Chapitre 17 : L'appel de la mer
Write by pretoryad
Nélia
J’étais
encore sous le choc. M. Dagary prenant l’apparence de Kalé ? Alors, c’était ça
son plan ? Quelle idiote j’étais ! Je ne m’étais rendue compte de rien. Kalé se
dirigea vers moi et me prit dans ses bras. Je le laissai faire, toutefois, je
gardai mes distances. Il me fit face et prit mon visage entre ses mains. Je
redoutais ce qu’il allait faire.
Avant même qu’il n’effleure mes lèvres,
je détournai la tête. La dernière fois que je l’avais laissé faire, ça ne s’était
pas bien passé. Même s’il s’agissait de son père. Je préférais tout de même
être prudente. Je pouvais encore ressentir la douleur de ma lèvre inférieure.
Il n’insista pas, à mon grand soulagement.
– Je vais te faire sortir d’ici, mais
avant, j’ai un compte à régler avec Père, déclara-t-il.
– Non ! Allons-nous-en tout de suite,
Kalé, je t’en prie ! le suppliai-je du regard.
Je n’avais cessé de jeter des regards
en coin pour m’assurer que son père était toujours à la même place. Je voulais
juste partir d’ici, mais je pouvais lire dans le regard de Kalé qu’il avait une
mission à accomplir. Je ne comprenais pas ce qu’il y avait entre lui et son
père. Mais tout ce que je savais, c’était qu’on devait déguerpir !
– Tu sais bien que je ne partirai pas
d’ici avant de l’avoir confronté. Je te promets de ne pas être long. Pendant ce
temps, je veux que tu t’enfermes dans cette pièce jusqu’à ce que je vienne te
chercher. Tiens, prends ça !
Il fouilla dans sa poche et me remit
une chevalière en or sertie d’une pierre d’onyx sur laquelle reposaient deux
serpents de chaque côté. C’était une très belle bague, mais très étrange. Je l’acceptai
avec réserve.
– Si dans cinq minutes tu ne me vois pas
entrer, alors cette bague t’aidera à rentrer chez toi si tu la lui demandes.
Pour être sûr que c’est bien moi, je te demanderai de me la montrer, ok ?
Pour ça, il pouvait compter sur moi !
Je ne voulais plus me faire avoir par ce... ! Oh non ! Son père commençait à
reprendre ses esprits. Je paniquai, je ne voulais pas quitter Kalé, mais ce
dernier était obstiné.
– Cinq minutes et pas plus ! Maintenant
va !
Il me poussa presque pour m’obliger à
entrer dans la salle de bains.
– Je ne partirai pas d’ici sans toi,
alors sois prudent !
J’étais vraiment inquiète pour lui, j’avais
comme un pressentiment. M. Dagary était un être démoniaque qui ne voulait
certainement pas le bien de son fils. Mon cœur fut rempli d’angoisse pour Kalé.
Mais déjà, il refermait la porte derrière moi. J’essayais de l’ouvrir, mais
elle était verrouillée de l’extérieur. C’était l’œuvre de Kalé pour me
protéger.
Il m’avait dit cinq minutes, mais je n’avais
aucun moyen de vérifier l’heure. Je devais me débrouiller autrement. Tandis que
je réfléchissais à un moyen efficace, je me souvins de l’incantation de Ma’Darsille.
Elle trottait dans mon esprit, prête à se mettre à mon service. Dali avait dit
que je devais sortir de ma prison par moi-même. Je ne devais donc pas remettre
tous mes espoirs sur Kalé.
Alors,
je décidai d’anticiper. Je ne voulais plus être la victime de M. Dagary. Je
portai la chevalière de Kalé à mon pouce droit afin de ne pas la perdre, puis
je m’observai dans le miroir accroché au mur. Mon visage me parut terne,
j’avais des poches sous mes yeux. Mon état mental se reflétait sur mon visage.
Je devais sortir d’ici avant de prendre un sacré coup de vieux !
