Chapitre 19

Write by leilaji

LOVE SONG

Tome II

(suite de Xander et Leila + Love Song)


ALEXANDER aka Mera Dil (looool)


Episode 19


J’ai reconduis les membres de ma famille à leur hôtel. Ma mère ne cessait de triturer le tissu de son sari en me jetant de petits coups d’œil inquiets. Je les ai déposés devant le Radisson puis j’ai demandé à ma cousine qui l’a accompagnée de trouver des vols d’urgence pour quitter le pays immédiatement. Je parlais calmement. Mais plus j’étais calme et plus ma famille sursautait à la moindre prise de parole. Avant de partir, ma mère m’a pris dans ses bras. Elle a tenté de me consoler mais je n’en avais pas besoin, du moins pas à ce moment là. 


— Tu es blanc comme un linge Devdas.

— Ca va aller. 

— Je  n’arrive pas à comprendre ce qui s’est passé mon fils. Peut-être que…

— Ne t’en mêle pas. S’il te plait. T’en mêle pas. 

— D’accord. Je ferai ce que tu voudras.


Je suis remonté dans ma voiture pour rentrer chez moi. Le gardien n’était pas là, alors j’ai dû ouvrir le portail moi-même et garer la voiture non loin de l’entrée principale. Le plus étrange c’est que j’ai pu faire tout ça sans même avoir conscience de ce que je faisais. Mais une fois que j’ai mis pied à terre et que je me suis rendu compte que je rentrais chez moi sans ma femme, tout a explosé en moi. J’avais du mal à respirer et je tremblais de colère. J’étais incapable de verrouiller la voiture. J’ai ouvert de nouveau ma portière pour la refermer correctement. Ce fut impossible. Je me suis retrouvé en train de massacrer ma propre portière de voiture en hurlant de rage. Ce n’est que lorsque la vitre s’est brisée que je me suis arrêté, à bout de souffle. Mon corps a dû trouver un moyen de relâcher la pression comme il le pouvait. 


Même dans mes pires cauchemars, jamais je n’aurai pu imaginer Leila me parlant avec cette haine, cette douleur. Jamais. 


J’ai quitté ma maison avec quelques maigres affaires puis j’ai réservé une chambre à l’hôtel, le temps de digérer l’humiliation publique. Je n’ai contacté ni Leila ni Denis parce que je pensais que j’aurai pu leur faire du mal si je les rencontrais. Je n’ai pas fermé les yeux de la nuit et pour la première fois de ma vie, j’ai tenté de dominer ma colère pour comprendre ce qui m’arrivait. J’ai analysé chaque phrase, chaque mimique de ma femme. Et petit à petit, à mesure que la colère refluait, la compréhension faisait doucement son œuvre. 

Je la connaissais, je connaissais Leila par cœur, j’ai appris de nos erreurs passées. Alors que s’est-il donc passé ? Je sais que lorsqu’elle a de la peine, la première chose qu’elle fait c’est de repousser tout le monde et de se renfermer sur elle. C’est son processus de défense habituel. Plus elle a mal, plus fort elle repousse. Et surtout, je sais qu’elle en a besoin pour se sentir maitre de la situation même quand tout s’écroule autour d’elle.  Si elle m’a repoussé si fort, avec autant de rage c’est que quelque chose l’a blessé. Qu’a-t-il pu se passer entre notre avant dernière conversation au téléphone et notre face à face ? Elle a parlé d’enfant… Neina. Forcément. Je ne voyais rien d’autre. J’ai essayé de me ressaisir. 

Une fois sa colère passée, elle sera plus encline à m’écouter surtout si cette fois ci, je lui fais comprendre preuve à l’appui, qu’en aucun cas je ne l’ai trahie. 

J’ai pris mon téléphone pour appeler Neina. Depuis qu’elle et moi avons repris contact, jamais elle n’a manqué un seul de mes appels. Mais elle n’a pas décroché.


*

**


Deux jours plus tard, à peine mes pieds ont-ils foulé ma terre natale que j’ai relancé l’appel vers Neina. Cette fois-ci, elle a  immédiatement décroché.  


— Oui Devdas ?

— Tu as parlé à ma femme ? 

— Ta femme ? Tu parles de Leila ? Je suis toujours ta femme Devdas, c’est moi qui suis ta femme, pas elle, m’a-t-elle dit d’une voix plaintive.

— Je vais te tuer… Je vais …, dis-je le souffle coupé par la colère. Tu n’as aucune idée de ce que tu viens de faire.

— Je ne pouvais pas accepter de te perdre une seconde fois, plaida-t-elle.

