Chapitre : 17
Write by MoïchaJones
A peine les portes ouvertes, je rentre dans la banque. Je me dirige rapidement vers le bureau de ma conseillère. Elle ne m’attend pas ce matin, mais je ne pense pas qu’elle m’en tiendra rigueur. Un coup à la porte et je la pousse sans attendre de réponse.
- Belinda ?
Elle me regarde surprise, comme je referme derrière moi.
- Nous avions rendez-vous aujourd’hui ?
- Non, ne t’inquiète pas. Je m’excuse de passer comme ça à l’improviste, mais j’ai un problème assez urgent, et toi seule peut m’aider à la régler.
Je vois l’intérêt sur son visage et je souris quand elle m’indique la chaise en face d’elle.
- D’accord… Installes-toi !
Ce que je fais avant de lui exposer clairement ce que j’attends d’elle. Tout au long de mon speech, son regard se fait d’abord surpris, puis méfiants et enfin elle affiche une mine neutre. J’aime mieux ça. Le professionnalisme dans toute sa splendeur. Déjà que je ne suis pas à l’aise avec ce que je suis en train de faire, je n’ai pas besoin en plus d’être face à des regards réprobateurs.
- On se comprend ?
- Mais bien sûr, tout est clair. Je vous fais ça pour la fin de la semaine.
Je me lève et tends une main chaleureuse vers elle.
- En fait, je le veux pour hier.
- Mais…
- Si ce n’était pas urgent, je ne le demanderai pas de cette manière.
Elle hésite un instant, puis finit par acquiescer en prenant ma main toujours tendue.
- D’accord. Je vais faire ce que je peux.
- J’aime mieux ça. Les enfants vont bien ?
Son sourire se fait plus doux quand elle me répond.
- Oh vous avez comment ils sont à cet âge, les petits garnements.
Elle a des jumeaux de 5 ans, très hyperactifs. Ils sont dans la même école qu’Imani. De vrais bouts en train.
- On les aime comme ça en plus.
On rigole encore un peu et je prends congé. Je vais à l’ambassade récupérer nos papiers et sur un coup de tête, je finis par me retrouver à l’entrée de Kibera. Je gare sur le bord de la route, et coupe le moteur. Je laisse mon regard se balader sur le mouvement des véhicules. L’envie me prend d’aller rencontrer la maman de Jason, mais qu’irai-je lui dire ? Je ne sais toujours pas où il est, lui-même ne saurai le dire avec précision.
Quand l’appel s’est coupé il y a 2 jours, j’ai paniqué. Je n’arrivais plus à le joindre, je me suis passée toute sorte de film dans la tête. Sa batterie est morte ? Est-ce que ses assaillants l’ont surpris au téléphone ? Je me suis imaginée le pire, ils l’ont tué pour m’avoir contacté. J’ai essayé d’avoir Uhu pour lui en parler, mais lui non plus est resté injoignable. Je suis restée sur le lit à pleurer, réfléchir, puis finalement je me suis endormie, épuisée.
Le bruit de la porte qui se referme doucement m’a tiré de mon sommeil, plus tard dans la nuit. Mon regard est tombé sur celui de mon mari, déjà plus calme. On ne s’est rien dit sur le coup, je ne savais par où commencer et je suppose que lui non plus. Il était là, debout devant moi, les bras ballants et le visage neutre.
- J’ai essayé de te joindre… Ton téléphone était off. Je réussis à dire après que nous nous soyons jaugé pendant ce qui m’a semblé être une éternité.
- Je n’avais pas envie de t’entendre.
Ca avait le mérite d’être clair, il m’en voulait toujours. Le silence est d’or dans ces moments-là.
Je l’ai regardé déboutonner lentement sa chemise, il ne se préoccupait plus de moi. Il a pris un bas de pyjama dans la penderie et a disparu dans la salle de bain. Je n’étais plus du tout sûre que ce soit une bonne idée de lui dire que Jason m’avait appelé. J’ai gardé le silence et je ne l’ai pas regretté quand, quelques minutes plus tard, en venant s’allongé il m’a lâché d’une voix glacial
- Mon vol est prévu pour le vendredi soir. Mon avocat va se charger des parents du garçon, tu n’as pas à t’en faire pour ça. Pour ce qui est de le retrouvé, la police s’occupe de tout.
J’ai ouvert la bouche pour protester, puis je l’ai refermé douloureusement. Il s’est couché, m’a tourné le dos, puis a éteint désignant ainsi le sujet clos.
J’ai eu toute la nuit pour raffermir ma détermination. Je vais tout faire pour retrouver Jason, même s’il faut que je passe des marchés compromettants. Rien ne m’arrêtera tant que j’ai l’assurance qu’il est encore en vie.