J’inspirai
profondément, puis j’ouvris le robinet et laissai l’eau froide couler. Je
plaçai ensuite mes deux mains sous l’eau et je fermai les yeux. Je commençai
ainsi à réciter l’incantation, exactement comme Dali me l’avait indiqué : six
fois d’abord, puis une septième fois en pensant très fort à ce que je désirais
le plus :
Mer,
Océan, Fleuve et Rivière
Esprit des eaux nourricières
Révèle en moi ta puissance
Et par Mamissi ta quintessence
À la sixième invocation, mes mains
absorbèrent complètement l’eau du robinet. Je pouvais la sentir pénétrer dans
mes veines et circuler le long de mes bras jusqu’à mes épaules. Je sursautai à
la sensation froide et imposante de ce liquide sous ma peau. À la septième
incantation, l’eau poursuivit son chemin jusqu’au sommet de ma tête.
J’en fus complètement engourdie. Je
sentis ma tête tourner, je dus prendre appui sur le lavabo pour ne pas tomber.
L’eau cessa finalement de couler, comme si ses réserves s’étaient épuisées. Je
fus incapable de bouger pendant un long moment. Puis, je sentis la magie se
répandre dans mon corps. Je levai la tête et observai le miroir qui me renvoya
une image différente de moi-même.
J’eus du
mal à reconnaître ce visage ferme et éclatant de beauté, ces yeux de biche aux
prunelles imprégnées de la magie de l’océan, et cette longue chevelure nattée
aux reflets bleutés. J’avais devant moi une Amazone au tempérament explosif qui
me correspondait tout à fait.
J’entendis
soudain un cri dans la salle de séjour. Mes sens furent en alerte. Je pensais à
Kalé. Qu’est-ce que son père lui faisait subir ? L’image de M. Dagary flottait
devant mes yeux, et une vague de souvenirs désagréables submergea mon esprit.
Tout d’un coup, la colère et la
frustration enflammèrent ma gorge. Mes yeux devinrent éblouissants, et la magie
jaillit de tout mon être. Un cri strident, semblable à celui de la sirène, s’échappa
de mes lèvres, libérant toute l’énergie de mes entrailles. La force de l’air
qui sortait de mes poumons n’avait rien d’humain. Le cri fut si puissant que la
pièce explosa d’un seul coup.
Loin d’être impressionnée, je me
tournai vers la sortie, grande ouverte. Rien n’avait été épargné dans le salon,
c’était le cataclysme. J’aperçus M. Dagary en boule par terre, se protégeant
les oreilles du bruit qui devait encore résonner dans ses tympans. Sans me
préoccuper de son sort, je me dirigeai vers Kalé qui gisait sur le sol, sans
vie, et m’agenouillai près de lui.
– Kalé ? Je t’avais dit que je ne
partirais pas d’ici sans toi !
Je fus soulagée de le voir ouvrir les
yeux au son de ma voix qui ne laissa transparaître aucune émotion. Par son regard
inquisiteur, je compris qu’il venait de rencontrer mon alter ego. Le léger
sourire flottant sur mes lèvres le rassura.
– Accroche-toi, on rentre !
Je démontrai l’assurance d’une personne
habituée à ce genre de situation. Je lui tendis la main qu’il accepta sans
hésiter. Je pus lire dans son regard de l’admiration et une confiance totale.
La sensation que je ressentis alors me parut inappropriée. Je reportai mon
attention sur la suite des événements. Je devais ramener Kalé chez lui.
Mais avant, je devais l’aider à se
rétablir. Je pouvais ressentir sa douleur. Je pressai mes doigts sur les siens
et fermai les yeux un instant. Une lueur bleue jaillit de ma main et pénétra
dans celle de Kalé pour se répandre dans chaque parcelle de son corps. L’énergie
fut si puissante qu’il en perdit connaissance.
