Chapitre 24 : Face cachée

Write by Auby88

"Pour faire un bon ennemi, prenez un ami : il sait où frapper.

Diane de Beausacq ; Les maximes de la vie (1883)"


"Ne dis jamais à ton ami ta plus secrète pensée, et tu n'auras pas à le craindre s'il devient ton ennemi.

Ménandre ; Les maximes et pensées morales"


Ce n'est qu'au petit matin que Richmond et Cica arrivent à la maison de Satine, une villa que le père de famille avait construite pour sa benjamine. Mais elle n'y vient que rarement, que pour des occasions spéciales comme celle-ci. Ils descendent d'un zemidjan qu'ils ont dû prendre à deux. Leurs traits sont défaits, leurs cheveux en désordre, leurs habits sales, leurs yeux rouges … Pendant que Richmond s'efforce à persuader le portier de les laisser entrer, Cica inspecte les lieux.

La villa devant elle est magnifique et domine les modestes maisons voisines, construites en matériaux précaires. Le mur allie pierres de parement extérieur et peinture blanche. Dehors, des palmiers de Chine sont logés dans des grilles d'arbres. Des lampadaires solaires longent la voie non bitumée.

Richmond parvient à communiquer avec Samson via l'interphone. A l'intérieur, on entend des aboiements de chiens. Samson et Arsène s'amènent quelques minutes plus tard.


- Enfin, vous voilà ! s'exclaffe Arsène. C'est normal que le gars ne vous ait pas laissé entrer. Surtout toi, Richmond, tu ressembles à un clochard.

- Oui, moque-toi bien !

- Nous attendons vos explications, renchérit Samson.

Richmond raconte leur mésaventure pendant qu'ils traversent la longue cour qui les mène vers le séjour.

- Ah ! Je parie qu'il y faisait très froid, continue Arsène.

Cica se rappelle qu'elle porte la veste de Richmond.

- Je suppose que tu n'as fait qu'enlever cela et rien de plus !

Cica fuit leurs regards.

- Vous semblez tellement coupables ! ajoute Samson.

- Arrêtez vos insinuations ! Ce n'est pas plaisant. De toute façon, nous sommes adultes et nous n'avons de compte à rendre à personne !

- Oh, Richmond ! Piqué au vif ! lance Samson.

- Viens, Cica, que je te montre la chambre de Satine. Tu pourras y prendre une douche à l'eau chaude !

Richmond entraîne Cica par la main. Ils devancent les plaisantins et entrent à l'intérieur.

- Hmmm. Prenez vos douches séparément pour ne pas succomber à tant de chaleur ! crie Samson en leur direction en rigolant.

- Ne les écoute surtout pas ! Allons-y.

Elle remarque une banderole sur laquelle on lui souhaite joyeux anniversaire, ainsi qu'une guirlande lumineuse. Ils montent à l'étage. Richmond toque contre la première porte à droite. Personne ne répond. Il appuie sur la sonnerie. Une voix encore endormie leur répond faiblement. La porte se déverrouille. Ils entrent, accueillis par Satine qui s'étire longuement et se frotte les yeux. Ses cheveux en bataille rappelle un certain personnage de mangas. Cica va s'asseoir sur le lit.

- Je vous ai attendus toute la nuit, dit-elle en baillant grandement. Vous étiez où ?

- Une longue histoire, Satine, intervient Cica ! Je te la raconterai tout à l'heure. J'espère que tu n'es pas trop fâchée contre nous.

Satine hausse les épaules.

- Bah ! J'apprécierai en fonction de vos justificatifs !

Richmond les laisse et part dans une autre chambre. Elles en profitent pour bavarder un peu avant de filer sous la douche.


Une demi-heure après, elles sont dans la cuisine. Elles discutent pendant que Satine fait du café. Cica porte une robe empire empruntée dans le dressing de Satine. Elle est adossée contre l'îlot central.

Satine tient à ce qu'elle se repose, qu'elle ne fasse rien en tant qu'invitée, insistant sur le fait qu'une femme de ménage passerait dans la journée. Au-dessus de sa tête, se trouvent trois suspensions qui éclairent l'îlot. Elle regarde de fond en comble la cuisine moderne dans laquelle elle se trouve, lui trouvant des similitudes avec celle de Richmond.

- ... Donc tu tiens à me faire croire que vous avez dormi l'un près de l'autre, en toute tranquilité !

Du large range couvert, Satine sort des petites cuillères, des tasses et des sous-tasses.


Cica demeure muette. Parler de Richmond avec sa soeur la met quelque peu mal à l'aise.

- Tu peux tout me dire, Cica. Je suis la personne la mieux placée pour te conseiller par rapport à mon frère. Fais-moi confiance.

- Je te l'assure, Satine. Il ne s'est rien passé.

Elle répond avec hésitation dans la voix.

- Et il y a même pas eu un baiser, pas même un des plus furtifs ? renchérit Satine.

- Non.

- Là, je ne reconnais plus mon frère !

Dans le grille-pain, Satine insère quelques tranches de pain.

- A vrai dire, il a essayé mais je l'en ai empêché. Même si en réalité, je ... brûlais d'envie de l'embrasser.

