Chapitre 21: Le royaume du maître
Write by Lalie308
* 1 an et deux mois plus tard *
Le pouvoir de Poïsdon avait grandi de jour en jour au cours des derniers mois. Il avait réduit au silence toute la planète Nelca, imposé un nouveau style de vie aux peuples. Plus personne n'osait parler ou même penser du fond de son cœur. Le royaume de la lune était en pleine éclipse, une extinction. Hongust ainsi que toute l'élite avaient réussi à garder les survivants avec eux, cachés.
Pourtant, ils savaient que Poïsdon pouvait les retrouver sans effort, qu'il attendait sûrement le bon moment pour attaquer. Fiona et Lysga n'avaient plus prononcer autre mot que ceux exigés par leur maître au cours de toutes ces années. Luz et Cody n'avaient pas quitté le monde des dieux, alors que leurs corps étaient toujours préservés. Luz s'était renfermée, priant la lune que son fils s'en sorte.
Solenna s'enferma dans une chambre, s'adossa au mur pour prendre une longue inspiration. L'heure avait sonné. Lysga avait eu dix-huit ans hier et elle était au courant du plan de Poïsdon. Après avoir entendu une conversation entre Célesta et Nerdy des mois plus tôt, elle s'était promis d'être prête pour rendre visite à Lysga.
Elle voulait que ce soit la veille, afin qu'aucun autre événement ne le corrompe après son départ. Elle s'était entraînée, elle n'avait pas abandonné.
Avec la plus grande discrétion possible, elle avait appris plusieurs nouvelles choses au cours des derniers mois, elle avait tout prévu : trois minutes pour masquer son aura dans le royaume de Poïsdon afin qu'il ne sente pas sa présence, une protection de douze heures avec Lysga pour passer assez de temps avec lui, ses plans secours.
Après avoir respiré une dernière fois, suffisamment profondément pour se donner le courage dont elle avait besoin, elle disparut. Une fois dans le royaume de Poïsdon, elle apparut derrière une des résidences. Elle ne devait pas se faire repérer par les diabolos et les malatus. La mort d'un seul d'entre eux pouvait alarmer Poïsdon.
Elle jeta un coup d'œil au chronomètre qu'elle avait déclenché sur la montre en plante qui entourait son poignet ; elle avait moins d'une minute pour retrouver Lysga avant que son camouflage ne disparaisse. Elle avait tout préparé, tout sauf ce qu'elle lui dirait. Elle voulait improviser, ignorant l'état actuel de Lysga qu'elle n'avait pas vu depuis très longtemps. Ayant été repéré par un groupe d'humains lors de son moment d'égarement, elle retint sa respiration, redoutant le pire, redoutant que son plan ne tombe à l'eau aussi vite.
D'une main tremblante, elle posa son index sur ses lèvres afin d'implorer leur silence. Ils se détournèrent rapidement, reprenant leurs vies fades. Solenna se mordit la lèvre supérieure, se reprochant d'avoir baissé sa garde aussi vite. Elle n'avait plus qu'une minute pour retrouver Lysga, mais elle ne savait absolument pas où il pouvait se trouver. Hésitant, elle disparut pour atteindre l'antre de Poïsdon, se postant à quelques mètres de la porte. Elle n'avait aucune certitude de la puissance de son camouflage, et encore moins de fiabilité d'être aussi proche de lui. Lorsqu'elle vit Lysga et Fiona émerger de la salle, elle entama la seconde phase de son plan. Elle n'avait pas droit à l'erreur.
*
— Je ne la trouve nulle part, déclara Brad, le cœur battant à tout rompre.
— Elle doit bien être dans les parages, le calma Hongust en vérifiant une dernière fois les couloirs.
Ils avaient passé les trente dernières minutes à chercher Solenna. Elle n'avait jamais disparu ainsi.
— J'aurais dû me douter qu'elle tenterait quelque chose, elle a trop vite baissé les bras, geignit Brad en se tirant les cheveux.
