Chapitre 18
Write by leilaji
LOVE SONG
Tome II
(suite de Xander et Leila + Love Song)
DENIS
Episode 18
Elle essaye de calmer les murmures qui s’élèvent du coté de la famille de Leila. Je ne l’avais encore jamais vu au bord de la panique. Elle transpire, bat des cils à s’en gonfler les paupières et bégaie quand on lui demande ce qui se passe. Je suppose qu’elle a été choquée par ce qu’elle a vu et ne sait comment gérer ce genre de stress familial. Le vieux Okili se lève pour prendre sa petite fille en aparté et tout le monde les observe. La cour se tait. On entend enfin, les voitures passer sur la route. Elle, essaie de capter de nouveau l’attention de l’assistance en demandant aux hôtesses de servir les mets préparés par les tantes et grands-mères de la famille. Les cuisinières n’étaient pas très nombreuses mais ont préparé dans le temps imparti, un festin de roi. Les gabonais aiment la fête, boire et manger. Elle fait bien de les divertir avec de la nourriture.
Ils quitteront enfin Leila des yeux. Moi je n’y arrive pas.
Leila tremble et Okili passe des bras protecteurs autour de ses épaules. Ils parlent tous les deux à voix basse. C’est très étrange de les voir ainsi. Proches. Elle a lutté de toutes ses forces pour ne pas s’attacher au vieil homme mais je vois qu’au final, elle a échoué. Okili indique la maison à sa petite fille et ils se dirigent tous deux vers la bâtisse coloniale décorée de feuilles de palmier ainsi que de bottes de raphia coloré. Je les suis du regard jusqu’à ce qu’ils disparaissent dans le salon et referment la porte derrière eux. Je sors mon téléphone portable de ma poche et le regarde longuement. Je devrais appeler Alexander. Ou lui devrait m’appeler. Ca me fait mal de le reconnaitre mais j’ai l’impression qu’on s’est vraiment éloigné l’un de l’autre.
Ma conscience me dit que c’est à moi de le faire s’il ne le fait pas. Je suis l’ainé, je peux passer outre les mauvaises manies d’Alexander quand il est en colère. Je ravale ma déception et fais défiler les numéros, jusqu’à ce qu’une ombre se projette sur le téléphone. Quand je lève les yeux, Elle me regarde, les bras croisés comme si elle était prête à me régler mon compte.
— Je t’avais demandé d’annuler, de faire annuler ce putain de mariage et tu l’as laissée faire !
— Elle c’est pas le moment.
— Si c’est le moment puisque tout le monde n’en fait qu’à sa tête.
— Qu’est-ce que tu me fais là ? je demande en levant les yeux aux ciels, exaspéré par cette attaque sans fondement.
Leila pète un câble et c’est sur mes doigts qu’elle veut taper ? Elle attrape le manche de ma chemise et me tire vers l’arrière de la maison transformé en cuisine indigènes. Vu qu’elle est plutôt petite de taille, je suppose que la scène doit être cocasse. Franchement, je n’ai aucune envie de me faire démonter par une ex, surtout par Elle qui a une manière très maternelle, très traditionnelle d’appréhender les choses.
— Pourquoi tu n’as pas demandé à Alexander des explications par rapport à son comportement ? Tu l’as emmené ici se faire humilier comme un moins que rien devant toute sa famille… Tu crois que c’est comme ça qu’on se comporte nous les africains ? Tu crois que c’est comme ça qu’on traite une personne qu’on est censé aimer ? Leila est comme une sœur pour moi et tu sais que je la protégerai toujours. Mais elle a mal agi. Très mal agi. Je ne peux pas dire à quel point je suis déçue par tout ce que j’ai vu. C’était terriblement indécent d’agir comme cela devant les deux familles. Les réunir pour ridiculiser un homme et sa famille devant nous tous. Elle a eu mal de s’être fait tromper. Ok. Mais ça se gère à deux. Pas devant tout le monde. Tu savais… comment les choses allaient tourner.
— Est-ce que tu te rends compte que tu me reproches qu’il ait baisé son indienne ? je me m’écrie complètement ahuri par ses remarques. Parce que le scandale d’aujourd’hui c’est la conséquence de ça si tu ne l’avais pas compris!
— Chuuut ! fait-elle en posant un doit sur ses lèvres tout en se rassurant que personne ne nous a entendus. Ne sois pas vulgaire !
