Chapitre 21
Write by leilaji
LOVE SONG
Tome II
(suite de Xander et Leila + Love Song)
Denis
Episode 21
J’ai beaucoup de mal à me rendormir depuis quelques jours. Les choses ne se passent pas exactement comme je l’avais prévu. Je ne peux m’en prendre qu’à moi-même évidemment. Mais ce n’est pas comme si c’était grave, n’est-ce pas ? Je me dis que je peux me défaire complètement de ma loyauté maintenant. Après tout, même si je ne sais pas ce qu’il lui a dit au téléphone, je devine que ça l’a profondément meurtrie. J’ai eu beau la questionner, je n’ai obtenu d’elle aucune réponse. Elle ne veut plus parler de lui, plus jamais. Alors à quoi dois-je rester fidèle ? A un ami, me souffle ma conscience. A un ami qui fait souffrir la femme que j’aime ? Non. Ce n’est pas trop mon truc ça. Je me gratte la barbe. Elle me démange atrocement. Ca doit être les poils blancs ça. Pas possible d’y échapper.
J’ai mal à la tête et il n’y pas un seul putain de comprimé de doliprane dans cette maison. J’inspire et expire en prenant le temps de décompresser pour pouvoir m’endormir. Du coup, j’observe ma chambre d’un air morne. Le style colonial ne m’a jamais vraiment plu. Tout ce bois qui pourrit avec le temps. Le béton, il n’y a rien de mieux. Le plafond doit être refait. Il va falloir que j’en parle à ma mère. Le climatiseur qui date de Mathusalem commence à grincer dès qu’il est mis en marche plus d’une dizaine de minutes, ce qui ne m’aide pas du tout. On dirait presque un vieux qui se racle la gorge. Je ferme les yeux et essaie de compter à rebours dans ma tête. Au bout d’un moment, je perds le compte et commence à sentir mes paupières s’alourdir. On cogne à ma porte, ce qui me fait tressaillir de surprise. Je ne réponds pas. Ca ne peut pas être Leila puisqu’elle m’adresse à peine la parole depuis qu’on est à Franceville. Je suppose que c’est l’une des domestiques de ma mère. On cogne une seconde fois. Plus doucement, on peut comme si la personne grattait délicatement le bois pour ne pas se faire entendre. Je me retourne dans le lit, pour me rendormir quand j’entends les gonds de la porte crisser.
Je me relève, prêt à gueuler lorsque je vois un corps menu, caché par un long tee-shirt gris. Vêtement que je reconnais immédiatement puisque c’est le mien. Afin d’être sûr de ne pas être en train de rêver, je me frotte les yeux pour en chasser la fatigue ou la possible vision nocturne. Mais rien n’y fait. Elle est toujours là devant moi.
— Qu’est-ce qui ne va pas ?
— Je ne sais pas… murmure-t-elle.
Habillée de ce seul tee-shirt et les cheveux défaits, elle ressemble à une gamine.
Une gamine sans défense.
Une gamine sans défense qui fait de moi ce qu’elle veut. Bravo Denis ! A quoi ça te sert d’être l’un des hommes de l’ombre les plus puissants du Gabon pour finir esclave d’une femme.
— Entre. Ne reste pas là.
— Non, répond-elle avec un peu plus d’assurance. Je crois que je vais retourner dans ma chambre.
— Attends !
Je rejette les draps sur le coté et tapote le matelas pour l’inciter à venir s’asseoir. Elle avance timidement, ferme la porte derrière elle et prend place. Quand elle s’assoit, ses cuisses se dénudent légèrement. Je préfère rabattre les draps sur mes jambes afin qu’elle ne soit pas choquée par une quelconque réaction inopinée de mon corps. Ce n’est pas vraiment le bon moment pour l’effaroucher.
— Ca fait trois jours qu’on est là et je n’arrive pas à dormir, ni à manger. Je n’ai pas l’esprit en place… Je ne sais pas si c’est une bonne idée de rester ici. Il y a trop de … silence. J’ai l’habitude d’avoir un téléphone et un ordi devant les yeux, du travail plein les bras et toute cette nature que tu me fais visiter … Je n’en profite même pas. J’ai la tête ailleurs. Ta mère est tellement gentille avec moi, elle me chouchoute tellement que … c’est agréable mais …
— Mais ?