— Calmons-nous, on ne sait pas si elle a tenté quoi que ce soit, tempéra Nerdy, sans croire lui-même à ce qu'il disait.
— Elle a certainement dû entendre quand on parlait du dernier rituel, comprit Célesta, les bras croisés.
Ils étaient tous différents. Célesta avaient coupé ses cheveux en carrés, elle avait un visage plus dur et pâle. Les autres n'avaient pas l'air mieux.
— Je vais la chercher, annonça Brad.
— Non, non, tu ne peux pas faire ça, avança Nerdy. Quoi que Solenna ait en tête, elle serait plus en danger si on s'en mêlait. N'oublie pas que Poïsdon a connaissance de nos moindres mouvements.
— Raison de plus, aboya Brad.
— Tu ne peux pas faire ça, insista Nerdy.
Brad les regarda tous, comprenant qu'ils approuvaient avec la décision de Nerdy.
— S'il lui arrive quoique ce soit... vous me le paierez tous, les menaça-t-il avant de les laisser.
*
Lysga était debout près de la fenêtre de sa chambre, observant les peuples en bas. Ses longs cheveux noirs aux pointes blanches étaient attachés sur sa nuque. Il portait une combinaison aussi noire que la totalité de sa chambre.
Les marques ressortaient beaucoup plus sur son visage, lui donnant un air mystérieux, ténébreux. Solenna apparut dans la pièce en lançant le second chronomètre. Posant son regard sur l'homme en face d'elle, elle sentit son cœur battre à vive allure dans sa poitrine. Il était là, en face d'elle, Lysga.
— Lysga, appela-t-elle de sa voix devenue beaucoup plus fine qu'auparavant.
Il se tourna vers elle, le regard vide. L'être qui l'observait n'avait plus grand-chose de celui qu'elle avait connu, il était absent. Même mort, pouvait-elle penser. Elle marcha lentement vers lui, essayant de prendre le dessus sur ses émotions, de prendre le contrôle sur ses pulsions. Elle avait une mission, elle ne concevait pas d'y échouer.
S'arrêtant à quelques mètres de l'héritier, elle plongea son regard dans le sien, à l'affût d'un minuscule signe qu'il était encore là. Il la fixa, de la même que manière que lorsqu'il voulait lui faire du mal. Il marcha vers elle, l'air menaçant. Il finit par s'arrêter à quelques centimètres d'elle. Sa posture ne donnait qu'une impression : qu'il était prêt à bondir sur sa proie ! Déglutissant difficilement, elle prit sa main dans la sienne. Sa main était froide. Il ne répondit pas à son toucher, demeurant impassible.
— Je sais que tu es là. Je veux juste que tu m'écoutes. Tu as dit que nous étions amis. Et seuls des amis peuvent avoir un accès réel au cœur l'un de l'autre. Aucune de ces ombres ne te connait. Elles n'ont pas plus de contrôle sur toi que tu ne leur en donnes.
Elle caressait tendrement sa main en parlant, voulant lui communiquer toute son affection.
— Je t'ai promis dans les pires moments que je serai toujours là, que je trouverai toujours un moyen pour t'aider. Alors je suis là, Lysga.
Elle passa tendrement sa main sur sa joue en le fixant toujours aussi profondément.
— Tu dois être en harmonie avec ta personne pour que ton environnement le soit avec toi, souffla-t-elle pour imiter le gardien de la luna luminosa.
Fermant ses yeux, elle fit apparaître des images dans l'esprit de Lysga. Il pouvait se revoir dans ce monde imaginaire qui était censé le guérir, l'aider à aller mieux. Il avait laissé Solenna l'y rejoindre. Elle lui avait parlé ce jour-là, elle l'avait aidé :
— Je sais que tu es perdu, lui disait-elle. Essaie juste de faire le vide alors. De tout oublier. De vider ta tête. Tu ne peux pas construire si tu ne détruis pas l'ancienne gîte (maison), avait-elle dit.
Le décor se changea. Solenna et lui se trouvaient à la rivière du village de Nelca.
— Pourquoi penses-tu si fervemment que je suis une bonne personne Lena ? l'avait-il interrogé.