Lorsque j’ouvris les yeux, je vis son
corps luminescent. La magie agissait. Satisfaite, je me focalisai maintenant
sur le départ. Comme je n’avais aucune idée de l’endroit où se trouvait la
maison de Kalé, je ne pouvais l’y emmener si je ne pouvais la visionner. Je me
rappelai alors de la bague de ce dernier, toujours à mon pouce, entrelacé à
celui de Kalé.
– Emmène-nous là où il sera en sécurité
!
Je vis le bijou s’illuminer et aussitôt
la salle se mit à tournoyer autour de nous. Je fus prise de vertige. Ce que je
vis par la suite resterait gravé dans ma mémoire pour des temps indéfinis. J’aperçus
les deux vipères de la chevalière se détacher lentement sous un nuage enténébré
et prendre vie.
Sifflant vicieusement leur joie d’être
libres, l’un d’eux vint s’enrouler autour de mon poignet tandis que l’autre fit
de même autour du poignet de Kalé qui était toujours inconscient. Le serpent
sur mon poignet me fixa de ses yeux flamboyants avant d’insérer ses crocs
acérés dans ma chair. La peur me figea. Le seul mouvement que je pouvais
percevoir était mon cœur qui battait à tout rompre.
L’autre reptile fit subir exactement le
même sort à Kalé. Puis il redressa la tête à la recherche de son partenaire.
Ils s’enlacèrent ensuite avant de s’évaporer et reprendre leur place sur la
bague. Ce fut une vision cauchemardesque. À partir de là, tout s’enchaîna si
vite que je n’eus pas le temps de réaliser ce qui se passait.
Je sentis tout à coup une baisse d’énergie.
Je ne ressentais plus la puissance de la mer vibrer en moi. Je me trouvais dans
un état fébrile. Heureusement pour moi, nous atterrîmes dans ce que je
supposais être la chambre de Kalé. Une femme, vêtue d’un tailleur en tissu
jaune, nous attendait, assise sur le lit.
– Merci, ma fille, de me l’avoir ramené
sain et sauf !
Elle s’agenouilla près de nous et m’aida
à transporter Kalé sur le lit. Cet effort me laissa pantelante. Qu’est-ce qui m’arrivait
soudain ? Un moment je me sentais débordante de vie, et un autre, je redoutais
le moindre effort. Comme pour me punir de ma plainte, une violente douleur me
transperça le bras jusqu’à la poitrine. Je serrai les dents et m’appuyai
lourdement sur le lit.
– Ça ne va pas ?
La dame s’empressa à mes côtés, le
visage très inquiet. Elle tendit la main pour me soutenir, mais je reculai
vivement, le regard terrifié.
– Non ! Ne m’approchez pas, s’il vous
plaît !
– Il est évident que tu n’es pas en
forme, ma fille. Laisse-moi t’aider.
– Il faut que je parte ! Surtout, prenez
grand soin de lui. Il a besoin de reprendre ses forces.
– Ne t’inquiète pas pour lui. Je suis
sa mère. En revanche, toi…
Je ne lui laissai pas le temps de finir
sa phrase, la bague avait déjà exécuté mon ordre. Je me retrouvai encore dans
ce champ intemporel, éclairé par une lumière multicolore. J’allais de mal en
pis. Je me posai enfin devant chez moi. Mais pourquoi pas à l’intérieur ? C’était
bien ce que j’avais demandé, non ? Dans tous les cas, je me retrouvai sur l’herbe,
à deux mètres de la porte d’entrée et dans un état fiévreux.
Le soleil du midi dardait ses rayons
sur mon visage en sueur. Qui était à la maison à cette heure-ci ? Mon père ne
rentrait pas avant dix-neuf heures. Quant à mes frères, ils mangeaient à la
cantine scolaire. Ma belle-mère était infirmière à mi-temps. Elle ne tarderait
pas à se rendre à la clinique. Si toutefois elle n’était pas déjà partie. Je ne
pouvais donc compter sur elle.
