chapitre 18: comprendre
Write by leilaji
Chapitre 18
29 ans plus tôt
****Isabelle****
Je respire profondément une énième fois et pousse très fort sur les recommandations du médecin accoucheur. Je ne savais pas qu’une telle douleur pouvait exister. Une infirmière m’éponge le front. Mais ce n’est pas de ça que j’ai besoin. Je veux mon mari près de moi. Mais sa folle de mère lui a déconseillé d’entrer en salle d’accouchement et me voilà allongée sur cette table, les jambes écartées en train de souffrir le martyr.
J’ai hâte de voir mon fils. Je désirais tellement donner un héritier à André. Un garçon vigoureux qui lui ressemblera et lui fera honneur. J’y veillerai scrupuleusement. Ce sera la plus belle preuve d’amour que je pourrai lui donner lui qui m’a tant offert dans ses bras. Jamais encore un homme ne m’avait aimée avec une telle passion. Je suis indigne d’une telle dévotion, malgré les difficultés que notre couple a traversé, il resté près de moi aussi amoureux qu’au premier jour.
La douleur me fait délirer, mélanger le passé et le présent. J’ai mal, il faut que j’expulse cet enfant de mon ventre. Nous l’attendons depuis tellement longtemps.
— Arrêtez de pousser madame Valentine. Ordonne calmement le médecin
Je n’ai pas envie d’arrêter, je veux pousser et faire cesser définitivement cette douleur. Une grossesse compliquée et un accouchement plus que douloureux, cet enfant va m’en faire voir de toutes les couleurs. Seigneur j’ai mal. Je suis en train d’écraser la main compatissante de l’infirmière qui depuis le début de la séance me réconforte.
— Allez-y pousser de toutes vos forces madame Valentine. Recommande le médecin sentant le bon moment poindre.
J’ai oublié son nom. Je suis fatiguée, tellement fatiguée. Ca fait huit heures que je suis en salle de travail. Je veux André. L’infirmière me tapote le visage avec un regard déterminé. J’inspire une dernière fois pour prendre des forces, puis je pousse avec la dernière énergie qui me reste.
Je sens comme une masse s’échapper de mes cuisses. Le soulagement est instantané. Je ne ressens quasiment plus aucune douleur. Un bébé hurle de tous ses poumons et je le regarde… il est magnifique. Oh mon bébé. Il gigote dans tous les sens et on le pose sur ma poitrine alors qu’il est encore ensanglanté. Il est beau mon petit garçon même s’il ne pèse pas grand chose. Alors que je le contemple, une douleur nouvelle me vrille les entrailles. Une nouvelle contraction ? Mais comment ça ? Je fais signe à l’infirmière en retenant ma respiration et mes larmes. Elle me retire mon garçon après qu’on ait coupé le cordon qui nous reliait pour aller le nettoyer pendant que le personnel s’agite autour de moi. Mais que se passe-t-il ? Le moniteur s’emballe… J’ai mal très mal… Je me relève assez pour regarder le médecin. Il est anxieux et palpe mon ventre comme s’il essayait de retourner une chose à l’intérieure. J’entends le médecin murmurer un mot et demander à ce qu’on trouve un anesthésiste d’urgence…
Je m’évanouie.
****André****
Maman s’occupe d’Eloïse pendant que je cherche à comprendre ce qui a bien pu se passer pour qu’Isabelle soit emmenée d’urgence en salle d’opération. On vient à peine de me montrer notre fils parmi les bébés exposés à la nurserie. A-t-elle fait une hémorragie après l’accouchement ? personne ne m’informe et cela m’angoisse encore plus. Je regarde ma fille chérie, la prunelle de mes yeux, Eloïse qui s’est endormie dans les bras de ma mère qui lui caresse les cheveux. Et dire que cette petite pipelette a passé sa journée à demandé son frère. Et maintenant qu’il est là et qu’elle peut le voir, elle dort comme une bienheureuse dans un couloir désertique de l’hôpital. Je ne peux pas lui en vouloir car nous sommes tous fatigués. Mon regard se pose alors sur ma mère qui ne cesse de bercer Eloïse. Une infirmière passe devant nous et je me lève pour lui demander des renseignements.
