Chapitre 16

Write by leilaji

The love between us


Chapitre 16


Qu’il est loin le temps où, pour répondre à ce genre de provocation, je disais à mon partenaire du moment : baise la un coup qu’on n’en parle plus. Je rigole nerveusement car je suis incapable de dire pareille chose à Pierre. Enfin pour être plus précise, je pourrai le dire. Mais surement pas avec la même désinvolture qu’avant. Ça fait mal d’aimer quelqu’un qui peut à tout moment vous échapper. Ça fait mal de tenir à quelqu’un et de se sentir comme une merde dès qu’il pose les yeux sur une autre.  


Qu’il est loin le temps où, je pouvais me permettre de me mettre en rogne et foutre le camp le plus vite possible pour ne plus avoir à supporter ce genre de situation. Parce que je pense que la personne qui a dit que l’homme est un loup pour l’homme a oublié de préciser à quel point la louve était elle dangereusement plus futée et complexe. Une femme qui veut coucher avec ton mec, c’est comme un missile à tête chercheuse. Tant que tu ne le détruis pas, il continuera à tout prix à poursuivre sa cible. Les mecs eux n’ont pas la même opiniâtreté. Ils agissent comme de vieux pièges quand ils veulent une femme alors que leur lit est encore tiède du corps assoupi de celle qui partage leur vie. Ils aiment tenter leur chance. Si ça marche tant mieux, si ça ne marche pas tant pis Comme les vieux pièges, ce n’est que lorsqu’on les oublie et qu’on passe à côté d’eux, qu’on tombe dans le piège. Mais les femmes elles, n’abandonnent pas. Ce sont de vrais missiles.    


Maintenant, je dois penser comme une femme et non plus comme une petite fille apeurée par la possibilité qu’une autre enfant dans la cour de récré lui pique son jouet du moment. Je dois protéger mes intérêts mais surtout ceux de mon garçon. Et ce sentiment, ce besoin que j’ai de lui donner tout ce que je pourrai pour qu’il soit le plus heureux possible me rassure. J’ai traversé cette grossesse comme d’autres achètent une nouvelle chaussette. Ça n’a rien changé  à ma vie. 


Je n’ai peut-être pas sauté de joie en apprenant son existence mais maintenant je suis prête à jouer mon rôle auprès de lui. Ça veut dire que finalement, je suis une mère comme toutes les autres. Et comme toutes les mères, l’intérêt de mon bébé prime sur tout le reste alors qu’il n’est même pas encore né. Ce qui est bon pour lui, c’est d’avoir son père à ses côtés n’est-ce pas ? Jamais au grand jamais, je ne lui ferai vivre ce que j’ai moi-même vécu. Personne d’autre que moi n’élèvera mon enfant.


Le téléphone vibre et une autre photo apparait. Je ne la regarde même pas et me contente d’envoyer la première photo dans ma boite mail. Je m’occuperai de tout cela plus tard, pour le moment, le plus important c’est de savoir ce que Pierre veut et si c’est à cause d’elle qu’il ne me touche plus comme avant. 


Je suis incapable d’aller dormir dans la chambre sans lui alors qu’il est dehors à faire je ne sais quoi. Depuis qu’on vit ensemble, je ne m’étais encore jamais retrouvée dans ce type de situation. Je m’assois sur l’une des marches de l’escalier et repense à ma vie, à la direction qu’elle prend, à ce que je regrette et à ce que jamais je ne changerai. C’est fou comme on fait des projets lorsqu’on est jeune et qu’ils sont vite balayés par les aléas de la vie. J’ai toujours cru qu’Idris serait là pour mon premier bébé que j’aurai hypothétiquement eu à 40 balais au moins évidement. Pas qu’il en serait le père mais qu’il serait là mon monsieur je sais tout, à me dire comment l’attraper, comment le nourrir et surtout comment l’aimer sans avoir peur de l’abimer au passage. Il me manque dans les moments cruciaux de ma vie. Qu’est-il devenu ? Est-il heureux avec sa femme comme moi je le suis avec Pierre ? Du moins quand aucune conasse ne lui court après et surtout qu’il oublie de jouer les machos de service. C’est dingue que dans une si petite ville, on n’ait pas réussi à se croiser même une seule fois par hasard. Ca prouve bien qu’il fallait tourner la page. 


