Chapitre 14

Write by Chrime Kouemo

Rachel aperçut Alexandre abrité sous l’auvent du restaurant où il lui avait donné rendez-vous. Pressant le pas, elle le rejoint, puis rabattit son parapluie qu’elle déposa dans le panier disposé devant la porte.
Salut Alex! Le salua t’elle.

Hello! Lui retourna t’il en se penchant pour lui faire deux bises sur les joues.

Il l’observa longuement comme s’il la voyait pour la première fois. Elle soutint son regard sans ciller, sans sourire. Il était toujours tiré à quatre épingles comme dans son souvenir. Son sourire enjôleur qu’il arborait en général et qui en avait fait tomber plus d’une y compris elle, avait cependant disparu. Il devait essayer de prendre un air de circonstances pour dérouler son discours.

Elle s’étonna de ne pas ressentir à sa proximité la douleur fulgurante qu’elle avait éprouvée il y a de cela deux mois à peine quand elle l’avait appris son mariage inopiné. Au lieu de cela, elle se sentait juste curieuse de savoir ce qu’il pouvait bien vouloir lui dire pour justifier son acte inqualifiable. L’appréhension qui l’avait rongée quelques heures à l’approche du rendez-vous s’effondra comme un château de cartes. Elle avait un instant redouté se retrouver comme quelques mois avant au Cameroun où elle était sûre d’avoir tiré un trait sur leur histoire après plus d’un an sans avoir de ses nouvelles. Mais, il n’en était rien.

Sereine alors, elle le précéda dans la salle de restauration. Un serveur vint à leur encontre et leur proposa une table au coin de la salle qui lui sembla un peu trop intime pour la circonstance. Elle voulut protester un moment puis se dit qu’après tout, elle ne risquait rien. Alexandre vint se placer galamment derrière elle pour tirer sa chaise.

- Merci, murmura t’elle en se retournant brièvement vers lui.

Une fois installés et leur commande d’apéritif passé, elle s’absorba sans plus lui jeter un regard dans la lecture du menu.

- Comment vas-tu ? L’entendit-elle demander après quelques secondes de silence comblé par les brouhahas de la salle.
- Très bien et toi? Lui retourna t’elle en reposant le menu sur la table.

- J’ai connu mieux, soupira t’il en passant la main sur son crâne nu.

La jeune femme ne fit aucun commentaire. S’il croyait qu’elle allait lui demander ce qui n’allait pas, il pouvait toujours attendre. Elle croisa les bras sur sa poitrine et l’observa tranquillement. Il finit par baisser les yeux.
Tu n’as pas l’intention de me faciliter la tâche si? demanda t’il.

Comment va ta femme? Si je calcule bien, elle est bientôt à terme non?

Il accusa le coup puis répondit:

  • -  Rachel, écoute. La situation était vraiment très compliquée, je n’avais vraiment pas le choix.

    Comme je te l’ai expliqué par téléphone, elle m’a piégée et comme c’était une fille à une famille amie de mes parents, mon père n’a rien voulu savoir et il a fait énormément pression sur moi.

  • -  Je comprends parfaitement. Tu avais un choix à faire et tu l’as fait. Je ne vois pas vraiment ce que tu voudrais encore m’expliquer après tout cela.

  • -  Oui, j’avais un choix à faire, et j’ai fait une erreur monumentale, poursuivit-il piteusement.

    Rachel haussa les épaules. Elle commençait à se demander à quoi rimait ce rendez-vous, et ne se rappelait même plus pourquoi elle avait accepté de le revoir. Ça ne menait à rien. Il venait encore s’excuser pour l’avoir blessée. Il devait la prendre pour la dernière des cruches pour croire, ne serait ce même que d’envisager qu’elle pouvait encore accepter ses excuses dont elle n’avait absolument rien à faire. Ça devait être lié au fait qu’elle se soit remise avec lui en à peine trois semaines de vacances alors qu’elle avait juré ses grands dieux que tout était fini entre eux. Leurs commandes arrivèrent, ce qui l’empêcha de commenter son mea culpa.

S’emparant de sa fourchette, elle piqua une feuille de salade qu’elle se mit à mastiquer tout en pensant. C’était fou comment les choses pouvaient changer du tout au tout. Si on lui avait dit il y avait deux mois qu’elle serait tranquillement assise devant son ex, elle ne l’aurait pas cru une seule seconde. Elle avait eu tellement mal qu’elle pensait ne plus pouvoir être en face de lui sans être submergée par le ressentiment. Et il était là devant elle, lui faisant presque pitié. Dès que cette pensée lui traversa l’esprit, elle se redressa et carra les épaules. Elle réalisait que la page de son premier grand amour était définitivement tournée. Elle pouvait se l’avouer maintenant, elle avait quand même un peu craint que son cœur ne lui joue encore des tours en se laissant embarquer par le charme et le magnétisme d’Alex. Et de constater qu’il n’en était plus rien la libérait d’un blocage.

Alexandre avança sa main et la posa sur celle de la jeune femme qui reposait sur la table, la recouvrant presque. Rachel retira sa main de sous la sienne.

