Chapitre 15 : KN and Associates

Write by Max Axel Bounda

Les bureaux du cabinet d’avocat, KN and Associates, étaient situés au 3e étage d’un immeuble au bord de mer. La structure qui n’avait que cinq ans d’existence, s’était spécialisé dans le droit des affaires et les contentieux administratifs. Toutefois, pour ne pas complètement se fermer à de potentiels gros clients, il avait gardé ouverte une branche privatiste qui c’était avérée utile et lucrative finalement. Avec un effectif réduit, de six jeunes et brillants avocats, KN and Associates gravissait petit à petit les marches vers l’ascension. L’ensemble de l’étage entièrement retapé par les associés, deux jeunes aux goûts prononcés pour le chic et le glamour, comprenait les deux bureaux des associés seniors, une salle d’attente et d’accueil qui était en travaux et deux espaces de coworking comprenant chacun quatre bureaux. A cela s’ajoutait une salle de réunions et de conférence, ainsi qu’une kitchenette et des vestiaires. L’endroit avait été voulu comme un sanctuaire de travail. Un lieu si agréable qu’on n’avait pas envie de quitter. Les fondateurs du cabinet savaient très bien qu’il viendrait un moment où leurs équipes seraient obligées de passer des jours et des nuits entiers sans jamais le quitter. Alors ils avaient pensé à tout. La petite mais efficace équipe de KN and Associates était constituée de deux juristes d’entreprise, d’un publiciste et de deux privatistes, en plus d’une comptable présentement en congé, et d’une assistante juridique que Jessica remplaçait pendant ses deux mois de congés. Divisé en deux pools, de sexe opposé, celui qu’occupait Jessica et ses collègues était le pool des Amazones, supervisé par Elsa Bibalou, la deuxième associée du cabinet, souvent à aux Etats-Unis. Elle était avocate aux barreaux de New York. Le second pool masculin, était situé de l’autre côté du couloir. * Très inspirée, Jessica poussa la porte qui s’ouvrit sur ses deux collègues Maryland et Alix-Pascale. Les deux jeunes femmes esquissèrent des sourires de nouveau-nés à son entrée. Le bureau qui sentait bon la fraise. La pièce spacieuse, avec des murs en verre, comprenait deux armoires grises, ornées de plusieurs posthites et des autocollants. Un portemanteau était planté près de l’entrée et une bibliothèque juste en face. On avait réussi à caser quatre bureaux, chacun dans un angle. Une imprimante multifonction près de l’unique fenêtre de la pièce et un meuble de rangement près d’une plante verte d’un mètre sur le mur adjacent. Le mobilier était neuf et sentait le frais, normal c’était un bureau de femmes. Le sol en carreau avait vécu et vu défiler plusieurs générations d’avocats. Bien avant même que KN and Associates ne s’y installe. Alix-Pascale, la plus calme et la plus réservée du groupe, était une jeune femme discrète de trente ans. Juriste d’entreprise, spécialisée dans le droit communautaire OHADA. Cette fille mince, d’un mètre soixante avait un visage commun, orné de deux belles fossettes. Son regard était plein de vie et son sourire confiant. Recrutée un an plus tôt par maitre Okoumba, elle avait fait preuve d’une indispensabilité au cours de ses six mois de stages au sortir de l’école. Sa connaissance poussée du droit des contrats et sa capacité à trouver et à retourner les failles de tout contrat en leur faveur avaient convaincu le Boss de la garder. En plus, elle connaissait par cœur la moindre parcelle de l’acte uniforme OHADA . C’est à croire qu’elle ne faisait que cela. La nouvelle arrivante regarda la pendule accrochée en face de la porte d’entrée. Huit heures et vingt minutes, c’était parfait. Elle n’était pas vraiment en retard. — Coucou, Jess Kardashian, comment vas-tu ce matin ? lança Alix-Pascale en souriant. — Je croyais que c’était Cochrane mon surnom, décidez-vous à la fin. Jessica retira sa veste et l’accrocha au portemanteau, avant de se diriger vers son espace de travail à elle. Perso, je préfère Cochrane, car je n’ai pas envie qu’on me prenne pour l’une des fans dévergondées des filles que Robert nous a laissé en héritage. — Encore toi-même, répliqua Maryland Bengone, la seconde privatiste du pool et la plus jeune avocate du cabinet. Elle était si précoce. Contrairement à Alix-Pascale, Maryland était une fille ouverte, joviale et fêtarde. Du haut de ses vingt-trois ans et de son mètre soixante-dix, Maryland était une autre beauté intelligente. Elle avait un teint noir, un visage et des lèvres fins, avec