Chapitre 2 BONJOUR !
Write by Dja
Plusieurs mois avaient
passés depuis la pluvieuse rencontre entre Franck et moi.
J’y repensais parfois,
surtout lorsque je me remémorais la façon dont j’avais rattrapé mon retard à
l’examen final grâce à lui.
La rentrée de septembre
serait bientôt là et j’avais postulé un peu partout pour commencer à travailler
le plus tôt possible.
Je n’avais reçu quasiment
que des réponses négatives. Tantôt il m’était promis que je serais appelée en
cas de besoin, tantôt que mon profil ne correspondait pas à ce que les
établissements recherchaient. Une fois même, j’avais été convoquée pour un
entretien et la dame qui s’attendait à rencontrer une femme d’un certain âge ne
se cacha pas de m’avouer que mon âge (j’avais fêté mes vingt trois bougies
durant l’été), pouvait être un frein à une embauche. Elle me conseillait de
revenir vers elle quelques années plus tard, lorsque j’aurais acquis un peu
plus d’expérience sur le terrain. En effet, mon parcours comme indiqué sur mon
cv lui avait plu, mais elle avait pensé avoir affaire à quelqu’un d’autre en me
convoquant par e-mail.
Sa réponse quoique
franche m’avait vexée et quelque peu démoralisée. Moi qui pensais que le monde
du travail social était ouvert à tout méritant, j’avais compris que
malheureusement il me faudrait encore dépasser d’autres obstacles après ceux de
la formation et des examens. Alors que je voulais acquérir une expérience forte
auprès des jeunes mères seules avec enfant(s), il me faudrait encore devoir
prouver que je méritais ma place auprès de ces populations qui étaient en
détresse et qui avaient besoin d’être écoutées et accompagnées au quotidien.
Ce jour-là, je pris la
ferme résolution de ne plus laisser quiconque me dicter ma conduite et tant pis
si je devais me montrer incorrecte. Les convenances commençaient sérieusement à
me prendre la tête.
Et puis, un matin, je
reçus le coup de fil d’une Directrice de ressources humaines du Conseil
Régional de la ville de Paris (CRP). Elle souhaitait me rencontrer le
jour-même, car une éducatrice avait démissionné pour aller vivre en province.
Elle se retrouvait un peu dans l’embarras et de tous les candidats dont elle
avait reçu les dossiers, le mien et celui d’une autre jeune femme étaient les
plus intéressants.
Comme j’étais toujours en
résidence, je sautais de joie après son appel. Je ne m’étais pas encore
résignée à appeler papa et maman pour qu’ils m’aident à trouver un logement et
payer les frais d’emménagement et tout ce que cela demandait. Je voulais
désormais m’autogérer et ne plus dépendre de quiconque. Mes parents étaient des
gens adorables et admirables, mais j’avais suffisamment été traitée comme une
petite fille. Depuis l’obtention de mon précieux diplôme, je n’acceptais plus
aucune aide financière de leur part, car j’avais réussi à épargner suffisamment
pour me prendre en charge dès que j’aurais passé l’étape des examens.
J’étais donc très
heureuse de l’appel de cette femme qui me fit passer l’entretien en
vidéoconférence, en même temps que Marlène, l’autre jeune femme qui devint par
la suite ma meilleure amie. Elle disait être en déplacement et que de toutes
les façons, elle ne rentrerait pas avant deux ou trois jours pour des raisons professionnelles.
Donc le jour-même, elle nous accorda quelques heures pour rassembler les
documents qui nous serviraient à finaliser notre embauche. Car, oui, Marlène
et moi étions embauchées. Madame MOREAU estimait qu’elle n’avait pas besoin de
nous « palper » pour accepter de nous prendre dans son équipe. Elle
fini par nous interroger individuellement néanmoins, toujours par vidéo et
c’est ainsi que je sus que je commencerais à travailler la semaine qui suivait,
car elle avait réellement besoin de personnes tout de suite.