  • -  Qu’y a t’il Alexandre? A quoi rime tout ceci ? Demanda t’elle après avoir posé sa fourchette et en croisant les bras sur sa poitrine.

  • -  J’ai décidé de corriger mon erreur. Pour tout te dire, je suis en train de me séparer de la future mère de mon enfant.

    La jeune femme haussa un sourcil, interloquée. Elle ne s’attendait pas du tout à cette réponse.

  • -  Et ton père alors? Et la pression qu’il te mettait?

  • -  J’ai réalisé que c’était moi et non lui qui allait vivre avec une femme qu’il n’aimait pas. Et surtout que j’avais laissé filer la femme de ma vie par mes stupidités.

    Et son regard qui ressemblait maintenant à celui d'un chien battu, plongea dans le sien. Elle détourna les yeux. Elle n’avait aucune envie de s’apitoyer sur son sort.

  • -  Ok... Et qu’est-ce que tu attends exactement de moi à présent?

  • -  C’est toi que je veux dans ma vie. Et je mettrai tout en œuvre pour cette fois-ci pour que les choses marchent entre nous.

    Rachel resta sans voix pendant quelques instants. Ok, elle s’était doutée qu’il voulait quelque chose de ce genre quand il l’avait contactée, mais elle n’en était pas moins surprise. Elle ne ressentait cependant aucune émotion face à cette déclaration, peut être juste une pointe d’agacement. Malgré sa déconfiture évidente, il avait encore suffisamment d’assurance et d’espoir pour se dire que les choses pourraient reprendre entre eux tout simplement parce qu’il s’était engagé à y mettre totalement du sien.

  • -  Il y a juste une chose que tu oublies, ou ne prends pas en compte dans ta déclaration. Est-ce que tu t’es demandé une seule seconde si moi j’étais intéressée à reprendre notre histoire? Tu débarques sur tes grands sabots et tu me présentes tes excuses et ton projet pour nous sans te poser de questions? Il ne t’est certainement pas venu à l’esprit que je pouvais avoir tourné la page n’est-ce pas? Avoir rencontré quelqu’un par exemple?

  • -  C’est le cas? Tu es avec quelqu’un? fit-il d’un ton incrédule qui prouvait que l’idée ne lui avait même pas effleuré l’esprit.

  • -  Oui acquiesça t’elle d’un hochement de tête

    Il accusa le coup. Il ne s’attendait vraiment pas ça.

    A l’évocation de sa relation avec Seba, la jeune femme se sentit légère comme une plume. Une certaine paix l’envahit. Avec lui, elle avait découvert une passion dévorante, une complicité; il la faisait rire comme personne avant elle. Elle acceptait maintenant de reconnaître qu’elle ressentait quelque chose de profond pour lui. Après sa débâcle avec Alexandre, elle avait eu tellement peur de se livrer à nouveau à quelqu’un d’autre qu’elle avait totalement bridé ses sentiments. Elle avait tout fait pour croire que tout ce qu’il y avait entre Seba et elle n’était que physique. C’est à cause de ça qu’elle avait tout fait pour le maintenir à distance, s’efforçant de rester détachée en toutes circonstances. Les seuls instants où elle se lâchait c’était lors de leurs ébats, ce qui était somme toute curieux pour une fille qui s’était toujours trouvée coincée.

Le récent épisode du restaurant et la jalousie féroce qu’elle avait ressentie à la vue de l’ex du jeune homme auraient dû lui mettre la puce à l’oreille, mais qu’avait elle fait? Elle avait battu en retraite tel un chien apeuré avec la queue entre les jambes, plutôt que de faire face à ses sentiments. Elle avait laissé Seba s’en aller pendant trois jours en lui laissant croire qu’il ne valait guère mieux que certains hommes incapables de rester avec une seule femme en même temps. Quelle poltronne elle faisait! A étouffer ses sentiments et à se priver de tout geste ou mot de tendresse envers lui, juste pour se prouver qu’elle contrôlait la situation comme si c’était cela qui allait lui garantir qu’elle ne souffrirait plus jamais.

La lumière se faisant en elle, elle s’avouait enfin maintenant qu’il lui faisait déjà énormément d’effets l’année dernière quand il l’avait embrassée après la soirée de mariage d’Ariane. Seulement voilà, sa crainte de l’inconnu, de tout ce qui n’était pas planifié, l’avait paralysée et elle avait préféré freiner des quatre fers et couper court à une histoire qui s’annonçait palpitante. Par la suite, pendant ses vacances au Cameroun, elle s’était laissé apeurer par les discours blasés de son entourage qui lui affirmait qu’il fallait faire avec l’infidélité des hommes, qu’on ne pouvait que l’accepter du moment qu’il y’avait certaines contreparties. Et puis, c’était plus simple de reprendre une histoire avec quelqu’un qu’on connaissait bien plutôt que d’avoir tout à recommencer. Bref, elle lui avait accordé une autre chance pour de mauvaises raisons, elle s’en rendait compte maintenant.