Je me levai avec difficulté, la
respiration haletante, et me dirigeai lentement vers l’entrée. À un mètre de la
porte, une soudaine migraine me terrassa. La douleur m’aveugla un instant, et à
mesure que j’avançais, elle s’intensifiait. J’étais à l’agonie, et mes pieds
refusèrent de me porter plus loin.
Pourquoi
n’arrivai-je pas à atteindre la porte ? J’étais pourtant si près du but. Je
sentis des larmes de frustration et de dépit couler sur mes joues. Était-ce l’incantation
? L’avais-je mal utilisée ? Ohhh, ma tête, mon corps ! La douleur était
insupportable.
La
porte d’entrée s’ouvrit brusquement, laissant apparaître ma belle-mère. Elle n’était
pas seule. Un homme que je ne reconnaissais pas l’accompagnait.
– Nélia ? lâcha-t-elle, la mine
déconfite.
Elle paraissait visiblement gênée de me
voir. L’homme à ses côtés semblait si embarrassé qu’il n’osait ouvrir la
bouche. Une fois la vague de choc passée, elle s’aperçut enfin de mon état
critique.
– Tu as l’air mal en point. Je t’emmène
à l’intérieur.
Elle fit mine de s’approcher de moi,
mais j’étendis le bras vers elle et la repoussai brutalement en arrière. Elle
se heurta contre la porte, interloquée.
– Je suis désolée, maman Suki ! Je ne
sais pas ce qui m’arrive, mais personne ne doit m’approcher ! sanglotai-je.
Elle ébaucha une grimace de terreur.
Son compagnon, mortifié, retourna à l’intérieur pour se protéger de ma
prochaine attaque.
– J’appelle Ma’Darsille !
Ma belle-mère sortit son téléphone
portable de son sac, et de ses doigts tremblants, elle composa le numéro de la
prêtresse. Je pouvais entendre la sonnerie d’appel puis une voix répondre à l’autre
bout du fil.
– Nélia est ici ! Venez vite, elle a
besoin de vous !
L’appel prit fin. Elle s’octroya un
petit moment pour se ressaisir puis, se tournant vers son compagnon, elle l’enjoignit
de partir. Celui-ci ne demanda pas son reste, il disparut aussi vite qu’il put,
en prenant soin de rester aussi loin de moi que possible. J’étais épuisée, je
sentais mon âme quitter doucement son enveloppe charnelle.
– Nélia !
C’était la voix de Dali. Il accourut
vers moi, Ma’Darsille sur ses talons. Ils étaient arrivés en un éclair. Dali s’approcha
trop près de moi.
– Non ! Reste où tu es ! Je ne veux pas
te faire de mal.
J’avais puisé le peu d’énergie qui me
restait pour lui sortir ces quelques mots. Une houle douloureuse me plia en
deux.
– Ahhh !!!
– Nélia ! Ma’Darsille, faites quelque
chose ! implora ma belle-mère, au bord des larmes.
La prêtresse parut anormalement calme,
comme si elle méditait. Au bout d’un moment, elle se tourna vers ma belle-mère.
– Suki, pouvez-vous m’apporter un seau
rempli d’eau de mer, s’il vous plaît ?
Celle-ci ne se fit pas prier, et
disparut aussitôt à l’intérieur. La prêtresse reporta ensuite son attention sur
moi.
– Nélia, pourquoi n’es-tu pas à l’intérieur
?
Affalée sur le sol, j’essayais tant
bien que mal de calmer les tremblements de mon corps.
– Je ne... sais pas…
– Comment es-tu arrivée ici ?
– ... La... bague…
– Quelle bague ?
– ... Kalé…
– Très bien. Je vais t’aider à rentrer
maintenant.
J’acquiesçai faiblement de la tête.
Elle se tourna vers Dali, et ils échangèrent un regard complice. Puis Dali
apparut devant moi, comme par enchantement. Il avait pénétré dans mon périmètre
de sécurité et s’était agenouillé près de moi. Me prenant par les épaules, il m’étreignit
fermement pour me transmettre un peu de sa force et m’aider à me remettre sur
pied.