— Parce que je le sais. Et parce que tu me le prouves.
Il avait laissé échapper un rire sarcastique.
— Comment t'ai-je prouvé ça ? En t'attaquant ? En tuant ta mère ? avait-il ironisé.
— En étant toi. Tu ne l'as sans doute pas remarqué Lysga, mais depuis le début tu te bats et tu es là maintenant en face de moi. Et ça, ce n'est pas rien. Ça veut bien dire que quelque part, tu sais qui tu es et qui tu ne veux pas être et le fait que tu ne sois pas avec Galista maintenant, que tu aies eu assez de force pour échapper à cette femme qui t'a fait sa possession avant même que tu ne naisses, ça prouve que tu es quelqu'un de bien Lysga.
Lysga ouvrit ses yeux, de nouveau face à Solenna qui le scrutait de ses grands yeux verts.
— Et de fort, ajouta-t-elle dans un murmure.
Elle sentit les doigts de Lysga trembler dans sa main, et décida donc de resserrer son emprise.
— Je suis ton amie, lui intima-t-elle. Pas ta maîtresse, ta démone, ta reine ou rien dans ce genre. Je suis ton amie Lysga. Et je veux partager ta lumière. Je veux la faire briller plus fort, afin de courir avec toi, loin des ombres.
Une larme roula le long de la joue de l'homme en face d'elle. Elle lui adressa un sourire tendre et réconfortant.
— J'ai tué ma mère, annonça-t-il si bas qu'elle dû tendre l'oreille pour l'entendre.
— Poïsdon l'a fait, pas toi. Tu aimais ta mère. Tu l'aimes, objecta-t-elle tendrement.
— Ce n'est pas ce que j'ai revécu incessamment au cours des derniers mois, répliqua-t-il.
Elle plaça ses mains sur ses joues, le poussant à la regarder droit dans les yeux.
— Il veut que tu te sentes coupable. Tu es innocent. Innocent du sang de ma mère, de la tienne, de ton père, de tous. Tu es innocent, insista-t-elle.
Les larmes de Lysga coulaient à profusion. Il n'avait plus pleuré depuis la mort de Luz. Tous les sentiments qu'il avait réussi à refouler le secouaient fortement, le vide que tous ces événements avaient créé en lui s'agrandissait.
Il enterra sa tête dans le creux du cou de Solenna qui était plus petite que lui. Elle plongea sa main dans ses cheveux, caressant doucement son scalpe.
— Voici le Lysga qu'ils ne connaissent pas, celui qui aime les siens et qui rêve que tout s'arrange. Celui qui brille si fort que les étoiles se prosternent devant lui, murmura-t-elle à son oreille.
— Poïsdon te fera du mal, la prévint-il à mi-voix.
— Il ne le fera pas. Tu ne le laisseras pas faire, lui promit-elle. Il ne sait rien de ce qui se passe ici, j'ai réussi à brouiller les pistes. Fais-moi confiance Lysga.
Il se redressa pour la considérer pendant un instant. Une lueur d'espoir illumina Solenna lorsqu'elle crut le voir à travers son regard.
— Je veux te voir sourire Lysga.
Il fronça les sourcils, le nez rouge.
— Allez, l'encouragea-t-elle.
Après quelques secondes d'hésitation, ses lèvres se tordirent en un petit sourire. Il se sentait plus fort, plus capable de faire sa loi sur les ombres en lui.
— Voilà. Ils ne pourront jamais savoir ce qu'est un sourire de Lysga. Ils ne te connaissent pas.
Il lui prit les mains en la fixant toujours.
— Je ne comprends pas pourquoi tu t'accroches autant. Et encore moins pourquoi tu ne viens que maintenant.
Il parlait calmement, lentement. Elle trouvait cela être un gros effort, elle savait combien il se battait pour parler par lui-même.
— Primo, ne me dit pas tu es sourd et que tu n'as rien entendu de tout ce que j'ai dit tout à l'heure. Je m'accroche parce que tu t'accroches. Parce que j'ai foi en toi. Deuzio, il m'a fallu du temps pour mettre tout en place. Mais je suis là maintenant Lysga.