— Il n’est plus question de quoi que ce soit entre toi et moi. Mais tu es complètement folle ma parole ! Tout ce que tu fais jour après jour me rappelle à quel point tu n’es qu’une gamine !

— Je comprends ta colère mais il faut qu’on parle.

— Où es-tu ? Je dois te voir tout de suite.

— Tu es à Mumbai ? Tu … le mariage a été finalement annulé ? 


Même au téléphone, je la sentais jubiler.


— Denis l’a dit à Leila c’est ça ? 

— Denis ? Que fait-il dans cette histoire ? 

— C’est à lui que j’ai parlé. Pas à elle. Je n’avais pas le numéro de Leila… alors comme tu me parles souvent de lui, j’ai pris son numéro dans ton téléphone, pour lui demander de l’aide. Je n’ai pas appelé Leila, je n’ai rien fait de mal, c’est lui qui le lui a dit.


Il savait qu’elle était au courant pour Neina et il ne m’a rien dit ? J’avais du mal à le croire mais les pièces commençaient à s’emboiter dans ma tête. Denis a toujours convoité ce qu’il ne pouvait avoir. 


Il veut Leila ? 


Non. Ce serait absurde de croire ça de lui. Je l’ai toujours considéré comme mon frère, j’ai toujours eu à cœur de l’aider dans tout ce qu’il a entrepris. Et pour me remercier, il cherche à briser mon mariage ? Est-ce qu’un frère fait ça ? 


— Où est ma fille ? 

— Je ne te le dirai qu’après t’avoir vu.  

— Où es-tu ? 

— A l’hôtel Taj Mahal…

— Quelle chambre ? 

— Non toi appelle moi quand tu prendras la tienne. Je te rejoindrais.


Ma mère m’a appelé pour me faire un compte rendu de leur arrivée. Mais je n’avais pas le cœur à l’écouter. La conversation fut très brève. 

J’ai pris un taxi pour accéder à l’hôtel Taj Mahal Palace. Y séjourner, pour un étranger, c'est pouvoir découvrir Mumbai dans toute sa splendeur avec vue sur la mer. Mais pour moi, c’est le service parfait à l’indienne qui me plait : politesse et discrétion sont toujours au rendez-vous. Après les attentats, le service de sécurité y a été renforcé de sorte qu’on s’y sent toujours gardé avec bienveillance. 

Après avoir  perdu le peu de calme qui me restait dans les circulations denses de Mumbai, le calme de ma chambre m’aide à réfléchir et à contenir ma colère. Plusieurs fois depuis que j’ai atterri, j’ai failli appeler Leila et lui dire que tout ce que Denis lui a raconté n’est qu’un malencontreux malentendu. 


Putain, elle aurait pu me faire confiance et me laisser le bénéfice du doute. 

Moi je l’aurai fait. 

Pour elle.


Passer de Libreville, puis Paris à Mumbai c’est comme sortir d’une piscine pour se plonger dans un torrent fou. Les klaxons, la poussière, les gens qui traversent sans prêter attention aux feux donnent toujours le tournis le premier jour. A chaque voyage, je me rends compte à quel point l’Inde n’est plus dans mon cœur comme auparavant. Je me sens étranger ici, alors qu’à l’instant où mes pieds se posent à Libreville, j’ai l’impression de rentrer chez moi. Là où est ma famille, mon foyer, mon cœur.


C’est à tout ça que je pense. Ce sont les souvenirs de ces quatre derniers jours qui tournent dans ma tête quand on cogne à ma porte. Les jointures de mes mains blanchissent en  enserrant la porcelaine du lavabo avant de la relâcher. Je me lave le visage pour y effacer toute trace de fatigue Mais rien n’y fait. J’ai une barbe de trois jours qui me mange le visage et des cernes aussi noires que la couleur de mes cheveux. Je sors de la salle de bain ouvrir à Neina qui entre d’un pas timide. Elle porte un ravissant sari d’un vert chatoyant qui met en exergue sa sublime beauté orientale. Aucun homme censé ne peut y être complètement insensible. Neina est belle et elle le sait. Elle est sans aucun doute, l’une des plus belles femmes que j’ai rencontrées. Mais elle n’est pas Leila. 


— Où est ma fille ? 

— Est-ce que tu l’as épousé une nouvelle fois ? demande-t-elle à son tour sans faire mine de répondre à ma question. Non… Si tu es là c’est qu’elle a dit non. Tu n’en as pas le droit tant que nous ne sommes pas officiellement divorcés. C’est mon avocat qui me l’a expliqué. 