– Ça va aller, Nélia, je te le promets.
– Tu n’aurais pas dû faire ça ! Tu n’aurais
pas dû ! proclamai-je en secouant vivement la tête.
Dévastée de chagrin, je posai mes mains
sur son torse malgré moi, et laissai cette chose — qui me possédait depuis ma
sortie de prison — agir à sa convenance. Je pouvais sentir son pouvoir crépiter
sur le bout de mes doigts. Dali tressaillit, plongeant son regard éberlué dans
le mien inondé de larmes. Un râle de souffrance lui déchira la poitrine et il
retomba en arrière.
Il poussa un ultime soupir avant de s’effondrer.
Je restai là, pétrifiée, à l’observer comme s’il allait se réveiller et me dire
que tout cela n’était qu’un mauvais rêve. Lorsque mes larmes se tarirent, je
levai enfin les yeux vers Ma’Darsille qui s’était approchée de ma belle-mère et
tenait dans les mains un seau rempli d’eau.
– Dali, maintenant ! hurla-t-elle.
La pauvre ! Elle n’avait pas vu Dali
rendre l’âme. Lorsque je ramenais mes yeux sur le corps inerte de ce dernier,
je laissai échapper un hoquet de stupeur. Il avait subitement disparu. Effarée,
je le cherchai du regard et l’aperçus, bien en vie, auprès des deux femmes.
Mais qu’est-ce que... ? Je me mis soudain à suffoquer. Je lançai un regard
paniqué vers Dali, ses prunelles écarlates me terrifièrent.
Je luttai maintenant pour respirer.
Après un moment de flottement, mes pupilles se contractèrent et mon regard se
vida de toute expression. Mon âme s’apprêtait à quitter mon corps quand je
sentis une pluie torrentielle s’abattre sur moi et me tremper jusqu’aux os. L’étau
dans ma poitrine se desserra, et je fus prise d’une quinte de toux pour tenter
de remplir mes poumons d’air.
Tout cela me laissa complètement vidée,
il me fallait somnoler. J’avais atteint plus que ma dose d’événements
surnaturels pour la journée ! Mais il fallait croire que ce n’était pas encore
assez ! Dali fut près de moi en un instant, me soulevant de terre sans trop d’effort.
Il n’avait pas l’air de comprendre que personne ne pouvait m’approcher. Il
avait certes échappé à la mort, mais sa vie n’était pas hors de danger pour
autant !
– Dali ! Repose-moi par terre et
va-t’en !
– Accroche-toi, je t’emmène avec moi !
– Dali, non !
Je me débattis vainement dans ses bras.
Mais déjà, nous nous retrouvâmes dans cet espace intemporel que je connaissais
assez bien. Mon corps avait rapidement séché depuis l’épisode de la douche
improvisée. Je pouvais ressentir les bienfaits de l’eau de mer sur mon corps et
mon esprit. La douleur avait momentanément disparu. Je me sentais beaucoup
mieux.
Morphée m’attira inexorablement dans
ses bras si forts et si réconfortants. Je me laissai aller contre le torse
ferme de Dali. C’était la première fois que je me téléportais avec lui. Je
savais qu’il avait changé mais je ne pensais pas que c’était à ce niveau. Qui
était-il réellement ? Heureusement pour moi, le voyage ne dura que quelques
secondes.
Je ne supportais plus d’être aussi
proche de lui, de sentir son cœur battre tout contre le mien. Je ne supportais
plus l’intensité de ces émotions qui me dévastaient de l’intérieur. Et cette
image de Kalé qui s’imposait à moi à chaque fois que je fermais les yeux. Je
craignais de le voir hanter mon sommeil.
Tout était
confus dans ma tête depuis que je m’étais échappée. Je voulais que tout
redevienne comme avant. Je voulais retrouver cette adolescente ordinaire et
impatiente de fêter son seizième anniversaire.
