Chapitre : 16
Write by MoïchaJones
- Tu ne dis rien ?
La question me fait instantanément sourire. Pas un de ces sourires joyeux, qu’on n’hésite pas à servir à tout vent, pour faire transparaître son bonheur. Non. Plutôt un de ceux qu’on ne peut s’empêcher de faire, désabusé par la situation. Mes yeux ne le quittent pas. Je suis peut-être folle, mais je ne peux m’arrêter de les admirer. La manière dont la lumière des chandelles s’y reflète, elle revête toute la chaleur et le réconfort dont j’ai besoin en ce moment. Malheureusement, la réalité est tout autre.
7 jours après, on n’a toujours pas de nouvelle des assaillants, et par conséquents aucunes de Jason. Là il m’annonce qu’il doit s’en aller. Que veut-il que je lui réponde ?
- Fait comme bon te semble. Je lance doucement en me penchant sur la table.
- Wapenzie…
Je porte mon verre à mes lèvres, le regard baladeur. Il m’a emmené dans un nouveau restaurant en centre-ville. La décoration est assez sobre. L’ensemble est plutôt jolie, du bois qui se font dans de l’acier, des arbustes dans les coins et des bonzaïs comme centre de table. Ca fait à la fois simple et chic. J’aurais beaucoup plus aimé qu’il m’y emmène pour une autre occasion. Oh oui, comme j’aurais adoré.
- Belinda, s’il te plait ne rend pas les choses plus compliquées qu’elles ne le sont déjà.
Je pose doucement mon verre et le regarde avec le même sourire amer aux lèvres. Il garde toujours des séquelles de vieillesse. En même temps, une semaine seulement est passée depuis qu’on a enlevé Imani. Rien que d’y repenser j’en ai des frissons.
- C’est moi qui complique la situation ?
Je voulais que ma voix reste impassible, mais je n’ai pas réussi à camoufler toute ma haine. Il veut parler mais je l’arrête d’un geste de la main.
- Un enfant dont tu avais la charge est porté disparu, et toi tu veux t’en aller. Tu me laisses avec un procès en préparation et c’est moi qui complique la situation ? Non mais tu rigoles ?
- Rectification, je n’avais pas sa charge.
- Mais il vivait sous ton toit quand on l’a enlevé avec ta fille.
Je martèle bien mes mots en le regardant dans les yeux. Il me fixe pendant ce qui semble être une éternité, puis détourne le regard avec un soupir las.
- Je ne vois pas ce que ma présence va changer.
- Si ça avait été Imani tu serais parti ?
Il serre son poing sur la table et sa voix est glaciale.
- Ne mélange pas les choses. Imani est ma fille.
- Et Jason n’est qu’un enfant.
Tout l’effort qu’il met pour garder une mine calme ma sidère. Je sais bien qu’il est énervé, et je ne comprends pas pourquoi ?
- Qu’est-ce qui t’arrive Uhu ? Un innocent est quelque part dans la nature, entre les mains de gens sans foi ni lois et toi ça ne te fait rien ? Je ne te savais pas comme ça.
- La police s’occupe déjà de tout.
- Comme elle s’est occupée de retrouver ta fille, n’est-ce pas ?
- On l’a bien retrouvé, oui ou non.
- Ce n’était pas grâce à eux.
Encore à faire l’autruche. J’en ai marre. Je suis fatiguée de toute ça.
- Je veux rentrer. J’annonce simplement en me débarrassant de ma serviette de table.
Il me regarde comme si j’avais perdu la tête.
- Notre commande n’est pas encore arrivée.
- Tu n’avais qu’à pas me couper l’appétit.
- Arrête de faire l’enfant Belinda.
Je ne réplique pas, ça ne vaut pas la peine. Je pousse lentement ma chaise en me redressant sans un regard vers lui.
- Belinda !
- Tout compte fait, tu peux rester manger. Ne te dérange pas pour moi, je vais me débrouiller.
Je lui fais un dernier sourire avant de tourner le dos. Je croise le serveur qui approche avec un plateau qui contient surement nos commandes, il me regarde effaré, sans trop savoir quoi faire. Je passe ma route tranquillement. Une fois en route, le ciel est avec moi. Un Uber se gare juste devant le restau et une fois les clients descendus, je m’installe et donne ma destination. J’entends Uhu crier mon nom, mais je ne me retourne pas. Ma pochette contre mon cœur, je croise le regard du chauffeur dans le rétroviseur. Il est d’un certain âge, et ses yeux se font rieurs. Il a surement un scénario dans sa tête, et à tous les coups, c’est moi qui ai raison. J’aime ça et ça me fait sourire plus sincèrement.
Je ferme les yeux un instant, mais n’ai pas le temps de m’endormir que mon téléphone vibre dans mon sac. Pendant tout le trajet jusqu’à la maison, il ne fait que ça, sonner à intervalle régulier. Je ne prends pas la peine de regarder l’appelant, c’est évident. Ca ne peut être que lui.