Toutes mes craintes étaient donc fondées ! Il faut que je recule. Il faut que je mette une distance de sécurité entre nous sinon, je risque de prendre l’un des couverts du room service pour le lui planter dans le cœur. Parce que c’est exactement ce qu’elle m’a fait. 


— Tu as parlé de tout ça à Denis ? pour qu’elle me le confirme encore une fois.

— Oui. Et pour t’aider à couper une bonne fois les ponts avec elle, j’ai dit que j’étais enceinte. 

— Tu es enceinte ? De qui ? Parce qu’il faudrait que la lune entre en collision avec la terre et qu’on y survive tous pour que ce soit de moi. Tu ne peux pas m’avoir deux fois avec ça. Tu lui as dit que tu portais mon enfant ? 

— Non, j’ai juste dit que j’étais enceinte, je n’ai pas dit que c’était de toi, je n’ai pas menti… 

— Tu mens Neina… je vocifère sans retenue, c’est forcément ce que tu lui as dit. Je ne t’ai pas touché ! Je pensais que tu étais en relation avec un fils de ministre. Je ne t’ai pas touché ! Bordel !

— Devdas, je ne comprends pas pourquoi tu agis ainsi tout d’un coup alors que tu as été tellement gentil avec Puja et moi ces derniers temps.  Pendant que j’étais enceinte, tu étais horrible, méchant, après notre mariage c’était pire… Puis tu es parti avec elle. Plus jamais tu ne m’as donnée de nouvelles alors que je t’avais permis d’entrer en contact avec moi pour le bien de Puja. Et ces derniers temps tu as changé, tu m’as montré du respect, de l’attention… J’ai compris que tu voulais faire amende honorable. C’est toi-même qui as dit qu’on devait à nouveau former une famille. 

— Je parlais de Puja, de mes liens avec ma fille qui est en train de mourir. Pas de toi. Il n’a jamais été question de toi, à aucun moment ! Quel homme penses-tu que je suis bon sang ? Penses-tu que je t’aurai manqué de respect devant ma fille quand c’est elle-même qui me demande d’être gentil avec toi? Est-ce que je vais subir les conséquences de cette putain de connerie toute ma vie ? Bordel !


Notre fille est malade, atteinte d’une forme de leucémie sévère qui nécessite un don de moelle osseuse compatible. Habituellement, dans une même famille, ce sont les frères et sœurs qui ont une chance sur quatre d’être compatible. Le cas père/fille est plus que rare. Une chance sur un million. Mais les dieux ont été cléments.  Découvrir cette terrible nouvelle de la bouche de ma mère m’a aidé à revenir sur ma décision de tenir Neina et tout ce qui la concerne, éloignée de Leila. 

Puja va peut-être mourir. La seule fille que j’ai va peut-être mourir.  Et elle m’a reproché de l’avoir abandonnée à son sort du haut de ses quelques années de sa douce petite voix. Puja est ravissante comme un cœur et  tellement intelligente et sage. Elle fait toujours ses devoirs avant qu’on ne le lui demande. Elle obéit toujours à sa mère sans rechigner même quand les demandes n’ont aucun sens. Ca m’a déchiré le cœur de me rendre compte que j’ai manqué ses premiers pas, ses premiers mots parce que je ne voulais plus voir sa mère. Et j’ai eu honte de moi, honte d’avoir coupé les ponts. 

Mais en même temps, je savais qu’après avoir donné cette nouvelle à Leila, il m’aurait été impossible de la tenir éloignée de Puja et Neina. Malgré le temps qui a passé et la distance, elle a toujours conservé une place spéciale dans son cœur pour ma fille. Une place dont Neina aurait surement lâchement profité pour nous faire du mal. Ma conscience avait beau me torturer, j’ai tenu mordicus à ne pas mettre sur ses épaules déjà si malmenées, un poids de plus. Un poids dont je suis le seul responsable.  


Le calvaire que c’était de rentrer de Mumbai sans savoir si son état s’était amélioré et trouver Leila, elle aussi malade de s’injecter de quoi booster sa fertilité et ne rien pouvoir dire. 


J’essayais de m’amender pour demander la clémence du ciel. Après tout peut-être que tout ça est de ma faute… C’est le Karma ! Comment les dieux peuvent-ils accorder à celle que j’aime un autre enfant si je n’ai jamais pris soin du premier ?  


Et malgré tous mes efforts, le pire est quand même arrivé. 