— Oh que si je vais l’être. Tu sais quoi ? J’en ai assez ! De tout ce jeu stupide. J’en ai assez de jouer les gentils puisqu’apparemment quoi que je fasse je serai toujours le fautif ! Je n’avais aucune idée de ce qu’il faisait en Inde. Il ne m’en a pas parlé. Ok ? Je sais que dans ta petite tête, tous les hommes trompent et que je devais forcément être au courant …et que je protège Khan. Mais je ne le savais pas Ok ? Je n’avais aucune idée de ce que Leila allait faire aujourd’hui non plus. Elle ne m’en a pas parlé ok ? Maintenant tu me fous la paix, sinon je vais commencer à m’énerver et tu ne vas pas aimer ça.
Elle tourne les talons mais avant de s’en aller prend la peine de me lancer une dernière réplique acide.
— Continue de faire comme si tu ne voyais pas le pouvoir que tu as sur elle. Si tu avais tapé du poing sur la table pour la raisonner, elle t’aurait écouté. Tous les deux… Ils t’écoutent toujours. Laisse la foutre sa vie en l’air ! T’es doué pour te retirer quand les gens ont besoin de toi.
Je reste un long moment à faire mariner en moi la colère. Mais elle est difficile à contenir. A bout de nerf, j’envoie valser un tabouret en bois loin de moi. Putain de mariage à la con ! Je sursaute lorsque j’entends des pas derrière moi. Un plateau en main, une des vieilles cousines d’Okili vient chercher du poulet frit et me regarde avec suspicion. Je me rends compte que je n’ai rien mangé depuis la veille.
— Mon fils, tu as mangé ?
— Non, ça va maman.
— Il faut aller t’assoir, insiste-t-elle sans tenir compte de ma réponse. Je vais te faire servir.
J’ai l’estomac noué alors ce sera non merci.
— C’est ce qui s’est passé qui t’embête ? Ca c’est rien, dit-elle de sa voix basse en souriant. Elle a le caractère des femmes de la famille. L’orgueil a été bafoué, elle a réagi, c’est instinctif !
— Pardon ?
Elle me regarde comme on observe un enfant qui ne comprend rien à la vie. Je lui retourne son regard en biais puis grimace un sourire avenant pour qu’elle s’exprime un peu plus.
— Nous les plus âgées, connaissons un peu l’histoire. Quand papa Okili est parti suite à la mort de son fils et de sa femme, on a enterré l’histoire et personne ne savait que son fils avait eu un enfant. Mais maintenant, tout le monde parle, donne son avis parce qu’Okili a dit que c’est elle oh. Pourtant il parait qu’il y a aussi un garçon mais il ne parle jamais de lui. Le problème c’est qu’on ne mélange pas notre sang. Ca ne marche pas comme ça. Bon, elle a grandi en dehors de la famille, donc elle ne pouvait pas le savoir. Ce qui arrive maintenant ne m’étonne pas. Chaque famille a un pouvoir attaché à son nom. Certaines familles soignent, d’autres ont des enfants qui apportent la richesse… Il y a des familles faites pour commander depuis des générations. La notre est comme ça mais il y a toujours une contrepartie. On ne peut rien avoir si on ne donne rien en retour. On dirige oui, mais on ne mélange pas notre sang. Je sais que vous avez grandi chez les blancs et que vous ne croyez pas en ces choses là, mais mon fils, elles sont vraies. Il ne faut pas lutter contre ça. Tu veux de la mayonnaise dans ton poulet ?
Ce changement soudain de sujet me déstabilise.
— Mais tu ressembles à ton père hein. Papa, tu n’es pas le fils Ondimba ?
— Si.
— Ahhh. Donc c’est toi.
— Quoi…
— Rien. Bon, je t’apporte quelque chose à manger.
Ce « ahhh », contient mille mots. Il contient tous les avertissements du monde. Comment peut-elle parler de choses aussi importantes et me proposer à manger en même temps. Les femmes gabonaises et leur manie de toujours vouloir foutre de la nourriture dans toute bouche à leur proximité me surprendront toujours! Elle se penche pour soulever une énorme marmite en aluminium noircie par le feu de bois. Je lui propose mon aide qu’elle décline avec le sourire.
— Les hommes ne s’occupent pas de la cuisine. Va t’assoir, je vais te faire servir.
Est-ce en cela que réside toute la beauté de la génération passée ? A son âge, refuser d’être aidée sous prétexte qu’il s’agit d’une affaire de cuisine, donc de femme ?
Je la quitte pour retrouver Elle rejointe par son homme. Plus elle lui parle et plus il a l’air embarrassé par ce qu’elle lui raconte. Cette masse géante de muscles recouverts de tatouages m’horripile toujours autant qu’à notre première rencontre. Il me regarde comme s’il devait rester sur ses gardes en ma présence. Pourtant quand il a eu besoin de mon aide, je la lui ai accordée sans mesquinerie. La chemise en pagne qu’il porte dessine chaque muscle de son corps. Il doit casser des noix de coco à main nu avec des bras pareils.