— Excusez-moi mademoiselle. Je suis le mari de Madame Valentine qui vient d’accoucher. Pourquoi est-elle en salle d’opération ?
— Il y a un deuxième bébé et il se présente assez mal… par le siège.
Je sens mes jambes flageoler sous la nouvelle. Un deuxième bébé ! C’est impossible ? Avec trois échographies, soit une par trimestre, comment le gynécologue a pu manquer un deuxième bébé ? J’ai moi-même assisté à toutes les séances et il n’y a jamais eu de deuxième bébé. Une échographie ne peut tout de même pas manquer un enfant ! Je laisse l’infirmière s’en aller et reviens vers ma mère.
— Maman, ce sont des jumeaux.
Elle ne semble pas plus étonnée que ça.
— Je vous avais bien dit que la forme de son ventre annonçait des jumeaux. Mais vous avez préféré écouter le docteur blanc.
—Maman ce n’est pas le moment.
— Ne t’inquiète pas mon chéri. Tout va bien se passer. Dit-elle d’une voix rassurante.
Mon cœur se calme immédiatement. Quand ma mère dit que tout va bien se passer, c’est que je n’ai vraiment pas à m’en faire.
C’est l’une des femmes les plus mystérieuses que je connaisse, très moderne pour son âge mais tout autant attachée aux traditions de ses ancêtres. Ca donne parfois des scènes loufoques mais on s’y fait très vite.
****Des heures plus tard****
— Alors, que s’est-il passé ? Où est-il ?
— Le premier bébé s’est bien présenté et l’accouchement s’est déroulé sans souci, mais son frère s’est présenté par le siège. Il a profité de l'espace dégagé par son ainé pour se retourner. Le médecin a tenté de corriger sa position par manœuvre utérine, mais ca n’a rien donné. Il a fallu envisager la césarienne. Le voici Monsieur Valentine, celui qui a failli nous causer des ennuis. Dit l’infirmière d’une voix hésitante en me présentant un bébé qui ne peut être le mien.
— Mademoiselle, je sais que j’ai un nom européen mais, je suis noire, ma femme est noire et ce bébé est visiblement blanc ou métis alors…
Ils se sont trompés et ont placé l’enfant d’un couple d’occidentaux à côté de mon fils. Je sais que j’ai pris un ton condescendant en parlant à l’infirmière. Mais j’estime que si elle est assez bête pour me montrer l’enfant d’un autre, elle mérite amplement le ton que j’ai utilisé. C’est Isabelle qui va rire quand je vais lui raconter la méprise. Salut chéri ne veux-tu pas un enfant métis en plus du notre, c’est un bonus offert pas l’hôpital. L’infirmière, blonde aux yeux bleus fronce les sourcils de mécontentement. Apparemment je l’ai un peu vexée.
—Monsieur Valentine, c’est votre enfant.
Je fronce les sourcils de lassitude. En plus elle insiste. Pense –t-elle que l’idiot d’antillais en face d’elle n’y connait rien en terme de couleur de peau ?
—Appelez le docteur. Tout de suite !
Elle me lance un regard courroucé avant de s’exécuter.
****Trois mois plus tard****
****Isabelle (la mère)****
Je tiens Gabriel dans mes bras tandis que la mère d’André porte Mickael. J’ai honte de l’admettre mais j’ai le plus grand mal à m’occuper de ce dernier. Est-ce parce qu’en m’emmenant au bloc opératoire, le lien que j’ai eu la grâce de créer avec Gabriel n’a pas pu être établi avec Mickael ? Est-ce parce que la venue de ce second fils inattendu a jeté le trouble sur ma famille ? On me soupçonne… des pires choses à cause de Mickael. Je ne supporte plus les murmures dans mon dos quand nous nous baladons en famille. Un père noir, une mère noire, une fille ainée noire et des jumeaux de couleur différente. La conclusion est vite tirée.
