Chapitre 15
Write by Chrime Kouemo
Seba était figé telle
une statue de glace devant la scène qui se déroulait devant ses yeux. Il voyait
Rachel, sa Rachel, dans les bras d’un homme qui l’embrassait sous le porche de
son immeuble. Une déception sans nom l’envahit, suivit d’une fureur indescriptible.
Quand Rachel repoussa
enfin le jeune homme, et qu’il s’aperçut que ce n’était autre que Alexandre, le
fameux ex, il eut l’impression qu’un étau lui broyait le cœur. Avait-il loupé
un épisode? Ils s’étaient séparés deux jours, et elle avait déjà trouvé le
moyen de se remettre avec lui? Et ce qu’ils vivaient, ça n’avait pas
d’importance? S’était-il fourvoyé à ce point? D’accord, il reconnaissait
qu’elle n’était pas totalement entière avec lui, mais il avait mis cela sur le
fait qu’elle avait besoin d’un peu de temps pour refaire totalement confiance à
un autre homme mais jamais il n’avait envisagé n’être qu’un passe-temps pour
elle, en attendant que son preux chevalier lui revienne.
Il eut envie de
rentrer dans sa voiture, claquer la portière et démarrer en trombe. Mais ses
jambes semblaient peser des tonnes, et il était là comme un idiot à observer la
scène de retrouvailles entre Rachel et
le frimeur. Comme si son regard assassin l’avait transpercée, elle s’était
retournée brusquement et avait regardé dans sa direction. Après s’être
débarrassé de l’autre type, elle se dirigea vers lui. Les mâchoires de Seba se
contractèrent encore plus durement. Au fur et à mesure qu’elle s’approchait, il
pouvait lire une expression de profonde culpabilité sur son visage.
-
Tu ne m’avais pas dit que tu
rentrais plus tôt… commença t’elle quand elle arriva à sa hauteur.
Elle essaya de lui
sourire, mais il la trouva crispée.
-
C’était censé être une surprise,
lui répondit-il froidement en la regardant droit dans les yeux.
Il ressentit un gout
de bile dans la bouche, tandis que l’amertume s’insinuait dans son cœur. Il
détourna finalement le regard pour qu’elle ne sache pas à quel point elle
l’avait blessé. Il ne lui restait que sa fierté à présent, et il ne la
laisserait pas se faire piétiner comme elle venait de le faire pour ses
sentiments. Ses yeux finirent par dériver vers le Frimeur, qui attendait
toujours devant la porte d’entrée en pianotant sur son téléphone. Il devait
sagement attendre que Rachel en finisse avec lui pour reprendre où ils en
étaient. Une rage sourde gronda en lui, qu’il s’efforça de maîtriser. Ce n’était
pas le moment de se laisser dominer par ses émotions.
-
Ecoute… ce n’est pas du tout ce
que tu crois, poursuivit piteusement la jeune femme. Je…
-
Arrête! La coupa t’il brusquement.
On ne va pas rejouer le scénario de l’année dernière ok? Je n’ai même pas envie
de savoir ce que tu vas me servir cette fois-ci !
-
Le scénario de l’année dernière? L’interrogea
t’elle sans comprendre ce à quoi il faisait allusion.
-
Oui, au mariage d’Ariane si tu
veux que je te rafraîchisse la mémoire !
-
Mais… Ce n’est pas la même chose…
Seba l’interrompit de
nouveau :
-
Comme je viens de le dire, je n’ai
vraiment pas envie d’écouter tes explications. Tout ce que j’ai à te dire à
présent, c’est que je ne suis pas quelqu’un qu’on peut considérer comme une
roue de secours ou une cinquième roue du carrosse. Je ne suis pas un bouche-trou!
Je comprends mieux ton détachement, la distance que tu t’efforçais de mettre
entre nous. Quand je pense que je croyais qu’il te fallait plus de temps ?!! Tu
parles !!
-
Seba, non! Ce n’est absolument pas
ça du tout, s’efforça d’expliquer la jeune femme en tendant les mains pour le
toucher.
Il l’esquiva en
faisant un pas sur le côté.
-
Tu vas m’expliquer que j’ai mal vu
c’est ça?
-
Oui, tu as mal vu! Clama-t-elle.