Plutôt que de le saluer, je me dirige vers le salon que personne n’a osé rejoindre. Le vent se lève et souffle vers ma direction, soulevant de la poussière sur son passage. Mais je continue d’avancer en prenant des résolutions fermes.
Une fois devant la porte fermée, je ne frappe pas, ouvre et m’avance. Ils tournent tous les deux leur visage vers moi. Leila est défaite et lui semble en colère.
— Je comprends bien que je t’ai choquée en cherchant à m’imposer à toi mais j’ai fait des efforts, afin que toi et moi obtenions ce que nous voulions. Mais cette manière d’agir, je te le dis bien, je ne cautionne pas. Je vais appeler sa mère et nous allons tout arranger. Je vais tout arranger. Ne t’en fais pas. Tu es en colère mais c’est ça le mariage…
— Tu crains que je revienne sur ma parole ? Tu ne l’as jamais aimé. Pourquoi essaierais-tu de recoller des morceaux que j’ai envie de jeter ?
— Je t’avais pourtant prévenu pour l’histoire d’enfant.
— Ne remet pas ça sur le tapis s’il te plait. Pas maintenant.
— D’accord.
— De toute manière, apaise ton cœur et cesse de faire semblant d’être désolé pour ce qui vient de se passer. Un marché est un marché. Je ne compte pas revenir sur ma parole.
Sa voix est terriblement calme et douce. A croire que son monde ne vient pas d’être complètement bouleversé. Son visage impassible ne reflète aucune émotion particulière.
— Es-tu sérieuse là? J’interviens sans qu’on ne me donne la parole.
Elle se tourne vers moi et esquisse un léger sourire.
— Je suis désolée pour ce que tu m’as entendu lui dire. Vraiment désolée, je n’avais pas à te mêler à nos problèmes. Je voulais lui faire du mal… Excuse-moi…
— Tu es toute excusée… Pas de souci.
— Je vais parler à … la famille. On peut dire que j’ai fait une entrée remarquée. Ils ne risquent plus de m’oublier maintenant, ajoute-t-elle avec un petit sourire triste.
— Leila…
Elle marche vers moi, les yeux baissés mais le sourire fantôme toujours présent sur ses lèvres. Elle ne peut passer si je ne me décale pas. A chaque geste qu’elle fait, ses bracelets en or cliquètent joyeusement trompant allégrement sur l’humeur de leur possesseur. Je souhaiterai qu’elle reste dans le salon, le temps que les gens s’en aillent après avoir mangé ou déblatéré à volonté sur elle. Mais apparemment, elle se sent assez forte pour retourner dans l’arène. Mais tout au fond de moi, je suis convaincu qu’elle n’en mène pas large.
— Dois-je te supplier aussi pour passer ? me demande-t-elle la voix tremblante. Dois-je me justifier aussi auprès de toi ?
— Tu n’auras jamais à me supplier pour quoi que ce soit. Et tu le sais, lui-dis-je en levant son menton du bout de l’index.
Elle prend une grande inspiration et à regret, je m’écarte pour la laisser passer. Quelques minutes plus tard, Okili se lève et inspire profondément avant de se tourner vers moi le sourire aux lèvres. Son sourire confère de la douceur à ses traits. Je commence à connaitre ses gestes et mimiques par cœur. J’ai un léger doute quand à ses intentions. Un très léger doute. Leger ne veut pas dire inexistant donc je m’y raccroche.
— Ca ne marchera pas avec moi.
— Quoi mon fils ? Qu’est-ce qui ne marche pas avec toi ? demande –t-il en penchant légèrement la tête sur le coté.
Je ne sais pas pourquoi mais je trouve que ça lui donne l’air d’un psychopathe.
— Vous allez me faire croire que vous n’êtes pour rien dans ce fiasco?
— Ah, n’êtes vous pas des adultes maitres de vos destins respectifs. Mais quand ça échoue vous cherchez des coupables partout où vous le pouvez. La nouvelle génération n’aime jamais assumer, il faut toujours accuser quelqu’un de ses échecs personnels !
Un point pour lui ! Voilà que je me mets à réagir comme les autres, à rejeter la faute sur quelqu’un. Il plonge ses yeux dans les miens et se rapproche à pas lents. Ses problèmes de genoux semblent s’être aggravés. Je suis bien plus grand de taille que lui mais il a une telle présence, que je ne peux m’empêcher de frissonner d’appréhension. Ce qui m’arrive, je l’avoue quasiment jamais.
— Laissez la tranquille. Pourquoi ne le comprenez vous pas ? N’est-ce pas risible de voir un homme faire autant de mal à son propre sang.
