Chapitre 2 : L’enfer d’une femme.

Write by Dalyanabil

Chapitre 2 : L’enfer d’une femme.
 
Farida.
 
‘’Mlle’’ Je souris au son de la petite voix, si je ne savais pas déjà à qui elle appartenait, je donnerais probablement à sa propriétaire pas plus de dix ans, du moins au premier abord. Ensuite, quand on tend bien l’oreille, on peut y détecter la maturité que lui confère son âge et une pointe de sévérité acquise avec la maternité. Chaque personne à un timbre de voix différent, quelque chose de particulier dans son intonation, quelque chose de précis dans sa manière de prononcer chaque mot qui créé un son unique. La voix de quelqu’un, c’est comme une empreinte digitale. Je ne compte plus le nombre de fois j’ai dû me servir d’elle pour identifier ceux qui m’entouraient. 
 
‘’Han. Han. Han…’’ Pig produit le même le bruit chaque fois, à quelques variations près. Ce son me ramène un peu à la réalité. Les soirs comme aujourd’hui, il met plus longtemps à jouir. La douleur, la sensation d’un corps étranger qui va et vient en moi, l’odeur pestilentielle qu’il dégage, d’où le surnom que je lui donne : ‘’porc’’. Je ne suis plus dans le petit deux pièces de Sanaa, tout semble disparaitre graduellement. Je n’ai plus son petit garçon dans les bras, la table basse en face de moi sur laquelle est posée un plateau de thé, avec des biscuits. Elle aussi s’évanouit, et avec elle le bruit des conversations.
 
Je suis de nouveau dans le sordide sous-sol où je suis retenue. La première chose qui m’assaille c’est la semi-obscurité qui règne dans la pièce. En temps normal, tout serait noir. Aujourd’hui en revanche, la trappe entrebâillée laisse filtrer quelques rayons de soleil. Je suis allongée sur un matelas à même le sol, mais il est tellement fin que je sens mon dos s’écraser un peu plus sur le ciment à chacune de ses poussées. Je ferme les yeux, en essayant de retourner voir mon nouveau patient, dire à Sanaa de me rajouter de la crème avec mon thé. Mais Pig enfonce ses ongles avec tellement de force dans mon avant-bras que la douleur m’arrache un gémissement et mes yeux se remplissent de larmes que je refoule. Je garde ma tête tournée sur le côté en veillant à rester le plus immobile possible. Mais la douleur va crescendo, à mon tour, j’utilise mes mains qui reposaient à plat, en enfonçant mes ongles dans la fine mousse du matelas et serre les dents pour me donner une contenance. J’essaie de ne rien laisser paraître, je me répète mentalement ‘’ils peuvent briser ton corps mais pas ton esprit ; ils peuvent briser ton corps mais pas ton esprit ; ils peuvent briser ton corps mais pas ton esprit.’’
 
Je suis autant surprise que lui par le sanglot qui s’échappe de moi. Apparemment, aujourd’hui les affirmations positives et l’évasion ne m’aideront pas à survivre à une énième violation. Je retiens ma respiration tout en restant immobile. Pig, en m’entendant sangloter, s’est arrêté pour m’observer. Je sens son regard sur moi, son visage qui se rapproche de moi il murmure en arabe ‘’ça te plait hein ?’’
 
Mais je n’ose pas bouger par peur de l’encourager. Mon cœur bat maintenant la chamade. Mon cerveau est complètement sorti de sa léthargie et envoie dans tout mon corps des signaux d’alerte. J’ai les mains moites, je sue, et ma peau est comme chauffé à blanc. Mon estomac se tord, prêt à régurgiter tout son contenu. N’obtenant aucune réponse de ma part, il s’est rapproché de moi, m’a lèché le visage avec sa langue, rien que l’odeur de son haleine a failli avoir raison de mon ventre. ‘’Ne t’inquiète pas, papa va bien s’occuper de toi, tu vas aimer.’’ Il ponctue sa phrase d’un rire sans vie et reprend avec plus de véhémence ses coups de reins.
 