André ne dit rien de blessant mais je le sens distant depuis la naissance des jumeaux. Il ne comprend pas, je ne comprends pas, personne ne comprend mais personne ne veut aborder directement le sujet. Alors aujourd’hui on a pris rendez vous avec un éminent professeur intéressé par notre cas. Mais avant de le rencontrer, il a fallu qu’on nous fasse des tests de sang. C’était humiliant, comme si tout le monde voulait à tout prix prouver que j’avais forcément trompé mon mari …
Dans la salle d’attente de son cabinet, d’autres couples attendent d’être reçus. Je les regarde et les envie immédiatement. Ils sont tellement conformes à ce qu’on est en droit d’attendre d’eux… d’une banalité ! Des blancs avec des enfants blancs, des noirs avec des enfants noirs et un couple mixte dont la femme semble asiatique. Ils ont l’air heureux, le papa est noir alors leur petite fille a la peau foncé mais les yeux bridés. Ils sont magnifiques. Alors que nous, tout le monde nous regarde avec une curiosité malsaine, les yeux pleins de questions.
Une infirmière s’approche de nous avec un sourire distrait. Ses yeux ne quittent pas Mickael qui dort profondément dans les bras de sa grand-mère tandis que j’ai Gabriel dans les bras. Je sais à quoi elle pense. Je sais ce qu’elle se dit … ils se disent tous la même chose. A chaque fois que nous sortons, on me demande toujours si Mickael est le fils de la voisine ou d’une amie que nous gardons pour rendre service. Quand nous répondons que c’est notre fils, leur regard se tourne automatiquement vers André l’air de lui dire : « tu t’es fait avoir en beauté mon type ! »
On entre dans le bureau du professeur. Nous nous asseyons avec précaution dans les chaises qu’il nous propose pour ne pas réveiller les garçons. Puis André prend la parole le premier. Il explique, hésitant, comment les choses se sont déroulées. Il dit qu’il sait que les jumeaux sont de lui mais qu’il aimerait tout de même une explication. Je connais tellement bien André que je me ratatine dans ma chaise. Il n’y croit pas une seconde à ce qu’il débite. Il doute mais essaie de se convaincre du contraire pour ne pas me blesser parce qu’il m’aime plus que tout.
Après nous avoir écoutés, le professeur Jim Wilson, généticien des populations prend la parole :
— L’explication de ce phénomène se trouve dans vos gênes, Monsieur Valentine. Vous avez des origines antillaises, par conséquent, bien qu’ayant la peau noire, vous disposez d’un échantillon d’ADN européen parce que, dans les temps de l’esclavage, de nombreux propriétaires de plantations ont violé des femmes esclaves noires.
André me regarde un bref instant et retourne de nouveau son regard vers le professeur.
— Tout ceci n’a rien de mystique car la génétique peut tout expliquer. Les deux enfants sont bien de vous. Mickael si je ne me trompe pas, c’est bien Mickael qui a la peau claire ?
Nous acquiesçons tous les deux.
— Mickael a hérité de l’ADN européen de son père en plus grande quantité que du votre Madame Valentine. Ce qui a conduit à un enfant métis, tandis que son frère, qui a la peau noire, a hérité de plus de l’ADN africain de votre mari, dit-il en s’adressant à moi. Il n’y a aucun malentendu à entretenir, pas de mystère. Juste la joie d’avoir des enfants qui font un pied de nez à la question raciale. Comme quoi, on peut être noir et avoir du sang blanc dans les veines.
Il nous transmet des tests sanguins sous une enveloppe blanche et je vois André s’en emparer en souriant. Il est soulagé.
