Chapitre 17 : Confidences

Write by Une vie pleine de péripéties

Sherie arriva au glacier. Oui, elle avait finalement contacté Andy pour qu’elles puissent enfin se voir. Elle ne savait pas encore si cette rencontre lui ferait du bien, mais elle avait besoin de parler à quelqu’un de confiance. Et ne pouvait partager cela avec son père.

Le glacier Les Oscars, situé à Angré dans la commune de Cocody, était un lieu familier. Elles s’y étaient retrouvées plus d’une fois. Cette fois, l'air était légèrement plus frais, comme si la journée, bien que lumineuse, portait encore en elle un poids invisible.

Andy était déjà installée sur la terrasse, profitant du beau temps et de la vue. Elle dégustait lentement ses deux boules de glace — vanille et fraise — les jambes croisées sous la table, visiblement à l’aise. Quand elle aperçut Sherie, son visage s'illumina comme à son habitude.

— « Ah, enfin ! » s'exclama-t-elle en se levant d’un bond.

Elle attrapa son amie dans une étreinte chaleureuse avant de reculer légèrement, la fixant avec un sourire taquin.

— « Hummm Miss make-up artist ! On dirait que tu m'évites depuis un moment… C’est pas comme ça hein, ma chérie ! » 

Sherie se laissa porter par l’énergie débordante d’Andy, mais un sourire à peine esquissé trahit sa gêne.

— « Je… je suis juste occupée avec le boulot, tu sais bien comment c'est, les imprévus. » répondit-elle en haussant les épaules, cherchant à détourner la conversation.

Andy plissa les yeux, toujours souriante, mais avec ce regard qui voit clair. Elle se rassit, croisant les bras sur la table.

— « Ouais, ouais, le boulot… bien sûr ! » fit-elle avec exagération, avant de se pencher légèrement vers elle. « Mais dis-moi, tu es vraiment sûre que c’est le boulot qui t’absorbe ? Ou bien y a une autre… distraction ? »

Sherie s’installa à sa place, et Andy se cala à nouveau dans sa chaise, un sourire plus espiègle aux lèvres. Elle laissa Sherie passer sa commande, mais ne la quittait pas des yeux. Quelque chose avait changé. Sherie n’était plus tout à fait la même. Une posture différente, un silence chargé… Andy comprit. Elle comprit que Sherie avait franchi un cap. Qu’elle était désormais une femme. Et elle comprit aussi, sans qu’on le lui dise, que c’était Karl Gabriel qui avait été cet homme-là.

Un flot de pensées lui traversa l’esprit. Elle avait toujours considéré Karl comme un frère. Mais elle savait qui il était : charmeur, libre, insaisissable. Il n’avait jamais eu de relation sérieuse, du moins pas à sa connaissance. Sherie, en revanche, était douce, réservée, prudente. Elle sortait d’une déception amoureuse et n’avait jamais été du genre à se précipiter. Ce rapprochement lui paraissait improbable, presque dangereux. Elle s’inquiétait. Pour Sherie.

Le serveur arriva à ce moment-là, posant la coupe de glace devant Sherie, interrompant les pensées d’Andy et les ramenant à la réalité.

— « Oh allez, Sherie… » lança Andy en reprenant une bouchée de sa glace fondue. « On va pas faire semblant. Tu crois vraiment que je n’ai pas remarqué ce petit changement chez toi ? Et ce silence, tu m'évites… juste depuis ta fameuse dernière soirée avec Karl ? »

Sherie baissa les yeux, triturant sa cuillère dans la glace sans y toucher. Une rougeur légère monta à ses joues.

— « Ce n’est pas ce que tu crois… » murmura-t-elle, comme pour elle-même.

Andy éclata de rire, un rire léger, sans malice, mais assez sonore pour faire tourner quelques têtes à la table voisine.

— « Sherie. » dit-elle plus bas, en posant sa main sur celle de son amie. « C’est exactement ce que je crois. » Le regard perçant de son amie lui disait clairement qu’elle n’était pas dupe.

Sherie releva les yeux. Elle lut dans celui d’Andy une chaleur moqueuse, oui, mais aussi une bienveillance sincère. Elle ne pourrait pas fuir plus longtemps. Et quelque part, une part d’elle ne le voulait plus.

— « Bon… » souffla-t-elle après un long silence. « Oui, tu as raison. »

Elle n’avait pas besoin d’en dire plus. Andy comprit. Son sourire se fit plus doux.