Le dîner s’acheva bizarrement. Pendant tout le reste du repas, Alexandre prononça à tout casser deux ou trois phrases en comptant celle pour passer sa commande de dessert. Il avait l’air renfrogné qu’elle lui connaissait des mauvais jours. Il pouvait toujours bouder, se dit-elle. Pour qui se prenait il à la fin? Il avait vraiment cru qu’elle lui tomberait tout cuit comme il y a six mois? Comme si elle devait passer sa vie à l’attendre...

Le serveur leur apporta la note. Rachel sortit machinalement son portefeuille de son sac à main. Le jeune homme l’arrêta d’une main :
Je peux encore quand même t’inviter à dîner non?
Si tu y tiens...

Dans le taxi qui les ramenaient chez elle, Rachel laissa son regard s’abîmer dans le reflet des derniers rayons de soleil sur la ville parisienne. Alexandre avait insisté pour la raccompagner chez elle en taxi. Il lui faisait tellement pitié qu’elle avait fini par accepter. Aussitôt chez elle, elle appellerait Seba. Elle ne savait même pas encore comment elle allait lui formuler ses sentiments ou si elle le ferait. Elle trouvait que ce n’était pas idéal par téléphone, étant donné qu’il était en déplacement à Nantes jusqu’au lendemain. Elle se laisserait peut-être inspirer par le moment, se dit elle finalement. La voiture se gara sur le trottoir en bas de chez elle. Alexandre descendit le premier et tendit la main à Rachel pour l’aider à descendre de voiture. La jeune femme s’étonna de le voir régler la course.

  • -  Je pensais que tu le prendrais pour rentrer à ton hôtel? S’enquit-elle tandis que la voiture s’éloignait.

  • -  J’espérais que tu m’invites à prendre un dernier verre, fit-il d’un air penaud en enfonçant ses mains dans les poches arrière de son jean.

    Rachel retint un soupir d’exaspération.
    Alexandre, j’ai été claire avec toi tout à l’heure. Tout est fini entre nous et de plus, je vois quelqu’un d’autre. Donc, je ne t’inviterai pas à boire un dernier verre. Je te conseillerais plutôt d’essayer d’arranger les choses entre ta femme et toi. Tu auras bientôt un enfant, et je crois que

c’est à cela que tu dois consacrer toute ton énergie.

  • -  Tu es vraiment dure avec moi... Tu ne veux pas accepter mes excuses? Malgré tout ce que je t’ai dit? Implora t’il.

  • -  Je les ai acceptées, mais ça ne veut aucunement dire que je veux qu’on se remette ensemble. D’un, je ne suis plus intéressée et deux, j’ai quelqu’un donc...

    Elle lui tourna le dos, et plongea la main dans son sac en essayant de récupérer ses clés qui trouvaient toujours le moyen de se ficher dans les coins les plus reculés. Alors qu’elle touchait enfin le métal froid de ses clés, elle sentit deux mains se poser au creux de ses reins. Sursautant légèrement, elle se retourna et se retrouva en face d’Alexandre dont le visage était dangereusement proche du sien. Instinctivement, elle recula et posa la main sur son torse prête le repousser.

    Je peux savoir ce que tu fais là? Demande t’elle froidement.
    J’essaie de me souvenir du bon vieux temps.
    Et sans qu'elle ait pu prévenir son geste, il s’empara de ses lèvres, sa bouche se pressant contre la sienne. La première seconde de surprise passée, elle fut étonnée de ne rien ressentir, absolument rien. Preuve que s’il lui en fallait encore qu’elle en avait vraiment terminé avec lui. Prenant une grande inspiration, elle posa les deux mains sur sa poitrine, et le repoussa. Leurs regards se croisèrent. Celui d’Alexandre était fiévreux, plein d’un désir qu’il avait visiblement du mal à contenir. Ce qui ne lui fit ni chaud ni froid.
    Ecoute, fit-elle en soupirant. Je vais rentrer chez moi maintenant, et toi tu vas rentrer de ton côté. Tout est fini. Je te souhaite tout le bonheur du monde et...

    Elle s’interrompit brusquement. A sa gauche, elle venait d’apercevoir Seba qui était adossé sur la portière de sa Seat IBIZA.

    Que faisait-il là? Comment cela se faisait qu’elle n’ait pas remarqué sa voiture quand le taxi s’était garé en bas de son immeuble? A l’expression de son visage qu’elle pouvait deviner malgré la distance, elle comprenait qu’il avait assisté à son baiser surprise avec Alexandre et en avait tiré des conclusions hâtives. Elle repoussa son ex, se dégageant complètement de son étreinte. Il recula enfin et jeta un coup d’œil intrigué dans la direction du regard de la jeune femme.

    Ce n’est pas le pote de ton ami Gabrielle là-bas? Qu’est-ce qu’il fait là? Demanda Alexandre la fixant de nouveau.

    Rachel ne se donna même pas la peine de répondre. Elle avait le cœur qui battait à tout rompre. Seba n’avait pas bougé d’un iota, il restait là à la fixer, l’air furax, les bras croisés. Rassemblant son courage à deux mains, elle planta Alexandre devant la porte d’entrée de son immeuble et se dirigea vers la Seat.

Entre deux coeurs