Petit à petit, à mesure que je replace tout doucement tous mes souvenirs communs avec Idris dans la boite à oubli dans ma tête, là où j’ai placé mes moments les plus douloureux avec ma belle-mère ou le pasteur, mes paupières s’alourdissent et je m’enfonce peu à peu dans un sommeil peuplé de femmes qui me tirent de toutes parts.


Lorsque je me réveille, il fait presque jour et j’ai un torticolis de malade. Je n’arrive pas à croire que j’ai passé la nuit dans les escaliers et surtout que Pierre n’est pas rentré. A moins qu’il m’ait délibérément laissé là. Non. Jamais il ne pourrait être mesquin à ce point, même après une dispute. C’est bien l’une de ses qualités de pardonner facilement. Et c’est aussi ce qu’il attend en retour. Qu’on lui pardonne aussi. Facilement. 

Est-ce qu’il ne s’est pas rendu compte qu’il a pris mon téléphone et que j’ai donc forcément le sien ? Ou lors il s’en fout complètement ! C’est aussi une option. Mon cœur se serre à cette idée. Depuis qu’il a commencé avec ses délires de : tu es enceint donc je dois prendre soin de toi, la communication passe mal entre nous. Je me lève un peu maladroitement et regarde tout autour de moi. Il n’est pas là. Je ne ressens pas vraiment le poids de mon ventre mais il a parfois tendance à me tirer vers l’avant sans que je ne m’en rende compte. Je descends prudemment les trois marches restantes pour aller boire de l’eau à la cuisine. J’inspire profondément pour dissiper la colère qui peu à peu s’empare de moi. Il n’est pas rentré de la nuit ! Alors que je suis enceinte ! Je m’empare d’une poêle et la sous-pèse un peu. Il va s’en prendre une.    

Comme je ne suis pas le genre à mariner longtemps dans la frustration, je l’appelle sur mon propre numéro et me rends compte que la sonnerie résonne non loin de moi. C’est étrange. Je fais une nouvelle fois sonner mon téléphone. Ça ne sonne pas dans la pièce mais c’est quand même une sonnerie qui est proche de moi. Ce n’est que lorsque j’ouvre la porte centrale que je le vois, assis devant la porte, les yeux fermés et mon téléphone posé près de lui. Je n’ai même pas besoin de me rapprocher de lui pour deviner qu’il a bu et pas qu’un peu. 


— Tu as un message de ma mère, dit-il sans se retourner.

— Et toi un message de Carter la désespérée. 

— Tu ne veux pas savoir ce que maman te dit ? 

— Et toi ? Tu ne veux pas savoir ce que Carter te montre ?

— Je te parle de maman et toi tu délires sur Carter. Pourquoi elle vous obsède toutes ?

— Toutes ? 

— Maman et toi. Lis le message, il va te plaire.


Je m’accroupis pour ramasser mon téléphone et lui tends le sien. Le message de sa mère est très clair et serait presque amusant s’il n’était pas aussi juste. « Je n’ai pas franchement aimé la fille qui est venue la dernière. En plus c’est bien le genre que mon fils aime. Pardon Manu, tiens la à distance ». Sacrée Irène, on ne peut pas la traiter d’hypocrite au moins. Ça fait du bien d’avoir une alliée comme elle. Je suis sure qu’elle me pardonnera si je donne un bon coup de poêle à son fils chéri pour ne pas être rentré de la nuit. 


— T’es bourré ? 

— Un peu. Mais pas trop. 

— Un peu et pas trop, ça veut dire la même chose Pierre. 

— J’ai juste mal à la tête et un peu envie de vomir si tu préfères.  

— Tu as dormi ici ou tu viens de rentrer ?


C’est une question piège. Je suis certaine qu’il vient à peine de rentrer et que c’est le vrombissement du moteur qui m’a réveillée. De toute manière en posant la main sur le capot je pourrai le vérifier.  