— Contrairement à ce que tu penses, je n’ai pas l’intention de passer le reste de ma vie à régenter ma petite fille. Je lui montre la voie, elle la suit ou pas. Par ailleurs, j’avais déjà obtenu ce que je voulais. Elle, heureuse et prête à se lancer en politique. L’humiliation publique ne faisait pas parti de mes désirs de vieillesse. Je ne suis pas à l’origine de cette ridicule mascarade. Mais ne t’en fais pas, j’ai compris l’essentiel. Elle ne veut pas de toi. Ca je l’ai bien compris.
Il prend un malin plaisir à appuyer là où ça fait mal. Elle ne veut pas de moi, comme si je ne le savais pas déjà. Le plus troublant c’est qu’il semble dire la vérité quand il dit ne pas être à l’origine de toute cette tragédie.
— N’est-ce pas ça qu’il me fallait comprendre ? demande-t-il en se rapprochant encore plus de moi.
Ses prunelles sont d’un noir intense. On a rarement les yeux noirs, marron foncé oui, mais noir nuit, rarement. Lui si.
— J’ai compris que pour elle, tu n’es pas à la hauteur de ce misérable indien. Quelle valeur cela te donne-t-il mon fils ? Qu’est-ce qui est plus bas que misérable ? Malgré l’argent et le pouvoir attaché à ton nom, tu n’as aucune sorte d’importance à ses yeux. Finalement, je me demande qui est risible ?
Je n’ai absolument rien à répliquer pour le moment.
— Tu es encore jeune, malgré la barbe grise. J’ai plus à vous apprendre qu’à apprendre de vous.
J’enfonce les mains dans mes poches, tourne les talons et pars sans demander mon reste.
*
**
Ni Leila, ni Alexander ne sont joignables. Je tourne en rond comme un lion en cage. Je n’ai quasiment pas quitté mon téléphone des yeux depuis quatre jours. Il va falloir que je comprenne que plus rien de tout ça n’est mon problème.
— Monsieur vous êtes sûr que ça va bien ? me demande mon conseil juridique en remettant ses lunettes cerclées d’or en place.
— Oui. Continuez… j’atteste tout en regardant ma montre.
— Alors, je vais vous transmettre les documents examinés par le conseil…
— Ecoute Patrick, on va remettre tout ça à plus tard. Mes valises sont faites et j’ai un vol dans une heure. C’était une très mauvaise idée d’examiner ces documents aujourd’hui.
— Vous êtes sure ? J’ai besoin que vous signiez pour envoyer le tout à l’enregistrement…
Il reprend la lecture du conseil d’administration de ma société de BTP à vive allure. Je n’y ai pas assisté mais je n’ai pas la tête à signer quoique ce soit en ce moment. Mon téléphone vibre et le nom d’Elle apparait à l’écran. Je soupire, fais signe au conseiller d’arrêter là la réunion improvisée. Je décroche et pause ma paume sur le micro du téléphone en attendant qu’il s’en aille. Il ramasse ses documents et glisse son attaché-case sous ses aisselles avant de disparaitre. Il aurait tout de même pu m’épargner son air mécontent.
— Tu peux ouvrir Facebook ? demande Elle après les salutations d’usage.
— Je ne suis pas sur les réseaux sociaux, je lui réponds sèchement.
— Ok. Attends.
Elle raccroche sans rien ajouter puis rappelle quelques minutes plus tard sur whatapps pour me préciser qu’elle vient de m’envoyer une vidéo.
Je reconnais les lieux, les gens, Leila, Alexander… Ok, je vois !!! Quelqu’un a filmé le mariage et a balancé la vidéo sur Facebook ! A peine je finis de visionner la scène où on voit Alexander partir avec sa famille qu’Elle m’envoie un message.
« Elle : Ca circule sur toute la toile. Je ne sais pas qui a trouvé marrant de faire une telle chose. C’est ma fille qui m’a envoyé la vidéo. Tu te rends compte ? Et je n’arrive pas à joindre Leila, ça sonne mais personne ne décroche. »
« Moi : Moi non plus. Je ne savais pas pour la vidéo. »
« Elle : Alexander est parti. C’est la dernière fois qu’elle m’a parlée. Elle est rentrée et il n’était plus là. Il a pris quelques affaires et il est parti. Je ne comprends pas ce qui arrive. Et maintenant cette vidéo de toute la scène. Les insultes, les moqueries en commentaire sous la vidéo. Je l’appelle, elle ne décroche pas. Toutes les personnes qu’on connait l’appellent surement pour savoir ce qui s’est passé. Peut-être même ses clients. Tu te rends comptes, ses clients à qui elle conseille des investissement à coup de centaines de millions vont voir cette vidéo…»
« Moi : Va voir chez elle. »
« Elle : Je suis au Ghana. Pour signer un partenariat entre la Fondation et une école de langue. Je rentre dans quelques jours. »
« Moi : Elle traverse une période difficile et tu voyages ? »
« Elle : C’est elle-même qui m’a demandée de partir. C’est important pour la Fondation ! Elle a insisté ! Il n’y aura peut-être même plus de fondation demain et elle a quand même insisté ! Denis, je t’en prie, vas-y. »
« Moi : Je ne peux pas. »
Je pose le téléphone sur la table basse et jette un coup d’œil à ma montre. J’ai un vol à prendre bordel ! Elle appelle immédiatement après avoir reçu mon dernier message.