Le mois de
septembre était un mois où les gens quittaient leurs lieux de
travail. Ce qui demandait donc de combler les places qu’ils laissaient
vacantes. De même le poste que j’occuperais me demanderait beaucoup de
mobilité, car je serais assignée à un service qui accompagne les publics au
quotidien afin d’éviter au maximum le placement des enfants dont les parents
étaient notés comme manquant de moyens adaptés pour leur éducation. En effet, plusieurs
parents se représentaient encore le travail des services sociaux comme étant
celui « d’enlever les enfants aux familles ». Pourtant, il existait
désormais plusieurs services qui pouvaient aider ces familles à prendre soin de
leurs enfants tout en ayant accès à une aide socioprofessionnelle.
Aussi, vous comprendrez
je pense que si ce travail me passionnait déjà lorsque j’avais été en stage, là
j’étais heureuse d’avoir été choisie pour le faire véritablement et être payée
pour ça. Et oui, je ne travaillerais pas que pour des raisons sentimentales
mais aussi pour gagner ma vie.
perdue dans mes pensées, la voix de Madame MOREAU me ramena à
la réalité en m’expliquant que le travail ne serait pas aussi facile que cela
l’avait été lorsque j’étais apprentie :
« _ Vous savez Mademoiselle GBAGBO, nombreux
sont ces jeunes sortis d’école qui y laissent des plumes. Quand je vous
regarde, j’espère simplement n’avoir pas fait un mauvais choix. »
Son discours me fit tout
de suite penser à celui de l’autre « vieille » qui m’avait demandé de
repasser la voir après des années. Aussi, un peu échaudée, je ne pus m’empêcher
de lui réponde assez sèchement :
_ Vous savez également Madame MOREAU, que si
personne ne laisse leur chance aux nouveaux venus, ils ne parviendront pas à se forger une carapace qui empêcherait à leurs plumes de
tomber ?
Cela la fit rire et je me
sentis un peu honteuse du ton que j’avais employé.
_ Ne vous en faites pas jeune femme !
C’est parce que je n’ai pas peur de mélanger le vieux et le neuf que je vous ai
choisies vous et Mademoiselle GLOIRE. Allez, calmez-vous et revenons à de
meilleurs sentiments.
_
Je suis désolée de vous avoir parlé de la sorte Madame. Mais voyez-vous, je
suis un peu lasse que l’on me rejette du fait de mon jeune âge dans la profession.
Pourtant, j’ai effectué des stages très difficiles et j’ai été bénévole dans
certaines associations. Mais, j’ai comme l’impression qu’aucun bureau de
recrutement n’y attache de l’importance.
_
Jusqu’à présent Mademoiselle, compléta t-elle. Jusqu’à présent ! Bien,
tout ceci étant dit, je vous revois lundi prochain à mon bureau avec l’équipe
au complet. Vous y rencontrerez également votre compagne de recrutement et,
j’espère que vous pendrez le temps de souffler d’ici là. Car, ce n’est pas de
tout repos dans les services, il vous faudra forcer parfois pour vous faire
accepter.
_
Pas de problème Madame, je n’ai pas peur des challenges.
_
Très bien ! Mais nous n’y sommes pas encore. Sur ce, je vous laisse !
A lundi et profitez bien du reste de votre temps de repos.
Et, elle mit ainsi fin à
plusieurs mois d’angoisse et de questionnement. Surtout que je devais libérer
la chambre au courant du mois. Je n’étais plus étudiante et donc, je devais
laisser la place à quelqu’un d’autre.
La semaine qui suivit, je me
rendis donc à mon nouveau lieu d’affectation. Je souriais rien qu’en le disant
dans ma tête ! Quel bonheur de pouvoir enfin travailler. Il ne pleut pas
aujourd’hui, la douceur matinale me rafraîchit les idées. Comme je suis
heureuse !
Quand j’arrive devant
l’enceinte de l’immeuble du conseil régional, je dois passer dans un sas. Au
moment où je m’apprête à y entrer, un vigile arrive vers moi :
_ Bonjour Mademoiselle ! Les services
sont fermés au public ce matin, il faudra revenir cette après-midi.
_
Bonjour Monsieur ! Je ne viens pas pour une demande quelconque, j’ai
rendez-vous avec une dame pour finaliser mon embauche.
