Choitre 22
Write by leilaji
LOVE SONG
Tome II
(suite de Xander et Leila + Love Song)
Alexander
Episode 22
Avec des aveux, tout va tellement vite. C’est la première fois que je fais face au système judiciaire de mon pays. Je suis en détention provisoire et mon procès aura lieu dans exactement deux mois. Je ne sors pas beaucoup de ma cellule contrairement à certains détenus ici qui reçoivent la visite de mère, femme et enfants. Je ne me plains pas car j’ai quand même droit à celles de ma mère. Si j’accepte ses visites, c’est parce qu’elles me permettent d’avoir des nouvelles de ma fille. Penser à Puja m’aide à garder la tête hors de l’eau. Je ne sais pas si un jour elle pourra me pardonner ce qui s’est passé avec sa mère. Je ne la lui ai peut-être pas ôtée de mes mains mais ce qui s’est passé est de ma faute. A chaque fois que je ferme les yeux, j’ai l’impression de la voir mourir sous mes yeux. Encore et encore. L’image de son corps baignant dans son sang ne me quittera jamais.
Nous sommes dans la salle des visites. Les détenus d’un coté font face aux visiteurs de l’autre coté. Les deux groupes sont séparés par une vitre et on communique par téléphone.
Ma mère prend l’appareil et je fais de même de mon coté. C’est un peu plus difficile avec les menottes aux mains mais j’y arrive. J’ai un œil au beurre noir et peut-être une cote cassée. C’est difficile de se défendre ici contre des personnes qui veulent te faire payer ton statut de privilégié. C’est encore plus difficile lorsque ces mêmes personnes estiment qu’on doit leur présenter des excuses pour les avoir regardé droit dans les yeux. Comment leur en vouloir ? Je suis l’homme de bonne famille qui a toujours eu tout ce pour quoi eux ce sont battus toute leur vie mais qui finit quand même ici. Ma mère ne m’avait pas encore vu avec un œil au beurre noir et une lèvre fendue. J’avais oublié la lèvre fendue. Elle se rappelle à mon bon souvenir à chaque fois que j’ouvre la bouche. Ce serait long de lui expliquer pourquoi je suis dans cet état. Alors je ne dis rien même si ses yeux posent toutes les questions du monde.
— Beti…
— Si c’est pour pleurer, tu peux repartir, je lui fais remarquer dès que je vois les premières larmes rouler sur sa joue.
Elle se reprend aussi vite qu’elle le peut, essuie ses yeux avec son sari. C’est la première fois qu’elle me voit dans cet état, défait et complètement impuissant. Ca doit être dur pour elle. Mais si je laisse ses larmes m’atteindre, je vais m’effondrer. J’ai l’impression de ne plus être vivant. J’ai tellement de colère en moi. Parce qu’au final tout ce gâchis n’est que le résultat du refus d’accepter Leila. Je n’aurai jamais connu Neina si ce n’était l’intervention de ma mère. Notre couple n’aurait jamais été fragilisé par cette relation non désirée que j’aie eu avec Neina. Même si à présent, je ne regrette plus la présence de Puja dans ma vie, je ne peux nier que c’est tout de même un beau gâchis que tout ça. J’ai l’impression que c’était dans une autre vie tellement ça me semble loin.
— J’ai essayé de l’appeler mais personne ne décroche.
— D’appeler qui ?
— Ta femme.
— Ah.
— Pourquoi tu dis « ah » avec ce ton.
— Aujourd’hui c’est ma femme ?
— Devdas. Bass !
— Je t’ai demandée de ne pas intervenir. Pourquoi tu ne comprends pas? A quoi ça sert mère? J’ai déjà tout avoué. C’est bon, passe à autre chose…
— Je ne me demande pas si tu l’as fait ou pas. Mais même si c’est toi, je ne peux pas te laisser là. Tu es mon unique enfant…
Même si je l’ai… fait ? Elle pense que je suis capable d’une telle barbarie ? Elle me croit capable de trancher la gorge d’une femme enceinte par colère? Elle semble lire les questions dans mon regard.