— Tu blagues là.
— J’ai un vol à prendre Elle. Je dois partir. Changer d’air. Je n’ai pas à toujours me mêler de leur histoire de couple.
— Tu blagues là, répète-t-elle. Dis-moi que tu blagues.
Et pourquoi blaguerai-je ? Pense-t-elle que je n’ai pas conscience du sérieux de la situation ?
— Tu sais quoi Elle ? Tu sais comment ils se sont rencontrés ? Parce que j’ai demandé un audit de la société. Je suis à l’origine de leur rencontre. Quand elle a pété son câble la toute première fois et lui a menti en disant qu’elle avait avorté pour sa carrière et qu’il est devenu fou parce qu’il l’a bêtement cru, c’est moi qui leur ai permis de se parler et de faire le point. Quand on était tous en Inde et que vous étiez en boite, j’ai emmené Xander dans cette foutue boite pour qu’il puisse lui parler. J’ai déjà beaucoup fait pour eux tu ne trouves pas ? Il est peut-être temps que j’arrête de m’en mêler…
— Tu es aussi celui qui a ramené le grand père dans sa vie. Le grand père pour qui on a voulu bricoler ce second mariage coutumier.
— Elle… qu’est-ce que tu veux ? J’ai un vol à prendre.
Je me lève pour rassembler mes valises et surtout retrouver mon passeport.
— Va voir si elle va bien. C’est tout ce que je veux.
— Si j’y vais. Tu sais ce qui va se passer ? Je ne vais plus faire semblant. J’en ai assez de la voir souffrir comme ça.
— Denis !
— Tu vois ! Il vaut mieux que je m’en aille. Je vais finir ce que j’ai à faire ici et repartir à Londres. Avant de me foutre dans la merde.
— Denis…
— Oui.
— S’il te plait. Tu vas juste voir si elle va bien … S’il te plait Denis. Je ne t’ai jamais rien demandé.
— Elle…
— S’il te plait. Adrien enchaine les gardes, il garde les gamins, sinon il serait déjà parti voir. Je ne sais pas à qui d’autre demander ça.
— Appelle Okili. C’est sa petite fille, il saura quoi faire.
— J’ai appelé c’est son garde du corps qui m’a répondu. Il a fait un petit malaise après la cérémonie.
— Quoi ?!
— On l’a évacué en Afrique du Sud. Ils ont dit que ce n’était pas si grave que ça…
— Ok. J’y vais.
— Merci.
— Me remercie pas… Tu sais ce qui va se passer…
Elle a déjà raccroché. Génial !
*
**
C’est une chose de savoir qu’une personne va probablement mal et c’est une autre d’en être sur. L’étrange ambiance de la maison des Khan me fait froid dans le dos. Le gardien qui a ouvert le portail s’est quasiment jeté sur moi dès que je suis descendu de la ma voiture.
— La madame a interdit d’ouvrir, m’explique-t-il. Elle n’est pas sortie non plus depuis des jours.
— Depuis quand exactement ?
— Longtemps, répond-il sans pouvoir cacher son air préoccupé.
— Ok. je vais aller la voir.
— Mais monsieur la porte est fermée à clef de l’intérieur. Même la ménagère n’est pas entrée quand elle est venue.
Je jette un nouveau coup d’œil à ma montre. Il ne me reste plus que 20 minutes pour rejoindre l’aéroport. Ca va être plus long que prévu apparemment. Je me gratte la barbe avant d’avancer vers la porte principale essayant de trouver quoi lui dire si jamais elle ouvre la porte. Je cogne à grand coup de paume. Impossible qu’elle ne m’entende pas avec tout le tapage que je fais. Un bruit de verre cassé à l’intérieur me rassure sur sa présence. Je cogne plus fort à en faire sortir la porte de ses gonds.
— Tu ferais mieux d’ouvrir cette porte ou je vais la défoncer… j’hurle.