des grands yeux marron qui allaient bien avec son corps svelte. Admirée pour sa précocité, ce petit géni était prédit à un bel avenir. Son talent à elle c’était la ruse, l’éloquence et sa grande culture. Comme Jessica, elle avait été dénichée par Elsa Bibalou, lors d’une joute oratoire interuniversitaire. Elles n’avaient pas remporté le trophée mais Elsa savait dénicher les talents et leur avaient donné rendez-vous le jour suivant pour leur faire part de sa volonté de les avoir au sein de son nouveau cabinet. Pourtant, c’était l’associé masculin qui avait convaincu Jessica de signer. Elle y passa d’abord son stage avant de signer un contrat d’embauche. — Sérieux, comment l’un des avocats les plus brillants de son époque a-t-il pu engendrer des pouffes pareilles ? — Oh ! C’est assez simple à comprendre ma chérie, il a choisi la mauvaise femme, répondit Alix-Pascale sans quitter son document des yeux. — Tu sais ce qu’on dit ? lança Maryland. Les sorciers d’aujourd’hui ne tuent plus. Ils te donnent une mauvaise femme et l’AVC fait le reste. Les filles éclatèrent de rire. * Jessica s’assit à son poste et ouvrit l’agenda posé sur son bureau. Récapitulatif des rendez-vous de son patron pour la journée. Le premier était à dix heures. Elle se pencha une heure durant sur les dossiers en cours, puis jeta un coup d’œil aux mails. Pas de nouveaux de ce côté. Maitre Okoumba n’avait que deux rendez-vous de la journée. Le premier avec un client qui voulait poursuivre une entreprise pour dommage et intérêt, et le second avec l’agence de voyages aux alentours de seize heures. Il se rendait à Brazzaville pour une conférence sur les droits de l’homme. Ce travail bouclé, elle sortit un pot de croquette d’un des tiroirs de son bureau et en prit une bouchée. — Sinon, l’audience d’hier. Comment s’est-elle passée ? — Oh trop trop bien ma chérie. Trop bien, répondit Maryland. Tu en as raté des choses. — On s’est bien marré. — Et le plus important, Hermann est libre ! — Waouh ! Tu vois, je savais que tu y arriverais, s’adressa Jessica à Maryland. Tu l’as fait libérer. — Nous, l’avons libéré ensemble ! Rectifia Maryland. On n’y serait jamais arrivé sans tes remarques sur la procédure. On a juste fait le reste. C’était comme pousser un ballon dans des goals vides ! Jessica en fut ravie. Herman Mbanga un client de la clinique juridique, était un de ces jeunes révoltés et agités sur la toile, accusé d’outrage au chef de l’État. Un chef d’accusation de plus en plus populaire au Gabon. Il avait été détenu pendant douze mois à « sans famille », la prison centrale de Libreville, avant de se voir condamner à un an de prison de plus. Remarqué suite à une mobilisation sur Facebook, le cabinet avait repris le dossier et proposé à Hermann de le représenter. Le cas d’Hermann atypique mais pas isolé mettait, en lumière plusieurs problèmes de Justice tels que les arrestations arbitraires, les violations perpétuelles des procédures judiciaires ou encore le dépassement des délais légaux de garde à vue et de détention préventive. Sans compter les violations répétées et flagrantes des droits de l’Homme. L’ensemble des six employés avait travaillé deux semaines d’affilée sur l’affaire. C’est au cours de ces longues heures que Jessy Cochrane, avait trouvé des irrégularités dans le déroulement de la procédure. Ce qui leur avait permis lors des travaux préliminaires de démontrer que le dossier d’accusation produit était vide. Et l’illégalité des actes primaires de la procédure engagée par le parquet rendait toute la procédure complètement nulle. De ce fait, le cabinet avait demandé la libération pure et simple de son client. — Il fallait voir la tête des substituts du procureur. Dommage que tu aies préféré aller bécoter ton Thierry. C’est toujours plus drôle quand tu es là. — Laissez mon mec tranquille, s’exclama Jessica en riant. Franchement, je suis fier de vous. — Nous, nous sommes fier de t’avoir. — Très drôle. Bon, à la sortie, je vous invite prendre un verre pour fêter ça. Le boss voyage à seize heures. — Merci Jessica Kardashian ! lança Alix-Pascale pour plaisanter. — Au fait, maintenant qu’il a été déclaré non coupable, lança Jessica. Je trouve assez méchant qu’Hermann ait injustement perdu un an de sa vie. Qui répare le préjudice ? Qui sanctionne ceux qui par excès de zèle, l’ont envoyé croupir en prison pour rien ? — Ce n’est pas ce que tu dis un peu là ! Mais c’est comme ça au Gabon, il y’a toujours quelqu’un pour faire