Chapitre 17

Write by Auby88


Nadia P. AKLE


Milena est inconsolable depuis des jours. Et moi, je suis arrivée à un point où je ne sais plus quoi lui dire. D'ailleurs, que peut-on dire pour réconforter un enfant qu'on oblige à partir, là où elle ne veut pas ?

Dans d'autres circonstances, j'aurais encore "contourné la vérité". Je lui aurais assuré que sa grand-mère l'entourerait d'amour et qu'elle serait très heureuse à ses côtés.

Mais là, je ne peux pas. Car ce serait un mensonge, un pur mensonge.


Il m'a suffi de passer trois journées auprès de cette aristocrate, trop rigide  sur les questions de principauté et d'étiquette (révérence à l'endroit de sa personne, art de la table à maîtriser du bout des doigts...) pour comprendre qu'elle avait plus de règles que d'amour à donner à sa petite-fille. Or, tout ce dont cette petite a véritablement besoin pour s'épanouir, c'est d'amour, de beaucoup d'amour, d'énormément d'amour.


- Je ne veux pas partir, tata Nadia, je ne veux pas.

- Chut ! murmuré-je en continu, tout en promenant mes mains dans ses cheveux.

- Quand je pense que son lâche de père n'a pas été capable de lui annoncer la nouvelle ! Comme d'habitude, c'est aux employés qu'il a confié "le sale boulot". J'espère que Dieu le punira pour tout ce qu'il fait subir à cette innocente fillette !


Mes mains restent collées aux oreilles de Milena pour qu'elle n'entende pas ce qui sort de la bouche de Sarah.

- Tu veux que je t'amène une grosse part de gâteau ?

- Je ne veux rien, tata Sarah.

- Tu…

Je fais des clins d'œil à Sarah pour qu'elle arrête d'insister. Même moi, dans une pareille situation, un plat rempli de bons "comes" de Maman Evivi ne me dirait rien.



Des heures plus tard.

Milena dort enfin. Mais j'appréhende déjà demain. Autant pour elle, que pour moi. La séparation risque d'être trop émouvante. J'espère que je resterai forte pour elle, que je ne m'effondrai pas. Je l'espère vraiment.

Sur la terrasse, je vais prendre l'air. Car j'étouffe à l'intérieur. Autant à l'intérieur de la chambre, qu'à l'intérieur de moi.


En bas, dans la cour, une voiture vient de s'arrêter. Une voiture que je reconnais. Je quitte aussitôt la terrasse, sors de la chambre et me retrouve dans le hall, devant… monsieur Eliad.


- Bonsoir monsieur ! J'espère que vous avez passé une bonne journée.


Il me fait oui de la tête et passe près de moi.

- Monsieur, puis-je vous parler ?

Il se retourne.

- A quel sujet ?

- Au sujet de votre fille.

- J'ai eu une journée de travail très chargée et j'ai besoin de me reposer. Vous pourrez me parler demain.

- Ça ne peut pas attendre.

- Je suis...

- Je ne vous prendrai que cinq minutes maximum.

- Suivez-moi.


Je marche à sa suite en direction du salon.


* *

 *


- Asseyez-vous !

- Je suis bien ainsi, monsieur.

- Arrêtez de faire votre maligne et asseyez-vous !

J'obtempère et me laisse choir dans le siège en face du sien.

- Je vous écoute.


J'hésite un peu avant de commencer :

- Depuis que votre fille a appris la nouvelle de son départ, elle passe tout son temps à pleurer... Car elle ne veut pas partir. Elle veut rester ici… avec vous.


Il lève les yeux vers moi, inspire profondément et me répond avec un calme qui me désoriente :

- Je vous remercie pour l'attention que vous portez à la petite. Et je comprends que son bien-être vous préoccupe autant. Je comprends également que vous soyez très inquiète au sujet de votre emploi...


Il se lève et va ouvrir la porte d'entrée.

- …mais rassurez-vous, je saurai vous dédommager convenablement. A présent, je vous suggère de rejoindre votre chambre. Vous devez sans doute être aussi éreintée que moi !


Je suis choquée par son attitude. Je viens lui parler de la mélancolie de sa fille et il pense que c'est mon emploi qui m'importe. Je devrais me lever, mais j'ai du mal à le faire.