— Je n’en sais rien.
— Tu n’aimes pas Franceville ?
— Si.
— Est-ce que tu te rends compte au moins que c’est chez toi ici. C’est pour ça que je t’ai emmené voir la tombe de ton père. Je trouve que tu as une manière étrange d’encaisser les choses. Tu as découvert un grand-père mais jamais tu ne poses de question sur ton père. Comment il a vécu, ce qu’il a aimé, comment il était… Tu t’es contenté de fouiller la boite d’objets personnels donné par Okili. Tu l’as fouillée, tu l’as refermée et basta. Je sais que ta mère a été merveilleuse et qu’elle t’a élevé toute seule mais te couper ainsi de ton père… Pourquoi crois-tu que … Chaque fois qu’on te fait du mal, tu rejettes avant d’être rejetée. Le vide que ton père a laissé dans ta vie est une blessure que tu n’as pas guérie. Tu ne construiras aucune vraie relation sans te guérir d’abord toi-même, sans retrouver tes racines.
Je ne pensais pas faire un aussi long discours. Mais je l’ai observée tellement de fois que j’ai l’impression de la connaitre par cœur.
— Maman disait toujours : « ne te donne jamais entièrement à un homme sinon tu vas en payer le prix ». Je dis toujours au gens qu’elle est morte d’avoir trop travaillé, qu’elle s’est usée. En réalité, elle est morte du Sida. Certaines femmes disent qu’il n’y a pas de mal à ce qu’un homme trompe une femme. Elles disent que ce n’est pas la fin du monde et que c’est dans l’ordre des choses. Une femme qui s’en offusque est bête. Si tu quittes un homme parce qu’il t’a trompé, bafouée, humiliée… Tu quitteras tous les hommes de ta vie et tu finiras seule. Quelle honte pour une femme d’être seule. C’est ce qu’elles disent. Si j’avais trompé Alexander, on m’aurait traitée comme une moins que rien. Mais quand c’est moi qu’on trompe, bof ça va. En plus une femme infertile. Ce n’est pas grave.
— Leila…
La tète baissée, elle regarde ses pieds nus.
— Tromper une femme peut revenir à pointer une arme chargée sur elle quand on sait qu’on ne la protégeant pas, elle peut se retrouver atteinte du Sida. Et mourir d’avoir trop cru ou pardonné à son homme. Elles n’en parlent jamais hein de cette possibilité … Un homme te trompe ce n’est pas la fin du monde ? J’espère qu’elles continueront à le dire dans un cercueil. A mon âge devoir dire, maman avait raison est assez douloureux.
— Tu veux qu’on en parle ?
— Non.
— Tu veux qu’on parle de l’appel de ton mari ?
— Ex mari. Je ne sais même pas si je peux le qualifier d’ex mari. Et non, je ne veux pas en parler.
Voila un « non » bien catégorique.
J’essaie de ne pas m’emballer mais la moitié de mon cerveau me hurle à chaque seconde de profiter du fait qu’elle est dans ma chambre, en tee-shirt. Je ne l’ai pas obligée à venir cogner chez moi en pleine nuit. Elle l’a fait volontairement. Ca signifie forcément quelque chose.
— Tu ne veux toujours pas me dire ce qu’il t’a dit au téléphone ?
— Non. Je ne veux pas en parler.
— D’accord, je ne vais plus insister. Je sais que tu as besoin de temps… Ce n’est pas facile et je le sais. Je suis passé par là Leila alors je te comprends.
— Comment as-tu fait ? Pour oublier … Pour redevenir toi-même ?
— Je ne crois pas que …
— Dis-moi.
— J’ai baisé ailleurs, je réponds brusquement.
Je n’aurai peut-être pas du utiliser un mot aussi cru que baiser mais c’est pourtant la vérité.
— Alors aide-moi.
— Pardon ?
— Il faut que tu m’aides, dit-elle en se triturant les doigts.
— Tout ce que tu voudras, Leila mais...
