Chapitre 19 : Tu m'appartiens

Write by pretoryad

Kalé

J’avais dormi à peine une heure lorsqu’une douleur fulgurante me saisit le bras droit. Je m’éveillai en sursaut.

         – Ahhh !

         Je sentis le sang bouillonner dans mes veines, prêtes à exploser. Mon bras enflait dangereusement. La peur s’empara de moi.

         – Ahhh !

         Ma mère se précipita dans ma chambre, affolée.

         – Kalé ! Qu’est-ce qui t’arrive ?

         – Mon bras ! Il y a quelque chose dedans !

         Elle écarquilla les yeux d’horreur à la vue de mon bras excessivement gonflé. Elle agrippa mes deux mains à la recherche de quelque chose qu’elle semblait ne pas trouver.

         – La bague ? Où est-elle ? C’est elle qui t’appelle.

         Je lui lançai un regard inquisiteur. Qu’est-ce que cette bague avait à voir avec mon état ? Je ne me souvenais d’ailleurs plus de ce que j’en avais fait.

         – Quoi ? Ahhh !!!

         Je pus à peine parler, la douleur me coupa le souffle. J’étais en sueur, le corps tremblotant et le cœur palpitant à m’en donner la crise cardiaque. Ma mère tenta de me réconforter tant bien que mal, mais son visage blême ne put me transmettre le soulagement que mon corps réclamait.

         – Mon chéri, écoute-moi ! Concentre-toi sur la bague, elle te dira où la trouver. Tu es désormais son propriétaire. Laisse-la te guider jusqu’à elle. Surtout ne résiste pas, sinon elle va se retourner contre toi.

         – Ahhh !!!

         La gangrène s’était répandue le long de mon bras jusqu’à l’épaule. Je souffrais sans répit. Je décidai de suivre les conseils de ma mère afin d’y mettre un terme. Je fermai fortement les yeux en pensant très fort à la bague. Et immédiatement, je fus bombardé de flashs dans lesquels j’aperçus Nélia dans notre lieu secret, assise sur le lit, et à ses côtés... Dali ? Dans mon repaire ?

         Et seul avec Nélia ? Quel culot ! Le calvaire que mon corps subissait fut évincé par la contraction qui électrifia mon cœur. Ce que je vis Dali faire par la suite me propulsa dans l’espace intemporel. J’étais en route. La rage mit mon corps en transe. Comment avait-il pu pénétrer dans mon antre ? Comment avait-il osé me provoquer sur mon territoire ?

         Ma fureur fut telle que les muscles de mon corps furent bandés à craquer. La magie jaillit de mon être, le transformant en un volcan en éruption. Dali était un homme plus que mort ! Malheureusement, j’arrivai trop tard. Nélia s’en était déjà chargée. De ses yeux ardents, elle avait projeté l’impudent contre le mur.

J’eus du mal à la reconnaître.    Elle se tenait debout avec assurance, le corps flamboyant et les nattes, semblables à des serpents crachant leur venin, encadrant son visage insondable. Elle était diaboliquement terrifiante. La chevalière qu’elle portait à son pouce accrocha mon regard. Les vipères avaient disparu de la pierre d’onyx. Je compris tout de suite qu’elle était sous leur emprise.

         Redoutant leur pouvoir maléfique sur elle, je me positionnai devant elle pour l’empêcher d’user de ses nouveaux pouvoirs. Je ne voulais pas qu’elle soit corrompue. De plus, je voulais être celui qui porterait le coup fatal à Dali. J’aurais préféré me mesurer à lui dans un combat loyal, toutefois, le résultat serait le même : il irait rejoindre ses parents !

         Je serrai les poings, songeant déjà à une ultime attaque, lorsqu’une tornade d’eau l’engloutit, à ma plus grande stupéfaction. Dali m’avait encore une fois échappé ! Je lâchai un cri de rage et me tournai vers Nélia pour lui demander des explications. Elle avait repris son apparence physique, innocente et modérée.

         Elle m’observa d’un air candide. J’étais si frustré que je ne pus reprendre mon apparence dans l’immédiat. De mon corps émanaient encore des flammes. Elle ne s’en soucia pas le moins du monde.

         – Kalé ? Je t’attendais.

         – Où est-il allé ? Qu’est-ce que tu as fait de lui ?

         Elle fronça les sourcils, comme si elle essayait de rassembler ses pensées.

         – Dali ? Je n’en sais rien ! Tu es intervenu avant que je puisse m’occuper de son cas !

         – Il n’a pas pu disparaître ainsi, alors, je te le demande encore une fois, qu’est-ce que tu as fait de lui ?

