
Chapitre 16 : Fissures
Write by Une vie pleine de péripéties
Un mois plus tard
L’air dans l’appartement de Karl était lourd, presque oppressant. L’ambiance, d’habitude légère et pleine de complicité, avait changé. Le silence qui suivait leur moment intime semblait en dire long. Sherie, encore allongée sous les draps, fixait le plafond, son cœur battant plus vite qu’il ne devrait. Elle n’était pas certaine de ce qu’elle ressentait, mais une sensation de vide commençait à l’envahir, la même sensation qu’elle avait ressentie deux semaines plus tôt, lorsqu’elle avait vu Karl s’éloigner sans raison apparente.
Karl, de son côté, était déjà en train de se rhabiller après
avoir pris sa douche. Il ne semblait même pas remarquer l’atmosphère tendue, et
sa gestuelle rapide, presque mécanique, ajoutait encore plus de confusion à la
situation. Il avait l’air distant, comme s’il s’efforçait de reprendre une
normalité qu’il ne pouvait plus atteindre. Et c'est justement ce genre de
situation qu'il s'était toujours évertué a éviter.
Sherie, encore allongée, se tourna vers lui, un regard
inquiet dans les yeux. Elle se redressa légèrement, ses mains croisées sur ses
genoux.
— "Karl... pourquoi est-ce que tu agis comme ça ?"
demanda-t-elle d’une voix douce, presque tremblante.
Il s’arrêta un instant, comme s’il avait été pris au
dépourvu, mais il évita son regard, se concentrant sur sa chemise qu’il
boutonnait d’une manière presque trop précipitée.
— "Agir comme quoi, Sherie ?" répondit-il, d’un
ton presque indifférent. Il était bien loin de l’homme affectueux qu’il avait
été il y a quelques semaines.
Elle se leva doucement du lit, une sensation de malaise
montant en elle. Elle s’approcha de lui et posa une main sur son bras, mais il
se dégagea doucement et imperceptiblement.
— "Tu sais très bien ce que je veux dire. Après ce
qu'on a partagé, après ce qu’on a vécu ensemble, tu t’éloignes. Tu sembles me
fuir, Karl." Sa voix se brisa légèrement, pleine d'émotion contenue.
"Je croyais qu’on était sur la même longueur d’ondes, qu’on voulait la
même chose."
Karl se tourna enfin vers elle, ses yeux un peu fuyants,
mais aussi marqués par une forme de confusion. Il inspira profondément avant de
parler.
— "Sherie, je... je ne suis pas prêt pour ça. Pour plus
que ce qu’on vit ici. C’est... ça devient intense, c’est compliqué." Il se
frotta la nuque, une expression de frustration sur le visage. "Je n’avais
pas l’intention de... t'impliquer plus que ça."
Le cœur de Sherie se serra à l’entente de ces mots. Elle le
regarda, choquée, une douleur vive la traversant.
— "C’est ce que tu voulais, non ?" lança-t-elle,
ses yeux s’embuant de larmes qu’elle s’efforça de retenir. "Tu m’as dit
que tu ne voulais pas de relations sérieuses, mais moi je pensais qu’on était
bien, qu’on était... . Je pensais que... que tout était clair."
Karl ferma les yeux un instant, comme s'il voulait échapper
à la confrontation. Il se leva alors et s’approcha de la fenêtre, observant
l’extérieur sans vraiment voir.
— "Je suis désolé, Sherie, mais je ne peux pas t’offrir
plus que ça. Je n’ai jamais voulu te faire du mal, mais je crois que j’ai été
trop égoïste." Sa voix était pleine de regrets, mais aussi de culpabilité.
"Je ne suis pas fait pour être en couple, vivre une histoire d'amour sans
fin.. Je ne veux pas te retenir, mais je ne peux pas non plus... te donner ce
que tu attends de moi."
Les paroles de Karl frappèrent Sherie de plein fouet. Elle
se sentit étranglée par la déception, par la confusion. Ce n'était pas la
première fois qu’il se montrait aussi honnête, aussi brutalement sincère. Mais
cela ne faisait qu’accentuer la douleur de l’instant.