— Je sais, souffla-t-il. Demain, je dois faire la dernière étape, tu es là pour m'en dissuader, ajouta-t-il un peu froidement.
Elle perdit ses moyens pendant un instant lorsqu'il retira ses mains.
— Oui, je ne te le cache pas. Je suis ici à cause de cette étape, mais pas pour t'en dissuader. Je sais que ce n'est pas ta volonté.
— Galista s'est offerte en sacrifice pour lui, il est puissant. Je ne peux rien faire contre lui.
— Si tu peux.
Après un lourd silence, elle reprit :
— Les gens parlent beaucoup de tes yeux. Un œil noir et un œil bleu. Ils t'appellent l'œil bleu parce que le nom l'œil noir les effraie. Ils le disent sans comprendre le miracle que tu es. Ton œil bleu est clair, pur, bon. C'est le signe que malgré tout, tu es resté, que tu es là quelque part. Ton œil bleu montre que tu es un survivant, qu'ils n'ont pas pu t'avoir complètement. Ce bleu est le reflet de la vie, de la vérité que rien ne peut troubler.
— Oh Lena, soupira-t-il en souriant inconsciemment.
Il se laissa tomber contre le mur pour s'asseoir en l'observant.
— Promets-moi que tu ne me détesteras pas.
Elle s'assit près de lui pour poser sa main sur la sienne.
— Jamais, souffla-t-elle. Et tu ne me donneras même pas de raison de te détester.
Elle lui adressa un sourire lumineux.
— Comment vont les autres ? lui demanda-t-il enfin.
Elle sourit de plus belle, ravie qu'il soit intéressé.
— Le gilma se soucierait-il d'autres êtres que lui ? le taquina-t-elle, lui arrachant un nouveau sourire.
Il roula des yeux.
— Ça ne va pas fort, ils ont constamment peur, lui avoua-t-elle.
— Qui n'aurait pas peur ?
— Et Fiona ?
— Elle est... perdue. C'est comme être dans son corps, assisté à tout autour de soi, ressentir, mais ne pouvoir rien y faire, être pieds et mains liés.
— Hum...
Elle laissa tomber sa tête sur son épaule, à court de mots. Elle pensait en avoir dit assez. Elle espérait en avoir dit suffisamment. Des heures de silence plus tard, Solenna s'assoupit. Lysga la fit allonger dans son lit puis s'assit dans un coin pour l'observer dormir. L'observer l'apaisait, l'aider à se battre. Dès l'aurore, il se leva silencieusement. Regardant une dernière fois Solenna, il parla :
— Ne me déteste pas. Je dois accomplir ma destinée.
Sur ces mots, il s'en alla, espérant qu'elle se réveille à temps pour s'en aller. Plus il s'éloignait de la chambre, plus il se sentait noyer de nouveau. Il ne lutta pas, se contentant de marcher jusqu'à l'antre de Poïsdon. Ce dernier, installé comme à son habitude dans le trône le regarda avec des yeux brillants dès son entrée.
— Le grand jour est arrivé, se réjouit Poïsdon.
Silencieusement, Lysga s'agenouilla en face de lui. Il connaissait la septième étape.
— Et enfin, commença Poïsdon en se levant et marchant vers lui.
Lorsqu'il s'arrêta, il jeta un coup d'œil à Fiona qui se trouvait dans un coin de la pièce.
— L'héritier vivra dans le maître, et le maître vivra en lui, annonça-t-il solennellement. Il est temps d'en finir mon cher Lysga. Tu es prêt. Prêt pour m'aider à accomplir ma destinée, à régner en toute suprématie. Ton âme est mienne, à présent elle sera dans la mienne.
Le ciel à l'extérieur prit une teinte sombre. Des battements de tambour se mirent à nouveau à résonner sur toute la planète. Les jils étaient déchainés, tourmentés. Effrayés, tous les résidents du royaume s'enfermèrent. À la cité, ils savaient également que quelque chose n'allait pas. Vérifiant maintes fois qu'il n'y avait aucun accès possible aux souterrains via l'extérieur, ils restèrent groupés et sur leurs gardes.
