Chapitre 21 : Peines
Write by Alexa KEAS
?
Flashback du rendez-vous avec Bertrand
Je l’ai retrouvé dans un café pas loin de son lieu
de travail et il n’est pas passé par quatre chemins pour me dire ce pour quoi
il m’avait fait appel.
-Bonjour Flora, tu vas bien j’espère ?
-Oui ça va, j’imagine bien ce dont tu vas me
parler, je t’écoute.
-Ok, je ne vais pas tourner autour du pot non plus.
Avant toute chose, j’aimerais que tu saches que
nous deux c’est bien fini et que les raisons qui motivent mon intervention sont
toutes autres. Le passé n’est pas toujours passé, et même si l’on décide de
l’oublier pour mieux avancer, il nous prouve qu’il reste quand même un facteur
déterminant dans notre futur.
-Viens-en au fait !
-Après tout le temps passé avec toi, je te crois
quand tu me dis que tu ne savais rien au sujet de mon lien de parenté avec
Sélom.
-Enfin, ce n’est pas trop tôt ! Avant que tu ne
continues, saches que j’ai bel et bien tourné la page aussi et que ruiner ton
foyer n’a jamais fait partie de mes plans. Encore que c’est toi qui m’avais
cherché, pas le contraire Bertrand.
-Ok, je le sais et puisque tout est clair alors,
laisse-moi parler sans m’interrompre s’il te plait. Comment qualifier ta
rencontre avec Sélom, pure hasard, sacrée coïncidence, mauvais tour du destin ?
Je ne saurais le dire. Néanmoins, il y a un point très important que tu ne dois
pas oublier. Nous sommes des africains et il y a certaines traditions
auxquelles nous ne pourrions-nous déroger. Tu es sorti avec moi et
naturellement nous avons eu des relations sexuelles. En ce jour tu es avec mon
neveu, direct je précise car Sélom est le fils de ma grande sœur du même père
et de la même mère.
Je l’écoutais en me demandant où exactement il
voulait en venir.
- Selon ce qu’il m’a dit, il te voit déjà comme son
épouse et la future mère de ses enfants. Tu me dirais sûrement que ce genre de
choses arrivent partout ailleurs et qu’il n’y a pas lieu d’en faire tout un
drame surtout que ‘’nous deux’’ appartient au passé mais je me dois de
t’informer que dans notre famille, de tels actes sont considérés comme un
sacrilège et dont peut découler la mort.
J’ai senti mon cœur se serrer à l’écoute du mot
‘’mort’’ et comme si ma crainte se lisait sur mon visage, il a continué en me
rassurant d’une certaine manière sans pour autant changer ses dires.
-Rassures toi, cela ne voudrait pas dire que Sélom
va mourir aujourd’hui ou demain mais s’il t’épouse alors que tu as été intime
avec moi son oncle, il risquerait une mort prématurée. Ne me lance pas ce
regard, je n’ai pas créé la tradition et même si je ne suis pas très porté sur
la question, je me devais bien de t’informer.
J’ai rigolé un bon moment pendant que Bertrand est
resté imperturbable à me regarder faire.
-Sérieusement Bertrand, tu veux m’empêcher de vivre
mon amour avec Sélom pour des raisons aussi banales ?
-Banalises si tu veux, c’est bien ton droit de ne
pas prendre au sérieux ce que je te dis. Sous d’autres cieux, cela ne pose
aucun problème mais chaque famille a ses rites propres à elle et dans la
mienne, cela ne se fait pas. Je me rappelle d’un cas similaire en étant plus
jeune, le couple en question s’est entêté en se mariant mais ils accouchaient
tout le temps d’enfant mort-né et je te dirais que la sentence peut être pire.
C’est une réalité, triste tout de même mais c’est comme ça.
-Bertrand ne me dis pas ça s’il te plait. Je l’aime
et nous sommes si heureux ensemble.
-Crois-moi, je suis sincèrement heureux que tu ais
pu trouver l’amour en la personne de Sélom malgré notre passé commun mais, je
ne peux te souhaiter aucun mal. Les autres membres de la famille
n’accepteraient jamais votre union en sachant la vérité.
-Et qui leur dirait si ce n’est pas toi ou moi ?
-J’aurais bien évidemment fermé ma bouche si votre
union n’encourait aucun danger. Je suis désolée Flora mais fais ce qu’il y a à
faire. Vous êtes ensemble depuis très peu de temps, rompre maintenant serait
l’idéal afin que le temps puisse panser vos blessures.
-C’est si facile à dire pour toi !
-Non, ça ne l’est pas. Crois-le ou pas. Si tu aimes
vraiment Sélom, ne gâches pas sa vie et la tienne par la même occasion. Sur ce
je te laisse, j’ai une réunion importante.
Et il a déposé de l’argent sur la table pour sa
consommation car moi je n’avais rien pris et est sorti du café sans un regard
en arrière. Je suis restée là une bonne heure à réfléchir à cette situation
avant de pouvoir bouger mes jambes et sortir à mon tour.
