Chapitre 18

Write by leilaji

The love between us


Chapitre 18


Je me lève aussi vite que je le peux dès que je réalise pleinement ce qui vient de se passer. Je me repasse la scène dans la tête. Peut-être que tout s’expliquera et qu’alors je n’aurai pas l’impression que quelque chose de grave vient de se passer. Mais je ne vois pas ce que j’ai bien pu faire qui pouvait le faire réagir ainsi. Il me tournait le dos et refusait de me répondre. Il n’y a même pas trois jours que je lui ai enfin avoué à quel point il compte pour moi. Il n’y a même pas quatre jours que j’ai mis au monde son fils. N’avais-je pas le droit de lui demander ce qui se passait ? Pourquoi cet accueil glacial ? 


J’essaie de calmer les battements de mon cœur mais ça m’est impossible. Est-ce que je vais encore me retrouver dans une situation où il me faudra tout quitter pour tout recommencer à zéro ? Non. Pierre n’est pas comme ceux que j’ai laissés derrière moi. Il m’aime et il veut me rendre heureuse. C’est tout ce que j’ai besoin de savoir. Mais pourquoi les choses sont allées de travers alors ? 


Il faut que je me souvienne de ce que j’ai fait. Car j’ai forcément fait quelque chose de mal. J’ai attrapé sa chemise pour qu’il me regarde. Et c’est tout. C’est vrai que j’ai haussé le ton. Mais ce n’est pas comme si je ne l’avais jamais fait. Il le sait que je suis une vraie tête de mule et d’ailleurs c’est ce qu’il aime chez moi. Je ne me laisse pas faire. Pierre et moi quand on se dispute c’est toujours comme ça. On crie tous les deux puis ça se calme aussi vite que ça a commencé. 


J’ai tiré sa chemise pour qu’il se retourne, qu’il me parle et m’explique ce qui se passe, les yeux dans les yeux. 


Et la main est partie. 


La gifle était d’une telle force que je me suis retrouvée par terre. Je suis peut-être un petit gabarit mais je sais que je suis une dure à cuire. J’ai vécu des choses dans mon enfance qui en aurait brisé plus d’un. Donc une gifle ce n’est pas la mer à boire. N’est-ce pas ? Mais une gifle tellement forte qu’elle m’a envoyée par terre… une gifle de Pierre ! Une gifle alors que je rentre à peine de l’hôpital… c’est comme s’il y avait vomi toute la haine dont il était capable en un seul instant. 


C’est la première fois en deux ans que je réalise qu’il peut me faire du mal. Cette idée ne m’avait encore jamais traversée l’esprit. Je savais qu’il pouvait me briser le cœur. Ça c’est le risque quand on tombe amoureux et qu’on se met en couple. On sait dès le départ que l’autre peut un jour vous briser le cœur que vous offrez si spontanément. Mais jamais au grand jamais on se dit qu’il se pourrait un jour, qu’il vous brise aussi les os. 


Je n’arrive pas à détacher ma main de ma joue qui me brule. J’ai mal à la tête. Les larmes me montent aux yeux. Je me lève et je me dirige précipitamment vers la porte pour quitter la chambre au plus vite. Mais Pierre me barre la route. Je crois qu’il réalise aussi ce qu’il vient de faire et qu’il panique. 


Mais j’ai l’impression qu’il ne panique que parce que je suis effrayée et qu’il sent que je vais réagir. Mal réagir. 


On se regarde longuement dans les yeux et cette fois ci, c’est mon regard qui est plein de colère et le sien qui est rempli de peur. Mieux vaut être partout ailleurs plutôt qu’ici. Il faut que je m’en aille avant que ça ne dégénère. Je fais un pas sur le côté pour me créer une occasion de passer mais il fait de même me bloquant toujours le passage. Je ne veux pas le toucher. Pour que lui non plus ne me touche pas.