         Ma voix était menaçante et mon apparence n’arrangeait pas les choses. Mais elle ne semblait pas en être affectée.

         – C’est plutôt à moi de te demander ce que tu as fait de lui !

         Elle me défia du regard. J’aperçus des étincelles danser dans ses prunelles sombres. L’influence de la bague. Décidément, il fallait vraiment que je la lui retire. Je baissai donc les armes et repris mon apparence physique. Elle baissa sa garde à son tour, un sourire triomphant sur les lèvres.

         – Tu as gagné ! Peux-tu me dire pourquoi tu l’as emmené ici ?

         Le ton de ma voix était beaucoup plus conciliant. Je me retenais néanmoins au prix d’un grand effort pour ne pas dévoiler mon agacement.

         – C’est lui qui m’a suivie jusqu’ici, dit-elle d’un air nonchalant.

         – Il n’aurait jamais pu pénétrer ici si on ne l’avait pas aidé.

         La maîtrise de soi n’était vraiment pas mon fort. Surtout, lorsque la personne en face de moi prenait la conversation sur un ton léger.

         – Je ne sais pas quoi te dire, Kalé.

         – La vérité me contentera largement.

         – Ok ! Eh bien pour commencer, j’ai appris que Dali est ton cousin, lança-t-elle d’un air espiègle.

         Je ne lui répondis pas tout de suite, le temps d’assimiler l’information.

         – Ok, mais encore ?

         J’adoptai la même attitude qu’elle.

         – Tu confirmes l’information ? insista-t-elle.

         – Qu’en penses-tu ?

         Elle commençait à perdre patience et cela m’amusait.

         – Pour l’avoir vu démontrer un aperçu de ses aptitudes surnaturelles, je ne peux que le confirmer, me provoqua-t-elle.

         Là, je perdis patience à mon tour.

         – Même si c’était vrai, ça ne lui donne pas le pouvoir de pénétrer ici !

         – Apparemment si, puisque c’est un sorcier au même titre que toi ! Il m’a d’ailleurs fait savoir qu’il était aussi puissant que toi, sinon plus !

         Je ne pouvais laisser passer ça. Elle jouait avec mes nerfs et c’était juste inconcevable.

         – Ça suffit ! Tu ne peux pas prendre ses dires pour acquis !

         – Je l’ai vu à l’œuvre, mais plus encore, je l’ai ressenti…

         Je revis mentalement la scène entre elle et Dali, étroitement enlacés. C’en était trop ! Je rompis subitement la distance qui nous séparait, et l’agrippai par les épaules pour la plaquer contre le mur, le regard mauvais. Elle lâcha un hoquet de panique.

         – Ne me tente pas, Nélia !

         – Tu peux nier autant que tu veux, ça ne changera pas le fait qu’il ait l’intention de prendre ce qui te tient le plus à cœur ! Et je ne serai pas toujours en mesure de le résister !

         – La ferme ! La ferme !

         Elle réussit à me faire atteindre le paroxysme de ma colère. Mes yeux s’enflammèrent, je ne fus plus qu’une boule de nerfs prête à exploser. Je la vis grimacer de douleur et son visage s’empourprer. Elle manquait d’air. Je sentis son cœur battre désespérément. Elle se débattit de mon emprise, comme une condamnée dont la mort était imminente.

         – Ça n’arrivera jamais de mon vivant ! lui rappelai-je, hors de moi.

         Pendant que je lui bloquais la respiration, j'en profitai pour lui retirer la chevalière. Je ne voulais pas être surpris par ses pouvoirs. Elle se détacha facilement de son doigt. Tant mieux ! Je la portai ensuite à mon majeur droit. Maintenant que Nélia était hors d’état de nuire sans la bague, je relâchai mon emprise sur elle et la libérai complètement.

         Elle s’empressa de remplir ses poumons d’air, et lentement, son corps se recomposa. Le regard apeuré, elle s’éloigna de moi.

         – Tu aurais dû me tuer, car à la seconde où je quitte cet endroit, je vais le rejoindre !

         Je sentis le sang se figer dans mes veines. Était-ce la peur qui lui donnait du courage ? Elle releva le menton de l’air le plus hautain qu’elle put. Et moi qui pensais que la bague était responsable de son caractère rebelle ! Je l’attirai à moi par mon pouvoir et la tins captive sur le lit. Son visage reflétait la terreur, il n’y avait plus aucun signe de défi dans ses yeux.

         Lorsqu’elle soutint mon regard, elle comprit avec horreur qu’elle ne sortirait pas indemne de cet endroit. Elle avait réussi à me faire sortir de mes gonds.