L’optimisme est venu le lendemain. Nous étions tous à table pour le petit déjeuner quand mon portable a sonné. A départ j’étais gênée, mais quand j’ai vu le numéro, je me suis rapidement levée pour répondre. Les regards réprobateurs d’Uhu et Amaya m’ont accompagné jusqu’à l’embrasure de la porte de la terrasse. J’avais besoin d‘être à l’aise et d’avoir l’esprit calme pour parler avec Jason. Pas besoin de rajouter à son stress qui doit être au maximum. Nous n’avons pas parlé longtemps. Il m’a rassuré sur sa santé, puis m’a affirmé se trouver près d’une gare. Je lui ai dit de faire très attention avant de lui donner rendez-vous dans deux jours. Comme ça au moins, d’ici là je pourrai mettre en place un plan solide pour le retrouver et le sortir de là.
Je ne savais pas encore lequel à ce moment-là, mais j’étais sûre de trouver. Quand on a raccroché, je suis retournée à table, et j’ai fait mine de ne pas voir les questions silencieuses dans les yeux d’Uhu. Les parents étaient concentrés dans une conversation avec leur petite fille et Jomo, comme depuis que nous sommes revenus dans cette maison, est inhabituellement silencieux. Je sens peser le regard d’Uhu sur moi, mais garde irrémédiablement les yeux sur la tartine que je suis en train de garnir, la mine faussement légère. Il n’est vraiment pas obligé de savoir de quoi il en retourne, en fait le contraire est même souhaité.
Après le repas, j’ai rejoint Aba qui dinait dans la cuisine avec les autres. Nous nous sommes éloignés et je l’ai tenu dans la confidence, en lui faisant bien sûr promettre de ne rien dire. Nous avons convenu qu’il trouvera un moyen de localiser l’appel de Jason, et de me le ramener saint et sauf.
C’était hier.
Aujourd’hui je suis sortie comme prévu pour récupérer nos papiers à Imani et moi, pour notre prochain voyage. Uhu a été tout d’abord surpris que je n’aie pas annulé, à cause de tout ce qui se passe, mais a semblé rassuré quand je lui ai dit que tout compte fait c’est lui qui avait raison. Je ne peux rien faire de plus que la police. Ce qu’il ne sait pas, c’est que je suis de loin plus avancée que la police en qui il a tellement confiance.
Un coup de klaxon plus fort que les autres me tire de ma rêverie. Les gens se meuvent autour de moi, sans se soucier d’autre chose que de ce qui les préoccupe. Je remets le contact après avoir avisé l’heure sur le tableau de bord. Il est presque midi. Je reprends la route pour le domaine familial et quand je rentre dans la maison, je suis accueillie par une Imani super excitée.
- Maman, je vais au manège avec papa !
- Super.
Je la soulève et lui fait un bisou dans le cou. Elle rigole en s’accrochant à moi.
- Tu veux venir avec nous ?
« Je doute que ton père veuille me voir » je me dis en lui faisant un sourire lumineux.
- Non, je suis fatiguée ma chérie. J’ai besoin de dormir un peu.
- Mais il ne fait pas encore nuit.
Elle affiche une mine triste. Je la serre dans mes bras en lui faisant des chatouilles.
- La sieste… tu connais ?
Elle rigole en se tortillant dans mes bras, pendant que je traverse la maison qui semble vide. Amaya doit certainement être déjà au centre, et Joseph en tenu de laboureur entre les plants de café. Jomo, ça ne m’intéresse pas de savoir où il est, du moment que c’est loin de moi.
- Il est où ton père ?
- Avec babu.
- Ah ouais ? qu’est-ce qu’ils font ?
- Ils sont dehors, ils discutent.
Curieux… Bon pas tant que ça. Un père et son fils ont toujours une raison de se retrouver en tête à tête pour parler de chose et d’autres.
Je vais déposer mes affaires et me changer puis nous redescendons à la recherche de ces hommes. Ils ont les mines graves de personnes qui parlent d’un sujet sensible. Quand ils se rendent compte de notre présence, les sourires apparaissent comme par magie, mais la joie n’atteint pas leurs yeux.
- Belinda, tu es rentrée ?
- Oui depuis un moment déjà.
Je viens lui faire la bise, avant de faire un smack à Uhu qui me regarde simplement sans rien dire.
- Ca a été à l’ambassade ?
- Oui, j’ai pu récupérer les passeports, il ne nous reste plus qu’à attendre tranquillement le jour J.
- J’imagine que tu as hâte ?
Je pousse un soupir satisfait, pour parfaire l’illusion.
- Tu ne peux pas t’imaginer à quel point.
- Ohh le Cameroun…
Il dit avec une voix nostalgique.