Il m’a prise par surprise, je ne m’y attendais pas du tout et…
-
Arrête de mentir! Cria finalement Seba.
Je sais très bien ce que j’ai vu. Et pour abréger ton dilemme, tu peux
retourner le voir ton chéri.
-
Attends, le supplia-t-elle. C’est un
malentendu, je…
-
Laisse tomber Rachel ! Lâcha-t-il
finalement.
Et sans rien dire de
plus, il fit le tour de sa voiture, ouvrit la portière qu’il claqua juste après
s’être installé au volant. Il continuait de bouillir intérieurement quand il glissa
la clé sur le contact. Il ne résista pas à l’envie de tourner la tête pour
jeter un dernier coup d’œil, à celle qu’il avait crue être la bonne. La simple vue de son visage ravagé faillit lui faire changer
d’avis et sortir de la voiture pour la prendre dans ses bras et l’embrasser à
en perdre haleine. Mais il savait que ce ne serait qu’une fuite en avant. Leur
histoire était inexorablement condamnée par le fait qu’elle n’arrivait pas à se
défaire de son ex; et il était hors de question qu’il reste là sagement comme
un toutou à attendre que les choses se passent.
Il s’assura qu’elle
s’était éloignée du véhicule avant de démarrer en trombe. Dommage qu’il n’y ait
pas de flaque d’eau sur la chaussée, il se serait fait un plaisir d’éclabousser
cet arrogant d’ex au passage.
♣ ♣ ♣
Rachel rentra chez
elle et claqua la porte violemment au point de faire vriller les paumelles.
Elle avait dû carrément chasser Alexandre qui l’avait attendu au pied de son
immeuble pendant qu’elle se faisait larguer par Seba. Une fois sa porte fermée,
et elle à l’abri des regards, elle s’effondra sur le sol carrelé de son entrée
et des larmes chaudes et brulantes glissèrent sur ses joues. Quelques instants
plus tard, son corps était secoué de sanglots.
Comment les choses avaient-elles
pu tourner ainsi? Tout c’était pourtant si bien déroulé au restaurant dès
qu’elle avait compris qu’Alex appartenait à de l’histoire ancienne. Elle avait
enfin eu la certitude de s’être défaite mentalement de la peur qu’elle avait
éprouvée de se remettre avec quelqu’un d’autre après l’échec de sa relation
avec lui; peur qui l’avait fait repousser Seba alors même qu’elle était très
attirée par lui.
Pendant tout le dîner,
elle avait été impatiente d’appeler le jeune homme pour lui confier qu’elle avait envie d’aller de l’avant avec
lui et peut être si elle en avait le courage, qu’elle était amoureuse de lui.
Car oui, elle ne pouvait qu’être amoureuse de lui, sinon elle n’aurait pas
cette impression de cœur en miettes qu’elle ressentait à présent. Pourquoi
avait-il fallu qu’elle se laisse surprendre par son ex, et pire qu’elle le
laisse l’embrasser ne serait-ce qu’une seconde? Au fond d’elle, elle savait
qu’elle l’avait laissé faire pour s’assurer une bonne fois pour toutes qu’elle
ne ressentait plus rien. C’était mal elle le savait, mais ça n’avait même pas
duré deux secondes. Et il avait fallu qu’elle soit prise en flagrant délit par Seba.
Bien évidemment,
entier comme il l’était, il n’avait voulu rien savoir malgré ses tentatives
pitoyables d’excuse. Tout ce qu’il avait dû voir, c’était elle repoussant
mollement un Alexandre l’embrassant fougueusement. Elle le rappellerait dès le
lendemain. Peut-être qu’une fois sa colère retombée, il accepterait d’entendre
ses explications et ses excuses. Il fallait qu’elle garde espoir.
Rachel se prit la tête
dans les mains. Une douleur lancinante annonciatrice d’une bonne migraine,
commençait à lui vriller les tempes. Néanmoins, elle resta prostrée sur le sol,
le dos contre sa porte d’entrée.
♣ ♣ ♣
-
Très bien Mademoiselle Nanhou, on
vous rappellera dès que nous aurons auditionné les autres candidats.