Je règle la course et rentre. Cinq minutes après, Uhu gare derrière moi.
- Belinda !
Je lui jette un coup d’œil, sans toutefois m’arrêter. Il a un pied à terre, le moteur tourne toujours. Il l’air vraiment énervé. Je continue d’avancer comme si de rien n’était. La maison est silencieuse, il n’y a que le bruit sec de mes escarpins qui résonne. Je vais vérifier qu’Imani est bien dans son lit, je lui fais un bisou puis rejoins nôtre chambre. Mes artifices s’effondrent l’un après l’autre, et retrouvent la place qu’ils ont quittée en début de soirée. Et dire que je m’habillais pour passer une soirée agréable et romantique...
La porte s’ouvre sur lui, il a enlevé sa veste et ses muscles saillants me semblent crispés. Il me regarde sauvagement, les mains dans les poches. Sa respiration est lente et régulière, mais ses yeux lancent des éclairs.
- Je peux savoir ce qui t’a pris ?
Sa voix. Cette voix qui réussit à me faire vibrer, est elle aussi, froide et monocorde. On ne peut pas s’y tromper, il est en colère.
- Je suis épuisée. Je murmure seulement.
- C’est une raison pour t’enfuir de la sorte.
Je lui tourne le dos, les mains sur mes pendentifs que j’enlève de mes oreilles. Je marque un temps d’arrêt, avant de les poser lentement sur la coiffeuse.
- Je ne voulais pas écourter ton diner.
J’ai essayé d’y mettre un peu de joie, peut-être pour détendre l’atmosphère. Il règne une chaleur arctique dans la pièce.
- Ne joue pas avec mes nerfs, ça risque mal se finir.
Je m’arrête, le souffle court. Il est dans mon dos, je ne l’ai pas entendu arriver. J’ai des frissons sur tout le corps et je tremble de peur. Cette voix. Je la connais très bien. Je ne l’ai pas entendu à plusieurs occasions, mais je ne saurai l’oublier. Il l’a exactement quand il se trouve dans une rage folle. Son ton n’est pas haut, mais nul ne peut s’y tromper.
- Je t’ai appelé. Ajoute-t-il seulement.
Que répondre à ça ?
« Je n’ai pas entendu le téléphone sonner ? »
Qui va s’amuser à jouer avec sa vie ?
Je ne dis rien.
- Aie au moins la décence de me faire face quand je te parle.
Je n’arrive pas à me retourner. Je suis proche de la crise de panique. Sa main me prend par l’épaule et me force à me mouvoir. Je le regarde en face l’espace d’une seconde et puis baisse les yeux.
- Uhu, je suis fatiguée.
Ma voix n’est plus que l’ombre d’elle-même. Un murmure que moi-même j’arrive à peine à percevoir.
- C’est pour cette raison que tu me prends pour un idiot ?
- Ce n’est pas le cas et tu le sais bien.
- Me laisser en plan dans un restaurant plein, ignorer mes coups de fils…. Belinda, tu joues avec moi.
- Tu fais tout un plat de choses inutiles. J’en avais marre d’être là, et tu n’étais pas disposé à partir. Donc je t’ai dispensé de…
Il fait un pas en avant. Je n’aurai pas pu imaginer que c’était encore possible, tant nous étions déjà l’un sur l’autre.
- Je ne suis pas un de tes flirts que tu cherches à éconduire, tu as du l’oublier. Ne me fait plus jamais ça, est-ce que c’est clair ?
- Ton égo est toujours intact.
Mon Dieu, ce n’est pas moi qui vient de parler là, si ?
- Pardon ?
Silence.
- Regarde-moi dans les yeux et répète pour voir.
Mon regard est à mille lieux du sien, et je ne fais rien pour que ça chance.
- On fait moins la courageuse maintenant madame Kibaki.
Il le dit dans un rire tout aussi polaire que l’ambiance qu’il a créé.
- Je crois que je commence à être d’accord avec Jomo, je te laisse trop de liberté, et ça te monte à la tête.
Instantanément je lève les yeux, ses pupilles sont serrées et d’un noir intense.
- Qu’est-ce qui t’empêche de prendre conseil chez ton frère pour trouver une esclave à mettre dans ton lit ?
- Je vais y penser.
Mon cœur se brise en mille morceaux. Il n’a pas idée du mal qu’il me fait, et je ne laisse rien entrevoir.
- J’arrive à me demander lequel de vous deux est le pire.
Ses narines se dilatent encore plus et ça me fait plaisir. Il lève la main lentement sa main, et je suis frigorifiée. Je ne lâche pas son regard, mais je suis sur le qui-vive. Sa main s’arrête à quelques centimètres de mon visage, je ne cille pas une seule seconde. Il est temps pour moi de changer de cape. Finir la femme faible qu’on intimide à tout bout de champ. S’il veut devenir un monstre, ce ne sera pas grâce à mes encouragements et je compte bien le lui faire comprendre.