— Tes colères ont toujours été violentes et… Devdas, tu es mon fils, je prendrais toujours ta défense. Tu as rencontré cette femme noire et tout est devenu incontrôlable pour toi. C’est de famille, c’est vrai. Ton père était… très colérique. Tu as d’ailleurs toi-même vu ce que ça nous a fait. Je te comprends. Mais tu as maintes fois allégrement dépassé les limites… pour elle. Je t’ai vu en colère quand elle nous a demandé de partir et on est rentré à Mumbai. Cette colère tu ne l’as pas exprimée. Tu n’as jamais voulu être loin d’elle et tu as gardé ta colère et peut-être que Neina t’a poussé à bout … Je ne sais pas ce qui s’est passé et je ne veux pas le savoir. Mais je ne peux pas te laisser là. J’ai pris un avocat. Mais il est très cher et … Je n’ai accès à rien.
— Mes comptes ont été gelés ici ?
— Oui. Je ne sais même pas si je pourrai hypothéquer la maison.
— Pourquoi ?
— Il y a un contrôle fiscal sur toutes tes entreprises ici. Je crois que c’est le père de Neina qui se venge. Khan Pharmaceutics est accusée par le procureur de vendre à l’extérieur du pays de faux médicaments. L’enquête est en cours. Il est très puissant aussi tu le sais. J’ai pris le meilleur avocat pénaliste de la place mais… Il faut une grosse avance pour qu’il prenne l’affaire, paie qui il faut payer, pour te faire sortir en attendant le procès… Mais tu as encore de l’argent au Gabon alors…
— Donc c’est pour ça que tu l’as appelé ? Pour l’argent ?
Je pose l’appareil sur mon front. Mes mains tremblent et je n’arrive pas à me contrôler. Ma mère tape sur la vitre qui nous sépare pour de nouveau attirer mon attention. Je reporte l’appareil à mon oreille.
— On n’en serait pas là si vous nous aviez laissé tranquille… je murmure doucement.
— Quoi ?
— On n’en serait pas là si vous tous, vous nous aviez laissé tranquille…je répète plus fort.
Les autres détenus se tournent vers moi ainsi que les gardiens. Il y en a deux qui se rapprochent et ma mère me fait signe de me calmer…
— On n’en serait pas là ! Si vous nous aviez foutu la paix.
L’espèce d’hystérie que contient ma voix me fait peur. Je me fais peur. Je suis enfermé pour quelque chose que je n’ai pas fait et tout est en train de s’écrouler autour de moi. Je me force à accepter une situation intrinsèquement inacceptable. Je gère mal.
— Calmez-vous ! ordonne un des gardiens qui s’est placé derrière moi.
Je n’ai pas envie de me calmer. Je veux voir ma femme. Ma putain de femme. Je veux lui dire que je tiens ma promesse, que je la protège. Je veux qu’elle sache que je n’ai trahi aucun serment fait lors de notre mariage. Et maintenant que je suis là, ma mère pense à l’appeler pour lui demander de l’argent ?
J’ai envie de voir ma fille. Je veux voir Puja qui se bat pour survivre.
— Devdas calme toi, supplique –t-elle en tapant sur la vitre.
— On n’en serait pas là, je continue de psalmodier.
Le coup de matraque surprise que je reçois me coupe le souffle. Ma vision se trouble. Je crois que ma mère pleure. De toute manière je ne dois plus la voir. Je risquerai de craquer et de tout lui avouer si je la vois encore pleurer devant moi. Ils s’y mettent à trois pour me faire sortir de la salle parce que je ne me laisse pas faire. Je suppose que je n’aurai plus de visite pendant très longtemps. Ca va me donner le temps de réfléchir. Quand on est enfermé dans une prison, le temps peut paraitre démesurément long, surtout en isolement.