— Devdas… elle n’est pas indienne, elle n’est pas aussi belle que moi, elle n’a pas la peau aussi blanche que la mienne, c’est une noire… Qu’as-tu dans les yeux pour ne pas voir à quel point elle est différente de nous. Ta mère ne l’a pas choisie pour toi, elle ne te donne pas d’enfant … Moi je suis celle dont tu as besoin…  clame –t-elle en s’avançant vers moi, le regard suppliant. 

— Mais tu n’es pas celle que je veux Neina, je réplique immédiatement complètement hors de moi. Et tu ne le seras jamais. Dans quelle langue va-t-il falloir te le dire ? 


Ses grands yeux se remplissent de larmes et elle serre les poings de mécontentement. 


— Alors, je ne regrette pas ce que j’ai fait. Et je le referai s’il le faut ! 

— Tu es folle !

— Tu as parlé de cette femme à Ma fille. C’est moi qui l’ai porté dans mon ventre, c’est ma fille. Tu lui as dit qu’elle aussi avait été sa maman… 

— Ai-je menti ? N’est-ce pas toi qui l’as rejeté à sa naissance ? Leila s’en est occupée avant que tu la lui arraches. 

— Mais elle n’est pas sa mère et ne le sera jamais! Et aujourd’hui, tu essaies de m’arracher ma fille pour la donner à ta femme stérile. 


Je me saisis de la carafe d’eau que je projette contre le mur. Le bruit de fracas de verre l’a fait sursauter et  l’empêche d’en dire plus. D’ailleurs comment pourrait-elle parler, puisque ma main est sur sa gorge et qu’elle l’enserre à l’étouffer…


— N’ose plus jamais parler d’elle. Plus jamais, je grince des dents. 

— Devdas ! Tu me fais mal… arrive –t-elle à dire alors que ses doigts tentent désespérément de me faire lâcher prise.


Je ferme les yeux, rythme ma respiration pour me calmer et ôte mes mains de sa peau désormais rougie par mes doigts.


— Il ne va plus y avoir de validation de divorce ou de connerie du genre. Je ne veux pas que ton nom apparaisse où que ce soit me concernant. Je vais faire annuler ce mariage entre toi et moi qui était une erreur depuis le début. 

— Tu ne peux pas le faire. 

— Ce mariage n’a jamais été consommé … Alors je vais le faire. Je vais trouver le moyen de faire rayer ton nom. Puja comprendra, je le lui expliquerai… 

— Alors tu ne la reverras plus jamais. 

— C’est aussi ma fille et elle a besoin de mon don de moelle. Alors oui, je la reverrai.

— Je préfère encore la voir mourir plutôt qu’avec elle.


Je suis estomaquée par ce que je viens d’entendre. 


— Sors d’ici avant que je ne te fasse du mal, j’ordonne en lui tournant le dos.  


On cogne à la porte. Le fracas a dû inquiéter nos voisins de chambre qui l’ont signalé aux services de l’hôtel. 

Il est peut-être déjà trop tard pour reprendre les choses en main mais je dois quand même le faire. Je ne peux pas laisser Leila me quitter pour ça… des mensonges par omission.

Je dois tout de suite contacter mon avocat pour qu’il prenne les dispositions nécessaires. Je sors mon ordinateur de son sac pour lui envoyer par écrit mes instructions. Vu le cout de ses honoraires, il a intérêt à m’obtenir le résultat désiré maintenant que je sais exactement ce que je veux. 


— Devdas ? m’appelle Neina alors que je lui tourne le dos.

— Je ne veux plus te voir, j’en ai fini avec toi, je lui lance d’un ton acerbe. 

— Devdas, je t’en prie. 


La peur dans sa voix m’interpelle. Je me tourne enfin vers elle et découvre qu’elle n’est plus seule. Il y a un homme derrière elle, qui la tient en respect avec une lame acérée placée sous sa gorge. Je me lève d’un bond prêt à intervenir d’une manière ou d’une autre. L’ordinateur s’écrase au sol.  Le temps que je comprenne ce qui se passe, quatre hommes rentrent dans la chambre. Et le plus étonnant, c’est que le grand-père de Leila est l’un d’eux. J’ai du mal à croire ce que je vois et surtout je n’ai aucune idée de ce qu’il fait ici à Mumbai. 


Mais la lueur dans son regard me fait comprendre que de mauvaises choses vont m’arriver. Je n’avais encore jamais un tel mépris dans le regard d’un homme.


— Que faites-vous là ? Que se passe-t-il ? je demande avec le plus grand sang froid alors que je n’en mène pas large à l’intérieur. 