- Nadège, je vous attends.

Et le comble, c'est qu'il n'est même pas fichu de mémoriser un prénom aussi simple que Nadia !

- Nadège…


Il est toujours là, près de la porte. Avec nonchalance, je le rejoins. Mais au lieu de franchir le seuil de la porte, je m'immobilise là.

- J'espère que vous savez ce que vous faites. J'espère que Milena ne vous détestera pas comme moi j'ai détesté mon père, pour m'avoir traitée comme vous le faites avec elle.

- Votre tragédie ne s'applique pas à tout le monde.

- Toutes les situations ne se ressemblent pas, je l'admets. Mais vous êtes encore plus à blâmer, en tant que père, car Milena est la fille de cette femme que vous semblez si tant aimer et dont les photos ornent tous les murs de votre chambre !


C'est parti tout seul. Je l'ai dit d'un trait, sans même y réfléchir. Ce n'est que quand il a saisi violemment mon bras et m'a secouée, que j'ai compris mon erreur.


- Que dites-vous ?

- Rien du tout. Lâchez mon bras. Vous me faites mal !

- Vous venez à l'instant de parler de ma chambre ! C'était vous, n'est-ce pas ? C'était bien vous "les bouteilles en bas de l'escalier" !

- Je ne sais pas de quoi vous parlez !


Il serre encore plus mon bras.

- Oh que oui. Vous le savez ! Je me demandais bien comment les bouteilles avaient migré de ma chambre pour se retrouver dans les escaliers ! Qu'est-ce que vous faisiez dans ma chambre, sale fouineuse ?


En me bousculant de la sorte, cet homme vient de réveiller "la rageuse" en moi. Je le regarde droit dans les yeux et lui crie :

- Au lieu de me réprimander, vous devriez plutôt me remercier ! Cette nuit-là, vous étiez en bas de l'escalier, ivre mort, complètement nu et ronflant comme un vieux ventilo. Je vous ai couvert ; je vous ai aidé à monter dans votre chambre ; je vous ai laissé poser vos lèvres fortement imprégnées d'alcool sur les miennes ; j'ai laissé vos sales mains se poser sur mon visage ; je vous ai laissé m'appeler par le prénom de votre femme. Parce que j'avais de la compassion pour vous, parce que j'étais peinée de vous voir souffrir ainsi.


Son bras me relâche progressivement.

Et ses pieds font un pas en arrière.

- Mais à bien y repenser, j'aurais dû vous laisser dans ce piteux état pour que vos employés vous voient, pour qu'ils soient témoins des extrêmes que leur respecté patron peut atteindre. Et peut-être qu'ainsi, votre orgueil vous aurait un peu quitté !


Je m'attends à ce qu'il réagisse, à ce qu'il me bouscule encore. Mais rien. Il ne fait rien. Il ne dit rien. Il n'ose même pas me regarder.


- Vous ne dites plus rien ?

Il me fait dos et repart en direction du canapé.

- Au fait, j'oubliais. Puisqu'il vous est si difficile de retenir un simple prénom comme Nadia, vous pouvez désormais m'appeler "PAGE" comme "PAGE D'UN LIVRE". Je reconnais que c'est laid comme prénom, mais inoubliable. En plus, c'est l'unique prénom que j'ai reçu de mon père. Jugez par vous même combien il pouvait être aussi insensé que vous ! Bonne nuit, monsieur Eliad.


Toujours sans émettre le moindre son, il s'assoit dans son canapé et allume la télévision. Je suis déçue. J'aurais préféré qu'il réagisse différemment, qu'il me dise quelque chose. Mais toujours rien. J'attends quelques secondes puis je sors précipitamment de la pièce. Près des escaliers, je prends une pause pour me remettre de mes émotions.



*******

Eliad MONTEIRO


Elle est partie. J'éteins le poste téléviseur. C'était juste pour faire diversion que je l'avais allumé.

Je voulais réagir, face à ses propos arrogants. Mais je n'ai pas pu. Une fois encore, j'ai été destabilisé par ce regard qu'elle a quand elle est en colère. Je ne sais pas comment l'expliquer mais son regard me cloue, me paralyse et m'empêche de lui faire du mal, même quand j'en ai grandement envie.