— « Wow… » souffla-t-elle. « Eh ben, la go a rejoint la cour des grands donc tu mougou maintenant?  » dit-elle un sourire moqueur

Sherie détourna le regard, vers le ciel d’Angré, vers tout sauf Andy.

— « Je ne sais pas ce que je fais, Andy. Je suis plus sûre d’avoir pris la bonne décision. »

Andy déposa sa cuillère, le visage plus sérieux désormais.

— « Tu regrettes ? »

— « Non. Enfin… pas sur le moment. C’était… doux. Attentionné. Il a été vraiment… » Elle s’interrompit. Les mots lui manquaient. « Mais maintenant, j’ai peur. Peur de ce que ça veut dire. Peur de m’être trompée sur lui. »

Andy se redressa, appuyant ses coudes sur la table, les doigts croisés sous son menton.

— « Karl n’est pas un faux type, tu sais. Mais… il n’a jamais su se poser. Et toi, tu n'es pas le genre à faire les choses à moitié . »

— « Je sais. » murmura Sherie. « C’est justement ça qui me fait peur. »

Un silence s’installa.

Andy baissa les yeux un instant, pensive. Puis, son regard remonta lentement vers Sherie, plus sérieux, presque troublé.

— « Sherie… » commença-t-elle doucement. « Tu sais que je te juge pas, hein, je suis très ouverte d'esprit. Mais… je dois te poser une question. »

Sherie hocha la tête, sans parler.

— « Tu es restée cinq ans avec Jacques. Cinq ans. Et jamais tu n’as voulu… franchir ce cap avec lui. Et là, Karl… débarques, tu le connais à peine, et tout de suite tu te donnes à lui ?… » Elle marqua une pause, laissant le silence peser. « Pourquoi lui ? Pourquoi maintenant ? »

Les doigts de Sherie jouaient nerveusement avec la serviette en papier posée sous son verre d’eau. Elle avait déjà pensé à cette question mille fois. Mais l’entendre à voix haute, venant d’Andy, la forçait à affronter une vérité qu’elle avait repoussée jusque-là.

— « Je l’aimais, Jacques. je l'aime toujours un peu » dit-elle finalement,. « Mais… c’était différent. Jacques, c’était la sécurité, le confort, la routine. C’était rassurant. Il me respectait, il m’idéalisait presque, mes les sentiments ont commencé à s'effriter au fur et a mesure que je découvrais ses mensonges et ses infidélités, 5 années ne s'effacent pas aussi facilement. Mais avec Karl c'est différent… je n’ai jamais ressenti cette urgence. Ce feu. »

Andy arqua un sourcil et  l’observait sans l’interrompre.

— « Karl… » Sherie leva les yeux, un mélange de trouble et d’abandon dans le regard. « Karl, c’est Karl. Il ne m’a pas promis l’éternité. Il n’a pas essayé de me rassurer ou de m’envelopper dans des mots parfaits. Mais quand je suis avec lui… je ressens tout. L’envie. Le vertige. L'excitation. La peur aussi. Mais vivante, surtout. »

Andy resta un instant muette, touchée par la sincérité brute de sa réponse. Elle se redressa doucement, appuya sa joue contre sa main et esquissa un sourire. Jamais elle n'avait vu Sherie dans cet état.

— « Alors là, ma chérie… tu vraiment es foutue. »

Sherie éclata d’un petit rire, soulagé. Il était léger et sincère 

— « Je sais et toi tu vraiment incorrigible, tu ne vas pas changer hein. »

— « Et toi, tu es vraiment courageuse répliqua Andy, donner sa virginité a Karl... « Et tu l’aimes ? » demanda Andy le regard plus doux. « Parceque là je sens qu'on aura besoin de jeûne et prière, oui on va beaucoup prier que ce Karl-là ne soit pas 100 % Karl. » 

Sherie inspira profondément, un petit sourire, les yeux fixés sur sa glace à moitié fondue.

— « Je sais pas si je peux appeler ça "amour", pas encore. Mais… j’ai des sentiments très forts pour lui. C'est arrivé si vite et je croyais vraiment qu'on était sur la même longueur d'ondes..

Elle fit une pause, sa voix tremblante.

