Chapitre 18 : Cœur à prendre, cœur à perdre

Write by Une vie pleine de péripéties

Deux semaines. Quatorze jours. Trois-cent-trente-six heures. Cest le temps qu’il avait fallu à Karl pour ne pas répondre au dernier appel, ni au dernier au dernier message de Sherie.

Et pourtant, elle avait décidé de se battre. Pas par faiblesse. Par choix. Elle voulait voir où cela irait. Mais comment se battre contre un silence ?

Le soir tombait sur Abidjan, et Sherie était chez elle, en pyjama, devant une série qu’elle ne regardait pas vraiment. Son père était allé à une veillée de prière à laquelle elle n’avait pas voulu l’accompagner.
Son téléphone à la main. Elle l’avait posé, repris, reposé. Plusieurs fois. Aucune notification. Juste ce fond d’écran avec l’heure qui tourne comme un rappel cruel : Tu attends, et lui, il vit.

Puis soudain, boum boum boum !
Quelqu’un tambourinait à la porte.

— « Ouvrez, c’est une affaire nationale ! » criait une voix essoufflée.

Sherie reconnut immédiatement la voix

— « Andy, c’est toi ? »

Elle ouvrit.

Andy entra comme une tempête de vérité, téléphone à la main, yeux écarquillés, cheveux légèrement en bataille comme si elle avait couru tout Abidjan.

— « Chérie. Assieds-toi. Ou non, reste debout même. Ce que je vais te montrer là… faut avoir le cœur solide. »

— « Andy, arrête tes films là y a quoi ? »

Andy s’approcha lentement, regarda Sherie droit dans les yeux.

— « Tu m’as dit que tu voulais te battre… mais on ne se bat pas les yeux bandés. Tu dois savoir à quoi tu fais face. »

Elle sortit son téléphone et le tendit à Sherie.
Une vidéo reçue sur WhatsApp. Ambiance lumière tamisée, lounge huppé à la Riviera.
Et là, au centre, un groupe de personnes,  Karl en faisant parti, assis, sourire aux lèvres, à l’aise, avec une fille comme dans les clips de Burna Boy : peau caramel, perruque de 30 pouces, robe moulante couleur champagne à ses côtés. Très belle. Et ils riaient ensemble collés, intimes…La caméra pivote, et juste avant que la vidéo se coupe, la fille se rapproche de son visage.

Coupure. Silence.

Sherie resta muette. Elle fixa l’écran. Une brûlure monta dans sa gorge. Elle déglutit difficilement.

— « C’était… quand ? »

— « Ce soir, » lança Andy, amère.
Oui, Karl était comme son grand frère, mais elle avait déjà activé ses radars, car elle prenait cette histoire de reconquête au sérieux.

Sherie ferma les yeux. Sa mâchoire se crispa. Mais pas de larmes pas ce soir, pas cette fois. Elle rouvrit les yeux, fixes, calmes inspira et expira. Gardant un calme inquiétant. Le genre de calme qu’on a avant une tornade.

— « C'est une sorte de soirée comme celle auxquelles tu aimes assister souvent? » demanda t-elle

Andy hocha lentement la tête.

— « Ouais. Une soirée privée au Sky Bistrot. Dress code : noir, chic et fatal. »

Sherie, redonna le téléphone à Andy qui le rangea.

— « On devrait y aller » lui dit Andy

Sherie ricana, sceptique.

— « Je vais aller faire quoi là-bas ? Ce n’est pas mon terrain. »

Andy tapa dans ses mains :

— « Justement ! On va te transformer ! Ce soir, ma chérie, tu ne seras pas Sherie la maquilleuse… Tu seras Sherie, la go qui fait tourner les têtes. La go sûre, confiante, classe, mais qui pique ! » « On y va, on va en bataille, » lança Andy, comme pour la motiver.

Sherie hésita encore, mais Andy s’approcha doucement, plus sérieuse, comme un général qui motive ses troupes :

— « Tu n’y vas pas pour lui courir après. Tu vas te battre, pas le supplier. Il t’a mise en silence ? Tu vas devenir une cloche dans sa tête. Ce soir, il va regretter, »
Et ce ne sera que le début. Il va mourir dans le film, comme les chefs bandits.

Sherie respira profondément.

— « Mais Andy… je n’ai rien à me mettre. Rien pour ce genre de guerre-là. »

Andy recula théâtralement, comme une styliste qui s’attendait à cette phrase.

— « Tu crois que je suis venue les mains vides ?! Je suis toujours prête, moi.
Ma chérie, j’ai amené LA robe. Celle que même la Sainte Vierge mettrait si elle allait au Sky. »

Elle attrapa son sac, se dirigea vers la chambre de Sherie à la hâte, comme si elle craignait que Sherie lui dise encore non.
Elle ouvrit son sac comme une styliste de Fashion Week, puis en sortit une robe noire moulante, que Sherie n’aurait jamais osé porter. Fendue, dos nu, avec un petit collier de perles intégré.