Solenna se réveilla, jetant des regards un peu partout. Elle se leva en sursaut.
— Lysga ? appela-t-elle.
Un regard au ciel sombre par la fenêtre, elle comprit qu'il était l'heure. Courant de toutes ses forces pour retrouver Lysga, elle tomba sur des malatus. S'arrêtant pour prendre le dessus sur sa peur, elle fit apparaître plusieurs boules de lumière qui désintégraient les malatus. Elle était consciente que les diabolos se joindraient bientôt à eux. Elle ne pouvait en venir à bout toute seule et retrouver Lysga à temps.
Éblouissant les créatures avec un épais faisceau lumineux, elle disparut. Un coup d'œil au chronomètre montra qu'elle avait encore plus de six heures de camouflage à sa portée. Elle courut fort, vite. Une fois à l'entrée de l'antre de Poïsdon, elle entendit des incantations. Par la fenêtre derrière elle, le spectacle des jils en fureur se présentait à elle. Nelca ressemblait à l'enfer. Elle posa sa main tremblante sur la poignée. Soudain, elle entendit la voix de Célesta lui parvenir par télépathie.
— Où es-tu Lena ? Je ne t'ai pas contacté hier, car je me disais que tu étais dans une situation délicate. Mais là, quelque chose se passe, reviens.
Respirant lentement, elle colla son oreille à la porte pour entendre ce qui se passait de l'autre côté. Le silence. Elle ne pouvait rien entendre. Elle répondit rapidement à Célesta :
— Je suis... avec Lysga.
— Comment ça tu es avec Lysga ? Ne me dis pas que tu as rejoint Poïsdon.
— Je te parlerai plus tard Célesta.
Après ça, elle ignora tous les messages venant de la déesse. Elle devait agir maintenant. Poïsdon ferait du mal à Lysga si elle ne faisait rien. Poussant les doubles battants, elle découvrit Lysga à genoux en face du maître. Un triangle noir brillant les entourait. Poïsdon avait les yeux fermés, mains sur les épaules de Lysga.
Une chaleur insupportable régnait sur la pièce. Elle pouvait entendre des murmures à travers les murs. Fiona était immobile dans un coin, aussi vide que Lysga l'avait décrit. Toujours paralysée et les yeux gros, Solenna ne put s'empêcher de crier le nom de Lysga. Ce dernier entoura ses bras autour du cou de Poïsdon qui ouvrit brusquement ses yeux.
— Ma ciò chì fate (Mais que fais-tu ?) s'indigna Poïsdon en essayant de reculer.
Lysga lui adressa un sourire.
— J'accomplis ma destinée.
Au fur et à mesure qu'il parlait, ils s'enfoncèrent progressivement dans le sol, comme aspirés par celui-ci.
— Mes pouvoirs, où sont mes pouvoirs ? grogna Poïsdon en essayant d'échapper à l'emprise de Lysga.
— Nos pouvoirs, mon maître. Je ferai encore mieux que le sacrifice que vous attendiez, je nous envoie dans votre royaume réel.
— Quoi ? Non !
Poïsdon criait. Lysga resta neutre, se laissant enterrer.
— Non, Lysga, ne fais pas ça !
— À dieu Lena, souffla-t-il avant qu'ils ne disparaissent avec pour dernières notes les hurlements de Poïsdon.
Solenna respirait bruyamment, les yeux gros en pleurant.
— Non, Lysga. Lysga ! criait-elle en courant vers le lieu.
Elle tomba à genoux en pleurant de plus belle. Elle avait compris ce qu'il venait de faire. Il s'était sacrifié pour le peuple, au lieu de se sacrifier pour Poïsdon. Elle n'avait aucune idée d'où il pouvait être.