Je ne l’avais encore jamais vu aussi perturbée et désemparée. Elle tourne la tête vers moi mais son visage demeure dissimulé par ses cheveux qui tombent de chaque coté de son visage. La chambre est plongée dans la pénombre et seul l’astre lunaire éclaire quelque peu la pièce en traversant la fenêtre entrouverte. J’ai allumé le climatiseur sans la fermer ?
— Aide-moi. J’en peux plus… dit-elle en essuyant ses yeux pleins de larmes.
— Ca va aller… dis-je en la prenant dans mes bras.
— Je ne savais pas que ça ferait aussi mal dit-elle en enfouissant sa tête dans le creux de mon cou. Je ne savais pas… Aide-moi Denis, je t’en prie.
— Princesse…
Je la sens se tourner entièrement vers moi. Je la sens passer une jambe sur la mienne. Je suis surpris mais fébrile. Je sens ses cheveux me couvrir. Et surtout je sens ses lèvres se poser sur les miennes.
— Fais-moi oublier, supplie-t-elle tout en m’embrassant. Fais-moi oublier.
Jamais je n’aurais, un seul instant, pu imaginer que ses lèvres auraient un tel gout de paradis. Je ferme les yeux pour mieux ressentir chaque pression, chaque contact, chaque effleurement. Son corps est tellement menu entre mes bras que j’ai peur de faire le moindre mouvement et de rompre la magie de cet instant inespéré.
Leila.
Dans mes bras.
Mes doigts s’incrustent dans sa peau. J’ai rêvé de ses délicieuses hanches chaque nuit depuis des lustres. Si douce. Si soyeuse et chaude. Si je pouvais ne plus jamais quitter ses bras, la protéger de tout mal. A jamais. La rendre heureuse. Pour toujours. Sentir le désir couler dans ses veines et savoir que c’est dans mes bras qu’elle trouve du réconfort, me brule de l’intérieur. Je n’ai aucune idée de ce qui se passe dans sa tête mais je n’ai à cet instant qu’une seule envie : m’enfouir en elle. L’entendre prononcer mon nom. Est-ce trop demander après toutes ces années à l’aimer en secret. N’est-ce pas un juste retour des choses ? Elle gémit et je capture à nouveau ses lèvres…
La porte s’ouvre à toute volée et elle se fige. Dans son attitude, je ressens le remord et la honte. Franchement j’avais presque oublié là où on était. Contre toute attente, Alexander apparait. Qu’est-ce qu’il fait là ? Comment a-t-il pu retrouver la maison ? A cette distance, je vois ses poings se plier. Il s’approche de nous en longues enjambées souples. Le connaissant prompte à la colère, je la protège de mon corps. Je ne vais pas le provoquer mais je n’ai pas non plus l’intention de m’excuser. Il ne dit rien et se contente de s’accroupir près de mon lit. Alexander parle sans me regarder. Il s’adresse à elle. Leila est toujours dans mes bras. Je la retiens mais déjà elle ne regarde que lui. Comme si je n’existais plus. Comme si je ne la tenais pas.
Pour peut-être la toute première fois de ma vie, je ressens ce qui pourrait s’apparenter à de la … jalousie. C’est douloureux. Ca me coupe le souffle. Ca s’enfonce dans mes trippes et me tort les boyaux. La jalousie. C’est si primaire et violent à la fois que j’en tremble. C’est affreusement douloureux mais étrangement, ça ne me fait pas regretter ce qui aurait pu se passer. Non. C’est une douleur que j’encaisserai volontiers encore et encore. Ca me donne juste furieusement envie de dire à Alexander qu’il l’avait pour lui tout seul et qu’il a tout foutu en l’air comme un grand.
— Mera dil. Tu ne pourras jamais m’oublier. Jamais. J’ai fauté je le reconnais. Mais qui n’a jamais trébuché sur une route montagneuse ? demande-t-il en plaçant délicatement une des longues mèches de Leila derrière son oreille.
Dans ce simple geste transparait tout l’amour qu’il a pour elle. Elle retient un hoquet douloureux mais ne le quitte pas des yeux.
— L’homme qui te tient dans ses bras sait à quel point je t’aime.