Mon téléphone sonne le glas, d’un combat qui n’a pas encore débuté, mais je ne veux pas être celle qui baisse les armes la première. Uhu secoue lentement la tête, puis sa main pousse la mienne comme dans un mauvais rêve. Rien de bien méchant, mais ce qu’il ne fallait pas. Je réagis aussitôt. La gifle part avant que je n’ai le temps de mesurer l’ampleur de mon geste. Un réflexe je dirai, le pire qui soit, mais un réflexe quand même.
- Désolée !
La main sur ma bouche, je ne peux revenir en arrière.
- Tu vas regretter ce que tu viens de faire.
Menace ou promesse. Le résultat est le même. J’assiste à la transformation d’Uhu. J’ai réussi à créer le monstre que je ne voulais pas voir près de moi.
Il m’empoigne par les cheveux et me pousse sur le lit avant de tirer sa ceinture d’un coup sec. La peur me sort par les pores, et mes yeux menacent de quitter leurs orbites, mais rien de l’arrête. Il ne semble plus se rendre compte de ce qui se passe. Je murmure des supplications, mais il se rapproche toujours de moi, fulminant.
- Je ne voulais pas le faire… Uhu… Non, attends.
Sa main se lève, sans appel au-dessus de sa tête.
- Pour l’amour de Dieu Uhu…
Il est comme coupé du monde. Je me demande seulement s’il m’entend encore parler.
- Ne fait pas ce que tu vas finir par regretter…
Ma voix est devenue malingre, et ca le fait sourire.
- Tu la ramène moins là.
On dirait qu’il cherche la meilleure partie pour faire tomber le poids de sa colère. Ses yeux me parcours, sa mains toujours en suspens au-dessus de moi.
- Imani pourrait…
Le coup me parcours d’électricité.
- Putain !
Je n’avais plus ressenti ça depuis des années. Depuis le primaire quand mon maître nous avait tous bastonné, après un control de science catastrophique. Je suis couverte, mais la douleur me pénètre jusque dans l’os.
- Ne t’avise plus jamais de lever la main sur moi.
S’en est fini comme ça. Un seul coup et je suis K O. Il lance la ceinture par terre et tourne le dos. Je me frictionne l’endroit meurtri, la larme à l’œil, en le regardant partir. Il vient de se passer quoi ? Seigneur, je n’arrive pas à y croire.
Mon téléphone me fait sursaute un plus tard. Je me lève douloureusement et vais le récupérer au fond de mon sac. Mon cœur manque un battement quand je vois le numéro qui s’affiche.
- Mon Dieu, Jason ? C’est toi ?
Sa voix résonne comme sortie d’une publicité épouvantable.
- Shangazi…
- Seigneur… Où es-tu mon chéri ?
Mes larmes coulent pour de bon cette fois. Je ne peux les retenir plus longtemps.
- Je ne sais pas, ils ont dit qu’ils vont me tuer.
- Qui ? Pourquoi ? Où sont-ils ?
Je sais que je suis ridicule à lui demander tout ça, mais le ridicule de ne se commande pas.
- Vient m’aider s’il te plait. Je n’en peux plus.
Il me semble épuisé, le pauvre. Où peut-il bien être en ce moment. J’essaie de me calmer et de réfléchir aussi rapidement que possible, mais j’ai l’impression que mon esprit est en train de vouloir sortir de mon corps pour se balader autour. La douleur sur ma cuisse a complètement disparu, pour laisser place à celle dans mon cœur. J’ai mal de l’entendre aussi faible. J’ai mal de ne pas savoir où ils le retiennent prisonnier. J’ai mal de ne pouvoir rien faire pour le sortir de là. J’ai mal de ne pouvoir le prendre dans mes bras pour le rassurer.
Il faut que j’arrête, je dois être forte pour lui. Je dois trouver une solution pour qu’il aille mieux.il ne peut pas être mieux loin, dans le froid et l’austérité. Je me dois de le retrouver. J’éloigne le téléphone un instant, respira un bon coup, puis reprends un peu plus calme.
- Est-ce qu’il y a moyen de savoir où tu es ?
Il hésite un instant avant de répondre.
- Je crois que je suis dans un conteneur. C’est une chambre avec du fer partout.
- Très bien… Qu’est-ce que tu as remarqué d’autre ?
Silence, il ne dit plus rien. Quand je regarde de nouveau l’appareil, l’appel est coupé.
- Merde.
J’essaie de le rappeler, mais rien. Ca ne sonne pas. Je lance l’appel vers Uhu, ça ne sonne pas non plus. Je suis frustrée, j’ai envie de crier, et de balancer mon cellulaire sur le mur. Mais je sais que je dois rester joignable, au cas où il me rappellerait.