-
Merci Monsieur, répondit Rachel en
acceptant la poignée de main que lui tendait l’homme âgé d’une quarantaine
d’année, responsable de recrutement dans la boîte de maîtrise d’œuvre
d’exécution pour laquelle elle avait postulé, tandis qu’il la raccompagnait à
la porte de son bureau.
Arrivée à sa voiture,
Rachel retira sa veste qu’elle jeta sur le siège passager. La chaleur
accablante de cette fin du mois de juillet était impardonnable. Elle ne s’en
plaignait pas; bien au contraire. Etant frileuse de nature, c’était une torture
pour elle de subir les mois froids d’hiver sur les chantiers. Elle soupira en
s’asseyant derrière le volant. Elle avait complètement foiré son entretien.
Elle avait été incapable de mettre correctement en avant son expérience
professionnelle. Elle n’avait pas été suffisamment convaincante quand il avait
fallu expliquer pourquoi elle voulait intégrer l’entreprise COTEC. Elle aurait pu
broder un peu plus au lieu de ne mettre qu’en avant le fait que son entreprise
actuelle avait été placée en liquidation judiciaire et qu’il fallait qu’elle se
trouve un autre emploi. Bref, c’était un deuxième entretien qu’elle avait très
mal préparé et elle s’en mordait les doigts.
Elle ne pouvait s’en
prendre qu’à elle-même. La veille au soir, au lieu de se poser des bonnes
questions sur cet entretien, elle avait passé le temps à se morfondre et à
pleurer sur son sort. Les choses avec Seba ne s’étaient toujours pas arrangées.
Il n’avait décroché à aucun de ses appels et répondu à aucun de ses textos. Au
bout d’une semaine, elle avait laissé tomber; elle devenait carrément
pathétique. Gabrielle lui avait conseillé d’arrêter de lui courir après. Selon
elle, ça le titillerait et il referait surface suivant son principe du
« suis l’homme il te fuit, et fuis l’homme il te suit ». Force était
de constater que sa théorie fumeuse ne s’appliquait pas à Seba. Ça
faisait maintenant deux semaines qu’elle n’avait plus eu de ses nouvelles. Elle
avait comme un trou béant à la place du cœur. Trou qu’elle avait peur de ne
plus savoir combler. Même ses amies étaient à court de solutions, surtout
depuis qu’elle leur avait interdit d’appeler Seba ou de faire intervenir
Ousmane. Connaissant le jeune homme, elle savait qu’il n’apprécierait pas ce
genre de démarches. S’efforçant de ne pas céder au découragement, elle enfonça
la clé dans le contact et démarra.
Son téléphone sonna au
moment où elle se garait sur le parking de son chantier. Reconnaissant le
numéro de sa mère, elle hésita un instant à décrocher, puis culpabilisant elle
se résigna et glissa son doigt sur l’écran pour répondre :
-
Bonjour Maman. Comment vas-tu?
-
Bonjour Kèbè! Ça va et toi?
-
Ça va.
-
Comment s’est passé ton entretien?
-
Pas trop mal je pense.
Elle ne voulait pas
commencer à inquiéter sa mère en lui racontant qu’elle n’était absolument pas
confiante concernant une issue positive à cet entretien.
-
Tu as prié avant de commencer
l’entretien? Tu sais que c’est ce qu’il faut faire quand on est enfant de Dieu.
Toujours tout remettre à Dieu, c’est très important.
-
Oui, je sais Maman…
Que dire d’autre? Elle
n’avait pas prié. Ces derniers temps, elle le faisait de moins en moins,
déprimée qu’elle l’était par sa rupture avec Seba. Sa mère avait toujours le
chic même à six mille kilomètres pour la faire culpabiliser. Repoussant les
paroles d’auto-sabotage qui lui venaient à l’esprit, elle reprit :
-
Je serai fixée d’ici deux semaines
tout au plus. Ils ont d’autres candidats à auditionner.
-
OK, on va mettre ça en prière,
conclut-elle avant d’enchaîner. Tu as eu ton frère au téléphone?
-
Non, pourquoi?
-
Il a commencé à monter un dossier
pour une formation à Chypre, en hôtellerie ou en informatique. L’ambassade de
Chypre en partenariat avec le Cameroun offre cinq cents visas pour une
formation à Chypre. Il me semble que je t’en ai parlé.