Les cheveux de Fiona à ses côtés devinrent purement blancs, comme ceux des nelcaliens. Ses yeux retrouvèrent leur couleur verte et les marques sur son visage disparurent. Regardant autour d'elle, elle finit par poser son regard sur Solenna.
— Solenna ?
Elle regarda aussi Fiona, fronçant les sourcils face à sa nouvelle apparence. Fiona se toucha les bras, ferma les yeux puis les rouvrit. Elle avait enfin pleine possession de son corps, elle se sentait libérée, réveillée d'un long sommeil qui était une suite de cauchemars. Elle marcha jusqu'à Solenna puis s'assit près d'elle.
— Pourquoi a-t-il fait ça ? Où est-il allé ? Est-il... mort ? pleura Solenna en serrant fortement les poings.
Fiona, le visage triste revit les images du moment qui venait de passer.
— Il s'est condamné avec lui. Dans le royaume des ténèbres, déclara-t-elle d'un ton monotone.
— Comme... en enfer ? s'étrangla Solenna.
L'expression de Fiona lui accorda sa réponse. Elle n'eut pas le temps d'éclater en sanglots qu'elle entendit des cris à l'extérieur.
— On trouvera une solution Lena, allons au moins faire en sorte que le sacrifice de Lysga ne soit pas vain.
Elle prit la main que la nouvelle Fiona, la vraie Fiona lui tendit. Elles apparurent dans la cour du royaume. Les malatus disparaissaient tous, en fumée. Pourtant, les diabolos avaient l'air aussi déchaînés que lors de la dernière attaque au village de Nelca. Le ciel était de nouveau bleu, Nelca semblait renaître de ses cendres.
— Célesta, on a besoin de renfort, indiqua Lena à Célesta par télépathie.
Se concentrant, elle fit apparaître plusieurs boules lumineuses qui étaient directement projetées sur les yeux des diabolos qui s'écroulaient. Les gens couraient dans tous les sens, effrayés.
— Battez-vous, personne ne le fera pour vous, hurla Solenna en colère.
Quelques-uns se réfugiaient dans les résidences tandis que d'autres se joignaient aux deux nelcaliennes pour mettre les diabolos hors d'état de nuire. L'élite apparut assez tôt. Brad courut vers sa fille. Elle disparut pour apparaître au dos d'un diabolo qui se dirigeait à vive allure sur son père et lui retira les yeux avant d'apparaître à nouveau au sol.
— On n'a pas le temps pour les causettes maintenant papa, lui dit-elle en se jetant sur de nouveaux diabolos.
Jetant un coup d'œil à Hongust, Brad appuya sur sa montre pour sélectionner des armes parmi la sélection qui apparut avec l'écran virtuel. Il tira sur deux harpons qui s'accrochèrent aux yeux des créatures. Fiona, ayant retrouvé sa flexibilité et le contrôle de ses pouvoirs se déplaçait rapidement et précisément pour mettre un terme à la vie des créatures. Nalu poussa un long cri d'appel. Soudain, des milliers de jils se jetèrent sur les créatures pour leur arracher les yeux de leurs pattes aux ongles pointus.
Des heures de bataille plus tard, des centaines de diabolos morts jonchaient les lieux. Tous les combattants respiraient bruyamment en se regardant les uns les autres. Quelque chose dans le regard de Solenna effraya Brad. Elle portait une colère sourde que la bataille avec les diabolos n'avait pas suffi à éteindre. Ils observaient Fiona.
— Fiona ? appela Célesta, soulagée de la voir normale.
Elle n'arrivait pas à croire qu'elle était en face d'elle.
— Célesta, répondit-elle avec un petit sourire.
Lorsque son regard croisa celui de Nerdy, elle le détourna, honteuse.
— Il est temps de rentrer, nous ferons une partie du chemin ensemble avant de nous séparer pour aller soit à la cité ou au village, annonça Célesta.
Ils se mirent donc à marcher pour quitter le royaume de Poïsdon. Le soulagement était clairement visible sur leurs visages.
— Pourquoi les diabolos n'ont-ils pas disparu ? demanda Brad, pour briser le silence pesant.