Fin du flashback
*
Je n’ai pas pu trouver la force de répondre aux
appels de Sélom de toute la soirée. J’ai carrément éteint mon phone en pleurant
une bonne partie de la nuit. Un autre locataire en vue m’ayant contacté plutôt
dans la journée avant mon rendez-vous avec Bertrand m’a forcé à me lever ce
matin pour venir effectuer les rangements dans la maison.
Sentir l’odeur de son parfum alors qu’il est si
loin de moi à présent, revivre nos scènes torrides en mémoire m’ont fait
réaliser que je ne supporterais pas de le voir malheureux à mes côtés. J’ai
alors pris la décision de rompre pour le bien de tous. Mes expériences avec
Baba m’ont bien prouvé qu’on ne blague pas avec ces choses-là, l’Afrique et ses
mystères. Et pourtant, cette même tradition autorise le lévirat dans certaines
familles ! C’est bizarre.
Je n’ai trouvé aucune autre raison à lui donner qui
justifierait ma rupture soudaine après qu’on se soit promis de nous retrouver
bientôt pour officialiser les choses. Il a fallu mentir, mentir pour le sauver
des malédictions de cette tradition maudite elle-même.
J’arrache les draps de rage et crie mon désespoir à
travers des torrents de larmes. Je me sens si mal que je me décide d’appeler
Naomi au risque de faire une bêtise. Dieu merci, elle décroche à la troisième
sonnerie.
-Allô madame Selom.
-Nao, viens chez moi s’il te plait. J’ai vraiment
besoin de toi. Paniquée, elle répond.
-Mais qu’est-ce que tu as ?
-Viens et je t’en parle, viens vite je t’en
supplie.
-Ok, tu es chez les parents ou chez toi ?
-Chez moi.
-J’arrive.
-Ok.
Je raccroche et me recouche sur les draps froissés
en attendant Naomi.
*
*
J’entends la sonnerie retentir et me lève pour
aller ouvrir le portail car j’avais libéré le gardien. Naomi prend peur en me
voyant et lance un ‘’oh’’ de panique.
-Oui, je sais que j’ai une sale tête. Allons à
l’intérieur. Lui dis-je.
Une fois bien installées toutes les deux dans le
même canapé au salon, je me suis mise à lui raconter les évènements de ces deux
dernières semaines. De la visite à l’oncle qui n’est que Bertrand mon ex, ma
réaction et la sienne, le départ de Selom, nos promesses, mon entretien avec
Bertrand et pour finir, le message de rupture auquel je n’ai toujours pas de
réponse d’ailleurs.
-Flora, je ne sais pas quoi te dire. C’est une
histoire de, ouf ! Dit Nao.
-Ça, tu peux le redire. J’ai si mal Nao, je n’ai
jamais autant aimé un homme de ma vie, pourquoi ça m’arrive à moi ? Pourquoi ?
Ai-je été la seule coupable dans ma relation avec Bertrand ? Il savait qu’il
était marié avant de me faire des avances ! Pourquoi s’en sort t-il heureux
avec sa femme et moi je me retrouve à payer le prix fort, contrainte à me
sépare de l’homme que j’aime? Dis-je en bloc en pleurant.
-Calmes toi ma chérie, arrêtes de pleurer s’il te
plait.
-Je n’y arrive pas, je n’y arrive tout simplement
pas.
Elle me prend dans ses bras où je me blottis en
pleurant encore un bon moment. Nous sommes restées ainsi, jusqu’à ce que je me
calme et que Naomi se décide à aller faire à manger avec ce qu’elle trouverait
à la cuisine. Elle avait bien deviné que je n’avais pas mangé depuis hier.
Je me suis allongée dans le canapé, téléphone en
main en fixant l’écran, espérant la réponse de Sélom, comme si le fait de
savoir qu’il va me détester allègera ma peine.
*
Naomi est revenue moins d’une heure plus tard avec
deux plats de riz accompagné du piment vert écrasé et de la sardine. Elle m’a
arraché le téléphone des mains et s’est assuré que je vide mon plat, même sans
trop réel appétit.
-Tu sais, pendant que je cuisinais, j’ai pas mal
réfléchis à ta situation et je crois que tout n’est pas perdu.
-Ne me donnes pas de faux espoirs Naomi, tu comptes
effectuer un voyage dans le temps pour changer la tradition de leur famille ?
-Ecoutes-moi Flora !
-Ok, dis toujours.
-Bertrand est l’oncle de Selom, c’est un point
inchangeable. Mais son oncle maternel selon ce que tu m’as dit?
-Exactement, pourquoi ?
-Sélom n’est donc pas un ASSOGBA !
-Euh oui ! Dis-je en ne comprenant toujours pas sa
théorie.
-En Afrique, l’enfant appartient à la famille de
l’homme, donc du père. Logiquement, ton chéri se déroge à cette tradition qui
ne vient pas du côté de son père mais celui de sa mère.