Elle n'est plus là, mais ses paroles résonnent encore et encore dans ma tête. Le doute vient de s'installer dans mon esprit. Un doute doublé d'un sentiment de culpabilité. Pourtant je n'ai rien fait de mal. N'est-ce pas ?

J'inspire profondément, me lève puis quitte la pièce. Elle n'est pas dans les parages. Tant mieux…



Je suis là, assis sur mon lit. Je suis perdu. Complètement perdu. Lentement, mes pensées deviennent passé. Je me retrouve dans cette même chambre, mais des années plus tôt.


* *

  *

Flashback

Des années plus tôt

Depuis que nous sommes ensemble, c'est la première fois que Camila et moi avons une dispute aussi vive.


- Comment oses-tu me demander cela, Eliad ? Ça va à l'encontre de mes convictions religieuses ! C'est une abomination !

- Peut-être, mais c'est ce qu'il y a de mieux à faire !

- ¡No, Eliad! Me niego a abortar a este niño. Es el nuestro, Eliad. Es la fruta de nuestro amor, de todas estas noches apasionadas que tuvimos. Y está allí en mi vientre, como siempre lo deseamos. (Non, Eliad ! Je refuse d'avorter cet enfant. C'est le nôtre, Eliad. C'est le fruit de notre amour, de toutes ces nuits passionnées que nous avons eues. Et il est là dans mon ventre, comme nous l'avons toujours désiré.)

- Oui, je n'en disconviens pas. Mais garder une grossesse pendant un traitement intensif contre la leucémie aiguë est autant risqué pour toi que pour le bébé. Sans compter tes antécédents médicaux qui font de toi une patiente à haut risque. Tous les docteurs que nous avons consulté sont unanimes là-dessus !

- Je suis consciente que notre bébé pourrait naître avec des malformations, mais rien ne le garantit. Je suis consciente que j'ai toujours eu une santé fragile, mais je garde espoir en Dieu. Sé que cumplirá un milagro y que al fin de todo esto, el niño y yo serán sanos y salvos. (Je sais qu'il accomplira un miracle et qu'à la fin de tout ceci, l'enfant et moi serons sains et saufs.)

- Je voudrais être aussi confiant que toi, Camila, mais je n'y arrive pas. Parce que j'ai peur, énormément peur de te perdre.


Je prends son visage en coupe dans mes mains.

- Accepte ma proposition, Camila. Accepte et tu auras plus de chance d'obtenir une remission complète de ton cancer.

- Nunca permitiré que una enfermedad me impida hacer todo lo que sueño. ¡Y créeme, Eliad, realmente quiero ser mamá! (Je ne laisserai jamais une maladie m'empêcher d'accomplir tout ce dont je rêve. Et crois-moi, Eliad, je désire vraiment être maman !)

- Tu le seras, mais après la chimiothérapie. Pas avant !

- Tu sembles oublier que la chimiothérapie affecte la fertilité. Il se peut donc que je ne puisse plus tomber enceinte !

- Si c'est le cas, on adoptera des enfants. Je te veux en vie, Camila… Je ne me le pardonnerai jamais s'il devait t'arriver quelque chose... Je ne veux pas te perdre, mon amour... Sans toi, je ne pourrai plus vivre. Je…


Elle me repousse violemment en arrière.

- ¡ Eres sólo un egoísta, Eliad! Tú, todavía Tú y siempre Tú. Con nuestro bebé, somos una familia. Una familia. ¡Pero se diría que lo olvidaste! (Tu n'es qu'un égoïste, Eliad ! Toi, encore Toi et toujours Toi. Avec notre bébé, nous sommes une famille. Une famille. Mais on dirait que tu l'as oublié. )


- Camila !

Trop tard. Elle va s'enfermer dans la salle de bain.

- Camila, ouvre cette porte !

- ¡Déjame sola, Eliad! (Laisse-moi tranquille, Eliad !)

- Camila, abre la puerta o entro por la fuerza. ¡Y sabes bien que soy capaz de eso! (Camila, ouvre cette porte ou je la défonce. Et tu sais bien que j'en suis capable !)

