Chapitre 16
Write by Djelay
Fabrice jette un coup d’œil dans la direction de Ciara. Elle baisse aussitôt la tête. Cette réaction ne lui échappe pas. Il la trouve étrange depuis ce matin. Lorsqu’ils se sont heurtés devant l’ascenseur, elle lui a semblé effrayée. Pourquoi aurait-elle peur de lui subitement ? Parce qu’il lui avait dit qu’il déteste le patron ? C’est absurde. Il admet avoir été hors de lui ce jour-là même s’il pensait ce qu’il a dit... Peu importe (il reporte son attention sur la pièce d’interrogatoire). Le plus important c’est que son cousin tienne sa langue. Il ne doit en aucun cas mentionner son nom sinon ce serait sa fin. Bon sang ! Comment ont-ils pu s’en rendre compte aussi vite ? Il regarde de nouveau Stéphane et son cœur se remplit de rage. Il s’inquiète pour Ben. Il pourrait péter un câble face à la pression et rechuter. Si la maladie de son cousin resurgissait, il en serait l’unique responsable.
- Fais chier ! Murmure-t-il entre ses dents.
- Pardon ? Fait Sylvie en levant les yeux vers lui.
- Rien, ne fais pas attention.
Cette Sylvie commence elle aussi à le taper sur les nerfs. Bref, siffle-t-il silencieusement avant de rediriger ses pensées vers Ben. Son cousin a toujours été différent. Déjà à l’âge de six ans il résolvait des opérations mathématiques enseignées en classe de Cm2 alors qu’il n’était qu’au Cp2. Ils ont toujours été proches malgré leur différence d’âge. Ben est de cinq ans son cadet. Après le décès de son père, Ben et sa mère ont dû quitter la ville Korhogo pour venir vivre avec eux. Elise ne travaillant pas, ils n’avaient pas les moyens de garder la maison. Son cousin avait à peine deux ans. Même si leurs mères sont sœurs, Fabrice considère Ben comme son petit frère. Durant quatorze ans Ils ont vécu une vie heureuse puis Ben a soudainement commencé à se comporter bizarrement. Il se mettait à parler tout seul, racontait des choses insensées, séchait les cours. La situation est réellement devenue inquiétante le jour de sa disparition. Sa mère était inconsolable. Il a finalement été retrouvé deux jours après trainant dans un endroit miteux de la commune de Koumassi, à plusieurs kilomètres de sa maison. Après cet incident, il a été conduit dans une clinique psychiatrique où le médecin lui a diagnostiqué un début de schizophrénie. Ce dernier avait affirmé que l’intelligence démesurée de Ben en était la cause. Selon lui, son cerveau au fil des temps n’a pas pu supporter l’intensité importante de son activité cérébrale. Cette nouvelle avait chamboulé toute la famille surtout Elise. La pauvre, elle en est tombée malade et a dû être hospitalisée durant deux semaines. Il s’agit tout de même de son seul enfant. Ben a passé deux ans dans cette clinique. Il en est ressorti plus ou moins normal mais le médecin leur a clairement dit que ce n’était pas une guérison complète. Du coup il devait suivre un traitement de longue durée jusqu’à ce qu’il redevienne comme avant. C’est ainsi qu’il a repris le cours de sa vie et a obtenu son diplôme de comptable à l’âge de 21 ans. Se sentant responsable de lui, Fabrice a fait en sorte qu’il vive une vie normale en lui attribuant le poste de comptable à Food’s Industry ; une tâche facile puisqu’il en est lui-même le DRH. Il s’est arrangé pour que personne n’ait accès au dossier de Ben, sinon ils auraient appris pour sa maladie et certainement qu’il n’aurait pas été embauché. Malheureusement ce secret précieusement gardé, semble sur le point d’être dévoilé. Le regard de Fabrice devient meurtrier. Il découvrirait la personne qui les a démasqué et lui fera payer cher, très cher pour cette stupide erreur qu’elle n’aurait pas dû faire.
- Ne crois pas que tu seras épargné mon petit Stéphane. Marmonne-t-il.
- Vous avez dit quelque chose ?
- Je pensais à haute voix. Répond-il agacé.
