Chapitre 2 : La vie qu’on ne choisit pas

Write by Kaylee



Chapitre 2


AALIYAH


Mon alarme sonne à 5h, comme tous les jours. C’est un réflexe désormais. Je me lève, fais mes ablutions, prends mon bain, puis j’enfile ma abaya noire, sobre, avant de me couvrir du voile assorti. Je déroule ma natte dans un coin de la chambre encore sombre et me prépare pour la prière de Fajr. Je fais toujours l'effort de ne rater aucune prière surtout celle du fadjr que j'affectionne particulièrement car comme on nous l'a enseigné à l'école coranique, à l'heure de la prière de fajr, une bataille s'engage entre le diable et nous. Soit on la gagne en se levant pour la prière, soit le diable l'emporte sur nous en nous maintenant cloué dans notre lit.

La prière de FAJR est notre "premier combat" de la journée contre Satan. Se réveiller pour la prière du FAJR est vraiment une bénédiction D'ALLAH.


Une fois la prière terminée, je range discrètement mes affaires puis entame mon petit rituel quotidien. Je nettoie la maison en silence, comme une ombre qui passe. Ensuite, direction la cuisine. J’y prépare le petit déjeuner avec soin, comme toujours. Pas parce qu’on va le partager, non. Mais parce que c’est tout ce que je peux faire pour lui.


Une fois tout installé sur la table, je monte doucement les escaliers et m’arrête devant sa porte. Je prends une grande inspiration avant de frapper deux petits coups.


— Bonjour, dédé, dis-je timidement quand il ouvre.


— Bonjour, répond-il, froid mais poli.


— Le petit déjeuner est prêt.


— D’accord. Je descends tout à l’heure.


Je hoche simplement la tête et redescends sans un mot de plus. Je m’installe à table, l’attendant comme toujours, le cœur calme, mais un peu vide.


Je m’appelle Aaliyah Koné. J’ai 27 ans. J’ai épousé Saïd il y a huit ans. Je le connais depuis mes 15 ans, mais on s’est mariés à mes 19 ans. Un mariage imposé, organisé, scellé sans mon avis. Dans cette maison, on me voit comme la première dame. Mais dans les murs épais de notre intimité, je suis invisible. Une présence qui ne dérange pas. Une épouse sans fonction.


Je sais qu’il ne m’aime pas. Il ne me l’a jamais dit, mais je le ressens chaque jour, dans chaque silence, chaque absence de regard. À vrai dire, il ne m’a jamais touchée. En huit ans de mariage, pas une seule fois. J’ai essayé pourtant. J’ai cherché à l’approcher, à me faire désirer, à comprendre ce qui n’allait pas. Mais à chaque tentative, c’était le même mur. Alors j’ai arrêté. Je me suis résignée.


Je suis entrée dans sa vie à travers un échange entre deux hommes. Mon père, ivrogne notoire, m’a cédée comme une marchandise au père de Saïd. Je n’ai jamais connu ma mère, morte en me donnant la vie. J’ai grandi dans la violence, les cris et l’alcool. Quand il n’avait pas de quoi payer ses dettes, il me livrait aux hommes. À 15 ans, il m’a “donnée” à la famille Ben Yacoub, et je ne suis plus jamais retournée vivre avec lui.


Depuis, ma vie s’est réduite à ce foyer. J’ai grandi dans leur maison, entourée d’inconnus qui sont devenus ma “famille”. Le mariage était déjà décidé. Dès que j’ai eu l’âge, ils m’ont mariée à Saïd. Et depuis, je survis ici.


Il descend enfin, s’installe à table. Je me lève pour lui servir son assiette, puis je me sers. On mange en silence. Comme toujours.


Après le repas, il se lève sans un mot et va s’enfermer dans son bureau. C’est sa routine. Il attend que je l’appelle pour le déjeuner, puis le dîner. Entre temps, je m’efface.