Alors que moi je suis toujours en colère. Pourtant je le lui avais dit que plus jamais je ne manquerais à ma parole. Mais il ne m’a pas cru. Pourquoi ne m’a-t-il pas cru ?
****Trois ans plus tard****
****André (le père)****
Maman quitte la maison aujourd’hui même. Depuis que nous sommes rentrés au Gabon, les choses n’ont fait qu’empirer entre Isabelle et elle. Elle accuse Isabelle de délaisser Mickael au profit de Gabriel, de lui reprocher des choses dont il n’est pas coupable. Elle me dit que je ne vois rien. Que je suis faible. J’aime ma femme plus que tout au monde et j’ai beau observer son comportement avec les jumeaux je ne vois rien de mal a essayer de les séparer un peu pour qu’ils soient autonomes très tôt. Tout le monde sait quelle relation fusionnelle les jumeaux ont tendance à construire entre eux et j’espère de tout cœur que la séparation ne les déstabilisera pas. Chaque enfant a sa chambre. Mais la plus proche de la notre c’est celle de Gabriel, je dois bien l’avouer. Mais c’est le fruit du hasard, ça aurait aussi bien pu être Eloïse que Mickael j’en suis sûr.
Je me dirige vers la cuisine pour me servir un verre d’eau lorsque je surprends une conversation entre la bonne et la nounou des enfants.
— L’enfant là me fait peur. Hum tu sais qu’à la naissance il avait six doigts.
— Ah bon ?
— Hum. On a attaché les sixièmes doigts pour qu’ils tombent. Chez nous les fangs c’est le genre d’enfant qu’on observe à la loupe parce que sur le plan mystique, ils peuvent facilement basculer vers la mal. Et Mickael là qui est blanc alors que ses parents sont noirs là… Et il a une manière de regarder les gens comme si …
— Moi-même j’ai souvent peur quand il me fixe avec ses yeux bizarres.
— Alors que Gabriel est si mignon, si éveillé. Il est gentil, il me donne tout le temps ses sucettes. Il est vraiment adorable cet enfant.
— Moi je te dis que la patronne a trompé son mari. Ca ne peut pas être son enfant. Mais comme il est bête là…
J’entre dans la cuisine sans prévenir ce qui les fait sursauter.
—Bonjour Monsieur. Disent-elles en cœur se demandant surement si je les ai entendues.
— Bonjour. Allez aider ma mère avec ses bagages.
—Oui monsieur.
Elles disparaissent sans plus demander leur reste. Les croyances ont la peau dure. Alors que Gabriel est né sans souci, Mickael est né avec une malformation que le médecin a appelé polydactylie : il avait un doigt en plus à chaque main. On s’en est occupé assez tôt de sorte que maintenant, il n’a plus que de petites cicatrices sur ses deux auriculaires. A croire que Dieu lui-même a voulu qu’on remarque dès le début à quel point il est spécial cet enfant.
Gabriel est une vraie pipelette tandis que Mickael ne dit pas plus de dix mots par jour. Gabriel est expansif tandis que Mickael reste toujours dans son coin à observer les gens. Il passe tout son temps à observer les gens et à ne rien dire. Cet enfant est spécial. Il n’a tissé de lien avec aucun des membres de sa famille sauf peut-être sa grand-mère. Il rejette tout le monde. Gabriel pour retrouver la paire qu’il a connu dans le ventre s’est donc attaché à sa grande sœur et la suit comme son ombre. Pourtant c’est lui l’ainé. Je pensais sans trop savoir pourquoi, que c’est lui qui serait calme tandis que son petit frère serait turbulent pour attirer l’attention sur lui. C’est tout le contraire.