-
Oui, et? Questionna Rachel
s’attendant à l’inévitable chute.
-
Il était à l’ambassade hier et
pour finaliser le dossier, il faut cinq cents euros de frais de visa et de
pré-inscription. Et comme ton père est ce qu’il est, ça fait deux semaines
qu’il nous tourne pour sortir l’argent. Maintenant, il faut cet argent pour
demain vendredi.
-
Hum…
-
Kèbè,
toi même tu sais qu’on ne t’aurait pas embêtée si ce n’était pas aussi
important et si on avait eu le choix. Je sais que tu fais déjà beaucoup mais,
il faut vraiment que ton frère sorte de ce pays. Tant qu’il restera ici, il ne
fera rien de sa vie.
Rachel se demanda
comment sa mère pouvait accepter un tel laisser-aller chez son frère alors
qu’elle avait été si stricte avec ses sœurs et elle. Le bon monsieur avait
décrété que son salut était obligatoirement ailleurs qu’au Cameroun. Toutes les
opportunités de formation ou de travail qui lui avaient été proposées avaient
tournées court parce qu’il était obnubilé par son désir de sortir du pays et
qu’il n’avait fait aucun effort pour honorer ses contrats. Elle avait essayé en vain de lui faire comprendre que l’Europe n’était pas tant cet
Eldorado rêvé où tout devenait facile comme par miracle. Il l’avait narguée en
lui répondant qu’elle n’avait qu’à revenir travailler au pays dans ce cas. Elle
avait donc compris qu’elle était très mal placée pour mener ce débat avec son
frère et avait laissé tomber le sujet.
Dès les premiers mois
ayant suivi son arrivée en France, Jules son frère n’avait cessé de lui
demander des articles en tout genre : paire de baskets et tee-shirts de grande
marque sportive, téléphone, baladeurs et autres gadgets électronique…Elle lui
avait bien évidemment expliqué qu’avec sa pension d’étudiante, elle ne pouvait
répondre favorablement à toutes ses demandes, mais cela n’avait pas servi à grand-chose.
Elle se rappelait encore le stress qu’elle s’était mis lors de la préparation
de son premier voyage de retour pour ses premières vacances au Cameroun. Ses
frère et sœurs avaient chacun une liste de choses qu’ils souhaitaient qu’elle
leur rapporte. Si ses sœurs avaient très vite compris que sa bourse d’étudiante
ne lui permettait que des cadeaux très limités, ce ne fut pas le cas de son
frère qui continuait de penser que ce n’était que par pure égoïsme de sa part
si elle n’avait pas acheté tout ce qu’il avait demandé. Au fil des ans, les
rapports déjà tendus entre son frère et elle s’étaient complexifiés. Elle ne
l’avait que très rarement au téléphone à des occasions comme les anniversaires
ou les vœux de nouvel an, et encore…
Ce qui faisait qu’elle
n’était nullement étonnée qu’il n’ait même pas pris la peine de lui téléphoner
pour lui exposer son problème de visa; il savait de toute façon que leur mère
ferait le job à sa place.
-
Je vais voir ce que je peux faire,
finit-elle par répondre à sa mère.
-
Merci ma chérie mais pardon ne
traine pas trop; le dernier délai c’est demain, rappela sa mère.
-
Oui, oui j’ai compris. Ecoute, je
dois retourner au bureau à présent, je te rappelle ce soir. Bisous.
Une fois la
communication coupée, Rachel resta encore quelques minutes assise dans sa
voiture à contempler sans le voir son tableau de bord.
Cette histoire de visa
tombait vraiment au plus mal. La liquidation judiciaire de son entreprise
serait prononcée d’ici une semaine à peine, et il y avait fort à parier que
leur salaire de cette fin du mois ne serait pas payé. Certes, elle avait
quelques économies, mais il fallait déjà puiser dedans pour assurer les
dépenses courantes du mois d’août, et maintenant, il fallait encore grever ce
maigre pécule pour financer les frais de visa de son frère.