— Je viens de rentrer mais …


Je suis soulagée à l’idée qu’il ne tente pas de mentir. Parce que les pires ce sont ceux qui te trompent et continuent de te mentir pour la simple raison qu’ils ne veulent pas passer pour le gros connard qu’ils sont à tes yeux. 


— Mais ?


Il lève enfin la tête vers moi pour me répondre. Mon cœur se serre parce que je ne sais pas ce qu’il a foutu de la nuit mais j’ai quand même envie qu’il me sert dans ses bras. Je suis pathétique. J’espère que ce sont les hormones de grossesse  qui me rendent ridicule à ce point et que ce n’est pas mon cerveau qui se ramollit à cause des sentiments que j’ai pour lui.  


— J’avais trop honte de moi pour rentrer me coucher auprès de toi et j’avais aussi besoin de réfléchir un peu. 


Nos regards se croisent. Enfin. Mes mains tremblent alors je sers mon téléphone plus fort pour qu'il ne devine pas à quel point sa réponse pourrait me dévaster. Et je pose la question qui tue. 


— Où étais-tu ? 

— Je n’ai pas couché avec elle si c’est ce que tu veux savoir.

— OK. Et je dois te croire sur parole ?

— Pourquoi je mentirai ?

— Regarde dans ton téléphone.


Au moins cette fois-ci, il ne sent que l’alcool et pas un parfum féminin. Il s’empare de l’appareil et moi je ne le quitte pas des yeux. J’observe et interprète chaque micro réaction sur son visage. A la vue de la photo, il éclate de rire. 


— Qu’est-ce que tu trouves drôle ? 

— C’est le genre de photo que j’aimais recevoir quand j’étais avec mon ex. Crois-moi il n’y a rien de mieux qu’une femme qui sait que tu es avec quelqu’un et qui a quand même envie que tu la sautes. 

— Et tu le dis comme ça ! 

— Parce que c’est vrai Manuella. C’est ce qu’on aime la plupart du temps nous les mecs. Quand tu as déjà trouvé une femme loyale avec qui fonder ta famille et qu’il y a une chaudasse bien gaulée qui te court après. 

— Tu continues !

— Je suis bourré … enfin, un peu bourré … et s’il y a bien un truc que je peux te dire maintenant et être sûr de regretter après c’est pas ça dit-il en rigolant bêtement. 


Puis il me fait signe de m’approcher et j’entre dans son jeu sure que tout ça va mal se terminer parce qu’il va se prendre la poêle dans la gueule dans quelques minutes. 

 

— T’es une grande file maintenant, je peux te dire la vérité hein ! 

— Vas-y.


Il pose un doigt sur mes lèvres et me regarde intensément. 

 

— Personne, je dis bien personne ne me baise comme toi, quand t’as envie. Quand t’as pas envie t’es nulle c’est vrai. 


Il s’arrête l’air de réfléchir à la suite de la conversation ou à la teneur de ses propos. 


— Et moi aussi, parce que quand t’es nulle, ça me rend nul aussi. Mais quand t’as envie Manuella, quand t’as envie, je pourrai vendre mon père pour ça.

— Tu ne connais même pas ton père. 

— Raison de plus pour le vendre et obtenir une nuit chaude avec toi.   

— Je ne sais pas ce qui me retient de t’assommer avec cette poêle. 


Il ne dit plus rien, ferme les yeux. Peut-être qu’il s’est endormi. Je regarde ma poêle et sa tête. La conversation n’est pas terminée vu que je ne sais toujours pas où il était. J’ai le droit de le réveiller d’un bon coup ?  Je retourne dans la maison et en ressors avec un verre d’eau pour lui. Plutôt que de le boire, il se lave le visage avec.

 

— Assomme-moi si tu veux, peut-être que ça m’aidera à remettre mes idées en place. La dispute d’hier était moche hein. 

— Tu m’as fait du mal. J’avais vraiment l’impression que tu me traitais de pute.   

