Chapitre 24

Write by Meritamon


Chacha Njue (2)

 

Personne ne sut pourquoi Charline quittait le nid familial aussi hâtivement alors que ses ailes la portaient à peine.

Le doute et l’appréhension se lisaient dans les yeux de sa mère. Toutes les fois que Chacha croisait son regard, elle avait l’impression que sa mère la scannait au laser. Le plus difficile fut qu’elle se heurtait à cette interrogation muette en permanence comme si Maman Njue attendait patiemment que sa fille lui parle afin d’être libérée.

Elle sentait son intuition de mère chercher à tâtons la raison de son départ si précipité pour Paris.

De son côté, la mère Njue ne reconnaissait plus sa douce et timide petite fille. Ces derniers jours avaient été difficiles entre ses crises de colère, ses larmes, ses moments d’abattement. Avait-elle un souci? Une peine de cœur, elle qui pourtant ne fréquentait aucun garçon? Pourquoi se barricadait-elle dans son atelier de travail pour pleurer et peindre avec rage? Pour quelle raison ses prunelles avaient perdu de leur lumière?


Son père, Edward Njue, n’avait rien vu venir non plus. Puis il accepta la décision de sa fille de s’éloigner le plus rapidement possible. Pour lui, Charline voulait s’envoler de ses propres ailes et ce désir s’inscrivait dans un processus normal de maturité. Elle devenait une jeune adulte éprise d’indépendance à qui il allait donner les moyens de se réaliser pleinement. Et c’était les Beaux-Arts à Paris, une carrière à la fin de son diplôme, bien qu’il mît longtemps à reconnaître son choix de carrière.

     -       Tu n’assisteras pas au mariage de Noura? Tu es pourtant sa demoiselle d’honneur, avait demandé Maman Njue, inquiète. Qu’allons-nous dire à la famille Patel?

      -        La vérité. Je me rends à Paris pour étudier. Noura se passera de moi, avait répondu assez brusquement Charline, en pliant ses vêtements dans sa valise, la veille de son départ.

 

      -       Peux-tu me dire ce qui se passe? Tu m’inquiètes…

« Je vais bien. As-tu vu mon passeport, maman? » demanda-t-elle, irritable.

  

********

Comme convenu, Charline était revenue voir Malick, une volée de papillons au ventre.


Chacha avait pensé toute la journée à ce rendez-vous, elle avait regardé les heures et les minutes s’égrener lentement dans son atelier d’art devant une toile blanche. Elle n’arrivait même plus à peindre, le cœur en émoi comme une écolière.

Quand l’une de ses sœurs lui cria par la fenêtre :


     -       Tu as reçu du courrier! Et arrête de rêvasser, Chacha.


La jeune femme avait protesté en riant : « je ne rêvasse pas… »

Elle déchiqueta l’enveloppe avec son nom et son adresse dessus. Une écriture élégante à l’encre bleue sur du papier luxueux:

« Trouve un alibi pour passer le week-end avec moi.

Ps : Tu auras besoin de ton passeport », disait le message.


Bien évidemment, le message n’était pas signé. Bien évidemment, c’était lui… Et encore, elle trouva rapidement un alibi pour couvrir son secret.

 

Puis Charline avait choisi avec frénésie les tenues qu’elle allait porter, où l’emmenait-il pour deux jours? Que voulait-il?

Quelle ne fut sa surprise quand l’auto que Malick Hann lui fit venir se dirigea à l’aéroport, dans un hangar privé d'où attendait un jet-privé prêt à décoller.


    -       Où allons-nous? Avait-elle demandé avec une excitation joyeuse comme Malick Hann l’accueillait sur le tarmac, dans des vêtements décontractés.

    -       Zanzibar, avait-il répondu simplement, une lueur amusée dans le regard. Je possède une maison sur une île privée.

    -       Je n’ai pas apporté de maillots de bain…

    -       Tu pourras te baigner nue, si tu veux.


Elle eut le pressentiment qu’elle y serait nue tout le week-end.

 

********

Dans sa chambre à Nairobi, ne parvenant pas à trouver le sommeil, Charline  avait fermé les yeux et détourné son visage vers la porte, d’où lui parvenaient les bruits d’eau de l’aquarium et d’où elle souhaitait que son esprit s’évade. Dans sa tête, se jouait sans cesse le film de son escapade avec Malick Hann.


De quoi pouvait-elle se rappeler de ce voyage? Il y avait tellement de détails, de sensations ressenties, de textures et d’odeurs.


Il y avait d’abord son regard noir à lui, noir et intense au-dessus d’elle, la toison de sa poitrine, leurs vêtements dans le couloir, la morsure à ses seins, puis la douleur vive quand il l’avait pénétrée; douleur qui céda immédiatement à une douce chaleur alors que Malick allait et venait sans s’arrêter en elle. Il y avait aussi leurs battements de cœur synchronisés, ses grognements de plaisir comme il se donnait à elle.


Ce fut planant, intense et brutal à l’image de Malick Hann.


