfois même ailleurs. 


Je ne sais pas pourquoi je la crois immédiatement. Elle ne me regarde pas comme si j’étais une folle à lier qui raconte des bêtises sur la douleur qu’elle ressent. Elle me croit. 


- Et pourquoi personne ne m’en avait jamais parlé ? 

- C’est plutôt difficile à diagnostiquer car la maladie varie d’une femme à une autre. Certaines souffrent de cette maladie sans jamais ressentir une quelconque douleur et c’est quand elles veulent faire des bébés qu’on la découvre parce qu’elle n’y arrive pas. D’autres comme toi sont terrassées par la douleur, certaines restent paralysées des jours durant. Il y a des centaines de cas différents. 

- D’accord je comprends. 

- Il y a encore quelques années, très peu d’informations circulaient sur la maladie. Les femmes qui en souffraient n’étaient pas prises au sérieux. Les médecins ont aussi leur part de responsabilité la dedans évidemment mais on s’est bien rattrapé par la suite.


C’est une foutue maladie au nom bizarre qui me cause ces douleurs ? Rien de surnaturel. Toutes ces années de doutes et de souffrance. 

Même si je m’en défends, ça fait des années qu’une petite voix en moi me souffle parfois que ma belle-mère a peut-être raison. Peut-être que j’étais maudite et que c’est pour cela que mon corps réagissait ainsi. Ca fait des années que j’ai ce poids sur les épaules, que je lutte chaque instant pour continuer à me convaincre que je n’ai rien fait de mal qui puisse mériter que mon corps me torture à ce point. Parfois je me suis même demandé si mon viol n’avait pas contribué à aggraver les choses. Parce que j’avais tout gardé pour moi. Je voyais la douleur comme une rébellion de mon corps qui clamait : un corps m’a fait souffrir et toi tu ne dis rien, tu fais comme si c’était de ma faute alors moi aussi je vais te faire souffrir. C’était insensé de penser comme ça mais je ne pouvais pas m’en empêcher. 


- Donc ça rend infertile ? 

- Oui dans beaucoup de cas. Tu voulais des bébés ? 

- Je n’ai jamais été douée avec les enfants. D’habitude je leur fais peur. Je manque de douceur. Alors ce n’est peut-être pas plus mal comme ça. Je ne suis pas faite pour être mère … Je ne sais m’occuper que de moi-même de toute manière. Qu’est-ce que je ferai d’un bébé…


Je ne parlais même plus au docteur mais à moi-même. Je n’ai jamais pensé devenir mère un jour. L’instinct maternel ou l’horloge biologique qui tourne, je ne suis la preuve vivante que ça n’existe pas chez toutes les femmes. J’ai peut-être un vice de fabrication. Je n’ai pas les ovaires en fusion quand je vois la photo d’un bébé. Je ne bave pas d’admiration devant la bouille toute mignonne d’une petite fille. Je suis soulagée quelque part parce qu’au final toute ma vie, je ne rentrerai jamais dans le moule.


- Je crois qu’avec vous, Dieu a réparé une faute après vous avoir laissé autant souffrir. Dieu est un Dieu de miséricorde et de compassion… J’ai vu tellement de femmes se détruire en courant derrière une grossesse qui au final n’est jamais venue.


Je lève les yeux au ciel devant son évangile selon Saint Docteur. Je ne crois toujours pas en Dieu mais au moins pour une fois la nature a bien fait les choses. Je ne sais pas à quel point je suis déglinguée et je ne souhaiterais pour rien au monde être responsable de la vie d’un enfant.  


- Bon ben il n’y a pas mille manières de le dire. Vous êtes enceinte. Et je vous conseille vivement de garder ce bébé parce que vous n’aurez peut-être pas une autre chance.

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