*
**
Le matelas posé sur le sol de l’isoloir a connu de meilleurs jours. Il pue la sueur, les vomissures et je n’ose imaginer quoi d’autre. Le sol n’est pas mieux sinon je me serai allongé par terre. Je me suis collé au mur. Rester debout semblait être la meilleure solution. Malheureusement, après dix heures d’affilées debout, mes jambes peinent à me porter. Je pousse le matelas tout contre le mur et m’assois en collant mon dos au mur. Je ne veux pas que ma tête touche ce tissu douteux. Il doit y avoir des poux et des puces la dessus. J’ai mal aux jambes et surtout je suis fatigué. Le verrou de ma serrure claque. Je ferme les yeux pour ne pas être ébloui par la lumière lorsque la porte s’ouvre. De toute manière, les seules fois où cette porte s’est ouverte c’était pour me balancer l’espèce de vomi de chameau qu’ils servent à profusion avec le pain traditionnel. Je n’en veux pas de leur merde.
— Vous avez la visite de votre avocat pour votre dossier.
— Je n’ai pas d’avocat.
— L’Etat vous en a donné un.
— Je ne veux pas le voir.
— Je ne vous ai pas demandé votre avis. Sortez !
Je me lève et m’avance vers lui. Sur ses gardes, il pose la main sur sa matraque.
— La bastonnade de la dernière fois ne t’a pas servi ? Tu en veux une autre ?
— Vu qu’apparemment tu es seul aujourd’hui, j’aimerai voir comment tu vas y arriver.
— A ta place je ne ferai pas trop le malin sinon tu risques de ne pas sortir vivant d’ici. Les types de ton genre habituellement se débrouillent pour ne pas moisir ici. Mais tu aimes la prison on dirait.
On me fait traverser des dizaines de mètres de couloirs sombres, avant de m’enfermer dans une espèce de cagibi pourvu d’une table et de deux chaises. La table et la chaise du fond sont fixées au sol. Quelques minutes plus tard, une jeune femme entre. Elle a la peau très basanée et a coiffé ses cheveux en chignon strict. Elle porte un tailleur gris pale un peu trop ample pour elle. A sa manière de prendre place face à moi, je sens qu’elle n’est pas très à l’aise. Je fais l’effort de ne pas paraitre intimidant. Je sais que je peux l’être quand je ne suis pas de bonne humeur.
— Est-ce que vous savez pourquoi je suis là Monsieur Khan ?
— Vous perdez votre temps, je lui dis le plus poliment possible.
Pendant toute l’heure qui a suivi c’est tout ce que je lui ai dit.
Mais elle n’a pas lâché l’affaire. Elle est revenue deux jours plus tard, encore plus déterminée.
— Monsieur Khan, aidez moi à vous aider. Vous ne voulez pas sortir d’ici ?
— Non.
— Pourquoi ?
— Pourquoi pas ?
Elle inspire un grand coup, vérifie qu’on n’est pas observé à travers la meurtrière de la porte puis défait la montre à son poignet pour la poser sur la table.
— Croyez-vous au destin Monsieur Khan ?
— Quel est le rapport entre le destin et la prison ?
— Regardez cette montre et dites moi si vous la reconnaissez ?
La montre me semble familière. Mais je ne comprends pas pourquoi je devrais la reconnaitre. Je m’en empare et la tourne. Je peux y lire une inscription : Leila Larba.
— Cette montre a été donnée à mon petit frère par une femme qui a changé sa vie. Elle lui a demandé de l’aide et il la lui a accordée. Puis elle est rentrée à son hôtel pour le payer mais elle s’est rendue compte qu’elle n’avait plus de liquide sur elle. Comme elle a mis du temps dans son hôtel, il a cru qu’elle ne reviendrait pas lui donner ce qu’elle avait promis. Mais finalement, elle est revenue avec son mari. Et elle lui a donné sa montre. Il a aussi volé un téléphone dans son sac mais bon, je suppose qu’elle ne lui en a pas voulu. Il m’a dit que le mari le regardait comme un moins que rien mais que la femme qui travaillait pour Obama a été très gentille avec lui. J’ai cru que cette histoire, il l’avait inventé pour justifier la montre… mais elle est vraie apparemment.