Et surement me casser aussi le bras par la même occasion je complète intérieurement. Je commence à avoir mal à la main lorsque j’entends enfin un déclic dans la serrure. La porte grince et s’ouvre. Leila ne fait pas attention à moi. Elle retourne à sa place initiale. J’avance à mon tour, marche sur des feuilles imprimées qui marbrent complètement le sol. Je reviens sur mes pas pour fermer la porte afin que le gardien ne puisse pas entrapercevoir le chaos qui règne ici.
Le salon n’a pas du être aéré depuis des jours. Aucune fenêtre n’est ouverte. Le peu de lumière qui nous éclaire filtre par les interstices de la porte. Leila est assise par terre. Elle porte toujours le sari, les bijoux, le maquillage du mariage.
Ca fait quatre jours putain ! Et c’est quoi tout ce bordel qui jonche le sol ?
Son téléphone est posé devant ses pieds et elle joue avec son alliance qu’elle finit par enlever. Chaque fois qu’elle m’a avoué s’être sentie seule chez elle, je me suis toujours dit qu’elle exagérait cette impression. Mais je dois reconnaitre, qu’aujourd’hui qu’il y a vraiment de quoi se sentir seule.
— Princesse ?
— Je n’avais pas prévu de voir qui que ce soit aujourd’hui, dit-elle en levant enfin la tête vers moi. Tu devrais t’en aller.
Elle ne porte plus de rouge à lèvre mais le jeu de couleur sur ses paupières est toujours aussi scintillant. Elle passe une main dans sa longue chevelure et fait cliqueter ses bracelets. Puis comme si elle avait complètement oublié ma présence, elle attache ses cheveux en un chignon épais, enlève ses bracelets et se couche sur le sol tout en ramenant son téléphone près de son visage, laissant la fameuse vidéo de son mariage passer en boucle. Je prends une note dans ma tête et me jure de retrouver la personne qui a diffusé la vidéo. J’ai la rancune très tenace alors je peux me faire confiance pour ça.
— Je regarde la vidéo encore et encore et je ne me reconnais même pas. Je ne connais pas cette femme, je ne sais pas d’où est venue soudainement toute cette colère.
— Leila…
— Ca tourne en boucle sur Facebook et il y a même certains clients qui ont osé m’appeler pour savoir… Me demander ce qui s’est passé alors que je suis complètement incapable de me rappeler de tout ce que j’ai dit.
— Leila. Eteins ton téléphone.
— Je ne peux pas. Ce n’était pas censé se passer comme ça. J’ai passé toute la nuit à fouiller toutes nos affaires. Et tout d’un coup tout a pris un double sens, tout devenait potentiellement douloureux… Et je me disais, calme toi, tu l’aimes et il t’aime, quand tu vas lui demander… Il va te rire au nez et répondre qu’il ne sait même pas de quoi tu parles. A la naissance de Puja, ils l’ont tous les deux rejetée, Neina à sa naissance et Alexander quand je l’ai ramenée à Libreville. Aucun des deux ne voulait de cet enfant ! Je m’en suis occupée moi la femme stérile, je me suis battue pour qu’il lui ouvre ses bras alors que cet enfant était le fruit d’une trahison. Mais pour moi Puja était l’enfant d’Alexander et je ne pouvais pas prétendre l’aimer comme je l’aime et rejeter cet enfant qui est de lui. Il dormait quand je me réveillais pour la nourrir, il quittait la pièce quand je jouais avec elle. Quand je la tenais dans mes bras, je lui parlais, je lui disais : même si tu m’amènes un gabonais ou un indien, je l’aimerai aussi comme je t’aime Puja. Jamais je ne te ferai de mal. Neina est revenue me l’arracher et j’ai laissé faire. Tu crois que c’était facile ? Est-ce que parce que je ne l’ai pas porté 9 mois ça faisait de moi une femme incapable d’avoir mal de la laisser partir ? J’ai eu mal … Il n’y a pas un seul jour où je n’ai pas crevé d’envie de voir ma petite Puja ou simplement d’avoir de ses nouvelles. Mais Alexander a dit qu’il en était hors de question que je me rapproche une nouvelle fois de Neina parce qu’elle m’avait fait trop de mal à travers cet enfant. Tout ça pour quoi ? Pour aller la voir dans mon dos, lui en faire un autre, me le cacher ? Tout ça pour découvrir que notre mariage ici est nul et qu’il le savait depuis longtemps et me l’a caché ? Je ne suis pas une mauvaise femme, je n’aurai jamais refusé qu’il s’occupe de Puja. Jamais. Mais lui faire une autre enfant… C’est au dessus de mes forces ! Qu’est-ce que je n’ai pas entendu dans les couloirs sur mon compte ? Il parait que j’ai vendu mon utérus pour être intelligente et riche. Comme si une femme ne pouvait pas l’être naturellement ou réussir par ses propres moyens. J’étais déjà au bord du précipice et tout se mélangeait déjà dans ma tête. Mais je m’accrochais encore à nous tu vois ! Et j’ai juste eu l’impression qu’il m’a poussée. Et…
Elle parle sans pouvoir s’arrêter. C’est un flot ininterrompu de mots qu’elle donne l’impression de vomir. Elle se lève et fait les cent pas, marchant à son tour sur les ruines de leur vie à deux qu’elle a émietté à base d’impression. Mais aucune larme ne coule sur son visage.