— Je suis désolée pour les conneries que j’ai dites Manuella. C’est juste que parfois, je ne sais pas comment m’y prendre avec toi pour que tu comprennes à quel point je t’aime et je tiens à toi.

— Tu me le prouves en rentrant dormir que tu sois fâché ou pas. Moi quand tu m’énerves je t’ignore tout simplement, je ne me tape pas des soirées dehors avec je ne sais pas qui. Avant c’était aussi mon truc ça, mais j’ai grandi. Grace à toi. Ne me le fais pas regretter Pierre, tu vas être papa et moi maman. On n’a aucune expérience. On ne peut plus se permettre de ne pas être une équipe.    


Il s’essuie le visage avec son tee-shirt.


— Je suis allé boire avec d’anciens potes, explique-t-il en se tournant vers moi. Parce que pendant un bref instant mon ancienne vie m’a manqué. 


J’ai mal quand il dit ça. Parce que moi je ne faisais pas partie de son ancienne vie. 


— Et c’était bizarre. Parce que je ne me sentais pas moi-même, je n’étais pas heureux de me sentir enfin seul avec mes amis comme je l’espérai. En réalité je me suis vite ennuyé et j’ai commencé à beaucoup trop boire.

— Et c’est là où tu l’as vu et comme tu n’étais pas dans ton état normal…

— Mais qu’est-ce que tu racontes ? 

— Dans un film c’est comme ça que tu justifierais ta nuit dehors…

— Calmos Madame, je n’étais pas avec elle. J’étais juste avec mes potes et c’est tout. Et c’étaient tous des célibataires. Ils ont passé leur temps à donner leur numéro, à en prendre d’autres… et moi je buvais encore et encore… et un moment j’étais tellement saoul que je ne faisais que leur demander, où est Manuella? Je ne m’en rappelle même pas. C’est eux qui me l’ont raconté un fois qu’ils m’ont jeté hors de la voiture. Mais bon, ils ont été sympas, ils m’ont ramené… J’ai vomi dans les buissons là-bas. 

— C’est le jardinier qui va être content aujourd’hui, je lui fais remarquer en réprimant une grimace de dégout.

— Et j’ai compris que tu allais m’atomiser si je rentrais dormir dans cet état après notre dispute. Je voulais cuver un peu d’abord.

— Donc tu t’es planqué devant la porte. 

— Ouais.

— T’es vraiment con. J’étais inquiète et je t’ai attendu et je me suis endormie dans les escaliers à force de t’attendre. Tu dis que tu es un homme et que c’est en tant que chef de famille que tu dois me protéger et prendre soin de moi mais à la première dispute séreuse, tu te tires et tu rentres bourré. Tu te le permets à un moment où je me sens comme une merde avec ce ventre bizarre, et cette folle qui te court après alors que tu ne me touches même plus.          


Il soupire et se frotte le visage dans tous les sens pour se réveiller. 


—  J’ai peur de faire mal au bébé quand je te touche ou quand j’ai envie de toi …

— Tu ne peux pas idiot. Le bébé et protégé. 

— Je le sais pourtant. C’est une peur irrationnelle Manuella. Le pire c’est quand il bouge dans ton ventre. Je suis à la fois heureux et complètement terrorisé. 

— C’est à moi que tu fais du mal en te tenant physiquement loin de moi à chaque fois que je suis nue. 

— Manuella, tu es restée toute mince avec ce ventre tout … biscornu, ça me fait flipper.


J’éclate de rire parce qu’il a vraiment l’air angoissé par cette histoire. 


— Et tu ne pouvais pas tout simplement me l’avouer plutôt que de me laisser imaginer des trucs …


Je prends sa main et la pose mon ventre. Il se laisse faire et pose sa tête sur mon épaule. En cette matinée fraiche, ce contact me fait du bien. J’ai un peu mal au coup étrangement. Il caresse mon ventre et j’ai l’impression que le bébé fait un tour sur lui-même. Comme si une vague venait de s’écraser contre les parois de mon ventre. C’est toujours bizarre comme sensation. Il enlève sa main dès que le bébé donne un coup et moi je le rassure et lui dis que ça ne me fait pas mal du tout. Quelque part, ma crispation sur cette grossesse l'a peut-être empêché aussi de la vivre pleinement. Je tenais tellement à garder ma vie telle qu’elle était que je ne l'ai associé à quasiment rien au final. Il n’a été présent que pour la première échographie. Je suis allée toute seule aux autres séances. Mais bon sa mère n’était jamais loin et je trouvais qu’elle était plus utile que lui.  