- Je me souviens à l’époque quand j’étais encore un jeune homme actif. Les missions à Douala étaient toujours un moment particulier. La fête, les discothèques, les filles…
Il est perdu dans ses souvenirs, et moi je regarde son fils en me demandant si cette période de sa vie lui manque. Tout compte fait, c’est dans une discothèque, lors d’une de ses nombreuses missions à Douala que nous nous sommes rencontrés. Ca me semble être loin. Tellement de choses se sont passées entre nous.
Ses yeux croisent les miens, et je sais que lui aussi repense au nous d’avant. Aujourd’hui il me déteste plus qu’il ne m’aime, moi je l’aime autant que j’ai envie de lui tordre le cou.
- Je serai heureux d’y retourner.
La voix de Joseph brise le lien entre nous et je détourne le regard, gênée.
- Rien ne t’empêche de les accompagner. Les vacances te feront du bien.
Sa voix a perdu toute la froideur qui m’a gelée dans la nuit.
- Je vais y réfléchir. Ce serait vraiment reposant.
On continue de parler dans la bonne humeur et au bout d’un moment, je vais voir où en est le repas. Moins d’une heure plus tard, Amaya rentre et nous passons à table. Directement après le déjeuner, Imani et son père s’en vont, Amaya ressort avec Joseph et moi je vais m’isoler dans ma chambre. Je m’endors une fois la tête sur l’oreiller, et n’ouvre les yeux qu’à la nuit tombée. Je me lève à peine du lit quand mon téléphone sonne. Mon cœur s’affole comme à chaque fois que je l’entends. Je manque tomber à la renverse quand je vois que c’est Jason.
Qu’est-ce qui se passe ? Je n’attendais pas son appel avant demain.
- Jason ? Ca va ?
- Je me suis enfui
- Pardon ?
Il chuchote, je ne suis pas sûre d’avoir bien entendu
- Viens me cherchez s’il te plait.
Je me redresse de tout mon séant, la main contractée sur ma poitrine.
- Comment ça tu t’es enfui ?
- Ils me cherchent partout.
Je me souviens qu’on n’a pas beaucoup de temps.
- Oh mon Dieu. Tu es où ?
- Vers la Gare, il y a des vieux bâtiments et des grillages partout, mais je vois la route en haut.
Il voit la route en haut ? Je me lève rapidement. Le téléphone fixé entre l’épaule et l’oreille, je m’habille aussi vite que je peux.
- Tu as encore la batterie ?
Je l’imagine en train d’éloigner l’appareil pour vérifier.
- 60%, me répond-il seulement.
- OK…
Je réfléchi à tire-d’aile. Je n’ai pas envie de couper l’appel, mais te rappel, mais il nous faut au maximum préserver la charge. Ce serait bête que nous soyons coupé de tout contact maintenant qu’il y’a une ouverture.
- Tu me fais confiance poussin ? Je lui demande, la voix douce.
Il me répond sans une hésitation
- Oui.
- D’accord… Tu es bien cacher ?
- Ils ne peuvent pas me trouver là où je suis.
- Très bien… Tu ne bouges pas de là, d’accord ?
- D’accord.
- Je vais raccrocher, mais je te promets que je te rappelle une fois que je suis à la gare.
Il bégaye un instant, et je sens l’incertitude le gagner.
- Jason calme-toi, je te jure que je viens. Il faut que tu restes joignable, c’est pour préserver ta charge que je vais raccrocher… J’ai besoin que tu restes joignable. OK ?
- Tu promets ?
- Sur ma tête… Je t’aime mon bébé.
Je n’ai pu m’empêcher, et il n’a pas protesté. Je raccroche, le visage inondé de larmes. Sans perdre une seule seconde, je descends. Aba n’est nulle part. C’est bien ma chance ça, il fallait que ce soit aujourd’hui qu’il disparaisse. Je rejoins les lumières de la cité assez rapidement et mets le cap vers la gare. Une fois sur place, je lance l’appel. Il décroche à la première sonnerie.
- Tu vois la gare à ta gauche où à ta droite ?
- A gauche.
- Et la route ?
- Du même côté que la gare, mais ça me semble loin.
J’essaie de le situer, mais ça ne m’avance pas à grand-chose. L’endroit où mon regard atterrit est plongé dans une noirceur effrayant.
- C’est encore un peu vague Jason. Je sais que c’est dur, mais essaie d’être encore plus précis. Tu ne reconnais vraiment rien ?
Il souffle un faible non, la voix complètement brisée. Je suis gagnée par le découragement. SI près du but, et pourtant si loin en même temps. Je respire un bon coup, avant de me résoudre à chercher à savoir comment faire pour me retrouver là-bas.