Ma mère a rigolé quand je lui en ai parlé. Elle m’a expliqué que dans la tradition béninoise, celui qui nait en second est l’ainé contrairement à la coutume chez les occidentaux. En effet, selon elle, en tant qu’ainé, Mickael a envoyé son petit frère en éclaireur voir ce qui se passait hors du ventre avant de bien vouloir en sortir lui aussi. L’ainé envoie toujours le petit frère…
Ainé ou pas, jumeau ou pas, je sens juste que mon fils ne se sent pas à sa place dans notre famille. Et je ne sais pas quoi faire pour y remédier si ce n’est insisté auprès de ma mère pour qu’elle reste encore un peu. Mais cette dernière est aussi têtue qu’une mule.
— Je ne peux plus rester. La tension entre ta femme et moi déstabilise les enfants qui ne savent plus où se mettre. Je n’ai pas fait autant d’études que ta femme, je n’ai pas ses grands diplômes, c’est vrai mais j’ai quand même fait mon bout de chemin sur les tables bancs des blancs. Mais vous les africains, étude ou pas, diplôme ou pas, vous êtes toujours aussi ignares que ceux qui habitent au village. Elle traite mal Mickael pour une raison qu’elle seule connait et tu ne fais rien André. Les superstitions, les traditions et coutumes sont faites pour nous protéger, nous élever nous expliquer l’inexplicable mais quand elles détruisent des vies il faut les abandonner…
—Tu exagères maman !
—Je ne suis pas là pour gâter ton foyer c’est pour cela que je préfère m’en aller.
****Quatre ans plus tard****
****Mickael****
Maman ne m’aime pas.
Je suis sûr que si elle pouvait se débarrasser de moi pour former une famille idéale avec les deux autres, elle le ferait. Elle aime beaucoup Eloïse mais son cœur appartient à Gabriel. Elle fait tout pour le cacher mais pour moi sa préférence est plus qu’évidente.
Parce que je ne parle pas beaucoup, les gens ont peur de moi. Pff. A quoi bon leur parler s’ils ont trop peur pour m’écouter. C’est un cercle vicieux.
Je regarde Gabriel faire son numéro de charme à maman. Il lui sert à boire et pousse la salade de fruit vers elle pour qu’elle se serve. Je suis trop loin d’elle pour le faire. J’aurai bien aimé le faire pour elle. Peut-être me regarderait-elle avec les mêmes yeux. Je suis toujours trop loin d’elle de toute manière. Je regarde si mon père n’a besoin de rien. Il est plongé dans la lecture de l’Union (quotidien national) à la recherche de je ne sais quel article. Son visage s’illumine.
— Regarde Isa, ils en parlent à la page 6. Le journaliste a fait du joli boulot.
— Hum. Vu que tu l’as payé pour ça, c’est un peu normal non !
Ils se sourient, complices.
— Papa je veux du gâteau… dit Eloïse. D’un ton boudeur.
—Il y a de la salade de fruits ma chérie.
— Mais moi je veux du gâteau… insiste –t-elle.
Elle fronce les sourcils et pousse le bol de salade de fruit devant elle pour signifier son dégout. Papa appelle le cuisinier et lui demande de faire un gâteau pour le dessert du soir. Elle obtient toujours tout ce qu’elle veut de lui. Je regarde les deux couples de la table.
Maman et Gabriel riant d’une blague que Gabriel lui fait tout le temps. Elle ne s’en lasse apparemment pas. Papa et Eloïse, parlant au cuisinier du style de gâteau qu’ils voulaient.
Et moi je fais quoi au milieu de ce beau monde ?
Je me lève de ma chaise et pose la serviette sur la table. Je n’ai quasiment pas touché à mon assiette mais j’ai besoin de prendre l’air.
—Ou tu vas comme ça Mickael ? Qui t’a donné la permission de sortir de table ?
Je regarde ma mère tandis que tous les yeux sont braqués sur moi. La reine mère a parlé alors je suis censé trembler comme une feuille et me rassoir vite fait.
Je la regarde.
Intensément.
Pour qu’elle sente ma colère.