- Manuella, je …


Sa voix brisée mais fait encore reculer d’un pas. Il n’a pas le droit de se sentir faible après ce qu’il vient de faire. Il n’a pas le droit de m’arracher cette peine. Il tend les mains vers moi mais je recule d’un pas. Dans mes souvenirs, j’ai toujours aimé les mains de Pierre. Plus belles que les miennes pleines de petites coupures dues à mon travail au garage. Mais à cet instant précis, je hais ses mains. Peut-être s’en rend-il compte. Il les baisse, les laissant pendre le long de son corps. Tout ce que je veux c’est qu’il me laisse sortir de la chambre. C’est ce que mes yeux le supplient de faire. Je pourrai le lui demander à haute voix mais si j’ouvre la bouche, je vais craquer. Et je ne veux pas pleurer devant lui comme si ça me brisait. 


- Mon amour, par…

- Laisse-moi passer ! je murmure en baissant la tête tandis que la première larme roule sur ma joue.


Je ne veux pas qu’il pose des mots sur ce qui vient de se passer au risque de rendre la situation encore plus réels qu’elle ne l’est déjà.


- Ecoute-moi, je ne sais pas ce qui m’a pris…

- Laisse-moi passer !

- Non, Manuella … Attends…


Je ne sais pas pourquoi tous ceux qui sont censés me protéger finissent toujours par me faire du mal. Peut-être qu’il y a quelque chose en moi qui les pousse à le faire. Quelque chose de mauvais, qui mérite d’être maté. Peut-être qu’une femme ne doit pas être comme je suis. Peut-être que mon caractère devrait être l’apanage des hommes. Peut-être ai-je usurpé quelque chose qui de nature ne m’appartient pas.   


Pour la première fois depuis sa naissance, David se met à sangloter dans son berceau. Pierre lève les yeux vers son enfant qui pleure de plus en plus fort. Il me regarde alors, implorant que je fasse quelque chose, que je mette de côté ce qui vient de se passer pour qu’on puisse tous les deux reprendre notre rôle de parents. Mais je n’en ai pas envie. Je reste à ma place, attendant simplement qu’il s’éloigne de la porte pour que je puisse sortir de la chambre. Les cris perçants de David me déchirent le cœur, mais je continue de regarder droit devant moi comme s’il n’y avait rien qui m’appelait dans mon dos. Alors, Pierre n’a plus trop le choix. Il se dirige vers son fils et je sors enfin de la chambre.  


- Manuella, attends…


Je n’entends plus le reste. 


*

**


Je regarde l’écran de mon téléphone et me rends compte que je n’ai pas d’ami. Pierre ne cesse d’appeler et à chaque fois, je rejette son appel. Il n’y a personne de mon âge que je peux appeler pour expliquer ce qui vient de se passer et démêler les choses. Tous mes amis, petit à petit, je les ai mis de côté parce qu’ils ne plaisaient pas à Pierre. Je ne sais pas quoi faire, je me sens seule et désemparée. Je ne sais pas si je fais une montagne de pas grand-chose au final ou si je dois vraiment me dire que c’est grave. Après tout ce n’était qu’une gifle, aussi violente soit-elle. Quelque chose s’est passé et il n’était pas prêt à m’en parler. Je n’aurai pas dû insister. Moi quand je suis en colère, il me laisse tranquille. Enfin parfois pas tout le temps. Pourquoi je n’ai pas su faire de même ? Parce que j’avais peur. Peur de rentrer après l’épreuve de l’accouchement et de trouver un homme qui aura cédé à celle qui le pourchasse. Peur qu’il me dise, maintenant que je sais à quel point tu m’aimes, maintenant que je sais que tu es la mère de mon enfant, j’ai envie d’autres choses, d’autres femmes. De Carter.  

  

Mon téléphone sonne. C’est la mère de Pierre qui appelle. Cette fois, je décroche. 


- Manuella, où es-tu ? 