— Alexander.
— Je serai le ver dans sa pomme, le poison dans son breuvage, dit-il en me regardant enfin. Il sait qu’à l’instant où tu me verras, il n’existera plus pour toi. Prouve-le-lui, dit-il en me la prenant des bras.
A l’ instant où elle quitte mes bras, je me réveille en sursaut complètement déboussolé par le rêve que je viens de faire. Les draps sont trempés de sueur et ma migraine empirée par le tour qu’ont pris mes pensées, me fait grogner. Je regarde autour de moi comme si ce que je viens de vivre ne peut pas être un rêve et que Leila se trouve dans les parages. On avait déjà eu cette discussion ce matin. J’aurai du me dire pourquoi me redit-elle tout ça. Pfff.
Putain de rêve de merde !
J’ai besoin d’une bonne douche froide. Evidemment, j’ai une trique d’enfer encore plus douloureuse que ma migraine. Putain de rêve de merde. Je me lève et prends une serviette dans l’un des placards pour me rendre dans la douche située au fond du couloir. Ancienne maison. Les chambres ne sont pas toutes pourvues de douche. Je mets quand même un bas de pyjama par dessus de mon caleçon.
Mais en traversant le couloir, la voix de Leila, attire mon attention.
— Ok. Elle. C’est bon.
Le ton est dur. Elles sont surement en train de se disputer. Leila se tait. Je crois qu’Elle lui explique son point de vue.
— Tu avais raison. T’es contente ? Je n’aurais jamais du croire que ça pouvait marcher. C’est bon tu es heureuse de me voir si malheureuse? … Denis ? Mais pourquoi tu parles de lui ? Non, je ne l’ai pas attiré ici. C’est lui-même qui m’a fait venir à Franceville. Elle ! Je ne pensais pas que tu pourrais me parler ainsi alors que tu sais à quel point ça me blesse qu’il puisse au final partir et laisser tout ce qu’on a bâti sans même se retourner… Ok. je crois que je vais raccrocher ! Oui c’est ça au revoir !
Le silence qui s’en suit me met mal à l’aise. Je ne comprends pas qu’à un moment si charnière de son existence, elle ne puisse compter sur le soutien de sa meilleure amie. Je cogne doucement à sa porte. Après le rêve que je viens de faire, je ne sais pas si c’est une bonne idée mais je ne peux me retenir plus longtemps. Comme elle ne répond pas, j’entre quand même et souris intérieurement en remarquant qu’elle porte le tee-shirt de mon rêve. Il ne manque plus qu’Alexander pour que je devienne officiellement le devin en chef de ma famille !
Elle est assise par terre, adossée aux vieux placards de la chambre d’ami, le front posé sur ses genoux repliés.
— J’étais heureuse, dit-elle sans lever la tête. Je me disais tant que tu es sincère avec toi-même, il n’y a pas de mal. Et Elle me disait, protège-toi Leila. De nos jours c’est une folie d’aimer comme ça surtout pour une femme qui ne fait pas d’enfant parce que tôt ou tard… Tôt ou tard, il te trompera et aura ses enfants. Et je lui répondais bêtement qu’aimer en se protégeant, ce n’est pas aimer. Je croyais que l’amour c’était quelque chose de beau et de noble. Mais j’ai l’impression que ça ne l’est que chez les autres. Pas au Gabon.
— Je comprends.
— Je me sens faible. Et je n’aime pas me sentir faible.
— Personne n’aime se sentir faible Leila.
— Moi encore moins que les autres. Et maintenant elle me reproche aussi d’être là avec toi, comme si tu étais un petit garçon kidnappé par la méchante Leila.
Je la rejoins par terre et elle me rend mon téléphone. Je n’avais même pas remarqué qu’elle l’avait pris.
— Je me sens inutile sans téléphone. J’ai envoyé un mail à ma secrétaire pour la rassurer et qu’elle décale mes rendez-vous… T’inquiète je n’ai pas fouillé. Je crois que j’en suis guérie à jamais.
— Je n’ai rien à te cacher. Tu peux fouiller tu sais, je lui dis en lui tendant le téléphone.