— Une petite visite de courtoisie, comme ça se fait souvent chez nous. Mais malheureusement pour la jeune femme ici présente, nous avons besoin de parler d’homme à homme.


Il fait un simple signe de tête et la lame passe en silence sur le cou de Neina. Elle s’écroule, son corps faisant un bruit mat en percutant le sol. Je me précipite sur elle dans un geste complètement vain pour la sauver. 


Mais je pense à Leila


J’aurai dû lui dire…


Tout lui dire…

On n’en serait pas là, si j’avais commencé par tout lui dire.

Un petit secret complètement inoffensif à mes yeux est devenu le poignard qui a achevé notre relation. Je ne comprenais pas ce qu’elle me disait et maintenant que je sais ce que Neina lui a raconté, je comprends enfin combien de fois mes réponses étaient maladroites. Quand je parlais de Puja, elle pensait que je parlais de l’enfant que porte Neina et qui est supposé être le mien. Mais au moment où j’aurais pu tout mettre à plat, ma colère a pris le dessus sur moi et je suis parti…

Et maintenant je vais tout perdre. Absolument tout.

Je vis un cauchemar éveillé. J’ai beau serrer, compresser avec autant de force que possible, le sang ne cesse de couler à travers mes doigts. Je vois la vie petit à petit quitter ses yeux. L’odeur est atroce. Un mélange de terreur et de tristesse que je n’oublierai jamais, abime son regard. Je presse plus fort mais rien n’y fait. Le liquide rouge et épais se faufile entre mes doigts.


— Pour l’amour du ciel, elle est enceinte ! j’hurle espérant recevoir de l’aide.


Mais personne ne bouge. Personne.


— Quand tu auras fini de pleurer pour elle, nous pourrons enfin discuter, me dit Okili on s’installant paisiblement sur une chaise que lui a tirée un de ses gardes du corps.


Je crois que je ne reverrai plus jamais Leila. Pourquoi ? Parce que je crois que je vais mourir aujourd’hui.

Neina ne respire plus. Mes épaules se voutent sous le poids du désespoir. Le sang sur les mains, je me lève et me tourne vers Okili. Il est impassible. Il vient d’ôter la vie à une femme enceinte et il est là, souriant comme à son habitude. Mais quelle espèce de monstre est-il pour agir comme cela sans état d’âme.  Je fais un pas vers lui et m’arrête lorsque trois armes automatiques se pointent sur moi.


— Qu’est-ce que ça fait ? demande-t-il avec autant de calme que si on parlait du temps qu’il fait.

— Quoi ? D’être un monstre comme vous ? 

— Non. D’être détesté pour une couleur de peau comme ma petite-fille.

— Parce que vous croyez que je n’ai jamais subi de racisme ? 

— Avec ta peau blanche et tes yeux verts?  Je ne crois pas que tu saches réellement ce que c’est…

— Vous êtes fou.

— Peut-être. Mais quand on est tout eu dessus de la chaine alimentaire, on peut se permettre certaines facéties. Cependant, il va falloir employer un autre ton avec moi pour que cette conversation se termine sans que je ne te fasse passer par la fenêtre de ta belle chambre d’hôtel. J’ai l’âge d’être ton père. 


Un père… Qui tue ? Il est assis sur une simple chaise de salle à manger mais on a l’impression, à le voir, qu’il s’agit d’un trône ! Il se lève et marche en boitant légèrement vers le corps inerte de Neina. Penché au dessus de son corps, il l’observe comme s’il s’agissait d’une bête à disséquer.


— Je n’ai jamais compris cette gloire que vous tirez à avoir la peau claire. C’est vrai, nous les noirs, sommes la pointe de l’évolution humaine dans la protection de la peau contre les rayons nocifs du soleil. Vous nous reprochez ce que la nature nous a donné pour survivre au sud alors que c’est cette même nature qui vous a décoloré la peau pour votre survie plus au nord… Là où sous l’équateur, vos peaux vieillissent prématurément, nous restons les mêmes, là où vous rougissez sous les coups de soleil, nous restons les mêmes. Le blanc de votre peau et le noir de la notre n’est pas un critère de beauté. C’est une fonctionnalité, le résultat de l’évolution.  Et elle se dit plus belle que ma petite fille parce que plus blanche !!! Et d’ailleurs depuis quand compare –t-on la beauté d’un cacao à celle d’une pomme ? Pourquoi juge-t-elle la beauté de ma petite fille sur ses critères à elle ?


Il semble vraiment se questionner. Puis il lève les yeux vers moi, me regarde un instant et retourne s’assoir.  