Après avoir entendu ce court récit, les souvenirs remontent à la surface. Ce jour là j’avais eu tellement peur pour Leila, partie dans la ville toute seule. Je prends la montre et la regarde de plus près. Leila adorait cette foutue montre comme s’il s’agissait d’un membre de sa famille. Cette montre était pour elle, un signe distinctif de réussite auquel elle ne voulait pas renoncer. A l’époque, elle ne portait jamais de bijoux mais avait fait exception pour cette montre. Pourtant elle l’a donnée sans regret à un gamin des rues.
Combien de chance avais-je de tomber sur une femme reliée à mon histoire avec Leila. Aucune. Je suppose que c’est pour cela qu’elle parle de destin.
— Monsieur Khan croyez vous au destin ? redemande –t-elle avec le sourire cette fois-ci.
— J’en sais rien.
— Vous devriez. Mon petit frère vous a reconnu dans un journal de faits divers qui trainait par terre. Il ne vous a vu qu’une fois dans sa vie. Mais il vous a reconnu même après toutes ses années. Il vous a reconnu parce que la femme qui était avec vous l’a marqué à vie. Il m’a demandé de vous aider, de venir en aide au mari de cette femme. J’ai du donner de l’argent à mon collègue pour récupérer votre cas.
— Ne faites pas ça…
— Pourquoi ?
— Je suis censé ne pas avoir envie de sortir d’ici alors ne faites pas ça.
— Dites moi ce qui s’est passé. Pourquoi vous avez tué cette femme ? Saviez vous qu’elle était enceinte ? De qui était-elle enceinte ? De vous ? Et votre femme où est-elle ? Dites quelque chose. Laissez-moi-vous aider.
Comme je suis menotté à la table, je frappe dessus du plat de la main pour alerter le gardien devant la porte. Ce dernier entre et me jette un regard méfiant.
— Nous n’avons pas encore fini, intervient la jeune femme pour dissuader le gardien de m’emmener.
— Si.
Je fais signe au gardien de mon souhait d’arrêter l’entrevue. Il s’exécute.
Deux jours plus tard, c’est exactement le même manège, sauf qu’elle semble encore plus déterminée.
— Bon, Monsieur Khan, j’ai bien étudié le dossier et je trouve qu’il y a des points d’ombre.
— Je ne veux pas parler de ce dossier.
— Alors je vais la contacter.
— Quoi ?
— Peut-être qu’elle au moins elle saura vous tirer les vers du nez.
— Je vous déconseille de le faire, je lui ordonne de manière tellement brutale qu’elle prend peur et fait reculer sa chaise.
Je me suis levé et avancé vers elle sans même m’en rendre compte. Mais mes poignets liés par des menottes bloquées sur un anneau fixé à la table, me rappellent douloureusement que je ne peux rien faire.
— Vous êtes menottés. Vous ne pouvez rien m’interdire de faire. Soit vous me dites ce qui s’est passé. Soit je vais la contacter elle. Il doit forcément y avoir son numéro dans votre téléphone. J’y aurai accès.
— Pourquoi vous faites ça ?
— Pour mon frère. Il a mis la montre en gage et on a pu monter une petite affaire qui a payé une partie de mes études. Je le fais pour mon petit frère et lui le fait pour cette femme qui lui a donné une montre.
— Cette femme ne lui a rien demandé que je sache.
— Oui. C’est vrai. Mais il a dit qu’elle vous aimait beaucoup. Qu’elle s’est perdue dans la ville à cause de vous…
— C’est du grand n’importe quoi tout ça. Je ne sais même pas si je peux vous faire confiance. Toute cette histoire peut aussi être un piège.