Elle repose son front sur ses genoux.
— Pourquoi tu fais ça Denis… Pourquoi tu compliques tout comme ça ?
— Tu sais très bien pourquoi…
Elle se lève et de là où je suis, je ne peux voir que ses cuisses minces et hypnotiques. J’ai du mal à garder l’esprit clair. Mais il faut qu’on se parle. Je lui ai laissé assez de temps comme ça.
— Si j’avais ne serait-ce qu’une seule seconde un doute sur le fait que je pourrais te rendre heureuse, crois-moi je te laisserai tranquille. Mais Leila, je ne peux pas t’aimer si fort, si désespérément pour rien. Tout ce que je ressens pour toi ne peut être vain.
— Je ne veux pas … je ne peux pas… je ne dois pas !
— Tu ne peux pas quoi ? je questionne en me levant à mon tour mais elle refuse de me regarder.
— Je … Tu le sais Denis, ne me fais pas dire des choses blessantes, dit-elle en tentant de s’éloigner de moi.
Mais je la retiens. Je tiens sa tête entre mes paumes. Elle ne peut pas fuir mon regard. Elle ne peut pas me fuir.
— Dis-les…
— Denis …
— Dis-les ! je gronde en la secouant.
— Je ne pourrais jamais, jamais t’aimer comme je l’ai aimé. Jamais. Je ne le veux pas, je ne le peux plus.
— Tu penses que j’ai envie de faire un remake de Leila et Xander ? J’ai plus l’âge pour ça. Tu penses que j’ai envie de te voir pleurer d’être rejetée, pleurer de ne pas avoir d’enfant, pleurer d’être malheureuse ? Tu crois que c’est ça que je veux ? D’une histoire où vous vous aimez pour mieux vous détruire…Réponds…
— Laisse-moi tranquille…
— Je ne veux pas que tu m’aimes comme tu l’as aimé. J’en ai rien à foutre de comment tu l’as aimé.
— Alors qu’est-ce que tu me veux ?
— J’ai essayé très fort de rester loin, de vous, de toi. Crois moi j’ai essayé très fort. Et ce qui m’y aidait c’était de voir qu’il n’y avait aucune chance que tu puisses me regarder un jour. Mais maintenant tout est différent et j’ai juste envie de te dire de laisser la porte ouverte.
— Je ne peux pas…
— Ne te ferme pas à moi. Tu as appris à t’aimer à travers lui, c’est là tout le problème et maintenant qu’il n’est plus là, tu ne sais pas quoi faire de toi. Je veux que tu te découvres. Je veux que tu t’aimes. Je veux que tu sois heureuse par toi-même. Et que tu me laisses être à tes cotés. C’est tout. Le reste suivra de lui-même crois moi Princesse.
— Je ne comprends rien de ce que tu me dis Denis. Elle dit que je t’utilise que je vais te briser le cœur …
— Pourquoi tu te soucies tellement de ce que les gens disent ou pensent de toi ? Laisse les parler.
Elle essaie encore une fois de se libérer. Je l’en empêche, décidé à lui dire tout ce que j’ai sur le cœur.
— On va faire une chose toute simple, ma belle. Je vais te dire les choses telles que je les vois et telles qu’elles vont se passer.
Elle écoute mais baisse les yeux. Je relève son menton. Et pose mon front sur le sien.
— Tu ne t’engages à rien et tu n’es coupable de rien. C’est moi qui te cours après, pas toi. C’est moi qui t’aime, pas toi. Je sais déjà ce que tu vas briser en moi. Mais je suis bon joueur. Ca fait longtemps qu’il n’a pas servi et il crève d’envie de battre à nouveau pour quelqu’un. Je veux bien le mettre à tes pieds, te laisser l’user, en abuser. Je veux bien perdre ça, me perdre moi-même si ça me permet de t’avoir pour moi. Même une nuit. Même une seule putain de nuit.