- Pas loin de la maison. Pourquoi ? 


Je suis moi-même sidérée par le naturel avec lequel je lui réponds. Une voiture klaxonne dans mon dos. Je recule rapidement. J’étais en train de traverser sans regarder. Il faut vraiment que j’arrête de faire n’importe quoi. Ce n’est pas la fin du monde tout de même. 


- Pierre m’a appelé en panique. 

- Maman Irène…


Pourquoi a –t-il fallu qu’il appelle sa mère ? Pour lui dire quoi exactement ? Pourquoi la mêler à ça ? Elle dira que c’est de ma faute, que je l’ai provoqué, que je dois apprendre à me tenir… et je ne saurai plus où me mettre.


- Attends, ma puce. Il m’a dit que vous vous êtes disputés et que tu es sortie de la maison sans ta voiture. Dis-moi où tu es ma chérie et je viens te chercher. Ce n’est pas le moment de te balader toute seule dans Libreville toi aussi. 

- Maman Irène, ce n’est pas la peine…

- Manuella, je ne me suis encore jamais fâchée contre toi hein ? Il vaut mieux qu’on continue sur cette lancée. Dis-moi où tu es.


J’ai l’impression qu’il ne lui a rien dit ? Je suis soulagée. Je lui indique ma position et quelques minutes plus tard, elle vient me chercher. Tout au long du trajet, elle ne dit rien. Finalement, elle se gare devant une coquette villa dans une zone d’Owendo que je ne connais pas très bien. Je viens très peu dans cette partie de la ville d’Owendo. Mais j’ai pu constater à quel point, elle s’était développée.  


Lorsqu’on entre, elle me propose de m’assoir au salon puis elle disparait dans la cuisine pour en revenir avec un verre d’eau. La maison n’est pas très grande mais elle est magnifiquement décorée dans les tons verts et taupe. Je suppose que lorsqu’elle n’est pas à Port-Gentil, c’est ici qu’elle habite. Il y a des photos de Pierre partout sur les murs. Elle s’assoit en face de moi avant d’écarquiller les yeux de surprise. 


- Mais qu’est-ce que tu as au visage ? 

- Oh ça ! dis-je en souriant. David s’est mis à pleurer alors que je l’avais laissé dans la chambre et j’ai couru pour aller le prendre … et je me suis bêtement cognée à la porte.


Le mensonge a glissé sans peine de mes lèvres. Je continue de sourire maladroitement comme si j’avais honte de devoir avouer que j’étais un peu tête en l’air. Je ne suis pas tête en l’air maman Irène. C’est juste ton fils qui m’a frappé au visage. Mon téléphone sonne encore. C’est toujours Pierre. Je rejette de nouveau son appel et mets le téléphone sous silence. Je dois encore me dépatouiller avec tout ce que je ressens. Tout est confus dans ma tête mais au moins je suis sure une chose : je ne veux pas lui parler.   

 

- Et avec tout ça, vous vous disputez encore ? Tu sors à peine de l’hôpital, tu crois que c’est le moment ma chérie avec ce qui lui est arrivé ? 


Ce qui lui est arrivé ? Mais de quoi parle-t-elle ? Je n’ose pas demander par peur de révéler que je ne sais pas ce qui est arrivé à Pierre.


- Tu as faim ? 

- Non maman Irène.

- Ah non. Il n’y a pas de non qui tienne. Il faut que tu manges. 


Je me lève bien malgré moi pour me diriger vers la cuisine qu’elle vient à peine de quitter. Je n’ai peut-être pas reçu une éducation complète mais je sais qu’il est malpoli de laisser plus âgée que soi, travailler à sa place. C’est elle qui me propose de manger mais je ne dois pas la laisser cuisiner pour autant. En plus c’est la mère de Pierre. 


- Mais tu vas où ?

- A la cuisine. Je vais voir ce que je peux faire…

- Mais hors de question que tu touches à une marmite d’ici, s’exclame –t-elle en fronçant les sourcils. 