_
Ok ! Excusez-moi ! Avec qui s’il vous plaît, pour que je vous fasse
annoncer ?
_
Heu ! J’ai oublié son nom. Mais, réellement, j’ai rendez-vous. Elle m’a
appelée en fin de semaine dernière.
_
Hé bein ! Vous avez rendez-vous et vous ne savez plus avec qui ? Je
suis désolé, mais dans ce cas, je ne peux vous laisser rentrer. Il y a souvent
des personnes qui inventent des histoires pour passer outre les consignes.
_
Mais, je vous promets que j’ai rendez-vous Monsieur.
_
Je veux bien vous croire, seulement, là vous comprendrez que je ne peux vous
laisser passer, si je n’ai pas le nom de la personne. »
Et, il s’en va en me tournant
le dos et m’empêchant ainsi de toucher à mon bonheur.
Non mais ! Il veut
m’énerver ou quoi ? Moi aussi, comment j’ai pu oublier le nom de la dame que
je dois rencontrer ? Où est le sérieux ? Et de surcroît, je n’ai pas noté son nom quelque part.
Vraiment, il y a des
jours comme ça où je devrais me gifler. Je reste là plusieurs minutes devant le
sas, à me sermonner quand mon gorille d’inspecteur revient.
_ Mademoiselle, je vous ai dit que si je n’ai
pas le nom de la personne avec qui vous êtes sensée avoir rendez-vous, vous ne
pourrez pas rentrer. Et cela ne sert à rien de rester là comme ça.
_
Ha ! Vous aussi monsieur, je vous dis que j’ai oublié le nom de la dame.
Sinon, tout ce que je sais, c’est qu’elle était en province la semaine dernière
et qu’elle m’a donné rendez-vous en même temps qu’une autre jeune femme,
Mademoiselle Gloire. Vous pouvez au moins vérifier cela. Non !?
_ Bon, très bien, je reviens ! Mais, je ne suis pas votre messager hein.
Pffffft !
Regardez-le partir ! Il croit qu’il a trop gagné quoi. « JE NE SUIS PAS VOTRE MESSAGER HEIN ! Ca
lui coûte quoi d’aller vérifier ? N’importe quoi ! »
J’en suis là de mes
réflexions quand il revient et me fais signe de pénétrer dans le sas.
J’esquisse un petit sourire triomphant en lui faisant un clin d’œil. Je suis
super contente !
Il secoue la tête et au
moment où il veut ouvrir la bouche, je le devance :
_ C’est gentil d’avoir été demandé pour moi.
Merci ! « Ibrah » (c’est inscrit sur son badge).
_
De rien Mademoiselle ! Mais, dorénavant prenez tous les renseignements
nécessaires avant de vous déplacer. Vous auriez pu tomber sur quelqu’un de moins
indulgent.
_
Hum ! En plus il parle bien hein, mon messager. (Je ne sais pas pourquoi,
mais je voulais le provoquer un peu).
_
Attention mademoiselle !
_
Je rigole, c’est bon ! Vous aussi, vous devez être habitué à voir passer
des gens différents ici non ? Bon, ne vous fâchez pas ! S’il vous
plaît, par où je dois aller ?
_ Attendez ici, Mme MOREAU va venir vous chercher.
_
Encore merci ! Sincèrement !
_
De rien ! » Dit-il avec un sourire qui laissa
entrevoir une bouche édentée par endroits.
Cela me fait sourire,
mais je ne dis rien. Je vais m’asseoir à l’endroit qu’il m’indique et j’attends.
Je lui donne entre trente et quarante ans, pas plus. Sa démarche de boxeur
montre bien qu’il ne fait pas que s’asseoir derrière le sas de sécurité et
qu’en cas de situation difficile, il peut réagir avec les poings.
Quelques minutes
seulement se sont écoulées avant que je ne vois une dame de petite taille avec
des cheveux grisonnants s’avancer vers moi, un large sourire aux lèvres et la
main tendue.
_ Bonjour Mlle Gbagbo ! Comment
allez-vous ? J’espère que vous avez passé un agréable week-end, car les
vacances sont terminées.
_
Oui, merci j’ai été très heureuse, surtout après votre appel. » Je
réponds à son sourire et lui tends la main en même temps.