Mon cœur bat vite. Trop vite. J’ai parlé d’une voix tellement basse que j’avais du mal à m’entendre. Elle se tait. Ses cils papillotent furieusement. Je voudrais l’embrasser sans rien lui arracher au passage. Je voudrais l’aimer sans la blesser. Ce n’est pas le moment, mais j’en crève. Je tiens une nouvelle fois son visage entre mes mains. Elle se recule et sa tête touche le bois du placard. Elle se mordille la lèvre. J’ai envie de l’embrasser. Il ne le faut pas, c’est trop tôt. Mais je me penche quand même. Nos corps se touchent. Elle ne peut pas ne pas sentir mon désir. J’ai rêvé d’un baiser d’elle et je veux à présent l’obtenir. Je me penche. In extremis, elle pose sa main sur ma bouche. Il suffirait qu’elle la retire pour que mes lèvres touchent les siennes.
Je recule d’un pas. Puis d’un autre. Mets une distance suffisante pour qu’elle ne se sente plus menacée.
— J’attendrais princesse.
— Je ne te l’ai pas demandé.
— Pas besoin. Et si on allait manger dehors?
Elle est tout d’abord déstabilisée par ce changement brusque de sujet mais se ressaisie rapidement.
— Il est 22 heures.
— Je connais un coin où on fait des coupé-coupé de dingue.
— T’es malade ! On ne va pas sortir à 22 heures juste pour aller manger des coupés-coupés.
— Si. Avec du vin de palme. Habille-toi, je reviens te chercher.
— Je ne sors pas.
— Princesse, tu connais le Denis gentil, le Denis qui est ton ami mais tu n’as jamais eu affaire au Denis qui te veut… ce Denis là, on ne lui dit pas non.
— De la même manière que tu ne connais pas la Leila qui n’en a rien à branler des hommes à qui on ne dit pas non.
— Oh si, je connais cette Leila là, dis-je en éclatant de rire. Tu m’en as servi une petite cuillère quand tu me détestais.
— Tu veux la grande louche ? Alors ne me cherche pas.
— T’es sure que tu veux t’engager là dedans ?
— Tu me mets au défi ?
Je tape dans mes mains, applaudissant son « toupet ». Je me rapproche de nouveau.
— Leila, je te présente Denis. Le vrai Denis, dis-je en lui tendant la main. Le Denis pas très gentil avec les autres.
— Enchantée, je suis Leila… dit-elle en me saluant.
— Leila… Leila comment ? Leila Khan…
— Leila Larba, fille d’Okili, répond-elle après une grande inspiration.
Comme elle ne s’y attend pas, je la tire vers moi et la soulève de terre pour qu’on sorte manger. Elle rit comme une gamine. Et je me dis qu’ici on est tous les deux chez nous et tous les deux apaisés.
C’est une belle nuit.
*
**
Après cette nuit, les tensions entre nous, créées par mon aveu chez elle, se sont apaisées. On est retournés sur la tombe de son père et cette fois-ci elle a apporté une nouvelle couronne faite de fleurs fraiches. Elle n’a pas pleuré. Mais au moins, elle a touché le marbre de sa tombe.
Je l’ai vu sourire quand ma mère est venue nous rendre visite. Ce qui est très étrange comme situation vu que nous habitions chez elle. Dès qu’elle a compris que les choses s’étaient mal passées entre Leila et Alexander, elle a proposé d’aller passer un court séjour chez une de ses cousines éloignées. Evidemment, je ne l’ai pas retenue. Alors de temps à autre, elle passe avec des vivres frais et cela lui permet de discuter avec Leila à la cuisine pendant que je règle à distance ce qui peut l’être.
Mon téléphone sonne et c’est un appel d’Elle. Je décroche.
— Bonjour maman.
— Bonjour Denis. Comment tu m’as appelée ?
— Maman. Puisqu’apparemment tu es ma mère. Tu me protèges de la méchante Leila.
Elle soupire sans répondre.
— Est-ce que je peux parler à Leila ?
— Non.
— Pourquoi ?
— Elle cuisine avec ma mère. Elle est occupée.
— Elle cuisine ?
— Oui.
— Passe la moi, tu me racontes n’importe quoi.