Ça me fait de la peine qu’elle réponde ainsi. Je n’avais pas l’intention de bruler ses marmites. A ma grande surprise, elle se lève et me prend dans ses bras. Puis elle caresse la joue comme elle le ferait à une petite fille. Je retiens ma respiration pour ne pas grimacer de douleur quand sa paume passe sur ma joue. 


- Ne fais pas cette tête, Manuella. Tu viens de donner la vie à mon petit-fils. C’est à moi de te gâter, de faire à manger pour toi pendant que tu apprends à faire connaissance avec ton enfant. C’est pour ça que j’ai répondu ça. Une femme qui vient d’accoucher ne touche pas les marmites, ne fais pas le ménage et se repose. Tu ne le savais pas? 

- Non. 

- En tout cas c’est chez les blancs qu’on abandonne une femme qui vient d’accoucher seule avec son enfant. Nous les africains on sait entourer la mère de soins et d’affections. C’est pour cela que tu verras peu de mères déprimées chez nous. Mais les habitudes se perdent tu sais. En plus Pierre m’a déjà dit que tu ne sais pas cuisiner. Raison de plus pour que tu me laisses faire. il te faut plein de bonnes vitamines. 

- D’accord. 

- Tu crois qu’avoir un enfant c’est une petite affaire ? Si tu blagues avec le repos et les repas, tu vas maigrir et mourir d’épuisement. Aujourd’hui, tu dors ici. Mais demain je te ramène chez ton gars. OK ? 


Je suis trop fatiguée pour répondre. Mais elle ne s’en offusque pas. Elle me fait entrer dans sa chambre, pose une chemise de nuit ainsi qu’un paquet neuf de serviettes sur le lit puis me dirige vers la douche contiguë à la chambre. C’est une belle pièce moderne avec une cabine de douche automatique. C’est la première fois que j’en vois une aussi vaste. Je crois que les gouts de luxe du fils ne lui viennent pas de très loin. Une fois lavée et changée, je la rejoins à la cuisine où elle prépare devant moi une soupe de vermicelles chaude en me détaillant chaque étape avec gentillesse. 


- La cuisine ça s’apprend à tout âge ma belle. Tu pourras venir certains week-ends à la maison et je te montrerai comment faire. si tu veux apprendre, tu le peux. Tu ne peux pas être capable de réparer des voitures allemandes et dire que tu ne sais pas faire les feuilles de manioc. Je vais t’apprendre. OK ? 

- Oui.

- Mais rien ne presse oh. Sinon après tu vas raconter à tes copine que ta belle-mère fang est mauvaise.

- Je n’ai pas de copines, je réponds sans réfléchir.

- C’est peut-être pas plus mal. Parce que mon fils, il en a fait des bêtises avec les copines de son ancienne amie. Je ne dis pas ça pour te faire du mal mais pour te dire que je sais de quoi mon fils est capable quand il fait sa tête de mule. Ce n’est pas un enfant facile. Mais quand il se décide à bien agir, je suis toujours fière de lui. Aujourd’hui tu te dis surement que maman Irène radote. Mais toi aussi tu es mère d’un garçon maintenant. Tu comprendras plus tard.  


Dès qu’elle finit sa préparation, elle me sert un grand bol de soupe avec un verre de jus de fruit puis nous installe au salon. 


- Alors ? Tu refuses de me dire pourquoi vous vous êtes disputés ?  


J’hausse les épaules et trempe la cuillère dans la soupe avant de la porter à ma bouche. Elle est bonne et épicée comme celles que faisaient Idris. Je prends une nouvelle cuillérée et la porte à ma bouche sans lever les yeux sur maman Irène qui je le sais, scrute le moindre de mes mouvements.   


- Tu veux partir parce qu’il a perdu son boulot ? 