— Pourquoi parlez-vous de piège ? Vous avez été piégé ? C’est pour ça que vous êtes ici ? C’est elle ? Elle vous a piégé ? Elle ne vous aime plus ?
— Pourquoi posez-vous autant de question ?
— C’est mon travail. Répondez et je n’en poserai plus autant.
— Cette femme se fera tuer si je sors d’ici. Dites-le à votre petit frère. Dites lui que vous avez tout tenté et laissez moi tranquille.
— Racontez-moi et je vous laisse tranquille. Je ne peux pas mentir à mon frère.
— Je vous raconte et vous partez ?
— Oui.
— Je ne sais même pas par où commencer, je soupire en regrettant déjà de m’être avancé la dedans.
— Par le début. C’est encore ça la méthode la plus simple.
Je lui raconte mon histoire. Les souvenirs me viennent de manière chaotique. Le résumé est tellement condensé que je ne sais même pas si elle comprend. A la fin de mon récit, elle ferme les yeux et se frotte le front.
— Cette histoire est complètement folle. Ce n’est pas croyable… Cet homme bluffe, il ne pourra pas tuer votre femme. C’est son héritière.
— Ici, j’ai déjà entendu parler d’hommes qui préféraient bruler leur fille vivante plutôt que de les voir épouser un homme d’une caste inférieure ou d’une religion différente. Vous savez comme moi que c’est tout à fait possible. Il la tuera. Je l’ai vu dans ses yeux.
— C’est vraiment incroyable. Je suis choquée. Parfois la réalité dépasse la fiction.
— Est-ce plus incroyable que vous dans cette pièce avec sur la table une montre donnée à un petit garçon inconnu il y a des années ?
— Vous marquez un point.
— Je vous ai tout dit. C’est à vous maintenant de tenir votre promesse et de vous en aller.
— Je ne peux pas… pas après avoir entendu ça.
Je soupire longuement pour me calmer les nerfs.
— Vos yeux sont en train de changer de couleur. C’est très étrange.
— J’aimerai beaucoup que vous partiez maintenant. Je commence à perdre patience.
— Vous avez intérêt à contrôler votre colère car je ne partirai pas.
— Vous aviez dit que vous partiriez.
— J’ai menti. C’est mon travail de mentir si c’est pour votre bien.
— Partez tout de suite.
Dès lors qu’elle a compris que je n’allais pas réussir à me calmer, elle est partie.
*
**
Pendant une semaine, je n’ai pas entendu parler d’elle. Mais quand je me suis retrouvé à l’infirmerie de la prison après avoir été passé à tabac, elle est revenue.
— Il réagit quand les autres détenus s’en prennent à lui. Il devrait arrêter et faire profil bas, lui explique l’infirmière après avoir augmenté la dose de sédatif. Sinon un jour on le retrouvera mort. Expliquez le lui maitre.
— Vous devez vous raccrocher à ce qui vous apaise quand vous sentez la tension monter en vous. Vous devez canaliser cette colère et la faire sortir quand vous en avez la maitrise. C’est aussi simple que ça. En théorie. Mais la pratique vous demandera concentration et détermination.
— Je n’y crois pas trop.
— Essayez. Faites-moi confiance. Fermez les yeux et pensez à un moment joyeux. Un moment précieux.
Il y en a eu beaucoup. Mais les tous premiers font partis de ceux qui demeurent d’une intensité non égalée. En fermant les yeux, je peux à nouveau entendre les différents bruits de l’eau bruissant dans le jardin d’eau du Taj. Mais la salle des spectacles est l’élément du palais qui m’a le plus pris de temps et d’efforts de la part des architectes indiens que j’ai fait venir pour l’occasion. Et cette nuit là, je suis rentrée en retard. Je l’y ai retrouvée, complètement saoule mais détendue. Je me disais qu’elle serait en colère contre moi mais non. Elle riait toute seule comme une petite fille en allumant des bougies. Ses magnifiques cheveux relâchés lui tombaient très bas dans le dos. Elle était belle ce soir là. Habillée d’un sari et d’un chori blanc qui laisse son ventre à découvert. Ses chevilles nues, ses poignets, son cou, ses cheveux sont recouverts de parures en or offertes pour son anniversaire.