— Je ne veux pas que tu penses que je vais te faire le coup de la reine mère noire, murmure-t-il tellement bas que je crois avoir rêvé la phrase.

— Quoi t’es encore bourré ou quoi? 

— Nah, c’est bon là. 

— OK. On peut rentrer maintenant ? 


Il me sert plus fort. Je crois qu’il a encore des choses à me dire alors je reste. 


— Le syndrome de la reine mère noire, c’est ma mère qui a une fois parlé du concept et ça m’est resté en mémoire. C’est le fait que les femmes noires ont toujours l’impression que se mettre en couple avec quelqu’un et obtenir l’amour de cette personne doivent résulter d’un hunger game. Une lutte acharnée contre les ex qui veulent reprendre leur place, ou les nouvelles qui veulent leur piquer leur place, ou encore la lutte contre la famille qui ne t’aime pas… survivre à tout ça pour pouvoir enfin mériter le mec qui t’aura laissé souffrir toutes ces batailles pour lui prouver que tu mérites LA PLACE, qu’on peut enfin t’élever au rang de reine. 

— OK je comprends. 

— J’ai fait ça une fois et vois où ça m’a mené. Elle a couché avec mon meilleur ami en représailles. Je ne le ferai pas deux fois crois-moi. Je ne vais pas déconner Manuella. Pas avec toi. Je veux être là pour notre bébé, je ne vais pas jouer avec tes sentiments. Je sais que tu es le genre à te barrer, que tu te débrouilles très bien toute seule. Suis pas con à ce point.


Je pose ma main sur la sienne et la caresse doucement. 

 

— Mon père, ce connard, il s’est tiré au moment où elle était … fragile, le moment où il aurait pu lui prouver qu’il est un homme, un vrai. Je ferai mieux que lui. Je prendrais soin de toi, tu ne manqueras de rien. Je sais que j’exagère parfois dans mes réactions mais je ne veux pas que tu vives ce que ma mère a vécu. Elle lavait le linge de ses voisines pour un peu de nourriture alors qu’elle avait ses cours aussi. Elle m’a dit qu’elle a eu de la chance parce que sa seule envie de grossesse c’était la glace à l’oseille. Et que ça ne coutait que cinquante francs chez le boutiquier de son quartier. Elle n’avait personne pour lui acheter ce qu’elle voulait manger. Il lui fallait toujours elle-même penser à mette de côté deux ou trois pièces pour qu’elle puisse s’acheter sa glace. Je veux que tu glandes autant que tu le veux, que tu me demandes tout ce qui te passe par la tête, même tes désirs les plus loufoques… je ferai tout.   

— Je le sais Pierre. 


Je le comprends enfin. C’est peut-être à cause de ça qu’il sur réagit. On aurait dû parler de tout ça depuis. Je me suis concentrée sur ma relation avec l’enfant en oubliant que lui aussi devait nouer cette même relation avec cet enfant. 

 

— Je ne veux pas être comme mon looser de père et te laisser tomber comme mon père l’a fait avec ma mère.       

 

Il ne m’avait encore jamais avoué cette peur. Je le pensais inébranlable. En réalité c’est loin d’être le cas. 


— Donc je n’ai rien à craindre de Carter.

— Carter est ma collègue et de surcroit la fille de mon boss. Je ne peux pas la virer de l’horizon sans risquer des problèmes au boulot. Mais je vais gérer ça t’inquiète.

— Sincèrement Pierre, gère ca avant que je ne m’énerve. Parce que sinon, enceinte ou pas, je vais lui casser la gueule à ta collègue. 