-….

- Camila !


Je fais deux pas en arrière, lève la jambe et m'apprête à donner un bon coup de pied dans la porte, quand elle s'ouvre en découvrant mon épouse.  Je la regarde sans dire mot. Je ne veux pas la frustrer davantage. En sanglotant, elle vient se jeter à mon cou. Alors, je la serre fortement contre moi.

- Pourquoi nous, Eliad ?


Je ne réponds pas. D'ailleurs, je ne sais quoi dire. Les larmes me montent aux yeux. Je les réprime. Un homme ne pleure pas. Un homme se doit de rester fort, quelles que soient les circonstances. C'est ça, être un homme.

- Je ne veux pas, Eliad. Je ne peux pas le faire. Ne me demande plus jamais cela, s'il te plaît !


Je demeure silencieux. Malheureusement, mon silence vaut accord... Un accord qui me glace le sang... De mes yeux parvient, malgré tous mes efforts, à couler des larmes... Des larmes empreintes de peur... La peur de l'avenir.


Fin du Flashback


* *

 *


La sonnerie de mon téléphone me ramène au présent. C'est ma belle-mère.

- …

- Sí, usted puede pasar tomarla yendo al aeropuerto. Ya estará lista. Buena tardes. (Oui, vous pouvez passer la prendre en allant à l'aéroport. Elle sera déjà prête. Bonne nuit.)


Je dépose le mobile, me lève et me dirige vers mon dressing. J'en sors un vieux coffret. A l'intérieur, il y a des photos. Des photos que je me suis promis de ne jamais revoir. Des photos de Camila enceinte, amaigrie mais souriant bien que malade. Des photos d'elle avec le crâne rasé parce que la chimiothérapie lui avait fait perdre ses cheveux. Des photos d'elle prises lors de son interminable séjour à l'hôpital. Puis enfin, une photo de Mi… encore bébé. Je n'ose pas la regarder. Je ferme précipitamment la boîte puis vais la redéposer à sa place initiale.



A nouveau, mes pensées vont en arrière dans le temps...

- Eliad, regarde-la. Elle est si jolie.

- Je ne la veux pas maman, je ne la veux pas !

- Mais mon fils. C'est ta fille, voyons !

- Garde-la, donne-la en adoption ou débarrasse-toi d'elle. Mais je t'en supplie, éloigne-la de moi !

- Sache que tu ne nous laisseras pas porter ta responsabilité à ta place ! intervient mon père. C'est bien trop facile. Tu as vraiment la mémoire courte, Eliad ! Tu as oublié la manière dont tu nous as imposé ton espagnole ?

- Miguel, arrête ! Il ne sert à rien de ressasser le passé.

Le commentaire de maman n'empêche pas papa de continuer sa sermonade à mon endroit.


- Tu ne m'as même pas informé de votre mariage. Tu n'as même pas demandé mon consentement ! Pourtant, je suis celui qui a travaillé durement pour pouvoir t'envoyer faire tes études en Espagne ! Dois-je aussi te rappeler que tu criais à qui voulait l'entendre qu'elle était ton épouse, l'amour de ta vie, la mère de tes enfants.. Et patati ! et patata ! N'est-ce pas ? Voilà, l'enfant est là. Maintenant, assume ton rôle de père !

- Je ne sais pas ce que je serai capable de faire à cet enfant, si vous la laissez seule avec moi !


Une gifle m'atterrit en plein visage. Une baffe bien sonnante que je n'ai pas vue venir. Celle de papa. Il me secoue en tonnant :

- Père indigne ! Si je t'avais traité ainsi, tu crois que tu serais là aujourd'hui ? Où sont passées toutes les valeurs que je t'ai inculquées ? Où est passé ton sens de la responsabilité ? Ce bébé est ta fille. Une fille que tu as eue avec cette femme que tu disais tant aimer. Tu aurais pu les perdre toutes les deux ou bien cette petite aurait pu naître avec des malformations. Mais ce n'est pas le cas ; elle est en parfaite santé. Alors au lieu de te plaindre, de te morfondre, remercie Dieu.

- Seule Camila m'importait, papa ! Je ne veux pas de cet enfant. Je vous la laisse. Je ne veux pas de cet enfant qui a précipité la mort de sa mère.