         – Comme tu veux. Mais je suis sûr d’une chose : lorsque je t’aurai possédée, Dali ne supportera plus ta présence.

         – Kalé, non ! Tu ne peux pas me faire ça !

         – Et pourquoi pas ?

         – Parce que... Parce que je veux me donner à toi de mon plein gré !

         Je lui lançai un regard incertain. Avais-je bien entendu ? La dernière fois que je l’avais entendu de sa bouche, elle avait été victime d’un sort de déliage qui l’avait privée des sentiments qu’elle éprouvait auparavant pour moi. Et cela ne pouvait pas réapparaître aussi subitement. Ça ne fonctionnait pas comme ça. À moins que la magie fût impliquée.

         Une pensée me traversa alors l’esprit. Ma bague ? Après tout, elle l’avait portée sur elle assez longtemps pour que cette dernière réalise son vœu le plus cher. Était-elle réellement amoureuse de moi ? J’en doutais. Comment savoir si elle ne jouait tout simplement pas avec mes sentiments ? Elle m’observait, silencieuse, et le regard implorant.

         – Très bien. Je vais te donner l’opportunité de me le prouver.

         Elle soupira légèrement, soulagée. Mais elle ne savait pas encore ce que je lui réservais. 

         – Accroche-toi ! Je t’emmène dans un endroit spécial.

         Je l’emmenai dans mon appartement, là où tout avait commencé pour nous deux. La chambre avait été préparée pour la cérémonie depuis un moment. Je l’avais ramenée dans ce lieu afin d’obtenir d’elle ce qui m’appartenait. La libérant de mon emprise, elle se redressa vivement, jetant un regard circulaire dans la pièce.

         – Où sommes-nous ?

         – Dans mon appartement. C’est ici que tout a commencé pour nous deux. Et c’est ici que tu vas me montrer à quel point tu m’aimes.

         Je pouvais lire de l’appréhension dans ses yeux. Elle regrettait certainement ce qu’elle avait dit auparavant. Je lui laissai le temps de réfléchir à ma proposition pendant que j’allumais de mon regard les bougies noires et rouges posées tout autour du lit. La lumière apparut et chassa les ténèbres présentes depuis que la lueur du jour avait été bannie par un pagne que j’avais négligemment accroché à la fenêtre.

         – On va commencer maintenant.

         – Maintenant ?

         – Bien sûr.

         – Mais je ne suis pas encore prête ! Je pensais que tu me laisserais au moins le temps de me préparer ?

         – Non, je n’ai malheureusement pas ce temps ! Maintenant, approche !

         Elle eut un mouvement de recul. Ses yeux s’embuèrent, mais j’en étais indifférent. Elle me faisait perdre mon temps.

         – Je ne suis pas prête, désolée !

         Je soupirai d’un air las.

         – Écoute, soit tu obéis de ton plein gré ou je t’oblige à le faire par la magie.

         Elle me lança un regard alarmé.

         – J’ai besoin d’un peu de temps, Kalé…

         – Assez !

         Elle sursauta. Les larmes coulaient maintenant sur son visage.

         – Non ! Je ne suis pas prête !

         Elle se mit à crier. Je perdis patience et l’attirai brutalement à moi.

         – Laisse-toi faire et tout ira bien !

         – Non, Kalé ! Non !!!

         Je la plaquai violemment contre le lit et m’allongeai sur elle de tout mon poids. Elle se débattit comme une tigresse, son corps parcouru de frissons de terreur. Je me fis sourd à ses gémissements. Je n’avais qu’une idée en tête : la posséder. C’était mon vœu le plus cher. En réponse à ma pensée, je sentis la magie de la bague m’envelopper d’une chaleur intense qui enflamma tous mes sens.

         Je n’avais qu’un seul objectif : posséder son corps et son esprit. Je perdis totalement le contrôle de moi-même. Toutefois, le visage désespéré de Nélia mit un frein à mon élan. Je ne pouvais la faire mienne dans cet état. Le rituel ne fonctionnerait pas. Elle devait être consentante. Je devais avoir son approbation.

         – Je ne veux pas te prendre par la force. Je veux juste que tu me fasses confiance. Tu peux faire ça pour moi ?

         – Non ! Je ne te ferai jamais confiance !

         – Alors, je ne vois pas d’autre solution.

         – Ne fais pas ça, Kalé, s’il te plaît !

         – Chuuut... Regarde-moi, Nélia…

         Elle maintint ses paupières douloureusement fermées, une pluie de larmes ruisselant sur ses joues.