Je la regarde, encore et encore et encore…
Que lui ai-je fait pour qu’elle me déteste autant ? Moi qui devine toujours les sentiments des gens qui m’entourent sans faire d’effort, je n’arrive pas à capter les siens.
Elle se lève aussi de sa chaise et me demande de me rassoir, le menton légèrement levé.
Je m’en vais sans rien ajouter. Mon père m’appelle. Je ne me retourne même pas.
Alors que je m’apprête à fermer ma porte, Maman entre, en colère. Je m’assois tranquillement sur mon lit et la regarde. Elle est tellement belle maman que parfois j’ai envie d’être Gabriel et de pouvoir la serrer dans mes bras et recevoir des bisous d’elle.
— Mickael ! Tu vas tout de suite retourner à table ou je vais te corriger.
—Je ne veux pas.
— Je ne te demande pas si tu le veux pas ou pas. Sors de cette chambre et vas t’assoir à table.
— J’ai dit non.
****Isabelle****
Je suis en train de crier sur un enfant de sept ans qui me répond non tranquillement, de sa douce voix. A le voir ainsi, on dirait un ange avec ses yeux pâles. Je regarde ses cheveux frisés, ses taches de rousseur sur le nez et sa peau claire. Tout cela est tellement extravagant.
Mais moi je sais qu’il est mauvais, que lorsque je le laisse seul avec son frère, il lui fait du mal. C’est Gervaise, la nounou qui me l’a dit. Je m’avance et le prends par le bras.
— S’il te plait maman, tu me fais mal.
— J’ai dit à table.
Il ferme les yeux un bref instant comme s’il supportait la douleur faite à son bras malingre. Je me justifie intérieurement en me disant que je suis sa mère et que j’ai le droit de le punir quand il fait quelque chose de mal comme me désobéir.
— Maman, laisse-moi où je dirai ton petit secret à papa.
Je lâche immédiatement son bras. Il me sourit, de son sourire qui parait innocent alors qu’il veut dire tout le contraire. Il s’allonge tranquillement sur son lit et ferme les yeux.
Seigneur !
****En pleine nuit****
****Mickael ****
Je sens qu’on ouvre ma porte tout doucement sans faire de bruit. Je souhaite de toutes mes forces que ce soit maman qui soit revenue me bercer en me disant qu’elle me pardonne d’avoir été méchant avec elle. Je ne veux pas lui faire du mal, je veux juste qu’elle m’aime un tout petit peu même si ce n’est pas autant que Gabriel. Je suis prêt à accepter les miettes. Je me redresse du lit et frotte mes yeux pour y chasser le sommeil et voir plus clair.
— Maman ?
La forme s’approche de moi. Je la reconnais, c’est Gervaise, la nounou que maman a embauché pour s’occuper de moi parce qu’elle déteste le faire.
—Toi et ta sorcellerie là… Ce n’est pas avec moi.
Je ne comprends pas. Elle se jette sur le lit et casse quelque chose sur moi. Ca sent … l’œuf. J’essaie de me débattre mais elle est bien plus forte que moi. Sa main sur ma bouche m’empêche de crier et m’étouffe. Elle sort quelque chose de sa poche et se met à me frotter la peau avec. Du sel ? Elle frotte tellement fort que ça me brule. Je me mets à pleurer à chaudes larmes.
— Ca ne sert à rien d’appeler ta mère, c’est elle qui m’envoie…
Je suis tellement terrassé par la nouvelle que je cesse immédiatement de me débattre. Mamie n’est plus là. Personne ne viendra à mon secours. Ni maman, ni papa, ni Eloïse, ni même mon frère jumeau, personne… Je la laisse faire et subis douloureusement mais silencieusement, le sort qu’elle me réserve.