Je suspends mon geste et lève enfin les yeux. Elle a croisé ses bras sur sa poitrine, résolue semble –t-il à en découdre avec moi si j’ai planifié de quitter son fils.


- Quoi ? 

- Ce n’était pas ça l’objet de votre dispute ?

- Non. 


Elle soupire et sourit en posant les mains sur son cœur, soulagée. 


- Oh mon Dieu je t’avoue que j’ai imaginé le pire. Je me suis dit que parce qu’il a perdu son boulot tu voulais le quitter. Et ça me faisait tellement de la peine parce que je t’aime beaucoup Manuella. Mais ce n’est pas de ma faute si j’ai pensé à ça. Les jeunes filles de maintenant ne veulent plus d’hommes chômeurs. Donc je me suis demandé si c’est à cause de ça. 


Je pose ma cuillère et elle me raconte qu’une fois partie de chez nous, elle est tombée sur une note vocale que son fils lui avait laissé sur whatsapp et qu’elle avait oublié d’écouter la veille. Que non seulement, son fils n’a pas eu droit à la promotion escomptée mais qu’en plus, contre toute attente, on lui a fait savoir qu’on avait plus besoin de ses services. Qu’elle a donc compris que c’est à cause de cela qu’il n’a pas pu venir me chercher à la clinique. 


- Tu me promets que ce n’est pas à cause de ça ? 

- Non maman. 

- Alors c’est quoi ? 

- J’étais fâchée… parce qu’il n’est pas venu me chercher. On s’est disputé parce que je le lui ai reproché. C’est tout maman. Rien de grave. 


Encore un autre mensonge. Pourquoi je n’arrive pas à dire qu’il m’a giflée tellement fort que j’en ai encore mal à la joue ? Pourquoi je n’arrive pas à dire qu’il y avait une telle colère dans son geste que j’ai eu peur ? 


- Ah vous les femmes amoureuses là. Tu vois maintenant que tu étais fâchée pour rien. Ce n’était pas de sa faute. Mais j’avoue qu’il aurait dû te le dire. 

- Oui maman. 

- Mais tu sais Pierre est un enfant tellement fier. Que ce soit dans son parcours scolaire ou professionnel, il a toujours fait un sans-faute. C’est un coup dur pour lui, il ne supporte pas l’échec alors là pas du tout. Je lui ai demandé s’il savait pourquoi on le licenciait… il m’a dit de laisser tomber. Donc je ne m’en mêle pas.


Est-ce qu’il a cru que c’était de ma faute ? Qu’est-ce qui a bien pu lui faire croire que … Mon Dieu ! Le service que Keshia devait me rendre n’a quand même pas pu provoquer ça !  

    

- Mais j’ai confiance en lui, il va trouver un autre poste. Et puis il a aussi sa société qui tourne bien. je ne vois même pas où est le problème. Il faudra juste diminuer votre train de vie le temps que les choses s’arrangent un peu. Parce que maintenant vous avez un bébé, il faut faire des économies pour plus tard.


Elle se lève et lise sa jupe plissé. Combien de femmes portent encore ce genre de jupe et reste stylée avec ? Mais je suppose que maman Irène n’est pas toutes les femmes. 


- Je vais l’appeler et voir comment il se débrouille avec son fils. 


Avant même que je ne puisse dire quoi que ce soit, elle lance l’appel et met son téléphone sur hautparleur dès que son fils décroche. 


- Tu l’as retrouvée maman ? Je l’appelle, elle ne décroche pas. Je ne sais pas quoi faire et je ne peux pas laisser David seul pour aller à sa recherche…

- Oui, elle est avec moi, coupe sa mère en souriant. Elle va dormir ici, le temps que vous vous calmiez tous les deux. Tu as vu qu’elle s’est cogné à la porte et tu l’as laissé partir comme ça ? Son œil est rouge Pierre, j’ai même l’impression que sa joue est enflée.


Il se tait un long moment. Il comprend que je n’ai pas dit à sa mère ce qui s’est passé. 