         – Ouvre les yeux et je te promets de t’accorder un peu de temps.

         Je la vis hésiter avant de relever timidement ses paupières. Je lâchai aussitôt une légère brise ensorcelée qui pénétra dans ses yeux. Elle les cligna sans se douter de ce que je venais de faire. Le temps que le charme opère et elle serait mienne.

         – Merci. Je veux que tu saches que je regrette de ne pas avoir été tendre avec toi. Je ne sais pas ce qui m’a pris, j’ai perdu le contrôle. Mais sache que je ne veux pas te perdre. Je tiens à toi, Nélia. Dis-moi ce que tu veux que je fasse et je le ferai.

         Elle m’écoutait attentivement. C’était bon signe. L’envoûtement ne prendrait que quelques secondes pour agir. Ensuite, son corps et son esprit seraient tout engourdis, et elle serait prise dans les filets de la passion. J’attendis tout de même quelque peu angoissé. Je pus lire la confusion dans ses yeux. Elle était indécise quant à la conduite à adopter.

         – Nélia ? Tu veux que je m’en aille ?

         Elle se contenta de me regarder d’un air incertain. N’obtenant aucune réponse, je fis mine de me lever.

         – Non ! Reste !

         Mon cœur bondit de joie lorsqu’elle m’attira à elle. C’était tout ce que je voulais.

         – Tu en es sûre ?

         Elle sourit pour signifier son accord. Je répondis à son sourire, une lueur de satisfaction dans les yeux. J’avais obtenu son consentement. Mon regard se fixa sur ses lèvres pulpeuses que j’effleurai d’une caresse de velours. Elle entrouvrit la bouche, m’invitant à un baiser passionnel et sans aucune retenue.  

         Nos langues se rencontrèrent, humides et avides. Nélia laissa échapper un gémissement de plaisir tandis qu’elle se pressait un peu plus contre moi. Je fus submergé par la marée de plaisir que provoquait notre étreinte. Mon cœur s’emballa si vite que j’eus peine à refréner l’envie immédiate de la posséder.  

         La cérémonie ne serait pas complète si je ne respectais pas le rituel à la lettre. Je détachai difficilement ma bouche de la sienne. Elle émit un grognement de protestation.

         – Tu veux que j’arrête ?

         – Non.

         – Est-ce que tu m’aimes ?

         – Oui, je t’aime.

         – Tu en es sûre ?

         – Oui, certaine !

         – Alors, dis-moi que tu m’appartiens.

         – Je t’appartiens, Kalé.

         – Tu m’appartiens ?

         – Oui, je t’appartiens !

         Elle avait dit les mots que je voulais entendre. Maintenant, je pouvais la faire mienne pour sceller ces mots dans les astres. La bague me servait de témoin. J’écrasai ma bouche sur la sienne tout en explorant son corps de mes caresses. Elle s’abandonna entièrement à moi, remontant les jambes pour me montrer le chemin menant aux portes de son jardin d’Éden.

         Je me plaçai à l’endroit qui avait été spécialement conçu pour moi. Son corps souple vint se souder au mien comme un aimant. Je l’embrassai pleinement, prêt à la faire mienne. Mais à ce moment-là, la porte s’ouvrit à la volée, laissant apparaître… Belga ? L’expression de son visage n’augurait rien de bon. Elle pénétra dans la chambre, une dague de rituel ensanglantée à la main.

         Mon visage se décomposa. Je reportai instinctivement mon attention sur Nélia pour la rassurer, mais quelle ne fut pas ma surprise d’y trouver Belga ! Son regard parut aussi sombre que la mort. Je compris d’emblée qu’elle était possédée.

         – Pensais-tu pouvoir me remplacer aussi facilement ? Eh bien, attends de voir ce que j’ai fait subir à ta traînée !

         Elle laissa éclater un gloussement monstrueux puis disparut subitement dans un éblouissement. Nélia semblait s’être évaporée avec elle. Je fus pris d’une crise d’hystérie.

         – Kalé ! Sors de ce mauvais rêve, immédiatement ! Réveille-toi !

         La voix autoritaire de ma mère traversa les brumes de mon esprit. Je me redressai subitement de mon lit, haletant et le visage humide de sueur. J’émergeai difficilement de mon désarroi. Un mauvais rêve avait-elle dit ? Impossible ! Tout cela m’avait paru bien réel. Et Nélia ? Où était-elle ? J’avais été à deux doigts d’obtenir d’elle ce que je désirais ! Ô Belga, Belga !!!


Femmes de pouvoir :...