Alors Sherie capitula. Andy faillit lâcher un cri de victoire.

— « Waaaaah ! C’est maintenant tu parles, ma chérie ! Ce soir, on va laisser ton corps parler pour toi. C’est ce qu’on appelle la force tranquille. »

Elles s’apprêtèrent avec soin.

23h12 – Sky Bistrot, Cocody Riviera 3, Abidjan

Le ciel d’Abidjan brillait, mais rien n’éclipsait Sherie ce soir. Le chauffeur de Andy venait de se garer devant l'établissement. Robe noire fendue jusqu’à la cuisse, épaules dénudées, peau éclatante. Son maquillage était chirurgical, oui elle s’était appliquée. Regard de braise, lèvres rouges. La go était un poème charnel.
Andy n’était pas en reste, mais ce soir, Sherie brillait de mille feux.

Quand elle descendit de la voiture, les vigiles du Skyroom eux-mêmes firent un double take.

— « Hummm c'est qui la mousso* (femme en langage de rue ivoirien) là ? » murmura l’un d’eux.

— « Vieux môgô regarde seulement, forcé c’est un boss qui mange ça. C’est pas beauté ça, c’est provocation. » répondit son collègue

Andy souriait à côté, fière comme une maman d’élève major.

— « Mission : frapper le cœur de l’ennemi. »

Elles entrèrent.

— « Eh eh ! Mais regardez-moi cette beauté-là ! » murmura un homme.
« Qui l’a lâchée dehors comme ça à cette heure-là ? On va perdre des foyers ici ! » déclara un autre
Un autre cria :
— « Ouais, y’a femme à Abidjan. Aucune brique n’ira au village ! »

Andy gloussa. Elle était dans son élément.

— « C’est juste l’échauffement. »

Sherie, droite, fière, le regard haut, ses talons claquaient comme des menaces. Son visage? impeccable, son regard ? brillant de vengeance douce. Elle était splendide oh oui elle savait qu’elle l’était.

La musique vibrait déjà. L’ambiance afro-vibe était à son sommet, du champagne coulait. Des gens dansaient, les flashs de téléphones étaient visibles, d’autres posaient pour Snap, Insta, TikTok. Mais ce fut lui, Karl, qui sentit sa nuque se tendre. Là, dans son coin VIP. Toujours beau, toujours égal à lui même, toujours sûr de lui. Il leva les yeux. Et la vitEt là… tout bascula.

Sherie marcha lentement dans la salle. Les regards se tournaient. Et lui, Karl, semblait figé dans une autre dimension.

À côté de lui, la même fille de la vidéo, toujours collée à lui, mais cette fois, il ne la regardait plusSes yeux étaient scotchés à Sherie.

Elle n’alla pas vers lui. Non. Elle se dirigea vers la table où l’attendaient des amis d’Andy. Pendant ce temps, Andy bifurqua légèrement, direction le coin VIP de Karl. Elle s’approcha de lui. Même si elle était #TeamSherie jusqu’à la moelle, Karl restait un grand frère pour elle. Elle n’allait pas faire semblant de ne pas l’avoir vu.

— « Mon grand... Toujours fidèle au coin VIP, hein ? » lança-t-elle, un peu trop joyeusement aux yeux de Karl.

Karl sourit en la voyant approcher.
— « Andy... Ça fait plaisir, » répondit-il en se levant pour lui faire une bise.

Ils se saluèrent. Andy jeta un coup d’œil appuyé à la fille à côté de lui — toujours collée, toujours souriante — puis marqua une pause.

— « En tout cas, tu brilles le grand... Tout un Akan dans son jus. Et avec une compagnie si… photogénique. »

La jeune fille ne perçut pas immédiatement l’ironie, mais Karl si. Il lança un regard en biais à sa petite sœur de cœur. Au moment où il s’apprêtait à faire les présentations, Andy l’interrompit.

— « Mais en fait, je suis venue avec… » fit-elle mine de se retourner, « Sherie, » ajouta-t-elle en feignant de la chercher du regard.
— « Oh, » fit-elle faussement surprise. « Je pensais qu’elle était juste derrière moi... Je lui ai pourtant dit que je venais te dire bonsoir. »

Elle se tourna de nouveau vers Karl, un sourire presque innocent sur les lèvres.