En arrivant à son
bureau, elle observa ses collègues qui discutaient, leurs tasses de café après
déjeuner à la main. Si certains d’entre eux étaient inquiets, la plupart
d’entre eux se réjouissaient de l’issue puisqu’il y avait des indemnités de
licenciement pour raisons économiques à la clé. Ils étaient une équipe pour la
plupart jeunes comme elle, sans engagement. Beaucoup d’entre eux lui avaient
expliqué qu’ils avaient fait appel à leurs parents lors des premiers impayés;
ils n’avaient donc pas trop d’inquiétude pour la fin de ce mois. De plus, ils
n’avaient aucunement ces problèmes de soutien familial typiquement africains.
Elle adressa un salut
à ses collègues et s’installa derrière son ordinateur, l’alluma et ouvrit sa
boîte mails. Malgré toute la volonté qu’elle y mit, elle ne réussit pas à se
concentrer. Son esprit ne cessait de vagabonder vers cet entretien qu’elle avait
la sensation d’avoir loupé, vers sa famille et toutes les obligations qu’elle
entraînait, et invariablement vers sa solitude actuelle.
Le pincement de cœur
désormais familier depuis sa rupture avec Seba ne se fit pas attendre. Elle
scruta son téléphone une nouvelle fois. Toujours rien. Aucun message, aucun
appel manqué. Que pouvait-elle faire de plus sans avoir l’air minable?
Maintenant qu’il avait rompu avec elle, elle se rendait compte à quel point ce
qu’ils avaient partagé ensemble était magique et beau. Tous ces moments de
complicité, de rires, et bien évidemment de passion intense. Elle n’avait pas
voulu y voir les signes de son amour naissant pour lui et là, elle se le
prenait en plein visage avec la souffrance liée au fait qu’ils se soient
séparés. C’est fou ce qu’il lui manquait! Tous les soirs quand elle rentrait
chez elle, elle revivait mentalement tous les moments qu’ils avaient passé et
notamment chez elle. Tout ou presque lui rappelait sa présence : le canapé où
ils avaient flirté, le coin cuisine où il venait lui donner un coup de main
pour le repas, la table à manger où il aimait la coincer pour lui voler des
baisers et bien évidemment son lit.
Sentant ses yeux
s’embuer, elle se secoua pour revenir à la réalité. Elle devait continuer
d’aller de l’avant. Ce ne serait pas évident, mais il le fallait. Elle ne
pouvait de toutes les façons pas se permettre de pleurer sur son sort pendant
longtemps; la preuve de cet entretien foiré. Elle avait besoin de toute sa
force et sa lucidité pour affronter toutes les difficultés auxquelles elle
devait faire face.
♣ ♣ ♣
Rachel déambulait à
travers les rayons de l’hypermarché, traînant son caddie de courses.
Sélectionnant des nectarines, ses fruits préférés de l’été, elle entendit son
téléphone vibrer dans son sac. Son cœur manqua un battement en voyant le nom
qui s’affichait sur l’écran du smartphone : Seba.
-
Allô? fit-elle le souffle court,
la respiration coupée comme si elle venait de courir un marathon.
-
Bonsoir Rachel, c’est Seba. Ça va?
Je ne te dérange pas? L’entendit-elle demander d’une voix extrêmement polie et
distante.
-
Oui… très bien… et toi? Bafouilla
t’elle.
-
Ça va…Euh… ll me semble que j’ai
laissé une de mes vestes de costume chez toi, elle est de couleur bleu marine.
Je ne sais pas si tu l’aurais vue par hasard.
La déception envahit
Rachel. Elle ne s’attendait pas du tout à cela comme objet de son appel.
Essayant de ravaler son amertume, elle articula :
-
Je n’en sais rien. Je regarderai
dans mes placards quand je rentrerai chez moi tout à l’heure.
-
Merci d’avance. Tu me tiens au
courant alors?
-
Oui, pas de problème.