— Tu as vu, je les ai portés, a-t-elle dit en faisant bouger ses poignets.
— Je vois ça.
Leila n’aime pas les bijoux en or, surtout s’ils sont trop clinquants. Mais dans ma culture, les femmes en portent beaucoup. L’or est très prisé car selon nos croyances populaires, il purifie tout ce qu’il touche.
— T’es saoule mera dil ?
— Je crois que oui… Mais je n’en suis pas sure.
— Si tu n’es pas sure d’être saoule Leila, c’est que tu l’es.
— J’ai bu une coupe puis une autre coupe puis une autre encore en attendant. Xander il est une heure du matin et c’est notre anniversaire de mariage. Tu as oublié.
Les mains dans les poches, je l’ai longuement observée. Elle s’est détournée de moi et a continué tranquillement à allumer l’une des centaines de bougies encastrées dans les murs.
— Tu fais ça depuis quand ?
— Ca va bientôt faire vingt-huit minutes.
— Tu es déterminée on dirait… Tu sais que ce serait plus simple d’allumer les lustres.
— Oui mais ce sera moins romantique. Regarde comment chaque petite flamme se répercute en ombre et lumière sur le marbre.
— Leila, tu n’es pas romantique.
— Mais toi tu l’es, alors tais toi et laisse moi finir. Il n’en reste plus que trois.
Je l’ai laissé finir. Elle s’est ensuite emparée d’un plateau plein de poudres de couleur différentes.
— Pour une fois que ce palais, qui au passage est un vrai gouffre financier, sert à quelque chose, a-t-elle marmonné en vérifiant les poudres sur le plateau.
— Qu’est-ce que tu fais Leila ?
— C’est Holi. Karisma m’a un peu briefé dessus au téléphone.
— Comment va-t-elle ?
— Bien. Tu as vu c’est le destin ça, a-t-elle dit me faisant remarquer que je portais une chemise blanche.
— Le destin … L’alcool te va bien.
Une main sous le plateau, elle m’a lancé un peu de poudre verte.
— Bura na mano, Holi hai (ne sois pas fâché, c’est holi).
— Je ne le suis pas.
— Du vert pour l’harmonie. L’orange pour l’optimisme. Le bleu pour la vitalité et enfin…
— Le rouge pour la joie et l’amour… ai-je complété quand elle m’a barbouillé la joue de rouge.
J’ai à mon tour pris toutes les poudres et je les lui ai lancés pour salir son beau sari blanc. De surprise, elle a lâché le plateau puis s’est couvert le visage de ses mains en riant.
— Xander tu vas gâcher mon maquillage ! Pas au visage, pas au visage.
— T’es belle sans, lui ai-je répondu en écartant ses mains décorées de henné pour mieux la salir.
Elle a tenté de m’échapper mais je l’ai serrée dans mes bras.
— Bon Dieu pourquoi t’es aussi beau Alexander ?
— T’es vraiment saoule, tu exagères.
— Ton visage est tellement parfait… C’est pas juste.
J’ai posé un baiser sur son front.
— Ca te fait plaisir tout ça ?
— Oui, mais fallait pas te donner tout ce mal.
— Tu m’accompagnes à l’église quand je te le demande sans même croire en mon Dieu. Tu viens avec moi aux mariages traditionnels même si tu n’y comprends pas grand-chose… Tes pas ne s’éloignent jamais bien longtemps des miens. Alors je veux que tu saches que moi aussi je respecte tes croyances, nos différences. Je veux que tu te sentes chez toi, là où je me trouve.
Une voix de miel s’est écoulé des hauts parleurs. Une chanson indienne que je ne connaissais pas.
— J’adore cette chanson…
— Tu ne sais même pas ce que ça veut dire.