Charline se rappela de son appétit pour son corps, du rythme soutenu et les nuits d’insomnie. Comme il entamait son éducation sexuelle, Malick lui apprit à donner mais aussi à recevoir.

Après l’amour, Charline apprit à reconnaitre aussi les silences de l’homme. Malick Hann était un homme secret et pudique qui révélait très peu de choses sur lui.

 

    -       Arrête de me regarder et dévore tes frites, avait-il dit comme elle ne se lassait pas de l’observer, fascinée par la beauté de ses traits pendant qu’ils dînaient aux chandelles en face de la mer.

Charline avait entrepris de faire son portrait sur du papier au fusain. Avec le crayon, elle dessinait les contours de son visage, les rides dans le coin de ses paupières quand il plissait les yeux, son menton volontaire.


    -       Dévore mon corps, lui avait-elle lancé, provocatrice de l’autre côté de la table.

    -       Tout ton corps, avait-il répliqué en posant un regard torride sur elle. Elle en avait alors frémi d’excitation.

    -       Toute la nuit ? suggéra-t-elle.

C’est alors que Malick Hann s’est levé de sa chaise, il se dirigea vers Chacha et la porta dans ses bras dans la chambre.

    -       Tu ne tiendras plus sur tes jambes, Charline.

    -       Alors, je tiendrais sur tes mains…


Il avait tenu promesse. Parce qu’elle s’accrocha à lui tout au long comme une bouée de sauvetage, prête à sombrer dans le plaisir.

 

 Quand ils s’écroulèrent au milieu de la nuit, essoufflés et en sueur, il était 3 heures le matin.

    -       J’ignore d’où tu sors Charline, mais bordel…  Tu apprends vite.

Charline gloussa et le prit pour un compliment.

    -       Parce que tu es un bon professeur…

    -        Je m’en veux de t’avoir dévergondée…. Répondit-il coupable.

    -       Je suis si heureuse ici, en ce moment et avec toi. Je voudrais que ce week-end ne se termine jamais, avait soupiré la jeune femme en se blottissant dans ses bras.

    -       Pourtant il va falloir que nous retournions à nos vies, petit oiseau, fit-il en posant un baiser sur sa tempe.

 

Il y avait quelque chose chez cette fille qui adoucissait Malick Hann, quelque chose de vulnérable, d’attendrissant et de profondément naïf.  Il avait remarqué qu’il y avait des éclats dans ses yeux émerveillés toutes les fois qu’il lui faisait découvrir quelque chose : une sortie en bateau, de la plongée sous-marine, le magnifique coucher du soleil, sans compter les choses de l’amour... Elle ramassait des coquillages sur la plage pour en faire un collier et quand elle voyait une fleur dans le jardin, elle la humait longuement.


Charline trouvait facilement de la beauté et de la pureté en tout, même en lui. Pourtant, lui Malick était convaincu qu’il n’était pas un saint.

 

Pour la première fois de sa vie, pendant ce week-end en particulier, l’homme eut envie de se reposer de toutes ses guerres. Pendant un instant, Il ne voulait plus courir le monde, ni après la gloire, ni après l’argent. Il voulait demeurer sur cette île avec cette fille si douce.

Un autre sentiment étreignit Malick Hann, un sentiment qu’il éprouvait très rarement : la culpabilité.  Il n’avait pas le droit de toucher Charline à cause des liens qui les unissaient et parce qu’elle était vierge avant lui, qu’elle en avait fait le serment ….

Le mal était fait, certes déguisé en jouissances et en ivresse.  Mais le mal était là. Il ne pouvait le réparer.

Sans compter qu’il la savait profondément éprise de lui alors qu’il s’était juré, après Maria Cruz, de ne plus donner son cœur à personne.

 

Malick crut bon de mettre en garde Charline alors qu’ils nageaient ensemble le samedi après-midi dans l’eau cristalline de l’océan indien et qu’elle goûtait au sel de sa peau, posait des baisers sur lui, gourmande, amoureuse.

     -       Ne t’attache pas à moi. Nous devons seulement profiter de ce moment exquis, compris?

     -       Pourquoi ? Avait-elle demandé en écarquillant ses yeux d’étonnement.

     -       Je suis un homme occupé… Je suis souvent parti en voyage et pour longtemps.

     -       Je t’attendrais, je me ferais toute petite alors, je ne te dérangerais pas.

    -       Ma petite Chacha...  Je suis trop vieux pour toi. J’arrive à l’automne de ma vie alors que tu bourgeonnes à peine…  et surtout notre liaison pourrait ne pas être acceptée. Ni tes parents ni Serena ne pourront cautionner cela…

 

Charline de répondre candidement :

     -       Alors, on ne dira rien. Ça sera notre secret… je me contenterais d’être une ombre…


Parce qu’elle était prête à n’importe quelle solution que Malick envisagera pour eux, pourvu qu’elle le voie.

 

     -       Promets-moi de ne pas t’attacher…

 

Charline promit malgré elle de se tenir à ce week-end.