— « Tu sais, en ce moment, elle est un peu bizarre... Je ne sais pas si c’est à cause de son ex. Elle t’en a parlé ? Je vous ai vus au resto la dernière fois, j’en ai déduit que tu sais peut-être quelque chose. »

Karl, tentant de rester impassible, répondit sèchement :
— « Non. »

Andy, toujours douce mais ferme, insista, le ton subtilement voilé :
— « Ok... Je pense que vous vous reverrez plus tard. Mais ce soir, je suis bien décidée à lui faire oublier sa tristesse. Elle va s’amuser. Et qui sait... Peut-être rencontrer l’homme, the man »

Karl, la mâchoire crispée, lui lança :

— « Ne la jette pas dans les bras du premier venu. Et toi aussi, tu restes tranquille. Je vous ai à l’œil. »

Andy éclata d’un rire bref et lui lança :
— « Grand frère protecteur jusqu’au bout... Ne t’inquiète pas. Ce soir, ce n’est pas la pitié qui guide, c’est le glow-up. Amuse toi bien parceque nous on est venu pour kiffer » 

Andy rejoignit le carré VIP où l’attendaient ses amis… et Sherie.
Elle fut surprise de la voir, elle, d’ordinaire si tendue, détendue pour une fois, presque rayonnante. Elle riait franchement avec les autres, coupe de champagne à la main, installée comme chez elle. Andy fit le tour de la table, saluant tout le monde avec un large sourire.

Sherie vida sa coupe d’un trait et attrapa la main d’Andy.
— « Viens, on danse. »

Elles se glissèrent sur la piste, lentement d’abord. Sherie commença à bouger au rythme de la musique, doucement, mais avec aisance. C’était la première fois qu’Andy la voyait danser… vraiment danser. Libre, sans peur, sans réserve.

Andy leva les yeux un instant — et vit Karl. Le regard vissé sur Sherie. Un regard perçant, tendu. Il ne souriait pas. Il observait.

Un sourire s’étira sur les lèvres d’Andy. Elle se pencha à l’oreille de Sherie pour couvrir le bruit de la musique.

— « Ma chérie… ce que tu es en train de faire là, c’est un assassinat émotionnel. »

Sherie tourna la tête vers elle, un sourire enfin franc sur les lèvres.
— « Tu crois que ça va marcher ? »

Andy ne détourna pas les yeux de Karl.
— « C'est déjà plié ma go, L'ennemi est  touché en plein coeur »

Karl n’arrivait plus à suivre la conversation autour de lui. La fille assise à ses côtés continuait de rire à ses propres blagues, de jouer avec la manche de sa chemise, de se pencher vers lui pour dire des banalités qu’il n’écoutait même pas. Il hochait la tête par réflexe, distrait. Ses yeux, eux, restaient ancrés sur la piste de danse. Sherie. La robe noire. Les hanches qui suivaient la musique comme si elle l’avait composée elle-même. Le sourire aux lèvres, le port de tête royal. Elle riait, elle bougeait, elle vivait. Et surtout: Depuis une heure qu’elle était là, elle n’avait pas tourné la tête vers lui une seule fois, elle n’avait même pas daigné le saluer. Elle ne l'avait même pas regardé.

Ça, c’était nouveau. Elle l’ignorait.

Lui. Karl.

Et pourtant, c’était lui qui avait laissé ses messages sans réponse. Lui qui avait fui. Lui qui avait tout fait pour créer ce vide.

Il voyait Sherie profité de sa soirée, champagne, rires, danses, avec Andy avec des amis — certains qu’il connaissait, d’autres non.

Puis, elle quitta la piste après qu’une amie de Andy lui ait soufflé quelque chose à l’oreille. Elle se dirigea vers une autre table. Trois hommes y étaient assis, mais lui, Karl, l’avait tout de suite repéré.

Joël Owono.

Fils d’un magnat gabonais du pétrole et d’une mère ivoirienne connue pour ses œuvres caritatives.
Un gars discret, mais puissant.
Le genre qui ne parle pas trop, mais qui obtient toujours ce qu’il veut. Un vrai chasseur. Et surtout… un adversaire redoutable.

Déjà influent dans les hautes sphères politico-économiques, Joël était pressenti pour devenir ministre de l’Économie Numérique et de l’Innovation au prochain remaniement.
Cultivé, stratège, élégant, toujours bien entouré.
Un nom qui ouvrait toutes les portes.
Et surtout : un joueur d’échecs dans la vraie vie comme dans la vie mondaine.

Fiancé, oui. Officiellement.

Mais Karl savait que pour Joël, une bague au doigt n’avait jamais empêché une main d’aller chercher ce qu’elle voulait.
Et ce soir, ce que Joël voulait, c’était clair : Sherie.

Et Sherie elle lui souriait. Un sourire léger, naturel. Le genre de sourire qu’elle ne lui avait plus offert depuis longtemps.  Celui qu’elle avait quand ils apprenaient encore à se connaître.

Par sa propre faute, se dit-il. Comme il se sentit minable à cet instant.

Karl sentit un nœud se former dans son ventre. Ce n’était pas de la jalousie. C’était pire, un sentiment de perte. De glissement. Comme si un lien qu’il croyait solide venait d’être coupé sans prévenir.

La fille à côté de lui posa une main sur sa cuisse.

— « Tu veux danser ? »

Il tourna lentement la tête vers elle. Elle était belle, pourtant. Mais il n’y avait rien dans son regard à elle qui pouvait concurrencer Sherie.

— « Non. »

Lui qui voulait tant garder le contrôle en s'éloignant d'elle se rendit amèrement compte que ce soir, il ne contrôlait plus rien.

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