_
Je vois que vous êtes aussi étourdie que moi. Vous aviez oublié mon nom ?
_
Heu ! Oui ! Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai complètement oublié de
noter votre nom dans mon agenda. Seul celui de Mlle Gloire m’est revenu.
_
Sûrement parce qu’elle est glorieuse ! » Et elle
part dans un éclat de rire qui me déroute.
C’est qui cette
directrice qui est aussi fofolle ? Hé bien, on ne devait pas s’ennuyer ici
par moment. Je sens déjà que je vais m’y plaire.
Je la suis à travers un
long couloir puis, nous entrons dans une salle ou d’autres personnes se
trouvent. Il y a là deux hommes, une femme d’à peu près le même âge qu’elle
si j’en juge par les cheveux tout aussi
grisonnants, et deux jeunes femmes qui doivent être de la même tranche d’âge
que moi.
Mme Moreau fait les présentations :
_ Alors, voici Mlle Gbagbo Wamy, qui va venir
nous retrouver dans ce groupe qui a tant besoin de personnel. » Elle
appuya un peu plus longtemps sur le « besoin » d’un ton ironique que
cela fit rire les autres.
_ Donc, je continue. Il y a là Messieurs Etienne JEAN-PIERRE et Gérard BENOÎT les éducateurs, Mme Christine SIMONE psychologue et Mlles Lucy PIERRE TISF[1] et Marlène GLOIRE la jeune dame qui a sauvé votre rendez-vous, éducatrice également... bien ! Sur, ce nous allons continuer là où nous nous sommes arrêtés et vous vous présenterez par la suite. Je pense que chacun d’entre nous a envie d’en savoir un peu plus les raisons qui nous ont tous poussés à venir travailler ici.
Je comprends que la
réunion a commencé depuis quelques instants déjà. Mais bon, je suis tombée sur
une équipe plutôt bienveillante, à en juger par le sympathique accueil que je viens
d’avoir.
Je vais donc m’asseoir
près de Marlène, et en la regardant, je me fais la réflexion de sa beauté café
au lait. Elle a les cheveux coupés courts sur un côté et mi-longs de l’autre.
Comme il fait encore assez chaud, elle s’est vêtue d’une robe à manche courte
qui laisse entrevoir un tatouage sur le long de son épaule, un dragon avec une
queue aux multiples couleurs.
Ce dessin sur sa peau me
fait agréablement sourire. Je me sens vraiment chez moi là. C’est en cela que
j’apprécie mon métier. Les personnes ne sont pas jugées en fonction de leur
apparence, mais plutôt par rapport à leurs compétences professionnelles.
Mme Moreau nous fait
faire un tour de table et me propose par la même occasion de piocher dans une
petite corbeille dans laquelle se trouve des croissants, et autres aliments
pour un petit-déjeuner de bureau. Si je dis que je suis aux anges, est ce que
c’est trop ? Puis, elle reprend la parole quand je finis de me
présenter :
_ Bien ! Ceci étant fait, je pense que notre
équipe est enfin au complet et que les jours prochains nous permettrons de
mieux nous connaître tant sur le plan personnel, mais surtout et c’est ce qui
nous rassemble ici, sur le plan professionnel.
Je
préfère vous avertir, Mesdemoiselles Gloire et Gbagbo que nous sommes en pleine
période de speed. C'est-à-dire que nous avons en ce moment à rencontrer encore
plus de situations difficiles que d’habitude en ce qui concerne les placements,
les suivis des familles et les signalements[2].
Nous avions donc un réel besoin en terme de personnel. Je peux parler au nom de
l’équipe pour dire que nous sommes assez cohérents dans notre action sur le
terrain et personnellement, je ne pratique pas la langue de bois. Aussi,
j’attends des agents qui dépendent de ma hiérarchie qu’ils soient suffisamment
honnêtes et corrects envers les publics, mais également envers les collègues.
Elle continue en
expliquant le déroulement des journées, l’accompagnement des personnes au
quotidien et ce qu’elle attend de chacun de nous personnellement. Ensuite, au
moment de la pause, je suis envoyée au secrétariat pour signer les documents concernant
mon recrutement. Ensuite, je retourne vers le groupe, le sourire aux lèvres,
avec une démarche dansante.