— Si nos femmes faisaient de même avec les vôtres, elles seraient toutes jugées moches ! Avec leurs lèvres inexistantes et leurs fesses plates ! ajoute-t-il avec dédain. 


J’ai du mal à regarder le corps inerte de Neina. Il suit mon regard.


— Quoi ? Tu as pitié ? demande-t-il en me regardant d’un air incrédule. Elle tente, même si c’est bien évidemment avec mon aide… elle tente de t’éloigner de ce que tu convoites le plus au monde et tu as pitié ? A-t-elle eu pitié, elle, quand elle a payé un homme pour qu’il se débarrasse de ma petite fille et que ton domestique est mort à sa place dans ce stupide accident de voiture? Si Leila n’avait pas été si maligne, elle ne serait plus de ce monde. T’en rends-tu compte ? A-t-elle eu pitié quand elle lui a arraché ton enfant après l’avoir mis de force dans ses bras ? Tu es étonné que j’en sache autant… Tu n’as aucune idée de l’étendue de ce que sais sur chacun de vous ! 

— Elle a décidé de tourner la page, d’aller de l’avant. 

— Non. Elle a courbé l’échine. Comme nous le faisons tous devant votre technologie, votre culture, vos religions depuis des siècles. Mais pour ma part, tout ça est révolu. Celui qui s’attaque à ma famille en paie le prix. 

— Cela fait de vous un meurtrier qui se déguise en justicier. Elle ne sera pas dupe longtemps. 

— Tu n’es décidemment pas un homme pour ma petite-fille. Tu es faible. Comme tous ceux de ton espèce. Elle a sacrifié la moitié de son cabinet pour te sauver… Ah, tu ne le savais pas ? Les sociétés que tu as tenté de racheter par la force m’appartiennent. Elle a passé un marché avec moi. Pour toi. C’est pitoyable. Est-ce qu’elle va passer sa vie à te sauver au lieu d’obtenir enfin ce pour quoi elle est faite ? Tu n’es qu’une entrave… dont je souhaite me débarrasser le plus rapidement possible. 

— Vous allez me tuer ? C’est ça ? 

— Te tuer ? Mais je ne suis pas un barbare ! Quelle idée. Ce serait tellement contreproductif. Je connais ma petite fille, je l’observe, je la vois évoluer depuis très longtemps. En ce moment, elle regrette déjà surement son coup d’éclat. Leila est Leila… Elle semble dure mais ses faiblesses sont encore bien trop exploitables à mon gout. Te tuer serait comme t’offrir la gloire du supplicié… Elle ferait de toi dans son cœur un saint martyr et  s’enterrerait dans son cabinet à rédiger de stupides contrats le reste de sa vie. Non, je ne veux pas de ça pour elle. Tu vas te retirer du jeu. 


Puis il fait signe à l’un des hommes qui range son arme. Pourquoi porte-t-il des gants ? Pour ne pas laisser d’empreintes. Mais pourquoi ? Ce dernier se rapproche de Neina et fouille le sac à main qu’elle avait laissé sur la tablette à l’entrée de la chambre. Il en ressort son téléphone portable, le démonte pour en retirer une puce qu’il glisse dans sa poche. Il referme le tout et le remet à sa place. 


— Plus de trace patron. 

— Fais lui écouter alors… 


L’homme sort de sa poche un autre téléphone et me fait écouter un enregistrement. Je reconnais de suite ma voix. 


« Oui Devdas ?

« Tu as parlé à ma femme ? 

«  Ta femme ? Tu parles de Leila ? Je suis toujours ta femme Devdas, c’est moi qui suis ta femme, pas elle.

« Je vais te tuer… Je vais ... Tu n’as aucune idée de ce que tu viens de faire. »


Il s’agit de la conversation téléphonique que j’ai eue avec Neina. Elle était donc sur écoute ? Ils m’ont enregistré en train de dire que je vais la tuer ? 


— Fais-moi encore réécouter la meilleure partie très cher, demande le vieil homme. 


L’homme de main remet en marche l’enregistrement audio, encore et encore. Je n’entends que ça, ma voix, pleine de colère et de ressenti, aussi menaçante que celle d’un assassin : « je vais te tuer, je vais te tuer, je vais te tuer ».


— Tout le monde sait à quel point tu es impulsif et colérique. Même ta chère mère te croira coupable. J’ai évidemment pris la peine de chercher un homme de même taille que toi et gaucher pour lui trancher la gorge. Il ne faudrait pas que le médecin légiste ait un doute n’est-ce pas ? Cet enregistrement va être donné au père de cette jeune fille qui avait demandé à une société qui soustraite avec une des miennes domiciliée à Dubaï, la mise sur surveillance de sa fille. Je suppose qu’il sera ravi de donner cette preuve de culpabilité à la police. C’est pas beau quand tout s’imbrique si parfaitement ?