Je me lève et rejoins la cuisine. Apparemment ca sera du poisson fumé à l’odika avec de la banane plantain cuite à la vapeur ce midi. Je donne le téléphone à Leila qui s’essuie les mains sur un torchon avant de le prendre. Elle me questionne des yeux. Je lui demande de répondre pour savoir qui souhaite lui parler. Ma mère sort de la cuisine et elle met le haut parleur.
— Allo ?
— Oui, Elle?
— Tu cuisines ?
— Oui. Je nous mets sur haut parleur, Denis est là. Je cuisine avec la mère de Denis. Elle m’apprend la base. Je suis toujours aussi catastrophique mais bon, il y a peut-être de l’espoir.
— Tu sembles … heureuse, dit Elle d’une voix hésitante.
— En tout cas je ne suis pas malheureuse et je ne rends personne malheureux.
— C’est bon, j’ai compris que mes remarques de la dernières fois t’ont vexée. Je suis désolée, ce n’était pas mon intention. Tu es ma petite sœur et je suis inquiète.
— Ca va. C’est oublié. Pourquoi tu appelles ?
— Parce qu’hier c’était jeudi. Tu n’as pas regardé le journal du soir ?
— Non. Denis a tout coupé. Je suis coupée du monde. On passe nos journées à visiter Franceville. J’ai vu le canyon… et …
— Leila. Je ne t’appelle pas pour parler du canyon mais du dernier conseil des ministres.
— Quoi ?
— Tu as intérêt à rentrer à Libreville parce que ton nom…
— Quoi ? hurle Leila en lui coupant la parole.
Je lui arrache le téléphone, remercie Elle et raccroche.
— Tu as entendu ce qu’elle a dit ? me chuchote-t-elle sous le coup de l’émotion.
— Pourquoi tu chuchotes ?
— Je n’en sais rien. Je vais être ministre ? chuchote –t-elle encore comme si c’était un secret.
Je tire une chaise et l’oblige à s’assoir. Tout doucement, elle se pose en s’essuyant les mains.
— T’es prête pour Libreville ? T’es prête pour la politique ?
Elle se met à sourire.
Bon. Je crois qu’elle l’est.
— Je ne suis peut-être pas douée pour les sentiments… mais je suis douée pour travailler. Alors oui, je suis prête pour Libreville. Rentrons.
— Ok.
Ma mère est revenue dans la cuisine. Dès qu’elle l’a vu, elle a compris.
— Tu vas me l’arracher ma fille ? Vous rentrez ?
— Oui maman, répond Leila. Mais on reviendra. N’est-ce pas Denis ?
— De toute manière, je ne le supporte qu’à petite dose, donc ça me va, dit-elle pour me taquiner.
Elle prend Leila dans ses bras et la serre très fort.
— J’espère que lorsque tu reviendras ce sera avec une bonne nouvelle pour moi, hein ma fille?
— Ah maman, je ne sais pas de quoi l’avenir sera fait, répond tranquillement Leila.
Elle n’est peut-être pas encore en politique mais au moins elle sait déjà louvoyer correctement.
*
**
On a quitté Franceville en avion. La première semaine à Libreville a été une folie. Leila s’est énervée contre moi pour ne pas lui avoir dit que son grand-père était malade. Elle a déménagé chez lui pour ne plus habiter dans la maison achetée par Alexander. Moi je me suis énervée contre elle pour m’avoir mis comme directeur de cabinet de son foutu ministère.
— Je n’aurai pas pu mieux choisir, ma petite fille. Denis sera parfait, intervient Okili.
— Alors pourquoi fulmine –t-il après moi, demande Leila en me regardant.
— Peut-être parce qu’il aurait été judicieux de me demander mon avis. Tu vas passer pour ma marionnette, tu y as pensé à ça ?
— Je saurai gérer ça, t’inquiète pas. Mais tu fais partie d’une vieille famille impliquée dans la politique du Gabon depuis très longtemps. Tu sais qui est bon, qui est presque bon, qui fait semblant d’être bon et qui est carrément mauvais. Je suis une petite nouvelle que personne ne connait et que les gens se plairont à tester. Et ça va m’empêcher de faire correctement mon boulot. Je ne veux pas être une potiche Denis. Je veux travailler, changer les choses pour les gabonais. Mais je ne peux le faire que si je n’ai pas à surveiller mes arrières parce que de vieux croutons politiques misogynes tenteront par tous les moyens de me mettre des bâtons dans les roues. Depuis qu’on se connait tu as été détestable, connard parfois mais jamais tu ne m’as mentie et jamais tu ne m’as trahie. J’ai confiance en toi.