-Naomi je ne comprends rien à ce que tu dis, tu
m’embrouilles.
-Je suis en train de te dire qu’il est fort
probable que dans la famille paternelle de Selom, cette tradition ne soit pas
d’actualité et donc vous ne courriez aucun danger en restant ensemble ! Sélom
n’est pas un ASSOGBA selon cette même tradition mais plutôt un… quoi déjà ?
-AKANGA. Réponds-je soudain illuminée.
-Ok, il est un AKANGA et si chez les AKANGA sortir
avec l’ex compagne d’un des membres de la famille n’est pas source de
malédiction, tu as bien la chance et le droit de vivre ton amour avec lui.
-Oh mon Dieu Nao, que vais-je faire à présent après
lui avoir envoyé un tel message ?
-Lui dire la vérité, toute la vérité comme tu
aurais dû le faire le soir même de votre visite chez les ASSOGBA. Tu aurais été
fixé à l’heure actuelle sur sa position quant à cette histoire, et ce avant son
départ.
Je pose mes deux mains sur la tête, signe de
profonde souffrance me demandant comment arranger les choses.
-Appelons-le, si tu n’as pas le courage de tout lui
avouer toute seule de peur qu’il te remballe, avec moi au moins à tes côtés, je
crois bien qu’il se laissera le temps de t’écouter jusqu’au bout.
Je lui remets le téléphone, ayant trop peur de
composer son numéro moi-même. Je vois Nao lancer l’appel et mettre le téléphone
sur haut-parleur. Mon angoisse était à son paroxysme à l’écoute de la première
sonnerie qui s’est répétée jusqu’à se couper toute seule. Naomi a répété
l’action cinq fois de suite sans qu’il ne daigne décrocher.
Je me suis écroulée à même le sol, incapable de
pleurer cette fois-ci.
-Je crois que tout est perdu Nao, il ne veut plus
me parler. En même temps, c’est compréhensible après ce message que je lui ai
envoyé.
Naomi m’a consolé autant qu’elle pouvait et pour
éviter de penser à tout ça, nous avons fini les rangements à deux. Pendant que
nous nettoyions le frigo préalablement vidé de ce qui restait des courses
faites avec Sélom, mon téléphone a sonné et je me suis précipitée dessus le
cœur battant la chamade en voyant sur l’écran, numéro masqué.
J’ai remis le téléphone à mon amie pour qu’elle
décroche à ma place, tellement je tremble de peur et l’expression de son visage
m’a fait comprendre que ce n’était pas celui que nous attendions. Elle m’a
passé le téléphone et ce n’était que mon prochain locataire au bout du fil. Il
voulait quelques informations supplémentaires pour me faire un virement le
lendemain car il débarquait avec sa petite famille dans trois jours. J’ai
raccroché la tristesse dans l’âme.
- Envoies lui un message !
-Hum Nao, un message qui dirait, excuses-moi, ne
prends plus en compte ce que je t’ai dit plus tôt. En fait je t’ai menti, je ne
sors avec personne mais il a fallu que je romps avec toi parce que ton oncle
qui est en fait mon ex m’a dit hier que selon leur tradition nous ne pourrions
pas être ensemble mais après analyse de la situation, j’ai remarqué que c’était
quand même possible alors appelles-moi s’il te plait pour qu’on en discute ?
-Pourquoi pas ? Dit Naomi en rigolant.
-Ce n’est pas drôle hein ! Il s’agit de mon cœur là.
-Excuses-moi, mais en fait c’est la manière dont tu
as dit les choses qui me fait rire.
-Tu t’excuses et tu continues de rire, c’est ça !
-Allons, j’arrête maintenant. Sérieusement,
laisse-lui un message lui demandant de te rappeler d’urgence parce que tu as
quelque chose de très important à lui dire.
Je lui remets une fois encore le téléphone pour
qu’elle rédige le message et l’envoie elle-même. Ce qu’elle fait avant qu’on ne
poursuive notre tâche.
*
*
Une, deux, trois heures après et jusqu’à ce que
chacune de nous ne rejoigne son domicile familiale, Selom n’avait toujours pas
répondu. Vers une heure du matin, incapable de fermer l’œil, je prends mon
courage à deux mains pour lancer l’appel une fois encore et cette fois, il a
décroché à la première sonnerie.
-Allô chéri, dis-je d’une petite voix tremblante.
Mon cœur a failli sortir de ma poitrine quand j’ai
entendu la voix de la personne qui était réellement au bout du fil.
-Allô bonsoir ! Dit-elle.
Je pose le téléphone sur ma poitrine sans répondre.
C’est une femme, une blanche avec cet accent. Si une femme décroche son
téléphone à cette heure de la nuit, cela n’a qu’une seule explication, il m’a
menti. Je reporte le téléphone à l’oreille et la femme répétait toujours son
‘’allô’’ avant que je ne raccroche la rage au cœur en me répétant, ‘’il m’a
menti’’.