— Je nierai tout. Je ne suis pas un meurtrier… 

— Ahhh, tu ne comptes vraiment pas me faciliter la tache hein, jeune homme. C’est bien. Bats-toi … Mais avant cela, je vais te raconter une petite histoire. Alors tu écoutes ? Non, tu n’es pas assez attentif…


Le second homme de main, aussi trapu qu’un travailleur de chantier se jette sur moi et me décoche un coup de poing qui atteint ma mâchoire. Le sang gicle dans ma bouche. La douleur me fait oublier un instant les armes pointées sur moi et je me défends. Il n’avait pas prévu que je résiste et je le fais tituber en arrière d’un coup de tête placé sur l’arrête de son nez. J’ai senti le cartilage éclater sous la puissance du coup. Son nez saigne. Ca libère ma colère et je m’avance vers Okili qui ne semble nullement intimidé. A l’instant où je lève ma main pour le frapper en plain visage, le canon de l’arme du deuxième homme entre en contact avec ma tête. Mais je suis trop en colère pour suspendre mon geste. D’un coup dans les cotes, il me coupe le souffle et me fait tomber à genoux devant Okili.


— Tu veux mourir ? me demande le vieil homme d’un ton tranquille.


Je ne veux pas rester à genoux devant lui. Je lève un genou, le temps de reprendre mon souffle.  


— Reste à genoux. J’aime bien te voir comme ça. 


Malgré l’arme pointée sur ma tête, je me lève tout de même et me tourne vers mon assaillant. Je saisis le bout de son arme et le pose son mon front. Il a la main sur la gâchette. Il attend un ordre d’Okili.


— Je ne vais pas rester à genou devant vous. Mes genoux ne se poseront à terre que devant une seule personne. Et ce n’est pas vous. Je ne le ferai que devant ma femme. Si les dieux ont créé la femme c’est pour que l’homme n’ait plus jamais à demander leur aide. Pourquoi aurions nous besoin de dieux si à nos cotés nous avons des femmes prêtes à briser chaque ennemi pour nous protéger et à baiser nos pieds pour nous plaire…  C’est ce que Leila fait pour moi, elle brise mes ennemis et baise mes pieds. Je vois dieu en elle. C’est à elle que je le dis… Tujh mein rab dikhta hai (je vois mon dieu en toi), je murmure pour moi-même en fermant les yeux. Alors vous feriez mieux de me tuer tout de suite parce que je ne me mettrais jamais à genoux devant vous. Tirez ! Qu’on en finisse.

— Patron ? demande l’homme en regardant Okili, en attente d’un ordre.

— Tire ! je crie en avançant vers l’arme, ce qui oblige l’homme à reculer. Sois un homme, tire !


Comme il ne réagit pas, toujours en attente, je lui décoche un coup de poing auquel il répond immédiatement en me frappant avec la crosse de son arme. Je vois des étoiles pendant quelques secondes et retombe à genoux. Je me lève une fois de plus, chancelant sous mon propre poids.


— Assez ! Ne l’abime pas. Je vais te dire quelque chose que peu de gens savent. Je n’ai pas pleuré mon fils. Non. On ne pleure pas quelqu’un qu’on a perdu longtemps avant sa mort. J’ai forgé une voie pour mon fils et il s’est détourné de cette voie. Je l’ai sanctionné. Crois-moi sur parole, j’en ferai tout autant pour ma petite fille. Je ne supporte pas l’idée qu’elle t’appartienne. Alors on va faire une chose très simple. On va appeler la police et signaler une dispute de couple dans cette chambre et quand ils seront là, tu auras tout intérêt à dire que tu as eu un coup de sang et que les choses ont dérapé… On est d’accord ? 

— Vous me faites pitié. 

— C’est toi qui étais à genoux devant moi et c’est moi qui te fais pitié…

— Je suis triste pour vous. Avoir vécu toutes ces années sans jamais rien comprendre à la vie. Vous voyez de la faiblesse là où il y a tout simplement de l’amour. Nous sommes différents c’est vrai… Mais je suis à elle autant qu’elle est à moi. C’est ce qui rend votre petite-fille si puissante et tellement supérieure à vous. Elle protège ceux qu’elle aime alors que vous, vous détruisez tout au nom de ceux que vous aimez. Elle est maligne et une fois sa colère passée, elle comprendra…

— C’est pourquoi, tu vas l’appeler immédiatement et mettre fin à cette … sottise, ce penchant innommable qu’elle a pour toi. 