L’interrogatoire est enfin terminé. Le policier passe les menottes à Ben et le sort de la pièce sous le regard curieux de Stéphane qui n’a pas bougé d’un poil, attendant patiemment devant la cloison vitrée.
- Alors ? Demande-t-il au policier.
- M. Ben Bamba a tout avoué. Informe ce dernier.
- Vous allez donc arrêter son complice ?
- Il n’a mentionné aucun complice, il prétend avoir agi seul.
- Mais il ment monsieur l’agent. Lâche Stéphane en colère.
- Avez-vous des preuves de ce que vous avancez M. N’Goran?
Stéphane ne répond pas. Effectivement, il ne détient pas de preuve du coup Fabrice peut librement circuler dans l’entreprise. Il ne peut pas le renvoyer sans motif valable. Impuissant face à cette situation il serre fort les poings.
- Excusez-moi M. N’Goran mais je dois emmener le suspect pour enregistrer sa déposition.
- Vous aussi devriez nous accompagner pour donner la vôtre. Ajoute le policier.
- Très bien.
Stéphane suit en silence les deux hommes. Ils passent devant le bureau de Ciara. Steph s’autorise un regard vers elle. Leurs yeux se croisent. Même à cette distance il ressent son angoisse, sa peur. Il la protégera quoi qu’il lui en coûte.
Ciara n’est pas tranquille depuis qu’elle a appris que Ben a endossé toute la faute. Il a préféré protéger Fabrice. Pourquoi ? Quel est le lien qui les unit? Elle doit absolument résoudre cette énigme. C’est ce qui permettra peut-être de prouver la culpabilité de Fabrice. Elle lance un regard discret vers le bureau de Sylvie. Parfait, Fabrice n’y est plus. Elle se lève d’un coup de son fauteuil, sort du bureau et d’une démarche pressée se rend au département informatique.
- Bonjour Michelle. Dit-elle à l’égard de la seule jeune fille de la salle.
La salle informatique est une grande pièce contenant en tout dix box individuels séparés les uns des autres par des cloisons amovibles en aluminium. Michelle est assise tranquillement dans son box, casques aux oreilles, jambes étendus sur le bureau. Elle semble déconnectée du monde. Elle sursaute lorsque Ciara lui retire le casque. Surprise dans une posture inappropriée, elle se redresse à la hâte.
- Bonjour… mademoiselle Kipré. Bredouille-t-elle.
- Ne t’en fais pas, ça arrive à tout le monde de se laisser aller. Fait-elle avec un clin d’œil.
Michelle lui sourit quoique sa gêne ne la quitte pas.
- Tu pourrais me rendre un service s’il te plait.
- Bien-sûr mademoiselle. Dites-moi juste ce dont vous avez besoin.
- Le dossier de M. Ben Bamba, le chef comptable.
- Tout de suite.
- Merci, dit Ciara reconnaissante.
Michelle est une petite stagiaire qu’elle affectionne beaucoup. Elle est très douée dans son domaine. A son jeune âge, c’est-à-dire 20 ans, l’informatique n’a plus aucun secret pour elle. Ses collègues ne cessent de faire ses éloges. Cela fait maintenant cinq mois qu’elle travaille à Food’s Industry. Elle espère qu’elle sera embauchée une fois son stage terminé.
- Il y a un petit problème mademoiselle.
- Lequel ?
- Ce dossier ne figure pas dans le serveur. Annonce-t-elle.
- Tu en es sûre ? As-tu bien vérifié ?
- Aussi sûre que je m’appelle Michelle mademoiselle. Il n’y a aucune information sur ce mec…pardon sur ce monsieur dans nos bases de données.
Ciara se gratte la tête, pensive. C’est bien plus grave qu’elle ne le croyait. Pourquoi ne figure-t-il pas dans la base de données des employés ? Fabrice y est sans doute pour quelque chose.
- Merci Michelle.
- Pas de quoi.
Ciara retourne dans son bureau. Cette histoire la tracasse. Fabrice cache quelque chose au sujet de Ben, pourquoi ? Elle est de plus en plus convaincue qu’il existe un lien entre les deux. Ils sont frères, elle en est presque certaine. Sinon pourquoi tant de mystère autour de Ben ? Fabrice n’est pas l’homme ordinaire et dragueur qu’il veut faire paraître. Derrière ce masque se cache une personne calculatrice, dangereuse. Son intuition la trompe rarement. Et cette angoisse qu’elle ressent depuis un moment ne fait que confirmer ses soupçons.