— Leila, calme-toi. Est-ce que tu as mangé ? Tu t’es douchée au moins ? Tu es dans un sale état !
Je crois qu’elle ne m’entend plus, qu’elle se parle à elle-même, essaie de se raisonner toute seule. Elle tente de se comprendre tout simplement et peut-être même de se pardonner ce qu’elle semble à présent trouver complètement fou.
— La colère s’est emparée de moi, reconnait-elle en baissant la tête. Et moi qui ai l’habitude de tout planifier, d’avoir toujours un plan B, j’ai agi sans penser aux conséquences. Et maintenant, ce moment si douloureux de ma vie circule sur le net, amuse les gens. Ils rient de moi … Me demande si je pense être exceptionnelle au point de croire qu’aucun homme ne pourrait me tromper. C’est le lot de toutes les femmes, accepte le tien ! Mais comment peuvent-ils comprendre qu’on est pas toutes faites du même bois. De toute ma vie je n’ai rien reçu des hommes et je ne leur ai rien demandé non plus. Mais j’ai fait d’Alexander mon dieu, je n’avais pas de famille j’ai fait de lui mon unique famille. J’ai embrassé les pieds de sa mère qui me voyait comme une moins que rien, je rendus à sa famille leur fortune, j’ai cédé la moitié de mon cabinet à mon grand père pour le sauver lui… un cabinet que j’ai bâti à la sueur de mon front ! Et c’est moi qui aie bafoué son honneur quand c’est lui qui me blesse ? J’ai des marques de vergetures sans avoir jamais porté d’enfant parce que les médicaments que j’ai du prendre pour m’accrocher au peu de fertilité qui me reste influent sur mon poids. Quand tu donnes autant pourquoi devrais-tu accepté de recevoir moins que ce que tu donnes?
— Eteins ton téléphone.
— Je ne peux pas. Ne me demande pas ça…
— Pourquoi ?
Elle se fige. Leila ne me répond pas et regarde tout simplement le petit appareil posé par terre. Son visage se froisse comme si la colère et la douleur qu’elle contenait dans son cœur avaient finalement envahi tout son corps et l’avaient pétrifié sur place. A croire qu’elle découvre enfin en elle-même la cause de son attachement si insensé à ce téléphone.
— Je voulais qu’il ait mal, comme j’ai eu mal. Est-ce que quelqu’un peut recevoir des coups tous les jours et ne jamais répondre ? Je voulais qu’il ait mal…
J’avance vers le téléphone pour l’éteindre moi-même mais sortie de sa transe et bien plus vive que moi, elle se jette dessus.
— Il va appeler, murmure-t-elle. Même quand il est en colère et qu’il ne se maitrise pas, jamais il ne s’éloigne de moi. Il va appeler…
Les larmes envahissent ses yeux mais ne coulent toujours pas.
— Je suis blessée et je l’ai blessé en retour. Mais jamais ses pas ne s’éloignent des miens.
— Ca fait quatre jours Leila. Alexander est impulsif. Il aurait appelé depuis s’il le voulait vraiment. Tu as d’énormes cernes sous les yeux. Il faut que tu te laves et que tu dormes. Tu ne peux pas continuer comme ça.
— Non… il …
Mes épaules se relâchent et les choses me semblent tout d’un coup plus claires. C’est la fin. Ou peut-être le début. Il faut que tout cela finisse. Je m’avance vers elle et elle recule en tenant bien fermement le téléphone dans ses deux mains.
— Regarde-moi. Je ne te juge pas. Ok. Sois rassurée là dessus, je ne suis pas choqué par ta réaction, je ne me dis pas oh mon Dieu qu’elle femme ingrate. J’ai déjà été trahi, tu t’en rappelle. Je te comprends mieux que quiconque. Et c’est pour cela que je te dis maintenant d’arrêter… Lâche ce téléphone.