— Je m’en fiche.
Elle a lentement bougé ses hanches en rythme et j’ai retenu ma respiration. Ses épaules ont suivi. Elle s’est avancée vers moi, d’un pas très suggestif sans jamais quitter le rythme de la chanson. Elle a caressé ma joue gauche, puis a tourné autour de moi. Ses cheveux me fouettant le visage à chaque tour puisque je la suivais des yeux. Au dernier tour, j’ai réussi à attraper ses cheveux. Elle a baissé les yeux. Et je les ai relâchés pour toucher son visage. Elle a fait un pas vers la gauche puis un pas vers la droite en faisant tinter ses bracelets de pied de manière très maladroite. Elle ne dansait pas vraiment. Elle n’a jamais su de toute manière. Mais ses regards et ses sourires à eux seuls suffisaient à me faire vibrer. Elle semblait tellement heureuse en faisant cliqueter ses bracelets. Sur les derniers accords, elle s’est mise à tourner sur elle-même, les bras écartés, en regardant les mosaïques du haut plafond, faisant ainsi virevolter son sari maculé de poudre de couleur. Je l’ai suivi des yeux, craignant qu’elle n’ait le tournis. Puis quand la chanson s’est arrêtée, elle a fait de même, un sourire éclatant aux lèvres. J’étais assez proche d’elle pour glisser mon bras sous ses reins quand elle a légèrement tangué, saoule de bonheur.
— C’est l’alcool ça.
— Non, c’est toi. En allant acheter ce champagne, j’ai rencontré un ex.
— Leila…
— Non, écoute. Je sais que tu n’aimes pas parler de mes ex. Il m’avait dit quand on sortait ensemble, que je ne serai jamais heureuse. Il avait dit que j’étais trop hautaine, trop cérébrale, trop indépendante pour qu’un homme s’attache à moi. Quand il m’a vue, ses yeux étaient braqués sur mon alliance. Comme s’il ne pouvait croire que homme soit assez fou pour m’épouser. Mais aujourd’hui, on est ensemble Alexander… Je n’arrive pas à le croire.
— Pourquoi tu dis ça…
— Avec tout ce qui nous sépare, on est ensemble. Je reviens de loin et toi aussi. Je veux dire… C’est forcément le destin non ? Toutes ces différences et pourtant, on est ensemble et on est heureux.
— On est comme Holi.
— C'est-à-dire ?
— C’est une fête sacrée. C’est le jour où toutes les castes se mêlent. La société n’est plus divisée et tout le monde fête ensemble. On se jette des couleurs, on oublie les problèmes du quotidien et on fête. On peut tout se dire sans répercussion. L’employé qui a s’est incliné toute l’année devant l’employeur, l’élève qui s’est incliné devant le maitre… tout le monde peut tout se dire sans en subir les conséquences.
— Puisqu’aujourd’hui c’est Holi, qu’on peut tout se dire et … je suis ivre… Pendant tes voyages… Tu ne fais rien n’est-ce pas ?
— De quoi tu parles ? Sois plus claire mera dil.
— De femmes.
— Pourquoi est-ce que moi je te fais confiance en te laissant seule ici et toi tu ne peux faire de même ?
— Tu es un homme. On ne peut pas vous faire confiance…
— Et comment peux-tu en être si sure ? Ne gâche pas ce que nous ressentons l’un pour l’autre avec de la suspicion. S’il te plait. Je ne le mérite pas.
— Tout mon instinct de conservation, de survie me hurle de …
— Oublie ! Pas avec moi.
La chanson a repris. Elle a fermé les yeux.
— N’est-ce pas qu’elle est belle cette chanson ?
— Comment peux-tu la trouver belle ? Tu ne la comprends même pas.
— Explique là moi…Que dit-elle ?
J’ai tendu l’oreille pour écouter.
— Kehte Hain Yeh Deewani Mastani Ho Gayi .
— Ce qui veut dire?
— Tout le monde dit que Mastani est devenue folle d’amour.