Elle se tourna vers lui, les larmes aux yeux.
— "Tu veux juste qu’on continue à jouer, Karl ? À faire
comme si rien ne comptait ?" demanda-t-elle, sa voix tremblante d’émotion.
"Tu as passé tout ce temps à me dire que je comptais pour toi, que je...
j’étais différente. Et là, tu me rejettes comme si je n’étais rien., je ne
comprend plus rien"
Il tourna lentement la tête vers elle, l’air peiné, mais
toujours aussi fuyant.
— "Sherie... C’est juste que je ne suis pas prêt. C’est
tout. Tu mérites mieux que ça. Je ne peux pas être celui que tu veux que je
sois."
Un silence lourd s’installa entre eux. Sherie sentait la
colère monter en elle, un mélange de frustration, de tristesse et
d’incompréhension. Elle ne voulait pas rester là à l’écouter, à se laisser
envahir par cette sensation de vide qu’il venait de créer. Elle s’éloigna du
lit, se rhabilla à la hâte, se dirigea vers la porte, et tourna la poignée.
— "Je crois que c’est mieux si je m’en vais."
dit-elle d’une voix ferme, mais brisée.
Avant qu’il n’ait eu le temps de répondre, Sherie quitta
l’appartement en silence, ne laissant derrière elle qu’une ombre de ce qui
avait été partagé quelques instants plus tôt entre les deux amants.
(Deux heures plus tard)
Le bureau de Karl était plongé dans une atmosphère pesante.
L'odeur du café fraîchement préparé par sa sécrétaire flottait dans l'air, mais
Karl n’arrivait pas à se concentrer sur quoi que ce soit. Ses yeux restaient
fixés sur son écran d'ordinateur, sans vraiment le voir. La dispute avec
Sherie, ses paroles pleines de douleur, tournaient en boucle dans sa tête. Il
n’arrivait pas à faire abstraction de tout ça. Chaque minute qui passait
l’enfonçait un peu plus dans un mal-être qu’il avait toujours redouté.
Il détestait cette sensation de vulnérabilité. Depuis qu’il
avait pris la décision de ne jamais se laisser totalement aller, de toujours
garder une distance, il avait toujours été maître de ses émotions. Mais
aujourd’hui, il avait l'impression d’avoir franchi une ligne, et ce n’était pas
en faveur de son bien-être. Il se sentait comme un homme déchiré entre deux
mondes, pris au piège de ses propres contradictions.
Un coup sec sur la porte brisa le silence pesant de la
pièce. Sa secrétaire entra sans attendre, un air légèrement gêné sur le visage,
car il lui avait dit qu'il ne voulait recevoir personne.
— "Monsieur , Sandra est là elle insiste pour vous
voir," annonça-t-elle, tout en notant l’agitation dans le regard de son
patron.
Karl leva les yeux, un soupir échappant de ses lèvres. Il
n'avait vraiment pas envie de voir Sandra, pas maintenant. Mais il savait que
refuser ne ferait que compliquer les choses.
— "Très bien, faites-la entrer," dit-il d’un ton
las, bien que l’agacement fût clairement perceptible.
Quelques instants plus tard, Sandra entra dans le bureau
avec sa démarche pleine de confiance, son sourire éclatant comme toujours. Elle
était charmante, dans cette robe blanche légèrement décolleté et moulante
laissant deviner les magnifiques courbes de son corps, des escarpins rouges sur
lesquels elle se déplaçait avec aisance tout en étant un peu trop sûre d’elle
pour que Karl ne le remarque pas.
Karl se força à la regarder, à sourire poliment, bien que
son esprit soit toujours avec Sherie.
"Karl," dit-elle d'une voix douce, mais
ferme, en se posant sur la chaise en face de lui. "Je voulais te
parler... J'ai vraiment été mal reçue par ta secrétaire. J'espère que tu
prendras des mesures pour que cela ne se reproduise plus. Comment vas-tu
?" Elle s’installa, sa voix plus douce. "Je suis là pour te
parler d'un partenariat..."