injustement du mal à un autre. Sans aucun risque d’être inquiété. — Nous avons toujours la possibilité de poursuivre le ministère public ! Suggéra Maryland. — Justement pour préjudice ! — Mais ça, c’est une tout autre affaire. — Ce ne sera peut-être pas facile, mais il le faut, souligna Jessica. Déjà que le pauvre homme sort de là médicalement affecté. — Si nous envisageons la possibilité de poursuivre le ministère public, certains des arguments plaident en notre faveur. Par exemple, pendant la perquisition de son domicile, au moment de son interpellation les équipements de ses entreprises ont été saccagés. En violations des codes et procédures. — Voilà, l’on dira simplement qu’il ne lui sera pas facile de se rééquiper et de reprendre ses activités économiques d’aussitôt. — Exacte ! S’il n’y avait que moi, je ne serais pas contre le fait qu’on les fasse trembler encore une fois, dit Alix-Pascale en riant. Franchement, ces gars abusent ! — Ouais, pour ça, ils abusent ! — D’accord, je vais le suggérer au boss on verra ce qu’il en pense. Jessica se leva, avec une pile de documents dans les bras. Je file le voir. Si tout se passe bien, on aura une grosse affaire à gérer dans bientôt. Croisons les doigts, dit-elle en quittant le bureau. * * * Jessica prit le couloir, et poussa la porte en face de la leur. Elle pénétra dans un sanctuaire interdit. Trois hommes bavardaient à voix haute d’un sujet qu’elle n’eut pas le temps de comprendre. Ils s’arrêtèrent pour la regarder. De la même configuration que celui des filles, le pool masculin était par contre moins glamour. Pas très décoré, pas de fleurs et aucune sorte de coloration. Il ressemblait plutôt à un mix entre une salle de classe et une cours de récréation. Quelques gadgets masculins : un babyfoot, un Kuching Ball et un cadre à fléchette faisaient la seule différence. Le whiteboard, remarqua-t-elle, n’était jamais nettoyé et la corbeille à papier presque toujours pleine. Sur les bureaux, des piles de dossiers étaient empilés. Malgré le split qui tournait dans la pièce, une forte odeur de transpiration chatouillait les narines. — Salut les mecs ! After tout à l’heure. Seize heures en bas. C’est moi qui invite. — Cool, tu es une bonne petite. Tu connais mon gout non ? répondit Ryan Nziengui, le jeune avocat de trente-deux ans, le spécialiste maison en droit public. — Je ressemble à une serveuse, peut-être ? — Non, à ma femme. — Cours toujours ! Même pas dans mes cauchemars. Simplice et Pierre Ayouma éclatèrent de rire, trop habitués aux joutes entre ces deux-là. Simplice Aboghe, avocat d’entreprise de vingt-huit ans, était le binôme d’Alix. Ils plaidaient ensemble et avait une audience prévue en fin du mois pour réclamer des dommages et intérêt à une société d’assurance qui s’était défilé quand il s’était agi de venir en aide à un de leur client malade. KNA soupçonnait un quota qui aurait justifié une telle décision. La plupart des entreprises de ce type établissait parfois des quotas annuels, des seuils qu’elles ne devaient pas dépasser dans la prise en charge de leurs assurés. Quand ceux-ci étaient atteints, soit elles refusaient de payer le sinistre, soit elles envoyaient le dossier à l’année prochaine. Une pratique ignoble que KNA comptait leur faire payer. Alix et Simplice avaient épluché les rapports de l’entreprise et découvert que cette dernière n’acceptait que quarante pour cent des demandes de prises en charge en assurance maladie. Les chiffres variaient en fonction des domaines d’assurance. — Vous vous aimez trop vous deux-là. — Ouais, c’est ça ! Elle tourna les talons mais fit demi-tours. Je vous le répète everyday. Le bureau… — N’est pas un restaurant, reprirent les garçons en cœur. — Compris Maitre Nyingone, lança Pierre Ayouma, le spécialiste en droit administratif. — Il y’a une kitchenette pour ça au bout du couloir. Et pensez à vider vos poubelles et à aérer un peu bon sang ! Ca schlingue ici ! Satisfaite de son sermon, elle put avec le sourire, rejoindre le bureau de leur patron. Le boss, Maitre Kevin Okoumba, directeur associé de KNA, était un jeune avocat approchant dans la quarantaine. Ce qui justifiait les bonnes relations qu’il entretenait avec ses employés, tous de la même génération. Il avait la peau sombre et un corps d’athlète, résultat d’une vie sportive bien remplie. Dans son jeune âge, il avait joué dans des clubs cadet et junior du championnat national de football puis avec son équipe universitaire. Ayant