Je me lève et lui tends la main pour l’aider à se lever à son tour. Il le fait tout en ramassant la poêle au passage. 


— Tu voulais vraiment m’assommer avec ça ? 

— Teste moi et tu verras la prochaine fois, je lui réponds de manière tout à fait énigmatique. 


*

**


Il me reste encore une dernière visite. Nous sommes le 7 et je dois accoucher le 10. Mais moi j’ai l’impression que le 10 c’est dans 20 ans. Je n’ai aucune idée de comment les choses se passeront le jour J et pour le moment ça ne me perturbe pas plus que ça. Etrangement ce matin, il n’y a pas beaucoup de patientes dans la salle d’attente. Le docteur me reçoit très rapidement. C’est un vieux monsieur qui m’a été conseillé par la mère de Pierre alors j’ai toute confiance en lui. Il est doux et patient et chante des louanges en parlant avec son infirmière. Au bout de 20 minutes de consultation, il m’apprend qu’il n’aime pas trop quand le placenta vieillit et qu’il veut me faire accoucher aujourd’hui. Au début je ne panique pas, parce qu’au fond, je ne comprends pas l’urgence. Ce n’est que lorsqu’il me demande de contacter le père de l’enfant que je me rends compte à quel point il est sérieux. 


Je n’ai pas mes affaires, le fameux sac à apporter avec soi en salle d’accouchement contenant toute la liste des trucs à acheter en pharmacie parce que les cliniques ne les fournissent pas. Je compose le numéro de Pierre, pour lui dire que le médecin me garde mais je tombe sur son répondeur. 


Le docteur donne des instructions à son infirmière et je reçois une injection de je ne sais pas quoi censé activer les choses. Je n’ai même pas donné mon accord pour accoucher aujourd’hui. 


Ce qui me fait peur c’est que ce n’est que maintenant que je me rends compte que je ne suis pas prête à accueillir un bébé. Je ne sais pas ce qui m’attend, comment je dois me comporter, je suis complètement perdue. Un bébé va sortir aujourd’hui de mon ventre. 


L’infirmière me conduit en salle d’accouchement. Je suis en robe avec un foulard attaché sur mes cheveux parce que j’avais la flemme de me peigner. La vieille robe de maison en pagne que Pierre a voulu jeter plus d’une fois. J’appelle une nouvelle fois Pierre tandis que l'infirmière me sourit pour essayer de me détendre.  


— Ça ne fait toujours pas mal ? 

— Non.


Elle consulte sa montre et fronce les sourcils. Ça devrait me faire mal ? Ben oui idiote. D’habitude les femmes hurlent non pour accoucher. J’ai l’impression que tout ca c’est un peu trop pour moi. Je devrais être en pleine panique non !  Pourquoi je suis aussi détachée. 


— OK. On va attendre un peu alors. 


J’en profite pour regarder la salle. Elle est plus petite que les salles que je vois dans les films mais au moins elle est propre. 


— Si le papa ne peut pas être là, appelez quelqu’un d’autre, me conseille l’infirmière. Je vais aller appeler la sagefemme.  


Je suis prête à taper Carter, oh ça oui. 

Je suis prête à faire des heures sup au boulot. Mon boulot c’est toute ma vie.

Je suis prête à aimer Pierre toute ma vie. Oui, c’est vrai, sauf que j’ai oublié de le lui dire hier quand il m’a tendrement embrassé avant de s’endormir la main sur mon ventre.  

Je suis prête à lui avouer qu’il est l’homme de ma vie. Qu’il mérite chaque grain de sentiment que je nourris envers lui. 

Je suis prête à lui dire que j’en ai bavé pour oublier Idris. Que c’était comme m’arracher le cœur de la poitrine même si je cachais ma douleur. Mais qu’il a été d’une telle patience envers moi que je ne pouvais que l’aimer en retour pour tout l’amour dont il m’a inondée sans jamais rien réclamer. 

Je suis prête à lui dire tout ça. 

Mais je ne suis pas prête pour accoucher. 

Surtout si Pierre n’est pas là.

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