— Mastani ?
— C’est un prénom.
— Donc si je dis « Kehte Hain yeh Deewani Leila Ho Gayi », est-ce que tu comprends ?
— Tu le prononces mal mais je comprends.
Elle a récupéré la bouteille de champagne posée sur le sol et en a bu un peu au goulot. Puis elle m’a tendu la main.
— Tes yeux sont en train de changer de couleur bébé.
— Et tu sais très bien pourquoi.
Elle a penché la tête sur le coté et m’a fixé en souriant, l’air de réfléchir.
— De la colère ou du désir ? m’a-t-elle demandé en buvant encore un peu.
J’ai tiré sa main et son corps s’est violemment collé au mien. Je l’ai embrassé assez fiévreusement pour qu’elle devine quel sentiment m’animait en ce moment là. Ses lèvres avaient un divin gout d’alcool. Mes mains se sont agrippées à ses fesses puis je les ai passés sous ses cuisses pour l’aider à passer ses jambes autour de moi. J’avais envie de la prendre contre un mur de l’immense salle. J’avais envie de me perdre en elle. Une autre chanson a débuté. Une rumba gabonaise. Elle a éclaté de rire et j’ai compris qu’elle avait elle-même tenté de mixer la musique.
— Le lit ou ici ?
— Le lit bébé. Non ici, le lit est trop loin. Non le lit, le sol est froid.
— OK.
— Il faudrait peut-être que je descende.
— Pourquoi ? ai-je réussi à murmurer entre deux baisers.
— Il faut que j’éteigne les bougies.
— Pas le temps.
— Ton magnifique palais va bruler…
— Qu’il brule, je ne te lâche pas. On va dans la chambre.
— S’il brule, on va bruler avec Alexander.
— Qu’on brule avec alors… Un destin tragique c’est romantique.
— T’es fou !
Et tandis que je nous faisais sortir de la salle de spectacle pour rejoindre notre chambre, elle m’a demandé avec le plus grand sérieux:
— Ce mot est parfait pour nous, tu ne trouves pas ?
— Lequel ?
— Deewani … (folie)
*
**
Je pense sincèrement que je n’oublierai jamais ce jour. Je suis rentré très en retard sans aucun cadeau pour elle mais elle n’y a pas prêté attention. Peut-être était-ce l’époque où j’ai appris la maladie de Puja, je ne le sais même plus. Tout ce qu’elle voulait, c’est que je me sente chez moi, avec elle. Je lui ai dit que j’attraperai les roses à pleine main malgré les épines pour qu’elle puisse profiter des fleurs. C’est ce que je suis en train de faire. Je la veux saine et sauve. C’est tout ce qui compte. Au Gabon, je ne suis pas chez moi et je suis convaincu que son grand-père est quelqu’un de réellement dangereux. Je ne veux pas le tester, réagir sans réfléchir et la voir souffrir elle.
— C’est à elle de choisir. Vous n’avez pas le droit de lui ôter ce choix.
— Je la protège.
— Elle est assez grande pour se protéger elle-même. Que pensez vous qu’elle va se dire quand elle saura qu’elle vous a accusé à tort. Il n’y a rien de pire que les regrets Monsieur Khan. Et s’il vous arrive quelque chose ? Elle s’en voudra. Parce que si vous restez ici avec votre tempérament tout feu, tout flamme, vous allez vous faire tuer ! Quand elle apprendra la vérité sur ce qui s’est réellement passé, et si je crois avoir discerné sa personnalité, elle ne sera jamais en paix. Vous allez la laisser avec des regrets et de la culpabilité. Et vous vous seriez sacrifié pour rien. Si c’était elle à votre place, elle n’aurait pas baissé les bras. Vous, vous l’avez fait.
— Je n’ai pas baissé les bras.
— Si. Elle est tombée amoureuse d’un homme fort, qui dirigeait presque un empire. Restez cet homme. Si ce n’est pour vous, pour elle.