arrêté le sport pour les études, il avait étudié à Dakar et obtenu une maitrise en droit administratif et un autre en droit de l’homme et action humanitaire à l’Université Cheikh Anta Diop. Fervent chrétien et Philanthrope dans l’âme, il décida d’ouvrir son cabinet en rentrant au Gabon. Ce qu’il fit avec l’aide de son amie et complice de longue date. Apres travaillé cinq ans dans un redoutable cabinet sénégalais. Excellent dans ses plaidoiries, il s’était vite fait un nom parmi les meilleurs avocats du pays. Et à ses heures perdues, il dispensait des cours de droit dans quelques écoles et universités de Libreville. — Bonjour Boss, comment allez-vous ce matin ? — Très bien mademoiselle Nyingone. Et vous-même ? Et votre petit ami ? — Il va très bien, monsieur. J’aurais besoin que vous me signiez ces documents avant votre départ. Il y a ici les courriers. Là, les ordres de virements, sinon la dream team va me tuer. Et enfin les accusés de réception. Je les ferai livrer demain par le coursier. Tout sera prêt avant votre retour. Le jeune patron s’exécuta. Jessica s’assit face à lui. — Monsieur, j’ai une petite préoccupation à vous soumettre. — Je vous écoute, mademoiselle Nyingone. — J’ai une affaire en or à vous proposer, elle est en rapport avec le décès de l’étudiante de l’UPG. — Celle qu’on a retrouvée hier ? — Oui, monsieur. — D’accord, je vous écoute ! Jessica se lança dans le récit de la triste histoire de Rhianne, dont elle n’en connaissait qu’un bout dévoilé par les documents qu’elle possédait. Confortée par sa découverte de ce matin, elle persuada son patron de s’intéresser à l’affaire. L’homme prit un air très intéressé. — Si ce que vous me rapportez là est fondé, je crois que nous sommes partis pour soumettre au procureur son dossier de l’année. — Le code pénal et la loi n°19-2013 du 21 aout 2013 en son article 257 nous donnent plusieurs possibilités. D’après vous, quel motif devons-nous évoquer si on décide porter l’affaire en justice ? Moi je penche pour le harcèlement sexuel et moral. — En effet, c’est possible. Mais le harcèlement sexuel dans ce contexte me semble risqué même si tout est jouable. On pourra orienter le dossier vers le harcèlement sexuel. Donc si nous apportons à Frédéric les documents dont vous avez fait mention, il sera obligé d’ouvrir une enquête par laquelle il demandera à auditionner toutes les personnes qui apparaissent sur les vidéos. — Nous devons les aider à prouver qu’elles étaient harcelées. Et par conséquent obligées de se soumettre aux caprices des enseignants. — Nous pouvons le faire mais le harcèlement sexuel étant difficile à prouver. Il faut qu’elles aient des appels téléphoniques ou des SMS le prouvent le caractère répétitif de l’action. — Oui j’y ai pensé, nota Jessica sur une posthite. Je crois que je peux trouver ça. Il y’a la lettre de la morte aussi. — Ok, essayez de mettre de l’ordre la dedans et on en reparle à mon retour, dit l’avocat en rangeant les documents qu’il venait de signer, dans la chemise dans laquelle son assistante périodique les avait apportés. — Des témoignages peuvent aussi faire l’affaire ? Je peux chercher des filles prêtes à témoigner ? — Si vous entrouvrez, ce serait très bien. Et on suivra la procédure suivante. D’abord, la saisine du procureur par une demande d’intervention. Je contacterai Frédéric personnellement. — Ensuite, il demandera à recevoir l’auteur de la demande d’intervention, coupa Jessica en souriant. Après avoir évalué la gravité de l’affaire, il fera un sous transmis à un commissariat ou à une brigade pour enquête et audition des plaignantes et de toute personne pouvant aider dans la recherche de la vérité. L’enquête permettra de convoquer les accusés, et même les placer en garde à vue. Après avoir monté le dossier, ils seront déférés au parquet. Le procureur les auditionnera à nouveau puis les mettra en détention en attendant le procès. — Voilà. — Puis je vous demander une faveur ? — Je vous écoute, mademoiselle Nyingone. — J’aimerais m’occuper de cette affaire moi-même. J’en fais une affaire personnelle. — Ce n’est pas très professionnel, vous le savez. Mais j’aime votre détermination. — L’étudiante était enceinte boss. — D’accord. Trouvez-moi des éléments. Prouvez-moi que cette affaire en vaut la peine et je vous soutiendrai dans votre démarche. Peut-être pourriez-vous plaider à ma place. — Merci, Monsieur Okoumba. Vous ne le regretterez pas !

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