– Nous y sommes !
Dali m’avait emmenée chez Ma’Darsille.
Nous étions dans son jardin botanique qui était de loin le plus impressionnant
de la ville. J’eus l’impression de me retrouver dans un monde féerique. La
prêtresse nous attendait devant sa piscine naturelle. Un étang d’eau de mer,
orné de cascades dont les miroitements du soleil apaisèrent mon esprit troublé
et réconfortèrent mon cœur en peine.
– Nélia, peux-tu me montrer ta bague ?
demanda la prêtresse d’une voix calme et sereine.
Dali m’avait reposée sur la terre
ferme. Je lui tendis mon pouce droit où le bijou semblait avoir élu domicile
indéfiniment. Elle le scruta un instant, puis hochant la tête, elle m’annonça :
– C’est une bague pétrie de magie
noire. Elle permet à la personne qui la porte d’exaucer ses désirs les plus
profonds, au dépend de sa vie. As-tu remarqué quelque chose d’inhabituel depuis
que tu la portes ?
Au souvenir des serpents, je sentis un
frisson me parcourir l’échine. Je ne voulais pas en parler. Surtout pas devant
Dali. Je me renfrognai et refusai d’en dire plus. Ma’Darsille n’insista pas. Je
lui en fus reconnaissante.
– Ne t’inquiète pas pour ça. Tu es ici
pour subir une purification, poursuivit-elle. Tout ce que cette bague a pu
infiltrer en toi ne sera plus qu’un mauvais souvenir après ce rituel. Tu
comprends ?
Je consentis. J’étais prête à tout pour
me débarrasser de cette chose néfaste à ma santé mentale.
– Je veux m’en débarrasser, Ma’Darsille
!
C’était un appel au secours.
– Ne t’en fais pas, elle se détachera
dans l’eau. Maintenant, si tu es prête on va commencer, m’invita-t-elle.
Dali m’adressa un grand sourire
encourageant. Je levai brièvement les yeux vers lui, un sourire reconnaissant
sur les lèvres. Je m’assis ensuite lentement au bord de l’étang, puis
j’attendis la suite.
– Tu vas nager jusqu’au centre et
attendre mes instructions. Va !
Je pénétrai dans l’eau, quelque peu
hésitante. L’eau était à température ambiante. Je sentis ses vagues
imperceptibles me caresser la peau. Je me laissai porter par celles-ci. Une
fois au centre, je me tournai vers Ma’Darsille et la regardai fixement en
attendant ses instructions.
– Très bien. Maintenant, pose la main
sur la surface de l’eau et laisse la bague emmener ton esprit à l’endroit de
son choix. Tu seras plongée dans la profondeur de la piscine jusqu’à ce que ta
conscience retrouve son équilibre. C’est seulement à cette condition que tu
pourras remonter à la surface.
– Mais comment fera-t-elle pour
respirer dans l’eau ? s’inquiéta Dali.
– Dans cette piscine, elle n’a rien à
craindre, rassure-toi. Je te conseille de prendre une chaise, car ça peut
paraître long.
– Non, ça va aller, merci.
– Dès que tu es prête, Nélia.
Je n’hésitai pas une seconde. Je
voulais en finir au plus vite, et surtout, je voulais libérer mon être de cette
présence maléfique. Je fis exactement comme la prêtresse avait dit. Quelques
secondes plus tard, je sentis l’eau vibrer doucement et former des vagues de
magie qui scintillaient de mille feux.
Ensuite, une onde de sérénité descendit
en moi, me recouvrant de la tête aux pieds. Je m’abandonnai à cette sensation
bienfaitrice. Je ne me rendis pas compte que je m’enfonçais de plus en plus
dans la profondeur de la source. Ma tête fut ensevelie sous ses courbes
silencieuses.
– Elle est en train de se noyer ! lâcha
Dali, la gorge nouée par l’angoisse.
Avant même que Ma’Darsille n’ait pu
réagir, il plongea dans l’étang.