- Reste avec moi, et ouvre l’œil. Si un truc te semble particulier, tu me le dis. N’importe quoi, ça peut être utile.
Je mets le haut-parleur et redémarre en allant cette fois plus lentement. Au premier rond-point, je tourne à droite et m’engage sur une route bitumée. Je ne perds rien à essayer à l’aveuglette.
Je tourne en rond depuis presque une heure et je sens l’abandon tout proche. J’ai déjà fait plusieurs ruelles, et pour la plus part c’était des culs de sacs. Même la voix de Jason a perdu de son intensité. Je me sens complètement frustrée. Je me gare et arrête le moteur un instant. J’éteins les phares et pose ma tête sur le volant.
- Il ne me reste plus beaucoup de batterie.
Sa voix est abattue et à peine audible.
- Je me doute bien… Comment tu te sens ?
- J’ai froid.
J’écrase une larme solitaire qui descend sur ma joue.
- Je suis désolée mon chéri.
- Ce n’est pas de ta faute, au moins tu as essayé.
Il parle comme si la fin est proche, et je ne peux me résoudre à l’accepter.
- Il n’y a vraiment rien de particulier dans le coin où tu te caches ?
- Non, il n’y a que des hautes herbes, des hangars fermés, des grillages et cette odeur de chocolat qui me rappelle que j’ai faim.
Je souris doucement.
- On ira finir la nuit dans le fast food de ton choix.
Il rigole
- La dernière fois que tu as mangé c’était quand ? Je demande quand son rire s’éteint.
- Dans la matinée, un des gardes m’a apporté du pain sec et du lait.
Je serre les poings en essayant de garder la face.
- Tu les entends ?
- Non, tout est calme. Ils doivent me chercher plus loin…
Ca me redonne du courage d’entendre ça. Je me redresse, plus déterminée que jamais et me remet à sillonner les ruelles, les unes après les autres. Je me souviens de l’odeur qu’il a évoqué un peu plus tôt et baisse légèrement ma vitre, dans l’espoir de la sentir moi aussi, mais rien.
- Je vais essayer de sortir d’ici.
- Non ne fait pas ça.
- Mais il n’y a plus personne, je le sens.
- Non Jason, ne bouge pas de là. Je vais finir par te trouver.
Le silence me répond, et je vérifie vite s’il est encore avec moi.
- Jason ?
- Je sais que tu ne me retrouveras jamais.
L’anéantissement me frappe de plein fouet, je sais qu’il a raison.
- Ne dit pas ça…
- Je vais rejoindre la gare.
- Non ne fait pas ça… Attend-moi, j’arrive.
- Merci…
- Jason ! Je crie en posant brutalement le pied sur le frein.
- Je t’aime.
Il a raccroché.
Je hurle de toutes mes forces et l’instant d’après mon téléphone se remet à sonner. C’est Uhu. Je laisse sonner, et me remet à chercher plus ardument. Il faut que je le trouve avant eux, je dois le retrouver avant qu’il ne soit trop tard. De nouveau le téléphone sonne et je finis par l’éteindre, la boule au ventre.
Le temps passe, mais je n’abandonne pas. Le désespoir me mine, mais je continue de rouler. Mes larmes m’aveuglent, mais ne m’empêchent pas de le chercher partout. Les phares balaient les bosquets, mais toujours rien. Je m’engage dans la zone industrielle quand un coup de feu vient troubler le silence, pas très loin.
- Seigneur !
Le bon sens me souffle de faire demi-tour, mais je ne l’écoute pas. Jason a besoin que je sois courageuse pour lui.
- Où es-tu ?
Comme s’il pouvait m’entendre.
A 500 mètres se trouve un carrefour, je m’apprête à le traverser quand je vois un pickup noir s’arrêter devant un portail coulissant. Les feux arrières sont allumés et la portière avant ouverte. Je freine et baisse automatiquement mes phares. J’observe la scène un moment, et je veux repartir quand un bruit sourd m’arrête. Le portail s’ouvre et 3 hommes armés sortent. L’un d’entre eux porte un fardeau qui attire mon attention. C’est une silhouette frêle. Jason ! Ca ne peut-être que lui. La voiture démarre sur des chapeaux de roues, disparait au coin de la rue. Je sors de ma paralysie et tente de les rattraper avant qu’ils ne disparaissent.
La chasse à l’homme dure jusqu’à ce qu’on se retrouve dans la circulation du côté d’Obama Estate. Mes oreilles sifflent et je sens l’adrénaline dans mes veines. Je ralenti un peu, mais ne les lâches pas des yeux. On prend Mombasa road jusqu’à South B, et ce n’est qu’une fois que je reconnais Nairobi west que je comprends qu’on va vers Kibera.