— « Mais depuis quelque temps… il s’éloigne. Il répond moins, il est flou. Et moi, je reste là, à espérer. À attendre un signe. » 

Elle s’interrompit, le regard perdu, comme si elle cherchait les mots justes dans le fond de sa coupe fondue. Puis elle reprit, plus bas, presque honteuse :

— « On se voit, oui. Mais juste pour ça. Pour… faire l'amour. » Elle marqua une pause, le regard fuyant. « Et pendant ces moments-là, je sens qu’il y a quelque chose. Dans la façon dont il me regarde. Dans la manière dont il me touche, me parle, me fait l’amour… »

Andy l’écoutait, immobile, le cœur serré.

— « Ce n'est pas mécanique, Andy ni juste physique. Il est… parfait. Comme s’il voulait me dire quelque chose sans le dire. Et dans ces instants-là, je me dis qu’il tient à moi. Que je compte. »

Elle soupira, un souffle court et fragile.

— « Mais dès que c’est fini… il se referme. Il devient distant. Comme si tout ça n’avait jamais existé. »

— « Il te fait exister pendant une heure, et t’oublie pendant une semaine… » murmura Andy

Sherie baissa les yeux.

— « Oui. Et je sais que je devrais me protéger. Mais je suis déjà trop loin, Andy. »

Andy sentit son cœur se serrer. Même Sherie… Même elle, avec toute sa douceur, sa sincérité, sa lumière — n’avait pas réussi à lui donner l’envie de se poser.

Elle se pencha un peu plus, posant ses coudes sur la table, les yeux dans ceux de son amie.

— « Sherie… je vais te poser une seule question. Et je veux que tu sois honnête avec moi, pas avec ta peur. »

Sherie releva les yeux, silencieuse.

— « Est-ce que tu veux te battre ? Ou est-ce que tu préfères abandonner ? »

Le souffle de Sherie resta suspendu. Elle n’avait pas envisagé les choses sous cet angle. Elle avait pensé "fuir", "attendre", "souffrir", mais pas "lutter".

Andy poursuivit :

— « Si tu décides de laisser tomber, je respecterai ta décision. Vraiment, mais si tu choisis de te battre… alors sache que je serai avec toi. Jusqu’au bout. Je te jure que je ferai tout pour que Karl ouvre les yeux. Parce que je le connais. Et je sais qu’il n’a jamais eu une fille comme toi dans sa vie. Une fille qui pourrait vraiment le rendre heureux. »

Un silence flotta entre elles. Andy reprit, plus doucement :

— « Tu n’es pas juste mon amie, Sherie. Tu es comme ma sœur. Et je ne te laisserai pas traverser ça seule, si tu choisis de rester debout. »

Sherie la regarda longuement. Dans les yeux d’Andy, il n’y avait ni pitié, ni jugement. Juste une présence. Une loyauté solide comme du roc.

Et quelque chose en elle, quelque chose de blessé mais pas brisé… commença à se rallumer. Sherie ne répondit pas tout de suite.

Son regard se perdit quelque part entre la terrasse du glacier et la lumière bleu du ciel, comme si elle cherchait une réponse là où personne n’avait encore pensé à la poser.

Se battre ?

Elle n’avait jamais été une combattante. Elle avait appris à encaisser, à attendre que les choses passent, à se taire quand ça faisait trop mal. Mais là… il s’agissait de plus que ça. Il s’agissait de lui.

Karl,  le paradoxe vivant. Le feu sous la glace. L’homme qu’on ne retient pas mais qui laisse une empreinte brûlante.

Est-ce que je suis prête à souffrir pour lui ? À risquer un cœur déjà fêlé ?

La voix d’Andy tournait encore dans sa tête, comme une main tendue au-dessus du vide. Elle savait que si elle décidait de se battre, elle ne serait pas seule. Mais même accompagnée, se battre impliquait une guerre qu’elle n’était pas certaine de pouvoir mener.

Et pourtant… Une part d’elle avait envie d’essayer. Andy attendit, l’esprit en ébullition, mais avec l'espoir grandissant que son amie fasse le bon choix.

Elles échangèrent un regard complice, mi-résigné, mi-bondé d’espoir. Sur la terrasse, la vie suivait son cours. Les cuillères tintaient dans les verres, les enfants riaient, le soleil tapait doucement sur les parasols blancs. Mais entre elles deux, le temps semblait suspendu. Sherie se leva et fit un étreinte à son amie. Elle ne savait pas quelle décision prendre mais en cet instant, elle n’était plus seule. Le soleil déclinait doucement. Les glaces fondaient. Et entre deux confidences, une amitié venait de se renforcer. 

SHERIE