Stéphane est de retour à l’entreprise. Il est 14 h passé. C’est fou comme toute cette procédure prend énormément de temps. En passant devant le bureau de Ciara il remarque qu’elle est absente. Dès qu’il pénètre dans son bureau, il lance automatiquement le numéro mobile de Ciara. Elle répond aussitôt.
- Alors ? s’empresse-t-elle de demander.
- Où es-tu ? Réplique-t-il ignorant sa question.
- A la cafétéria. Je suis sur le point de remonter.
- Dans ce cas viens directement dans mon bureau.
- Non. Proteste-t-elle. Il vaut mieux qu’on ne nous voit pas ensemble aujourd’hui. Ça pourrait éveiller des soupçons. Rejoins-moi chez moi après le boulot.
- D’accord.
Il marque une pause.
- Toi ça va ? reprend –il.
- Ça peut aller. Répond-elle sans conviction.
- Tu sais que tu n’as rien à craindre, je suis là ma douce.
- Je sais. Aller à ce soir.
Ciara est assise dans son fauteuil comptant impatiemment les minutes. Plus que Trente minutes et elle pourra s’en aller, enfin. Cette journée a été des plus difficiles. Jamais elle n’a ressenti autant d’émotions en une seule journée. Heureusement que celle-ci sera bientôt terminé. Elle est en train de ranger ses affaires lorsqu’on toque à la porte. En voyant son visiteur, son sang se glace aussitôt dans ses veines. Ce dernier entre sans qu’elle ne l’y autorise.
- Bonsoir Mlle Kipré. Dit-il calmement.
- Bonsoir M. Bamba.
Elle essaie d’adopter son ton habituel. Difficile car les circonstances sont différentes.
- Vous n’avez fait que m’ignorer toute la journée. Je me demandais si je vous avais offensée sans le vouloir.
Il a des doutes, elle en est sûre. Toutefois, il faut qu’elle reste naturelle pour que ceux-ci disparaissent.
- Ce n’est pas comme si c’était la première fois que je le faisais. Vous deviez y être habitué.
Il éclate de rire. Parfait.
- Pourquoi me fuyez-vous ? Aujourd’hui encore plus que d’habitude.
Il est toujours debout. C’est un bon signe. Cela signifie qu’il ne compte pas s’éterniser.
- Parce que j’ai récemment appris… (ils plissent les yeux)…que vous avez flirté avec toutes les femmes de la boîte. Etant donné que je tiens à ma réputation, je préfère garder mes distances avec vous.
- Ah, c’est juste pour ça.
Il semble convaincu. Dans le mil, bien joué ma petite Ciara. Pense-t-elle., la compagnie de Lala déteint sur elle. Apparemment elle est en train de développer des talents d’actrice.
- Mais il ne faut pas écouter les bobards Mlle Kipré.
- Vaut mieux que d’avoir de désagréables surprises. Lâche-t-elle froidement.
- Très bien. dans ce cas passez une bonne soirée.
- Vous de même.
Elle s’enfonce dans son fauteuil en soupirant tout juste après son départ. Il ne voulait pas partir ou quoi ?
- Ouf ! Souffle-t-elle.
En sortant de son bureau, elle dit au revoir à Sylvie qui l’informe que tout le monde est parti. Il ne reste qu’elles et les agents de sécurité. Une idée lui vient donc en tête. Elle descend au 2eme étage où se trouve le bureau de Fabrice. Personne ne rentre jamais dans le bureau d’autrui du coup personne ne pense à fermer ses tiroirs à clé. C’est le cas de Bamba. Se dit-t-elle en ouvrant le premier tiroir de gauche. Rien. Elle fouille les autres tiroirs, il n’y a rien non plus. Aucun dossier sur Ben Bamba. Elle est sur le point de sortir lorsque son regard se pose sur une petite clé USB dépassant légèrement la chemise cartonnée sous laquelle elle est placée. L’a-t-il oubliée là ? Elle ne réfléchit pas à deux fois avant de prendre la clé. Elle la branche sur l’ordinateur de bureau. Pas de mot de passe, Dieu merci. Elle branche ensuite sa propre clé et copie tous les fichiers de l’autre clé sur la sienne. Pas le temps de lire tout ça maintenant, elle le fera dans son appartement, au calme. Une fois la copie terminée, elle remet la clé à sa place, éteint l’ordinateur et sort de la pièce. Il est vingt heures et demie quand Stéphane arrive chez elle. Installés tous deux dans le canapé, elle lui parle de ses soupçons concernant le lien de fraternité qui existerait entre les deux Bamba. Il n’est nullement surpris. Apparemment lui aussi s’en doutait.