— Ce ne sont pas des créatures de Poïsdon, il les possédait juste, lui expliqua Nalu.
— Et Lysga ? demanda enfin Nerdy.
L'air sombre de Solenna le fit regretter sa question. Elle s'arrêta brusquement, poussant tout le reste à s'arrêter puisqu'elle se trouvait devant avec l'élite. Elle serra fortement les poings en observant ses pieds.
— Lena ? l'appela son père.
Elle releva brusquement sa tête pour faire face au peuple.
— Vous tous, bandes d'ingrats, cria-t-elle. Vous n'avez jamais su l'aimer, l'aider, le soutenir. Il a toujours été un démon pour vous, bandes de parfaits. Vous, vous n'avez aucun défaut, n'est-ce pas ? Vous êtes tous de bonnes personnes, n'est-ce pas ?
Elle éclata d'un rire jaune.
— Aucun de vous, aucun ne lui arrive à la cheville. Il s'est sacrifié pour vous, pour vous ! pleura-t-elle en colère. Et que faites-vous ? Vous vous réjouissez de sa disparition, bandes d'hypocrites, d'ingrats. Qu'allez-vous faire à présent ? Reprendre vos vies paisibles comme si de rien n'était, alors qu'il a souffert toute sa vie et continue de souffrir. Vous méritez tous d'être à sa place : en enfer.
Tous l'observaient sans dire un mot. Elle détendit ses mains avant de se retourner brusquement pour poursuivre son chemin sans eux.
*
— Que peut-il bien se passer de l'autre côté ? demanda Luz à Cody tandis qu'ils étaient assis près de la rivière.
Elle avait posé cette question encore et encore. Elle ne reçut jamais de réponse.
— J'ai des nouvelles.
Ils se levèrent rapidement pour se tourner vers Fabos qui venait d'arriver.
— Poïsdon a été expédié en enfer par Lysga...
Un sourire se dessina sur les lèvres de Luz, mais l'air sombre de Fabos lui montra que ce n'était pas tout.
— Avec Lysga.
Elle fit les gros yeux, feignant de s'évanouir quand Cody la soutint par l'arrière.
— Que veux-tu dire ? lui demanda-t-elle en tremblant.
— Lysga et Poïsdon ont scellé un lien. Lysga en a joué pour les condamnés. Il s'est sacrifié, expliqua Fabos, désolé. Tout ce qui était possédé par les ténèbres sur Nelca a été délivré.
— Au prix de la vie de mon fils, termina Luz en fixant le sol.
— Il n'est pas mort, il est juste enfermé en enfer.
— Et que peut-il lui arriver là-bas ? demanda Luz en essayant de ne pas perdre ses moyens.
Fabos ne lui répondit pas, se contentant de fixer Cody. Celui-ci gardait son calme pour ne pas laisser Luz tomber. Il avait besoin d'être fort afin qu'elle soit forte.
— J'ai le droit de savoir, exigea-t-elle.
— Il souffrira pour l'éternité.
Luz ne dit plus rien, se contentant de regarder son père.
*
Solenna était assise en face de la rivière depuis des heures, revivant incessamment sa soirée puis la disparition de Lysga. Elle s'en voulait de ne pas avoir pu le protéger. Lorsque Brad s'installa près d'elle, elle ne lui accorda pas un seul regard.
— Sur les milliers d'êtres vivants sur cette planète, tu as été la seule à croire en lui aussi fervemment, commença-t-il. Tu as une force intérieure si grande que je me demande si tu proviens vraiment de moi.
Elle serra les dents pour ne pas pleurer. Elle avait suffisamment pleuré. Elle ne voulait plus pleurer.
— Il souffrira encore et encore. L'enfer, c'est la souffrance éternelle, affirma-t-elle lentement. Je n'ai pas pu le protéger.
— Tu l'as toujours protégé. Nous sommes ceux qui avons failli à cette mission.
Elle laissa sa tête dans ses mains en pleurant. Elle n'arrivait plus à retenir ses larmes et sa peine face à la situation. Son cœur la brûlait littéralement.