Quand Seba raccrocha
son téléphone, il se traita mentalement de tous les noms d’oiseaux. Il avait
cédé et l’avait finalement appelée, alors qu’il s’était promis de ne pas le
faire. Mais cela avait été plus fort que lui. Même s’il pensait réellement
avoir laissé sa veste de costume chez elle, il s’était dit qu’il ne ferait pas
de démarche pour la récupérer; au mieux elle la lui remettrait par le biais de
Ousmane ou une de ses amies. Il eut un sourire désabusé en pensant à une amie
de Rachel en particulier, Gabrielle. Franche et directe comme elle l’était,
elle n’avait pas hésité à lui téléphoner pour plaider la cause de son amie. Il
avait été facile de lui opposer une fin de non-recevoir, c’était quelques jours
à peine après qu’il avait surpris Rachel et son ex. Il n’avait toujours pas
décoléré et son cœur était encore en lambeaux; il l’était toujours d’ailleurs
mais il n’était pas sûr qu’il lui aurait répondu avec autant de morgue si
Gabrielle avait laissé encore quelques jours avant de l’appeler. Quelques
instants plus tard, Rachel l’informa par sms que sa veste
était belle était bel et bien chez elle. Il lui proposa de se croiser le
lendemain midi à Paris à une station de métro pour qu’il puisse la récupérer,
ce que la jeune femme accepta.
♣ ♣ ♣
Comme à son habitude,
Rachel était en retard constata Seba en jetant un nouveau coup d’œil à sa
montre. Quand il releva la tête, il l’aperçut qui pressait le pas vers lui.
Elle était vêtue d’une petite robe fluide qui lui arrivait juste au-dessus des
genoux, et qui dévoilait donc ses belles jambes. Les talons compensés qu’elle
portait accentuait le galbe de ses mollets. En guise de coiffure, elle avait
tiré ses cheveux crépus en un chignon haut qui dégageait son visage. Elle était
toujours aussi magnifique. Il ressentit un coup au cœur qu’il s’efforça
d’ignorer rapidement.
Quand elle arriva à sa
hauteur, il la salua et se pencha machinalement pour lui faire la bise sur les
joues. Le parfum fleuri qu’elle arborait et qu’il reconnaissait lui envahit les
narines. Le contact subtil de ses lèvres sur sa joue lui donna envie de la
serrer dans ses bras, de presser son corps contre le sien.
Elle lui tendit le sac
noir qui contenait sa veste.
-
Merci fit-il en lui prenant le
paquet des mains.
Ses doigts frôlèrent
les siens et il ne put s'empêcher de ressentir une chaleur à l’endroit où leurs
deux peaux s’étaient touchées.
-
Comment se passe ta recherche
d’emploi? Tu as trouvé quelque chose?
Elle tiqua. Elle
devait être surprise qu’il lui pose cette question, preuve s’il en fallait
encore une qu’il continuait de s’inquiéter pour elle.
-
Pas trop mal. J’ai passé un
entretien hier et j’en ai un autre la semaine prochaine, finit elle par
répondre.
-
Bien… j’espère que tu trouveras
quelque chose très vite.
-
Merci, j’espère aussi.
Un blanc s’installa.
Ils se regardèrent dans les yeux. Il lisait de la gêne et du regret dans
ceux de Rachel. Lui non plus n’était pas
très à l’aise mais certainement pas pour les mêmes raisons qu’elle. Il avait de
plus en plus de mal à se retenir de la caresser, de lui dire qu’il passait
l'éponge et qu’il voulait qu’il reprenne leur histoire où il l’avait laissée.
Mais aussitôt cette pensée eut traversé son esprit, que son cerveau se rebella.
Leur histoire était vouée à l’échec. Comme disaient Les Magic System « premier
Gaou n’est pas Gaou, mais c’est deuxième Gaou qui est nyatta ». Il était donc hors de question qu’il se
laisse avoir de la même façon deux fois de suite. Il avait déjà été stupide de
croire qu’elle pouvait réellement s’investir avec lui alors qu’elle avait été
si prompte à se remettre avec son ex après seulement quelques jours de séparation.
Il devait tenir ferme
sur ses positions, son fichu cœur finirait bien par se ranger du côté de sa
raison.
Rachel finit par
détourner le regard. Elle sembla sur le point de dire quelque chose, puis se
ravisa.
-
Bon, je dois y aller, reprit elle
finalement.
-
OK. Merci encore, lui retourna
t’il.
Elle se hissa sur la
pointe des pieds pour lui faire la bise. Quelques instants plus tard, elle
déambulait à travers les passagers pressés du métro parisien. Soupirant, il se
dirigea vers sa ligne de métro. Ça n’avait pas été une
bonne idée de la revoir si tôt.