Je monte dans ma chambre avec mon roman. Des histoires d’amour qui me donnent l’impression de vivre un peu. Je n’ai pas d’emploi. Je ne sais rien faire. Je n’ai jamais mis les pieds à l’école. C’est ici, chez les Ben Yacoub, que j’ai appris à lire, à écrire. À peine. Je n’ai aucun diplôme. Aucune qualification. Je ne connais presque rien du monde.


Je n’ai jamais voyagé. Je ne sors presque jamais. À part le marché ou la maison de mes beaux-parents, je ne vais nulle part. Je n’ai ni famille ni amis. Je n’ai jamais revu mon père. Je ne sais même pas s’il est encore vivant. Et pour être franche, je m’en fiche.


*

*


*** SAÏD ADJIVON BEN YACOUB


Je sais que je n’ai pas besoin de me présenter puisque mon nom est déjà cité plusieurs fois par ici mais je vais quand même le faire. 

Je m’appelle Saïd Adjivon Ben Yacoub. J’ai 33 ans. Mon père est béninois, ma mère algérienne. Je porte le nom de ma mère, Ben Yacoub, parce qu’il a du poids dans le monde des affaires. Elle était la fille d’un riche vigneron algérien. Autant dire que je suis né dans l’abondance. Le manque, je ne connais pas.


Je suis fils unique. L’unique héritier de tout ce que mes parents ont construit. Hôtels, casinos, restaurants, terrains. J’ai grandi dans le confort, dans le luxe, et dans l’idée que tout m’était dû. Et c’est ce que je vis depuis. Je prends ce que je veux, sans jamais demander la permission.


J’ai quatre filles, issues de trois mariages. Mon premier, c’était avec Aaliyah. Elle avait 19 ans. C’était le choix de mon père, pas le mien. Il voulait que je me pose, que je prenne mes responsabilités. Il a vu en elle une fille obéissante, pieuse, discrète. Parfaite sur le papier. Mais elle n’a jamais été “ma femme”. À mes yeux, elle est comme une petite sœur. Gentille, douce, respectueuse… mais ce n’est pas ce que je cherche dans une compagne.


J’ai accepté ce mariage pour faire plaisir à mon père. Mais je ne l’ai jamais consommé. Pas une seule fois. Je sais qu’elle attend, qu’elle souffre en silence, mais je n’ai rien à lui donner. Et je n’ai jamais fait semblant. J’ai été clair dès le début.


Et puis, il y a eu Rebecca.


Je l’ai rencontrée à Pretoria, il y a six ans. Une bombe. Belle, confiante, avec des formes comme j’aime. Je suis tombé amoureux, vraiment. Au bout d’un an, elle m’a annoncé qu’elle était enceinte. J’étais aux anges. Je voulais l’épouser tout de suite, mais je connaissais mes parents. Surtout mon père. Je savais qu’ils n’accepteraient jamais.


Alors j’ai tout caché. Même quand elle a accouché de jumelles. Mais ses parents, eux, ne voulaient pas de silence. Ils ont commencé à mettre la pression. J’ai fini par céder. Je l’ai épousée dans le secret, loin des regards.


Mon allié dans tout ça, c’est mon oncle Francis. Le petit frère de mon père. Il est comme un père pour moi. Lui, il comprend. Il ne juge pas. Il me couvre. C’est lui que je présente à mes femmes comme mon père. Et elles n’y voient que du feu.


Avec les femmes, j’ai une règle : elles doivent venir d’un niveau social inférieur au mien. Et surtout, elles doivent avoir porté mon enfant avant qu’on parle de mariage. C’est ma manière à moi de me protéger. De garder le contrôle.


Aucune de mes femmes ne sait pour les autres. Je fais tout pour maintenir les apparences. Je voyage beaucoup, et elles savent que je ne peux pas être là tous les jours. Mais elles ne manquent de rien. Je veille à leur confort, à celui de mes enfants. Je suis un mari absent, mais un père présent à ma façon.


Je les aime toutes, à ma manière. Et même si je n’ai eu que des filles jusqu’ici, j’espère toujours avoir un garçon un jour. Mais bon, rien ne presse. Dieu décidera.



À SUIVRE…

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