- Insensé ! Camila est morte à cause des complications liées à son cancer.

- Tout aurait été différent si il n'y avait pas eu cette grossesse !


Je l'entends ricaner.

- Et qui l'a mise enceinte ? Toi, évidemment. Donc le plus à blâmer ici, c'est toi et toi seul ! Ana, allons-y. Emmenons cette âme innocente loin de son inconscient de père. Mais crois-moi, je n'en resterai pas là. Il devra un jour assumer ses responsabilités !


Je me suis senti soulagé en les voyant partir avec ce bébé que je venais de renier. Malheureusement, quand maman a été plus tard diagnostiquée de la maladie d'Alzheimer, papa s'est fait le plaisir de me ramener la petite en me lançant :

- Tu t'es assez amusé, Eliad. Il est temps d'assumer ton rôle de père !



Je reviens une fois encore au présent. Mes yeux tombent sur les photographies de ma femme, présentes sur le mur. J'ai l'impression qu'elle me pointe du doigt.


- No me mires así, mi amor. Esta es la mejor opción para ella. (Ne me regarde pas ainsi mon amour. C'est la meilleure option pour elle.)


J'inspire profondément et me laisse tomber sur le lit...



**********


Le lendemain


Eliad MONTEIRO


Je suis là, au deuxième étage, debout derrière un pilier. J'observe ce qui se passe en bas. Il y a la petite, la nounou et d'autres employés.

Des pleurs d'enfants me parviennent en haut. Je presse mes mains contre mes oreilles pour ne plus les entendre, et rentre en vitesse dans ma chambre. J'inspire et j'expire pour me détendre. Mais rien. Je transpire malgré l'air climatisé. Il me faut vite sortir sur la terrasse de ma chambre, pour prendre de l'air frais. Autrement, j'étoufferai.


Enfin, je me sens mieux. Malheureusement, ce n'est que physiquement et non moralement.

Une limousine vient de se garer en bas dans la cour. La mère de Camila est là. Je n'ai pas envie de descendre, mais je me dois de lui souhaiter un bon voyage.


* *

 *

Maëlly FREITAS


Aujourd'hui est un jour heureux pour moi. Eliad se débarrasse de sa fille. Il ne s'en rend peut-être pas compte, mais en agissant ainsi, il se sépare du seul lien qui l'unit encore à Camila. Et j'en suis extrêmement ravie.

Pour rien au monde, je ne voulais rater cette occasion. Je me devais d'être là "aux premières loges" pour voir Milena s'en aller.


En attendant, je jette par moments des yeux sur le petit monde pas loin de moi. Quel vacarme, surtout avec cette horrible fillette qui pleure sans arrêt !

Près d'elle, je finis par m'approcher. Juste pour faire bonne impression.


- Oh ma chérie, cesse de pleurer. C'est quand même chez ta grand-mère que tu vas. Elle t'aimera beaucoup, c'est sûr. Et puis, tu verras que l'Espagne est un pays magnifique !

Contrairement à ce à quoi je m'attendais, Milena se met à pleurer davantage.


Tous les yeux aux alentours convergent vers moi et semblent me crucifier sur place.

- Qu'avez-vous tous à me regarder ainsi, bande de désoeuvrés ? J'en toucherai deux mots à votre patron, soyez-en sûrs !


Justement, il vient nous rejoindre, mon Eliad. Je vais à sa rencontre et lui donne des bises. Il me laisse faire.

- Bonjour Maëlly !

- Bonjour, mon cœur !

Il pousse un long soupir avant de me répondre.

- A cette heure-ci, tu devrais être au boulot !

- Oui, mais j'ai tenu à être présente pour souhaiter un bon voyage à la petite.

- Ce n'était pas la peine.

- Oh que si. Car Milena est comme ma fille.

Un sourire ironique apparaît aux coins de ses lèvres.

- Je suis sérieuse, Eliad ! Je…


Il me délaisse et part en direction de la porte d'entrée qui vient de s'ouvrir.