La douleur est comme une onde de choc partant de mon entrejambe jusqu’à chaque extrémité de mon corps, à chaque coup de butoir, elle est plus forte que la précédente. Je me mords la langue pour ne pas gémir, pleurer tellement j’ai mal. Mais plus je m’évertue à avaler ma peine, plus il s’agite avec force sur moi, mes jambes sont maintenant complètement relevées, ma tête cogne aussi contre le mur, que je ne savais pas si proche, et mon bourreau semble infatigable. 
 
Je fais l’erreur d’ouvrir ma bouche pour respire, mais au lieu d’air je laisse échapper un sanglot, ensuite un autre, et encore un autre. Mon corps ne semble plus vouloir s’arrête de crier son trop plein de douleur. Quand je commence à croire que jamais ça ne va s’arrête il finir par me donner un dernier coup avant de gémir longuement. Je l’entends se lever, ensuite des cliquetis, des voix que je ne distingue pas, des mots ou bien des phrases en arabe, en anglais je ne sais plus. J’ai mal partout, je me sens sale, j’ai envie de vomir mais il est hors de question que je fasse ça en leur présence. Une éternité passe avant que je n’entende enfin le bruit de la porte d’entrée qu’on claque. J’attrape un coin du matelas que je coince dans ma bouche et laisse enfin sortir toute ma douleur. Mon corps est pris de convulsion, ça fait très longtemps que je n’ai plus été dans mon corps quand l’un d’eux me prenait comme ça. Ça très longtemps que pour moi c’était devenu la routine, trop longtemps qu’aucun n’a été aussi prêt de me briser. Si je ne pars pas bientôt, ils m’auront. Si je ne pars bientôt, je mourrais ici. Si je ne pars pas bientôt, la seule chose que je n’aurais jamais été dans cette vie aurait été d’être l’esclave des autres. Si je ne pars d’ici, j’aurais failli à ma propre promesse vis-à-vis de moi. Je finis par tomber dans un sommeil sans rêves, ni cauchemars, mon corps trop choqué par la violence des évènements s’est tout simplement fermé, les yeux grands ouverts, l’esprit vide, je me laisse sombrer.
 
Quelques années plus tôt.
 
J’ai toujours su que j’avais plus de valeur. Très jeune déjà, mon entourage s’est assuré de me dire le contraire, et me le répète tellement souvent, mais jamais je n’y ai crue. Je suis orpheline de père et de mère, la légende populaire dit que je suis un trophée de guerre, que mon premier propriétaire m’a recueillie alors que je n’étais qu’un nourrisson, deux ans tout au plus. Il était le voisin de mes parents à leur mort après une attaque des bérets rouge en 1990, où près de 500 musulmans furent massacré. Un an après, il peinait à nourrir sa propre famille, c’était une période sombre, plus sombre que celle d’aujourd’hui, je ne saurais le dire. Pour survivre, il m’a vendue pour une poignée de shilling à une famille américaine qui voulait adopter un enfant. Mais dès qu’ils ont posé les yeux sur moi, ils ont changé d’avis. Ils voulaient un enfant exotique, mais je l’étais beaucoup trop à leur goût. Mon second propriétaire a voulu me rendre, mais notre voisin avait déménagé. Il s’est retrouvé avec un bébé dans les bras dont il ne voulait pas. Il m’a confiée à une vielle dame sourde-muette avec qui j’ai vécu pendant dix ans. Avec le temps j’ai découvert qu’elle n’était autre que sa grand-mère. Malgré le peu de ressource dont elle disposait, elle a partagé avec moi son toit et sa nourriture, s’est assuré que je sache lire et écrire l’arabe et l’anglais grâce à une vielle traduction du coran qu’elle avait.
 