Il fait non de la tête. Je déboutonne le premier bouton de ma chemise et fais craquer les muscles noués de mon cou. Je lui arrache le téléphone des mains et l’attrape par les épaules. Elle se débat comme un beau diable. Je connais cette maison par cœur alors je la traine vers la chambre des invités qui comporte une salle de bain attenante. Elle me hurle de la lâcher mais je tiens ferme.
Tout va bien, on s’approche de la douche de la salle de bain. Tout va bien… jusqu’à ce que cette lutte acharnée contre mes bonnes intentions, alors qu’elle est au bout du rouleau, me tape ses les nerfs et que je lui assène une gifle retentissante qui la fige sur place. Je ne me démonte pas pour autant et appuie sur le bouton de l’eau froide, avant de reculer prudemment. Son magnifique sari s’assombrit là où il entre en contact avec l’eau. Elle se tient la joue et ne me quitte pas des yeux…
Je n’ai aucune envie de rester là à la contempler… J’ai envie de prendre le temps de lui faire comprendre ce que je lui cache depuis des lustres mais mes pieds sont scotchés sur le sol. Je ne peux me résoudre à n cesser de la contempler. Il n’y a rien d’indécent dans ce que je vois mais le feu brule dans mes veines. Ce désir que j’ai combattu avec une détermination sans faille, m’assaille désormais avec une force que je ne lui connaissais pas. c’est douloureux mais tellement libérateur en même temps.
Elle s’avance d’un pas sans jamais me quitter des yeux, sa main cachant toujours sa joue que je suppose douloureuse.
— Je veux retrouver la Leila dont je suis tombé amoureux.
Je suis con. Je n’ai jamais eu de tact. Sauf avec elle. Parce que je me forçais à être un homme qui aurait pu lui plaire si elle avait été seule. Mais elle l’est maintenant n’est-ce pas ? Oui. Mais c’est surement trop tôt pour elle. Je ne pensais pas le dire aussi bêtement. Je pensais le lui faire découvrir petit à petit, lever le voile tout doucement.
Mais apparemment je suis trop con quand il s’agit d’elle.
Je réussis enfin à cligner des yeux alors je détourne le regard.
— Est-ce que …
— Si tu n’es pas prête à découvrir ce qui se cachait sous chaque putain de regard… chaque putain de sourire… chaque frôlement… S’il te plait princesse, ne pose pas de question.
— Je …
— Tu vas prendre une douche et venir manger… Puis tu vas te coucher.
Et je sors sans rien ajouter. Une fois hors de la chambre, je me rends enfin compte que ma chemise est mouillée et que j’ai des traces de maquillages sur moi. Pendant qu’elle se douche, je rejoins ma voiture, pour sortir de mes valises une tenue plus décontractée pour me changer. Un polo, un jean, une casquette feront l’affaire.
J’ai raté mon putain de vol et j’ai dit à la femme de mon meilleur ami que je l’aimais.
Putain de journée de merde !!!
*
**
Lorsqu’elle ouvre les yeux. Elle se rend compte qu’elle n’a aucune idée de l’endroit où on se trouve. C’est normal, on vient de faire 13 heures de route pour rejoindre Franceville. Après sa douche, elle a enfilé un jean et un tee-shirt qui lui donnait l’air d’une lycéenne. Je ne l’avais vu qu’en working woman ou en sari. Je l’ai attablé devant des biscottes et un peu de thé qu’elle a vomi tout de suite après. Le temps que j’aille lui cherché autre chose, elle s’est tout simplement endormie sur la table de la salle a mangé. Je l’ai foutu dans ma voiture et j’ai pris la direction de Franceville sans que jamais elle ne se réveille.
Et là nous sommes garés devant la villa de ma mère. Etant donné que j’ai fait tout cela sans rien lui expliquer, je ne sais pas trop comment elle va réagir.
— Où est-ce qu’on est ? demande-t-elle d’une voix enraillée par la fatigue.
— A Franceville. Chez moi. Chez toi. La où tu vas pouvoir respirer un peu. J’ai conduit sans me reposer alors il se peut que je dise des bêtises mais mets ça sur le compte de la fatigue.
— Pourquoi ? Je ne connais pas Franceville. Je n’ai personne ici.
— Il y a la tombe de ton père ici. Donc tu n’es pas seule ici. Il va falloir que tu trouves la force de surmonter tout ça. Ce n’est pas la fin du monde. Crois-moi. C’est juste le début de quelque chose que tu ne connais pas encore.
— Quoi ?
— L’inconnu. Gamine ta mère t’a dit, il faut que tu réussisses et tu l’as fait. Puis tu as rencontré Alexander et il t’a dit, je t’aime, il faut que tu m’aimes en retour et