- Allo ? Pierre tu es là ? 

- Mais elle … revient n’est-ce pas ? 

- Wapanikéze ! dit-elle pour se moquer de lui. Oui elle revient demain. Ah si tu as peur qu’elle t’échappe, tu sais ce que tu dois faire chez ses parents hein. Moi je t’ai déjà dit que nous les fangs on ne garde pas les filles d’autrui en otage et surtout on ne laisse pas notre sang dehors. 

- Maman ce n’est pas le moment de parler de ça. 

- Tu me parles mal alors que j’arrange tes affaires ? Bon. OK. Tu te débrouilles bien avec David où tu veux que je vienne ?

- Ça va maman. Il dort. J’ai  regardé comment faire un biberon sur internet mais il n’a pas bu grand-chose. Je crois que j’ai mis trop d’eau. Je vais le refaire tout à l’heure. Je veux juste que Manu rentre. C’est tout. 

- Elle va rentrer mais demain. 

- T’es sure ? 

- Oui. Mais pourquoi vous êtes bizarres comme ca tous les deux ? Je sais que pour le boulot ça va être dur un moment mais …

- Tu ne comprends pas maman. Je lui ai promis de m’occuper d’elle et là… c’est parti en couille. J’avais des plans maman et…

- Calme-toi Pierre ! ordonne-t-elle lorsqu’elle me voit m’effondrer en l’écoutant. Je te rappelle demain. Bonne nuit mon fils.

- Bonne nuit maman. 


Dès qu’elle raccroche, elle me prend dans ses bras pour me rassurer. 


- Il va trouver un autre boulot j’en suis sure. Et puis tu sais pourquoi je t’aime ? tu es indépendante, tu travailles, tu ne t’accroches pas à lui pour son argent. J’ai la certitude que tu sauras l’épauler dans cette situation difficile. N’est-ce pas ? 

- Oui maman. 

- C’est bien ma puce. Maintenant va dormir un peu. Dans la chambre d’ami. Elle est face à la mienne. Demain, il faudra t’occuper de tes deux bébés hein. Mon fils et ton fils.  Mais dis-moi qui va te faire l’eau chaude ? 

- L’eau chaude ? 

- Oui. 

- Je ne sais pas. Je n’ai personne. 

- Bon, je t’inquiète pas je vais trouver une solution. Bonne nuit.


Une fois bien en sécurité dans la chambre d’ami, j’essaie de digérer cette journée de merde. Puisque mon téléphone continue toujours de sonner, je bloque le numéro de Pierre. Les yeux arrimés au plafond, je fais le vide dans ma tête pour m’endormir. C’est Irène qui a raison, il faut que je me repose. Peut-être que c’est l’enchainement des choses qui m’a fait tout dramatiser. Je ferme les yeux. Une heure passe puis une seconde heure s’écoule sans que je n’arrive à m’endormir pour de bon. 


Il devine ce qui m’empêche de dormir. Il faut que je sache si c’est à cause de moi qu’il a perdu son boulot. Pourtant, j’avais dit à Keshia d’attendre la semaine prochaine, le temps que je lui confirme qu’il fallait qu’elle agisse. 

Keshia est ce qu’on appelle un papillon de nuit. Elle connait tout le beau monde de Libreville, sait quel ministre sort avec quelle fille de Directeur de grosse société et quel sénateur sort avec quelle fille de banquier. Et je lui ai demandé si elle connaissait Carter. Elle a éclaté de rire et me montrant les messages de menaces qu’elle avait reçu de Carter lorsqu’elle s’était un tout petit peu trop approché de son nouveau petit ami, un vieux français qui dirigeait une société d’assurance. Je n’en revenais pas. Puis elle m’a expliqué qu’elle connaissait bien le profil des femmes comme Carter qui s’amusaient à vider les comptes de sugar daddy qui finançaient tous leurs caprices et qui une fois fatiguées de ce cirque s’accrochaient à un jeune homme qu’elles épousaient vaille que vaille. 