C’était une femme de peu de mots, ça peut paraitre ironique vu son état. D’un regard elle savait se faire obéir. Dès que j’ai emménagé chez elle, elle m’a fait comprendre qu’elle ne s’occuperait pas de moi comme une mère aimante mais plutôt comme une tutrice très stricte. J’ai appris très tôt à faire ma propre toilette, la vaisselle, ma lessive, et toutes sortes de tâches ménagères. Elle ne me frappait pas, n’usait jamais contre moi d’attaques verbales mais d’un seul regard ou avec des gestes je savais quoi faire. Et si par mégarde je ne le faisais pas, j’étais purement et simplement privé de nourriture, ou je dormais à la belle étoile avec le son des animaux sauvage et des moustiques. Si ma lessive n’était pas faite correctement, tant pis pour moi, si la vaisselle n’était pas faite correctement alors je la refaisais jusqu’à ce que ça soit le cas. J’étais debout aux aurores juste avant l’appel de la prière et durant toute la journée, j’étais occupée à faire des tâches ménagères. Pas seulement pour Jida, c’était comme ça que je l’appelais, mais aussi pour tous les autres gens du village.
 
Jusqu’à l’âge de douze ans ma vie s’est résumée à ça. Jida, ce qui signifie grand-mère en arabe, ne m’a jamais dit un mot. Les autres habitants du village, eux, n’était pas aussi bienveillants. Tant les adultes que les enfants, aucun d’eux ne manquaient une occasion pour me rappeler ma lamentable histoire. J’étais tellement mauvaise et moche que personne n’avait voulu de moi. Jamais Jida ne m’as défendue. Une fois, je suis rentrée à la maison en pleure après m’être battue comme une chiffonnière avec les autres enfants du village après que l’un d’eux m’ai traité de sale esclave une fois de trop. D’un regard, elle m’a cloué sur place. Je n’ai rien eu à lui expliquer une fois dans la soirée après la prière d’icha. Elle m’a remise une veille Edition du coran arabe/anglais entre les mains. Ce soir-là, pour la première depuis que j’avais emménagé avec elle, la bougie a brulé jusqu’à très tard dans la nuit. Elle m’a remis une planche en bois polie, de plus ou moins soixante centimètres, avec un encrier, et tous les soirs à compter de ce jour, elle m’a fait la leçon. Même quand sa santé ne le lui permettait pas, je m‘asseyais à côté d’elle et récitait à voix haute les versets coraniques avec leur traduction. Grâce à elle j’ai appris à faire la prière.
 
Quand elle est décédée, mon propriétaire a de nouveau apparue, pour être l’exécuteur testamentaire de Jida. J’ai découvert qu’elle m’avait légué un sac que personne n’avait jugé utile de vérifier le contenu à l’époque. Tout le monde était parti du principe qu’étant une vielle femme pauvre, sourde-muette elle ne pouvait rien me léguer d’important. Je l’ai pleurée, car à sa manière je supposais qu’elle m’avait aimé même un tout petit peu. Après tout, elle ne m’avait pas abandonné comme les autres. Rien en revanche ne m’avait préparé à la tristesse que j’ai ressentie quand j’ai ouvert le sac. Il contenait quelque vêtement à ma taille, des vieux bijoux en or, une enveloppe pleine d’argent, trois cent mille shillings pour être plus précise en petite coupure, une planche en bois polie beaucoup plus petite sur laquelle sur laquelle était écrit :
 
« Mon enfant,
 
Si tu te retrouves à lire ceci, c’est que je ne suis plus, et tu m’en voir navrée mais Allah sait mieux. J’espère avoir pu t’aider à te forger un caractère qui t’aidera non seulement à survivre dans ce village, mais bien au-delà. TU N’ES PAS UNE ESCLAVE, tu me lis ? TU NE L’ES PAS ! Alors ne laisse jamais quiconque te dire le contraire, dans une enveloppe au fond du sac tu trouveras de l’argent. Sers t’en pour t’échapper de cet enfer. Pars aussi loin que possible et qu’ALLAH guide tes pas.
 
‘’ Tu possèdes deux qualités aimées d’Allah : La mansuétude et la patience’’ »

Survivre à l’enfer d...