— Je ne le ferai pas. 

— Tu crois que je ne me doute pas que même si elle est en colère, à l’instant où elle te reverra, elle succombera de nouveau ?  


Un des hommes de main passe un coup de fil sur instruction d’Okili.


— Où sont-ils ? demande Okili.

— Ils viennent à peine de se garer devant la maison de la mère de Monsieur Denis. Il les a suivis depuis Libreville. 

— D’accord. Donc ils sont à Franceville. C’est très agréable de voir un homme qui essaie de la renouer avec ses racines, contrairement à toi, fait-il remarquer à mon attention. 

— Monsieur il est prêt. Il attend vos ordres. 

— A toi de voir. Tu décides. Mais si tu oses, aller à l’encontre de ce que j’ai prévu sache que la décision de perdre ma petite fille sera extrêmement facile pour moi à prendre. On pourra largement faire passer ça pour un braquage qui a mal tourné… 

— Vous n’allez pas oser… C’est votre petite-fille ! je rugis.


Il se lève et marche vers moi après avoir pris mon téléphone posé sur le lit. Il me fait mettre à genoux de force par l’un des hommes, le plus trapu. Un autre m’empoigne les cheveux de telle sorte qu’il me force à regarder Okili droit dans les yeux. 


— Elle est mon bien le plus précieux au monde et je préfère la perdre définitivement plutôt que de la voir souillée par ta misérable personne. Tu comprends ?


J’écarquille les yeux de stupeur. Je peux supporter l’idée de ne plus être là pour elle, de ne plus être un poids pour elle, de la savoir heureuse quelque part dans le monde… Mais l’idée qu’elle ne soit plus de ce monde me terrorise. La détermination que je vois dans les yeux de cet homme m’effraie. Il me tend le téléphone et me demande d’être très convaincant.  


— Tu décides… je compte jusqu’à 3, dit-il en me tendant mon téléphone après avoir composé le numéro de Denis puisque celui de Leila ne répondait pas. 

— Je …

— 1...2…


Je prends le téléphone quand on décroche. 


— Allo ? Xander… 


Il me l’arrache pour mettre le haut parleur et être sûr du contenu de la conversation. La voix de Leila pleine d’inquiétude finit de m’anéantir. 


— Allo ? Alexander, où es-tu ? 


Ma tête est poussée du bout du canon d’une arme pour m’enjoindre à jouer le jeu. Mon cœur bat à cent à l’heure. Je suis épuisé et complètement déstabilisé parce qu’une idée fait son chemin dans ma tête. Le braquage du Taj était-il du fait de cet homme ?  Nous observe-t-il depuis tout ce temps ? 


— Allo ? Alexander… Où es-tu ? 

— C’est maintenant que tu t’en inquiètes ? N’est-ce pas toi qui m’as demandé de ne plus jamais croiser ta route sous peine de me détruire…

— Je sais ce que j’ai dit et je sais aussi que … je peux te demander… pardon… enfin je ne sais pas… 

— Pas la peine. Il n’y a rien à pardonner puisque tu n’avais pas tort.


Je ferme les yeux, l’imagine m’entendant lui dire tout ça. 


— Est-ce que tu as couché avec Neina ? demande-t-elle après quelques secondes de silence avec un ton plus froid.

— Pourquoi n’as-tu pas posé la question plus tôt ? 

— J’avais peur de la réponse. 

— Et maintenant tu n’as plus peur ?

— Tu es parti, qu’est-ce qui pourrait encore me blesser ?  Réponds à ma question. 

— Oui. 

— Elle est enceinte de toi ? 

— Oui.  J’en avais assez d’attendre… que tu y arrives. 

— Pourquoi maintenant ? 

— On a essayé ça n’a pas marché. L’alternative c’est quoi hein ? Adopter ? Pourquoi adopterai-je quand je peux moi, avoir des enfants… C’est toi qui es stérile ! Pas moi. 


Je ne crois pas avoir déjà prononcé le mot stérile devant Leila. Jamais. Je ne pense pas que ce soit une chose qu’elle puisse effacer. 


— Nous voulions tous les deux la même chose mais il faut nous avouer que nous ne pouvons l’avoir ensemble. 

— Alors c’est vraiment fini ? 

— Je suppose que ça n’a jamais commencé puisque nous n’avons jamais vraiment été mariés… Tu le sais maintenant, je n’ai plus besoin de le cacher. 

Love Strong (Tome 2...