Oh mon Dieu ! Cette femme est la personnalisation même du mot E-L-E-G-A-N-C-E ! Qu'elle est sublime dans sa robe cape marron clair qui lui descend aux genoux ! Près d'elle, Maëlly FREITAS en combinaison bleu nuit ne fait même pas le poids.


Par contre, je me passerai bien du caniche. Parce qu'un tel animal de compagnie me volerait la vedette ! Tout le monde serait trop occupé à la regarder qu'à m'admirer moi.



Plus je regarde cette femme devant moi, plus je me demande comment Camila a pu être sa fille. Car Camila était insipide. Très belle oui, mais trop "quelconque", trop ordinaire dans ses choix vestimentaires et sa façon de se comporter. A chaque fois que je la voyais, elle me faisait penser à une version inversée de ces contes de fée où les grenouilles se transforment en princesse. Oui, elle était une princesse transformée en grenouille.

(Sourire)


Quel gâchis, cette Camila ! J'espère qu'elle croupit autre part qu'au paradis. Surtout pour avoir osé me voler le coeur d'Eliad.


"Maëlly, reprends-toi !" me dis-je intérieurement. Ce n'est pas le moment de laisser place aux émotions. Reste calme. Reste zen et souris énormément. Voilà.


- ¡Buenos dias, señora ! (Bonjour, madame !)

Eliad salue la dame en apposant ses lèvres sur sa main.

- ¿Es la encantadora señorita detrás de ti quien reemplaza a mi hija? (Est-ce la ravissante demoiselle derrière toi qui remplace ma fille ?)


Eliad regarde furtivement vers moi avant de répondre :

- No. Es sólo una amiga. ¡Para mí, Camila es irreemplazable! (Non. Ce n'est qu'une amie. Pour moi, Camila est irremplaçable !)


Cela me vexe qu'il me présente si banalement. Mais je ne le contredis pas.

- ¡Eso es lo que todos los hombres dicen ! (C'est ce que tous les hommes disent !), réplique la dame.

- No soy como todos los hombres (Je ne suis pas comme tous les hommes).


Elle lui sourit et me tend une main que je m'empresse de serrer.

- Encatada de conocerla, señora Felicia de Borbón. ¡Que eleganta está usted! (Enchantée de faire votre connaissance, madame Felicia de Borbón. Que vous êtes élégante !)

- Gracias (Merci) …

- Maëlly FREITAS

- ¡En cuanto a usted, Maëlly FREITAS, su "mono" le queda perfectamente !(Quant à vous, Maëlly FREITAS, votre "combinaison" vous sied à merveille ! )

- Gracias, señora (Merci madame).

Elle me gratifie d'un large sourire que je lui renvoie, puis se tourne vers Milena. Elle ne pleure plus depuis peu, mais continue d'afficher un visage triste.


Hmm ! Je l'avoue. Si cette femme n'était pas la mère de ma rivale ou plutôt ex-rivale, je me serais liée d'amitié avec elle.



- ¡Vamos, Milena! (Allons-y, Milena !)

La dame s'adresse à Milena qui ne bouge pas, restant colée à son idiote de nurse ! Elle adore faire des siennes, cette petite. Vivement qu'elle s'en aille !



*********


Eliad MONTEIRO


Je devrais peut-être intervenir et enjoindre à la petite de faire ce que sa grand-mère lui demande, mais je n'y arrive pas. Je reste là à observer la scène.

La petite reste collée à sa nounou. Ce serait mentir que de prétendre que tout cela me laisse de marbre, que tout cela m'indiffère.


Je vois la nounou se pencher vers elle et lui murmurer quelque chose à l'oreille. Mi… la délaisse progressivement pour attraper la main tendue de sa grand-mère.

Près de la porte, elle se tourne et regarde en arrière vers tous mais surtout vers moi, avec le même regard perdu.


- Eliad, allons dans ton bureau, qu'on discute de …

Maëlly parle, mais je ne l'écoute pas. Mon esprit est ailleurs. Les paroles de la nounou pèsent sur ma conscience. Les yeux de Mi… posés sur moi me  font culpabiliser. Et sa main reliée à celle de sa mémé me ramène à cette nuit-là où Camila m'a parlé de ses rapports conflictuels avec sa mère.