— Oh papa, pleura-t-elle plus fort.
*
La grande porte d'entrée de la maison s'ouvrit. Le regard de Fiona tomba sur celui de Zalina. Elle était déjà prête à recevoir des insultes, de la haine.
— Personne n'est mieux que personne au final. Les vrais méchants sont ceux qui n'apprennent pas à être meilleurs.
Les mots de Zalina la surprirent. Elle s'effaça pour la laisser entrer. Après quelques secondes d'hésitation, elle entra.
— Hala glami, ajouta Zalina avec un sourire. Je suis ravie de vous revoir en vraie.
— Hala, répondit Fiona en lui souriant. Je suis aussi ravie de me voir en vraie.
Après que Zalina lui en ait donné la permission, elle monta jusqu'à la chambre de Nerdy en sentant tout son corps trembler d'appréhension. Elle ouvrit doucement la porte pour le découvrir assis sur son lit, perdu dans ses pensées.
— C'est une première que tu ne fuis pas pour une fois, déclara le nelcalien d'un ton neutre sans la regarder.
Elle ne put prononcer aucun mot, se contentant de le regarder, de s'en vouloir pour tout ce qu'elle avait pu lui faire souffrir.
— Que veux-tu Fiona ? lui demanda-t-il enfin la scrutant.
Elle se sentit désarmée, perdue. Elle avait l'impression que ses yeux verts hypnotiques scannaient son esprit.
— Ton pardon, souffla-t-elle en ne détachant pas son regard.
Nerdy était tout aussi déboussolé qu'elle, incapable de savoir comment il devait se sentir, luttant pour oublier l'image de Fiona qui lui perçait le cœur. Il la voyait à présent tellement vulnérable, il ne savait pas à quoi s'attendre.
— Il n'en a jamais été autrement, se contenta-t-il de lui répondre sur un ton détaché.
Elle prit enfin son courage à deux mains pour enfin parler à cœur ouvert :
— Je suis désolée pour tout ce qui s'est passé. Je n'y arrivais juste plus. Ils étaient plus forts, plus...
Elle se tut pour retenir les sanglots qui secouaient sa gorge. C'était comme se rappeler la douleur si fort qu'elle se propageait à nouveau en elle, c'était comme entendre ses voix à nouveau. Être seule dans sa tête l'effrayait, elle n'en avait pas eu le luxe depuis des années.
— Je n'avais plus de force, Nerdy. Jamais je n'ai voulu te faire de mal, ni à personne d'autre.
— Et pourtant, tu l'as fait...
— Je sais, souffla-t-elle.
Il admira ses cheveux blancs qui étaient d'une brillance sans pareille, ses yeux verts dont il n'avait qu'un souvenir vague, son visage qui n'était plus endommagé par des marques diaboliques.
— Je t'aime.
Il fronça les sourcils, essayant de réaliser ce qu'il venait d'entendre.
— Je suis moi, maintenant. Je te l'assure.
Il se leva pour se rapprocher d'elle. Il ne la toucha pas.
— Comment en être sûre ? lui demanda-t-il, sur la réserve.
Elle prit sa main dans la sienne puis la posa sur sa joue.
— Regarde-moi dans les yeux et dis-moi qui tu vois, lui intima-t-elle doucement.
Il s'exécuta.
— Fiona, chuchota-t-il avec un sourire.
Il l'embrassa tendrement.
— Plus rien ne sera pareil ici, remarqua Nerdy avec une pointe de tristesse. C'est dommage qu'il ait fallu tout ça pour en arriver là.
Fiona le regarda d'un air déterminé.
— Non, plus rien ne le sera. Mais je te jure que je ne laisserai pas Lysga là-bas.
— Et tu as un plan ?
— Lui donner la chance de gouter à la paix, répondit-elle simplement. La paix, voilà mon plan.
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Hello! Je vous annonce que l'œil bleu sera beaucoup plus court que La planète aux yeux, étant donné que c'est un peu une histoire après l'histoire ou une suite.
Merci de lire, voter et commenter.
Lalie