- J’ai demandé à Michelle, une de nos informaticiennes de me trouver le dossier de Ben dans le serveur de l’entreprise. Et tu sais quoi ?
- Quoi ? Demande Stéphane curieux.
- Il n’y a aucune information sur Ben.
- Comment est-ce possible ?
- Eh bien, je me suis posée la même question. Et c’est là que j’ai tout compris. Dit-elle en posant le doigt sur sa tempe.
- Compris quoi ?
- Bamba…je veux dire Fabrice est le DRH, ce qui veut dire qu’il a délibérément dissimulé le dossier de Ben. Mais la question c’est pourquoi l’a-t-il fait ? Que cache-t-il ?
- Je vous écoute détective Ciara.
Son ton amusé arrache un sourire à Ciara. Son premier vrai sourire depuis les évènements de ce matin.
- Arrête Steph, c’est sérieux. Reproche-t-elle gentiment.
- Je sais, mais détend toi. Toute cette histoire te prend la tête. Ce n’est pas à toi d’enquêter. Ce n’est pas ton travail Ciara.
- Tu ne comprends pas !
- Quoi ? qu’est-ce que je ne comprends pas ?
- Il me fiche la trouille. S’il découvre que je suis à la base…
- Comment le saurait-t-il ? la coupe-t-il. Il n’y a que toi et moi qui sommes au courant.
- Mais…
- Et même s’il venait à le découvrir, tu crois que je permettrai qu’il te fasse du mal ?
Ses yeux s’attardent sur l’oreille gauche de Ciara.
- Où est passé ta boucle ?
Elle passe un doigt sur l’endroit où est censé se trouver son bijou. Il a dû tomber quelque part. Peut-être dans sa voiture, ou dans son bureau. Son canapé. Pense-t-elle. Depuis son retour du boulot, elle ne l’a pas quitté. Elle y est restée allongée jusqu’à l’arrivée de Steph. Elle entreprend donc de fouiller son canapé en le tâtonnant, rien. Elle regarde autour d’elle, sur le sol, rien non plus. Cette petite chose lui a coûté une fortune. Ce serait dommage de la perdre.
- Je l’avais ce matin. J’espère que je la retrouverai. Cette boucle m’a coûté un bras.
Il éclate de rire. Les femmes et ces choses inutiles qu’elles affectionnent tant. Il ne les comprendra jamais.
- Je t’en achèterai de plus belles.
- T’es trop chou. (elle sourit) mais ce n’est pas nécessaire.
- J’insiste. De plus je ne demande pas ton avis. je t’informe juste.
Il se rapproche d’elle et lui tient le visage entre les mains. Elle le regarde sans ciller. C’est un crime d’être aussi beau. Pense-t-elle alors qui fixe sa petite bouche toute rose.
- Et cesse de t’inquiéter pour Fabrice. Il n’aura pas le temps de faire quoi que ce soit car je l’enverrai rejoindre son acolyte derrière les barreaux.
- J’ai aussi peur pour toi Steph. Si tu voyais la façon dont il te regardait aujourd’hui, on aurait dit…
- Chut… Murmure-t-il contre ses lèvres. Ne pense plus à tout ça et monte de reposer, tu en as besoin.
- Mais tu ne viens pas avec moi ? Demande-t-elle l’air déçu.
Non ma douce. Tu es épuisée, si je monte avec toi crois-moi que tu ne pourras pas te lever du lit demain.
Fin du seizième chapitre. Bizbi.