Etienne et Gérard en
train de fumer au niveau de la porte-fenêtre me font signe de les
rejoindre :
_ Alors, comment va ? J’espère que tu vas
te plaire dans notre équipe. C’est Gérard qui parle.
_ Bien sûr qu’elle va s’y plaire, répond
l’autre. N’est-ce-pas Wamy ? On peut
se tutoyer ? Cela ne te dérange pas ?
_
Non ! Non ! Pas du tout ! Et, oui, j’espère que ça ira bien pour
moi ici. En tout cas, je ferais tout pour. Et puis, comme c’est mon premier
vrai poste, j’espère que vous ne serez pas trop durs avec moi.
_
Cela dépendra de la dureté des affaires ! Réplique Etienne en souriant malicieusement. Gérard lui donne un coup de coude
dans les côtes, comme pour lui demander de se calmer un peu.
« Hum ! Voici donc le blagueur de service »
me fis-je comme réflexion.
Au même moment, le reste
de la troupe revient et la réunion reprend. Mme Moreau m’explique que je serais
assez souvent sur le terrain avec l’un ou l’autre des autres éducateurs, car
elle préfère faire tourner les agents en fonction des situations, plutôt qu’ils
restent ensemble tout le temps. De cette manière, elle veut que la prise en
charge ne soit pas toujours la même et surtout que la routine ne s’installe pas
au sein de l’équipe. La TISF sera toujours présente auprès des familles ou des
personnes qui auront besoin d’être accompagnées sur certaines tâches
particulières au quotidien. La psychologue nous soutiendra lorsque nous le
jugerons nécessaire en fonction de la situation, mais aussi si les
personnes accompagnées en font la demande.
Tout cela fait, je suis
libérée, ainsi que Marlène pour le reste de la journée. Midi est déjà arrivé
et, comme dans le service, c’est le jour des réunions, Mme Moreau pense qu’il est
mieux de nous laisser partir. Elle estime qu’à partir de demain, nous aurons
suffisamment de travail et nous laisse donc une dernière journée pour dit-elle « nous préparer psychologiquement pour les jours
à venir. »
En sortant du bâtiment,
je vais vers Ibrah pour lui dire au revoir :
_ A demain mon messager personnel ! Faut
pas fâcher, nous s’amizer ! Ça, c’est une phrase que j’ai
copiée dans un sketch africain.
Ibrah bouscule simplement
la tête de la gauche vers la droite en me menaçant du doigt :
_ Toi vraiment, la petite là ! Tu ne
respectes pas les anciens.
_
Au contraire Grand Ibrah ! C’est parce que je veux vous remercier que je
reviens vers vous.
_
Si je suis ton grand, donc il faut me tutoyer. Tu es prise alors ?
_
Oui mon grand ! Ainsi que la belle demoiselle qui est avec moi. Je te
présente Marlène Gloire. Au cas où vous ne vous seriez pas vus ce matin.
Educatrice spécialisée également.
_ Bonjour Monsieur ! Réponds la belle tatouée
_ Bonjour mademoiselle ! Vous au moins
vous n’êtes pas comme votre amie. Ce qu’il dit en souriant.
_ Elle est bien marrante je trouve moi !
_ Moi aussi, mais elle m’a un peu trop taquiné pour une première rencontre. Je vais mettre ça sur le compte de la joie de l’embauche.
Il finit sa phrase en me regardant et me faisant un clin d’œil.
Je souris simplement. Il
a bien raison Ibrah. J’étais si heureuse ce matin et d’humeur taquine que je me
suis laissée aller. Au moment de prendre congé de lui, je me tourne vers
Marlène :
_ Bon, si tu veux, on peut y aller. Au revoir
Ibrah ! A demain !
_
Au revoir les nouvelles ! Je vous souhaite la bienvenue dans nos murs.
_
Merci beaucoup Ibrah, répond Marlène. A demain et bonne fin de journée !
_ Merci, à vous aussi !