Alors je voulais qu’elle goute à ce qu’elle me faisait endurer. Au début je m’étais promis de faire de sa photo dénudée et de son message, une pancarte publicitaire pour « prostituée en recherche de client » avec son numéro de téléphone pour toute demande. Et je devais l’afficher juste devant le siège social de CFAO. Puis je me suis ravisée. A cause de Pierre justement et de ce qu’il m’a expliquée concernant le conseil d’administration. 

Alors j’ai demandé à Keshia de se remettre en chasse, de titiller le vieux français et de faire savoir à Carter, qu’elle venait de ma part. Elle m’avait certifiée que le vieux coquin était intéressé par elle et que les choses se passeraient bien. Mais elle n’était censée prendre contact avec lui qu’après mon top.


- Salut ma belle, tu as accouché ? 

- Oui  Keshia.

- Ah mes félicitations alors. 

- Merci. Euh Keshia…

- Hééé J’ai failli oublier de te dire. Tu ne devineras jamais ce qui s’est passé ! Le vieux salaud m’a contactée sans même que je m’approche de lui. Alors j’ai renvoyé l’ascenseur à la connasse de Carter.


Je serre le téléphone. Merde. Et re-merde.


- Je t’avais dit d’attendre mon top.

- L’occasion était trop belle Manu. Je ne pouvais pas attendre. Je n’avais même pas à faire le boulot c’est carrément lui qui me contacte. C’est une vraie connasse cette fille, je ne pouvais pas laisser passer ça. Je lui ai envoyé les screen shoot et je lui ai dit que tu la saluais. Elle m’a appelée direct pour bien m’insulter et je lui ai dit que son gars bandait mou. Elle a failli s’étrangler je t’assure. Une go fragile comme ça !


Comme elle constate que je ne jubile pas avec elle, elle se tait un moment. 


- Quoi il y a eu un problème ? 

- Non. Mais merci Keshia.  

- Si tu as besoin d’autre chose, je suis là Manu. Tu es une fille sympa qui n’aime pas les problèmes et ça me saoule quand des filles comme Carter tirent profit de ça.       

- Merci. Bye. 


J’ai le fin le mot de l’histoire. Keshia est une folle, j’aurai du savoir que tout ça allait mal se terminer. Mais je lui avais dit de régler cette histoire avec Carter. Ça faisait DES MOIS que je le suppliais de le faire et il n’a rien foutu. J’ai choisi une mise en garde subtile plutôt qu’une attaque frontale. Et même ça, ça a quand même dégénéré !

Quelle femme peut accepter de se faire rabaisser tous les jours sans réagir ? Moi, je l’ai fait pendant des mois. Je me suis tenue à carreau, alors que c’est loin d’être dans mes habitudes.  

D’habitude, je m’en contre fous des allumeuses. Mais la différence c’est que cette fois ci, c’est que ça s’est passé alors que j’étais enceinte et fragile émotionnellement. J’ai fini par craquer et réagir. Il aurait dû régler le problème de manière ferme et définitive. Comme moi lorsqu’il me demande de régler quelque chose qui lui déplaît fortement. Je n’attends pas des lustres pour le faire. Le connaissant, il peterait les câbles si je tardais. Par respect pour lui, je le fais aussitôt. Pourquoi n’a-t-il pas fait de même ?


Ne rien faire c’était trop dure pour toi hein Manu. Toi qui a l’habitude de régler toi-même ce qui te tracasse. C’était trop dur de lui passer la main.  


On cogne doucement à la porte. Je me lève au cas où c’est maman Irène qui aurait besoin de moi. J’ouvre la porte et me retrouve devant Pierre. Son tee-shirt est froissé et il porte un short qu’il ne porte habituellement qu’à la maison. David dort paisiblement dans ses bras.

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