— Génial ! Tu me lèches les bottes pour me rallier à ta cause ?
— Tu as dit que tu étais enchanté de rencontrer la Leila à qui un homme ne dit pas non… Alors ? Est-ce que je peux compter sur toi ?
— En tout cas tu peux compter sur moi, répond Prince à ma place.
On se tourne tous dans un même mouvement d’ensemble. Il est passé par el petit portail, on ne l’avait pas vu arriver. Il grimpe rapidement les marches, salue son grand-père et s’arrête devant sa sœur.
— Je croyais que tu ne pourrais pas venir ?
— Oh, j’ai été éliminé de l’émission.
— Bon à rien comme d’habitude… commente Okili en sirotant son verre.
Cette remarque acerbe n’entame pas la bonne humeur de Prince qui continue de sourire à sa sœur.
— Alors, ça te dirait chargé d’étude? Je sais que tu as un master…
— Non, coupe t-il immédiatement. Les bureaux ce n’est pas mon truc Leila.
— Mais, commence –t-elle à dire en se levant.
— Non. C’est non, objecte immédiatement Prince. Tu ne peux pas me convaincre.
— Quand je te dis qu’il est bon à rien, tu ne comprends pas ? demande Okili à sa petite fille.
Elle lui lance le genre de regard que personne dans cette maison n’ose lui lancer. Même pas moi.
— Prince est mon frère. Ou tu changes d’attitude envers lui dès maintenant ou la belle aventure des Okili s’arrête ici et maintenant … Papi.
Prince trésaille légèrement. Le ton de sa sœur était dur et sans appel. Il ne doit pas avoir l’habitude d’être défendu face au vieux.
— Comme tu voudras Leila. Je comprends et j’apprécie que tu défendes ton frère.
— Ok. Bon alors Denis c’est bon… dit-elle en lisant sa liste.
— J’ai pas dit oui.
— Denis toi et moi on sait que tu lui as déjà dit oui, se moque Prince. Et moi aussi je te dis oui Lei. Mais en tant qu’aide de camp. Je suis un homme de terrain pas de bureau. Et tu es… ma sœur. Comme ça, je pourrai surveiller tes arrières.
Elle lui fait un grand sourire et le prend sans ses bras. Okili me sourit, se lève et s’en va. Ca doit être l’heure de la prise de ses multiples médicaments.
— T’as mangé ? demande Leila à son frère.
— Oui.
— C’est pas grave, je vais te resservir. J’ai pas envie de manger seule. On va en profiter pour se parler…
— Comment t’as clashé le veiux là, tu crois qu’il va m’accepter dans son salon ?
— On s’en fiche.
Ils quittent la terrasse, notre lieu de réunion improvisée, et rejoignent le salon. Je suis seul. L’occasion pour moi de me rendre compte que les choses semblent aller dans le bon sens. Elle a une famille maintenant et elle semble malgré tout ce qui s’est passé heureuse. Elle ne parle plus de maison vide, de supplier une belle mère... Non. Elle parle de retourner à Franceville quand elle aura du temps, elle parle de son frère, de ses nouvelles cousines… Elle n’est plus seule. Elle se découvre. Elle s’apprend. Et je suis à ses cotés parce qu’elle me veut à ses cotés.
Son téléphone vibre sur la table. J’y jette un coup d’œil. Je ne connais pas le numéro qui d’affiche mais ce qui est sur c’est que je sais d’où vient l’appel. D’Inde. Je prends le téléphone.
Est-ce que tout leur cirque doit recommencer ? Les pleurs ? Le pardon, puis l’amertume ?
Elle est heureuse là. Oui. Et un grand destin l’attend. Elle va faire des merveilles pour ce pays et je veux voir cette femme m’aimer. Je coupe l’appel, l’efface dans la mémoire et éteins son téléphone.