Eliad, réagis ! pensé-je intérieurement. Cette petite est une partie de toi et de Camila. Tu ne peux pas la laisser partir. Tu ne peux pas laisser partir, ta fille !


- Je ne peux pas la laisser partir ! murmuré-je.

- Que dis-tu, Eliad ?

Je laisse Maëlly et me précipite pour attraper le bras de Milena.


- Cambié de opinión. Mi hija quedará conmigo. (J'ai changé d'avis. Ma fille demeurera avec moi. )


Ma fille ! J'ai enfin réussi à le dire.

- ¿Que dices? (Que dis-tu ?)

- No quiero separarme de ella. (Je ne veux pas me séparer d'elle.)

- ¡Eres sólo un imbécil y eterno indeciso, Eliad! Me citaste inútilmente en este lugar remoto. ¿Cómo pudo enamorarse Camila de un idiota como tú? (Tu n'es qu'un imbécile et un éternel indécis, Eliad ! Tu m'as inutilement fait venir dans ce coin perdu... Comment Camila a-t-elle pu tomber amoureuse d'un idiot comme toi ?)


En la regardant droit dans les yeux, je lui réponds :

- Lamento que las cosas se acaban así. Pero mi hija se queda conmigo. (Je suis navré que les choses se terminent ainsi. Mais ma fille reste avec moi.)


Elle lâche subitement la main de Milena et s'adresse à son escorte.

- ¡Vamos! El jet nos espera. (Allons-y ! Le Jet nous attend. )


Il n'est nul besoin pour le monde qui m'entoure de comprendre l'espagnol pour en déduire que Milena ne part plus.

Madame Felicia de Borbón vient de s'en aller, avec sa troupe. Contre toute attente, Mi…lena vient se jeter contre moi. Son geste est si soudain et si nouveau que je ne sais pas comment réagir. Je garde mes bras ballants avant de les lever pour les passer dans ses cheveux frisés. Puis, je la soulève. Au niveau de son cou, je remarque un petit grain de beauté comme celui de Camila.


- Papa, merci beaucoup. Maintenant, je suis sûre que tu m'aimes. Tata Nadia avait raison.


Je regarde discrètement la jeune femme, qui sourit largement comme tous les employés présents dans la pièce.

- Je t'aime tellement, mon papa !

J'esquisse un sourire avant de lui dire :

- Pardonne-moi, Milena ! Pardonne-moi pour tout !

- Moi, je t'aime comme tu es !


C'en est trop pour moi. Je ne me sens plus à mon aise. Et surtout, je me sens mal vis-à-vis de cette fillette à qui j'ai causé beaucoup de chagrin, mais qui m'aime quand même.


- Comme c'est émouvant et beau à voir, Eliad ! s'exclame Maëlly en souriant plus que nécessaire.


À son commentaire trop enthousiaste pour être vrai, je ne réponds pas. Et puis, il y a trop d'émotions en moi que j'ai besoin de sortir. Mais pas en public.

- Milena, papa a besoin de rester seul quelques minutes. Tu iras donc avec ta nounou. Plus tard, je viendrai te voir dans ta chambre !

- Vraiment ?

- Oui, je viendrai. Dès maintenant, plus rien ne sera comme avant !


Elle dépose une bise sur ma joue. J'en dépose une sur son front. Puis, je la fais descendre et tourne les talons.

Maëlly tente d'attraper mon bras.

- Attends, Eliad, je viens avec toi !

J'esquive en répliquant :

- Mon "J'ai besoin d'être seul" est aussi valable pour toi, Maëlly ! Sur ce, bon retour chez toi !

- Eliad !

Je ne me retourne pas. J'entends le bruit d'une porte qui s'ouvre puis quelqu'un dire :

- Miss Maëlly, après vous !

Je l'entends fulminer contre mon personnel :

- Le jour viendra où je serai la maîtresse de cette maison et j'aurai une autorité absolue sur vous tous, bande de miséreux ! Ce jour-là, croyez-moi, il ne restera plus aucun d'entre vous ! Et c'est pour très bientôt !


Je secoue la tête, en continuant mon chemin. Je ne connais personne d'aussi entêtée que Maëlly FREITAS !

Que dis-je là ? Bien sûr que j'en connais une autre !





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