 

Puis lundi matin arriva.

 

Dans la chambre, d’où pointait les premiers rayons de soleil. Charline sortit des brumes de la nuit. La place à côté était vide.

Elle sourit. Sa lèvre inférieure était gonflée par les baisers fougueux et les morsures de Malick. Après avoir pris une douche, la jeune femme remarqua ses traces de dents sur sa peau délicate. Des suçons profonds.

Elle vit ensuite une note griffonnée rapidement sur la table de chevet.

« Il a fallu que je parte pour le travail à Doha. Je ne voulais pas te réveiller. Mon personnel va te ramener à Nairobi. Merci pour ce week-end et prends soin de toi Charline ».

 

C’était tout. "Prends soin de toi" comme mot d’aurevoir, pas de « je te rappellerai ». Aucune promesse de la revoir bientôt, ni jamais. Blême, blessée, Charline réalisa que Malick s’était bien amusé d’elle.


Une employée lui avait apporté ses vêtements nettoyés au pressing.

    -       Votre avion part dans une heure, mademoiselle. En attendant, le déjeuner est servi. Monsieur vous offre ces cadeaux.

 

Interloquée, Charline ouvrit les paquets soigneusement emballés dans du papier de soie. C’était des bijoux et des parures au prix exorbitant, un sac Hermès ou Prada, sur le moment elle n'en savait rien, des certificats cadeaux dans des spas et des boutiques de vêtements à Paris.

     -       C’est beaucoup trop... avait-jugé Charline.

     -       Monsieur Hann tient à ce que vous les acceptiez, insista la femme.

     -        Je voulais savoir… votre patron reçoit-il d’autres invités ici?

Et par d’autres invités, la jeune femme voulait dire, d’autres femmes, en espérant que l’employée saisisse la nuance.

     -       Monsieur Hann aime se reposer sur son île, répondit sobrement la femme, rompue à la confidentialité.

     -       Mais il ne vient jamais seul, n’est-ce pas?

     -       Je ne peux pas répondre à cette question mademoiselle, fit la femme en l’évitant du regard.


Et Charline sut définitivement qu’elle n’était pas aussi spéciale qu’elle l’avait cru. Qu’elle n’était ni la première et ne sera certainement pas la dernière à venir sur cette île donner du plaisir à Malick Hann.

Et ces cadeaux coûteux étaient tellement déplacés comme s’il lui remboursait ses faveurs, comme s’il lavait sa conscience d’avoir arraché son innocence…

Charline se détourna quand elle s’aperçut qu’elle tremblait de colère, elle, qui pourtant se fâchait très peu.

    -       Gardez les cadeaux. Je n’en veux pas, avait-elle lancé à la femme.

    

******

À son retour à Nairobi, ce fut le silence radio. Aucune nouvelle de l’homme pendant deux semaines.

Charline se rendit à sa résidence, on lui répondit que Monsieur n’était pas rentré de son voyage d’affaires.

     -       Avez-vous une idée de quand il sera de retour?

     -       Il a un agenda chargé, lui répondait-on vaguement.

    -       Pourriez-vous lui donner ce numéro où me joindre? Je suis l’amie de Serena…. Attendez, remettez-lui aussi ce message.

Charline avait écrit naïvement un mot, l’avait glissé dans une enveloppe et l’avait remis au majordome de la maison.

« Malick, je sais qu’on ne devait pas s’attacher, qu’on devait seulement profiter l’espace d’un week-end, mais je ne tiens plus… Laisse-moi te revoir. Chacha »

 

Puis Charline passa ses journées et ses nuits à se demander quand elle allait revoir Malick Hann, si elle le reverrait un jour. Avait-elle rêvé ce week-end? Avait-elle tout inventé?  Pour se rassurer, elle dormait le nez enfouit dans la couture de la manche de la chemise qu’elle lui avait dérobée pour s’enivrer de son odeur.

Elle ne saura jamais l’histoire de sa cicatrice à son abdomen qui lui donne tant de charme. Elle ne sentira plus ses lèvres lui chatouiller le cou, ni le poids de son corps sur elle. Et tout se terminait avant d’avoir commencé.



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Coucou les amis! Je vous ai entendu, la suggestion de cette liaison entre Malick et Chacha. J’ai fait de mon mieux pour adoucir Malick Hann. Que dire?  Charline est amoureuse? Oui. Elle aura le cœur brisé? … dans ce cas, le prochain chapitre est à éviter. Mais il faut être réaliste.

Par expérience, je sais que les premiers amours de jeunesse sont les plus exaltants, mais ce sont ceux qui font le plus mal. Je dis bien, par expérience. Parce que sans le savoir, il m’arrive de puiser dans des trucs personnels (pas tout le temps heureusement, ;-)) pour parler d'une expérience. 

Le chapitre était long, j'ai dû le couper en deux. et beaucoup de flegmes à trouver des images. Mais bon, on me pardonnera.

Allez, bonne lecture! bisous






L' héritière