Quand elle s’en va enfin en ricanant, je peux enfin souffler. Mais je suis tellement fatigué que je n’ai plus la force de me lever pour aller me laver. Si maman me voit dans cet état, je ne sais pas ce qu’elle va encore s’imaginer. Puis je me rappelle que Gervaise m’a dit que c’est maman qui l’a envoyée. J’ai du mal à m’arrêter de pleurer.
Mamie avant de partir m’a pris à part et demandé de me rappeler de ses conseils.
Avec le peu de force qui me reste, je me mets à genoux et suis ses recommandations. Premièrement remercier Dieu de m’avoir offert la vie même si j’ai l’impression qu’elle est misérable. Et deuxièmement Lui confier ma peine pour qu’il la soulage.
« Tu es si beau Mickael, même si les autres te font croire le contraire jamais tu ne devras y prêter l’oreille. Et quand tu as l’impression que tu n’en peux plus, mets toi genoux et prie le Seigneur, il soulagera ta peine quand je ne pourrai pas le faire. Et dis toi bien que pauvre est celui qui détruit les autres ! La méchanceté n’a jamais rendu une personne plus heureuse. Ceux qui par ignorance voient en toi un être doté de pouvoirs extraordinaires parce qu’ils ne comprennent pas ta naissance et te craignent, ne méritent pas que tu les gardes dans tes pensées. Laisse les derrière toi c’est là qu’est leur place. Et surtout Mickael, dans chaque épreuve, ne cherche pas l’ennemi, cherche l’enseignement »
Quel enseignement suis-je censé gardé de cette nuit ? Moi l’enfant de sept ans.
****Le lendemain matin. ****
-— Mais l’enfant là a quel problème ? s’écrit ma mère en découvrant le spectacle de mes draps souillés par les œufs et le sel dont Gervaise m’a badigeonné et que je n’ai pas eu la force d’ôter.
Gervaise accourt. Le regard mauvais. Elle a du mal à cacher sa joie de me voir apeuré devant ma mère en colère.
— Ah madame, moi je ne sais plus quoi faire de Mickael. Il terrorise Gabriel dès qu’il peut et fait des choses étranges. Vous voyez vous-même non ? Peut-être qu’il avait faim la nuit et …
Ma mère s’approche de moi en colère et elle commence à me battre comme plâtre.
— Depuis que tu es né c’est problème sur problème. Ce n’est pas toi qui a refusé de manger hier ? Hurle t-elle incontrôlable.
Plus elle me bat et moins je bouge. Absolument aucune larme ne roule sur ma joue, mes yeux sont secs. Ca l’énerve encore plus, elle redouble de violence.
Au bout d’un moment je vois Gabriel apparaitre au pas de la porte de ma chambre.
— Maman arrête. Arrête ça tout de suite où je vais le dire à papa quand il va rentrer. Hurle-t-il. Arrête.
Elle s’arrête immédiatement et écarquille les yeux, horrifiée par les dégâts sur ma peau. Cette peau qu’elle hait marque au moindre coup, à la moindre éraflure. Ma différence dont elle ne sait plus quoi faire lui renvoie l’image de sa méchanceté.
Petit à petit, toutes les personnes de la maison s’attroupent devant ma porte. J’ai bien envie de m’expliquer et de dire que ce n’est pas moi qui ai voulu tout ça. Mais je sais déjà que ça ne sert à rien. Je marche aussi dignement que je peux et je passe devant Gabriel qui m’interpelle.
-—Mickael attend.
Je ne veux pas de sa pitié.
Les domestiques s’écartent à mon passage. Je sais que je ne dois pas ressembler à grand-chose avec de l’œuf séché, du sel et les marques faites par maman sur tout mon corps.
Je ne veux la pitié de personne. Surtout pas de celle de Gabriel, lui qui chaque jour me vole l’amour de maman.
La seule chose que je ne comprends pas c’est pourquoi ils passent leur temps à me reprocher de ne pas vouloir d’eux, d’être seul dans mon monde alors qu’en réalité ce sont eux qui me rejettent … sans cesse.