Karl écoutait à peine, son esprit toujours distrait par ses
pensées. Pourtant, la présence de Sandra était en train de réveiller quelque
chose en lui, une attraction qu'il n’avait jamais su totalement ignorer. Il se
redressa dans son siège, se concentrant sur ses mots.
— "Je n’ai pas le temps pour en parler aujourd’hui, Sandra," répondit-il, essayant de garder son calme. "Je suis un peu... préoccupé en ce moment."
Sandra ne se laissa pas déstabiliser. Elle savait exactement
comment jouer avec les hommes. Elle se leva et s’approcha lentement de lui, son
parfum doux mais entêtant envahissant l’espace. Ses yeux brillaient d’une lueur
que Karl connaissait bien, cette lueur de défi et de désir, un désir qu’il
n’avait jamais su repousser totalement. Elle posa une main légère sur son
épaule, son regard se faisant plus intense.
— "Je vois bien que tu es tendu, Karl. Tu sais, parfois
il est bien de se laisser aller, de laisser tomber ces barrières qu’on se met…
Je pourrais te faire oublier tout ça, te rappeler cette autre facette de la
vie, loin de tes soucis." Son souffle effleurait son oreille, sensuel et
insistant.
Un frisson parcourut Karl. Son corps réagissait plus vite
que sa raison. Il se sentait étrangement attiré, presque perdu. Il tenta de se
ressaisir, les images de Sherie, de leur dispute, se mêlaient au désir qu’il commençait à ressentir en ce moment. Il voulait se libérer de ce poids, retrouver un
peu de cette liberté qu’il avait avant,être le Karl Gabriel d'antan. Il se leva brusquement, la regardant
dans les yeux, mais une part de lui ne voulait plus lutter.
— "Sandra, je ne devrais pas…" dit-t-il, mais
déjà, il laissait ses mains se poser sur ses hanches, et elle l’attira vers
elle avec une facilité déconcertante.
Elle sourit et sans un mot, ses lèvres se posèrent sur les
siennes, d'abord tendrement, puis avec plus de ferveur. Karl, déstabilisé, se
laissa faire. Le goût de ses lèvres, l’intensité de son corps contre le sien,
tout semblait effacer sa douleur, effacer l’image de Sherie qui
hantait son esprit. Dans ce baiser, il se retrouvait, un Karl sans attaches,
sans contraintes, redevenant celui qu’il avait été avant.
Une partie de lui savait que c’était une erreur, que ce
n’était pas ce qu’il voulait vraiment. Mais une autre partie de lui, plus
profonde et plus sombre, lui criait de profiter de cette échappatoire, de se
perdre un instant dans cette illusion.
Karl avait son esprit partagé entre son désir et son dégoût
de ce qu’il venait de faire a Sherie. Il se ressaisit.
— "Non, Sandra. Je ne veux pas de ça. J’ai besoin de me
retrouver..seul." Il la fixa avec une certaine détermination. "
— "D'accord," répondit-elle, un sourire
mutin sur les lèvres. "Je n'insiste pas, mais je t’invite à déjeuner.
Et tu n’as pas le droit de refuser."
Karl, bien qu'agacé, accepta la proposition, pensant que
cela pourrait au moins occuper son esprit.
Trois quart d'heures plus tard Sherie, en route pour un
rendez-vous professionnel, aperçut Karl et Sandra entrant ensemble dans le chic
restaurant la Croisette situé au plateau. Un instant, elle se figea dans le
taxi, son cœur s’emballant. Elle se senti étrangère à cette scène qui la
détruisait intérieurement. Karl ouvrit la porte à Sandra avec un sourire, et
Sherie sentit une boule de douleur se former dans sa gorge. Elle détourna les
yeux, mais l’image de leur complicité restait gravée dans son esprit.
Sherie arriva à destination, son rendez-vous professionnel
consistait en des séances de maquillage pour une future mariée qui allait
recevoir sa dot. Une fois dans l’appartement de la famille de la future mariée
situé au quartier Arras à Treichville, Sherie respira un grand coup et se remit en mode
professionnelle. L'endroit était modeste mais plein de vie, décoré avec des
touches de couleur et de lumière et une note traditionnelle qui mettait en relief les origines sans doutes Nordiste de la future mariée. Cette dernière, un grand sourire accroché
aux lèvres, complimenta Sherie pour sa ponctualité.