Nous sortons donc de
l’établissement. Comme c’est l’heure de déjeuner, nous choisissons d’un commun
accord de nous rendre dans un fast-food pour faire plus ample connaissance.
C’est ainsi que j’apprends que ma nouvelle collègue est anglaise de mère et
congolaise de père. Elle n’hésite pas à m’expliquer qu’elle a été adoptée quand
elle avait trois ans après le décès de ses parents encore jeunes dans un
accident de circulation. Elle a les yeux remplis de larmes quand elle évoque
cette partie de son histoire.
Un chauffard avait roulé
en sens inverse et ses parents qui arrivaient également en voiture dans le bon
sens n’avaient pu éviter la collision. Elle avait donc passé quelques années
dans une pouponnière en Angleterre. Ses parents adoptifs qui travaillaient à ce
moment là pour le consulat du Congo n’avaient pas encore réussi à avoir des enfants.
Et sa mère voulait absolument adopter alors que son père n’était pas vraiment
pour.
En effet, ils avaient fait un mariage d’amour (elle le disait en souriant et en traînant sur le mot avec un accent britannique) et les parents de son père mettaient beaucoup de pression à ce dernier pour qu’il rentre épouser une fille de chez lui. Ils savaient que ce n’était pas de lui que venait le problème, car il avait déjà un garçon né d’une précédente union lorsqu’il était étudiant au Congo.
Aussi, c’était difficile
pour lui d’accepter d’adopter l’enfant de quelqu’un d’autre. Mais par amour pour
sa femme, il avait consentit à passer le cap. Et, c’est donc quand elle était
en âge de quitter la pouponnière que Marlène était entrée dans leur vie. Et,
aujourd’hui à l’âge de vingt sept ans, elle était à son deuxième poste
d’affectation. Car, elle avait déjà travaillé pour un Centre
d'Hébergement et de Réinsertion Sociale (CHRS)[3] pendant quelques années.
Elle voulait maintenant changer de domaine, et donc c’est pour cela qu’elle en
était partie. Je me rends alors compte qu’elle est éducatrice depuis plus
longtemps que je ne l’aurais imaginé. Moi qui suis bleue dans le métier.
Je lui raconte également
ma petite histoire, sans omettre la chance que j’ai eue le dernier jour du
passage de l’examen. Ces confidences nous font bien rire toutes les deux et
après le repas, je l’invite chez moi. Mais, elle décline l’invitation car, elle
veut profiter du temps qu’il reste pour aller faire quelques courses avant de
rentrer. Nous nous séparons donc au niveau de la bouche de métro alors qu’elle
retourne vers les bureaux du CR pour aller récupérer sa voiture.
Elle m’explique alors
qu’elle ne vit pas sur Paris même mais, en banlieue proche, dans une maison
achetée pour elle par ses parents. On se fait la bise et moi je rentre dans le
souterrain pour retrouver ma petite chambre douillette et continuer de faire
mes cartons de déménagement.
Arrivée au pied du
portail de la cité universitaire, alors que je m’apprête à sortir mon badge
pour y entrer, je sens une main se poser sur mon épaule et une voix que je
n’ai pu oublier me dire :
_ Bonjour !
[1]
TISF : Le technicien de l'intervention sociale et familiale (TISF) est
appelé auprès d'une famille ou d'une personne lors de circonstances
particulières : hospitalisation, décès, longue maladie, naissance, handicap...
Il soulage et épaule la famille en assumant le quotidien (courses, ménage,
repas, toilette, aide aux devoirs...), peut participer à la gestion du budget
et accompagner les personnes dans leurs démarches administratives (recherche
d'un logement, demande d'allocations chômage...).
[2] Signalements : Alerte
de situations de danger ou de maltraitance sur des personnes vulnérables
(enfants, adolescents, personnes vieillissantes) par tous les citoyens et en
premier lieu ceux qui, sont en relation directe avec eux. Le signalement permet
la mise en œuvre de la protection de la personne en difficulté.
[3] Le CHRS est une catégorie d'établissements sociaux intervenant dans le domaine de l'accueil, de
l'hébergement et de la réinsertion sociale et professionnelle des personnes en
situation d'exclusion.