— "J’adore quand les gens sont à l’heure," dit-elle,
une lueur de reconnaissance dans les yeux. "Tu vois, je crois que le
destin fait bien les choses. J’ai rencontré mon fiancé de façon totalement
imprévisible, dans une boulangerie. Il m’a souri, et c’était comme si tout le
reste disparaissait. Il a tout changé pour moi."
Sherie écoutait, un sourire discret flottant sur ses lèvres,
mais elle ne pouvait s’empêcher de sentir un malaise s’insinuer en elle. La
conversation semblait si facile, si fluide pour la future mariée, comme si tout
dans sa vie avait pris son sens dès le départ. Sherie, elle, n’arrivait pas à
se départir du nœud douloureux qui se resserrait dans sa poitrine.
Au bout de quelques instants, après que Sherie eut commencer le maquillage, la mariée, en train de se
regarder dans le miroir, remarqua la crispation qui se lisait sur le visage de
Sherie.
— "Tu sais, il n’y a pas de mal à être un peu
nerveuse, mais tu sembles vraiment tendue. C’est… le travail, ou quelque chose
d’autre ?" demanda-t-elle, un regard curieux, presque inquiet, se
posant sur Sherie.
Sherie se figea un instant, mais elle se ressaisit
rapidement. Elle sourit en essayant de masquer la tourmente qui l'habitait.
— "Oh, rien de grave, c’est juste… un
peu de fatigue," répondit-elle, mais sa voix trahit une certaine
fragilité. La future mariée la fixa un moment, son regard s’adoucissant
alors qu’elle semblait comprendre que quelque chose n’allait pas, mais
n’insista pas, préférant tourner la conversation vers d’autres sujets. Sherie
se remit au travail, son esprit toujours ailleurs, incapable de s’extraire de
la spirale de pensées qui l’envahissait. La futur mariée,, la regarda avec
un sourire doux, et lui dis:
— "Je sais que tu n'es pas ici pour discuter, mais
parfois, l’amour, ce n’est pas facile. Certains doivent se battre pour le
comprendre. D’autres sont simplement plus chanceux. Mais au final, il faut se
battre pour ceux qu’on aime, même quand ça semble impossible."
Sherie sourit faiblement, sentant une profonde tristesse
l'envahir. Elle acquiesça sans vraiment répondre, perdue dans ses pensées. Elle se ressaisit et la journée passa entre les rires de la future mariée, ses proches, les changements de tenues, et les repas partagés. Sherie se laissa emporter par l’ambiance festive, mais au fond, son esprit était ailleurs, à la recherche de réponses qu'elle
n’arrivait pas à trouver. Pourquoi Karl ne voulait pas d'une relation avec elle, pourquoi avait-elle le coeur si fragile, pourquoi s'était-elle si vite attachée, pourquoi tout ceci lui arrivait, pourquoi n'avait-elle pas de mère...
Le soir, alors qu’elle rentrait chez elle, Sherie retrouva
son père, qui dormait profondément dans son fauteuil, épuisé par la journée. Un
soupir échappa à Sherie. Elle aurait aimé qu’il la serre dans ses bras, qu’il
lui dise que tout irait bien, mais elle savait qu’il avait besoin de repos. Il
n’y avait rien à dire. Elle se dirigea vers sa chambre en faisant le moins de
bruit possible et se hâta à la une douche, l’eau chaude glissant sur sa peau
tandis que ses pensées se mêlaient au tumulte de ses émotions. Des larmes se
glissèrent sur ses joues, alors qu’elle pensait à sa mère, à l’amour maternelle
qu’elle n’avait jamais eu, à la façon dont sa vie aurait peut-être été
différente si cette dernière était vivante pour la guider et l'aimer sans
réserve.
Elle eut une pensée pour Andy qu'elle évitait depuis un moment, et se promit de l'appeler le lendemain, elle se coucha ensuite, enroulée dans la chaleur de ses
draps, mais la solitude l’envahit. Il n’y avait personne pour la consoler cette
nuit-là.