Satine la regarde en s'efforçant de ne pas se moquer d'elle. Cica poursuit :

- Depuis Leo, aucun homme ne m'avait fait autant d'effet. Les yeux de ton frère sont d'un vert qui me tétanise et quand il sourit avec ses fossettes à découvert, je suis totalement étourdie. En plus, il me traite comme une princesse, avec délicatesse, bien que je sois souvent désagréable, dure avec lui. Je m'oblige chaque fois à détourner mon regard, faire pression sur moi-même pour ne pas succomber à son charme.

- Tu devrais laisser place à l'amour, laisser Richmond t'aimer. Parce que crois-moi, même si cela peut te paraître soudain, je suis sûre qu'il a des sentiments profonds pour toi. Je ne l'ai jamais vu autant protecteur et attentionné avec Sandra.

Cica pousse un long soupir.

- Il m'a dit qu'il m'aime mais je l'ai quand même repoussé.

Satine appuie sur une pédale qui ouvre un bac poubelle encastré dans le placard sous l'évier. Elle y déverse le marc de café.

- Pourquoi ne te donnes-tu pas une chance avec lui ?

- Pour plusieurs raisons, Satine. D'abord, je ne suis pas sûre de mes sentiments pour lui. Je l'aime plus qu'un ami mais pas autant que Leo. Je ne sais pas si c'est de l'amour, ou juste de l'attirance ou de la reconnaissance. Et Il y a trop de différences entre nous : il est riche, charmant, engagé, volage …

Satine rit en fixant un point derrière Cica, qui se sent toute honteuse.

- Qu'est-ce qu'il y a de drôle dans ce que je dis. Je suis sérieuse, Satine !

- Je m'excuse. Je n'ai pas pu m'en empêcher. Je peux comprendre que tu doutes. C'est normal. Mais il n' y a rien d'objectif parmi les différences que tu évoques. Ce que tu avances ne me convainc pas, même si le fait qu'il soit engagé avec une autre contrecarre quelque peu toute relation sentimentale entre vous. Cependant, entre fiancé et marié, il y a un grand pas. Tout peut changer en un laps de temps. Ne laisse pas l'amour te filer entre les doigts, quand tu sais qu'il y a une petite étincelle en toi qui peut vite devenir un brasier, pourvu que tu ne l'éteignes pas.


Satine retourne à la machine à café qui a fini de ronronner. Elle prend la carafe pleine, et la met dans un plateau en bois, au côté des couverts, des tranches de pain et des morceaux de sucre roux.


- De toute façon, je n'ai pas envie d'être la briseuse de foyer. Je suis pour les relations durables. Rompre doit être la dernière solution à envisager quand plus rien ne va dans un couple. Et si un jour, il a pensé épouser Sandra, c'est certainement pour des raisons non négligeables.

Satine sourit. Son interlocutrice ne semble pas convaincue par ses propres mots.

- Pourquoi ne lui demandes-tu pas ? Il est juste derrière nous. Je vous laisse, fait-elle en emportant le plateau.

Cica se retourne aussitôt.

- Richmond, je ne ... savais pas que tu étais là. Je ….

Elle bafouille.

- Je venais juste prendre un verre d'eau, réplique-t-il en ouvrant le frigidaire.

Elle n'est pas à son aise. Elle demeure immobile. Il se sert et boit sans se soucier d'elle.

- Je te laisse, je vais remettre le sucre à Satine.

- A moins que tu veuilles faire un café salé, le sucre est ici sur la table.

Elle se rend compte de son erreur et se rapproche de lui. Il dépose le verre et quitte la cuisine. Elle soupire longuement puis sort après lui …


Le soleil est maintenant au zénith. Le vieux rejoint le groupe d'amis au salon. Ils le taquinent.

- J'ai passé une nuit blanche à force d'attendre ma princesse !

- Je suis désolée, s'excuse Cica.

Elle est assise sur un bras du canapé, près de lui. Par moments, elle épie Richmond qui, depuis tout à l'heure, reste distant d'elle.

Satine apparaît au milieu des railleries avec un gâteau circulaire, portant au centre une figurine qui représente une chanteuse tenant un microphone.

Cica est enchantée. Elle souffle sur les chiffres 2 et 4 qui indiquent son âge, mais hésite à couper le gâteau.

- C'est tellement beau que je n'ai pas envie de le manger.

- Peut-être pas toi, mais moi oui, réplique Arsène. J'attends cela depuis hier. Certes, je viens d'engloutir des tranches de pizza mais il y a encore de la place dans mon réservoir.

Un fou rire s'empare d'eux. Avec hâte, Cica coupe le gâteau. Satine l'aide pour la distribution.


Le combiné accroché au mur retentit. Satine décroche.

- Sandra, tu dis ? … ok, fais-la entrer.

La désolation se lit sur la majorité des visages, en particulier sur celui de Cica.

Sandra s'amène avec une mini robe rouge au décolleté assez plongeant. Elle s'approche de son homme, l'embrasse, lui met la main à la taille comme pour marquer son territoire, face à cette Cica qu'elle n'aime pas. Richmond la laisse faire. Un sourire naît au coin de ses lèvres. Il jubile secrètement en regardant Cica qui ne semble pas apprécier le spectacle. Elle est sur le point de s'éclipser.

- Cica attends, ne pars pas. Je t'ai apporté un cadeau !  

Richmond secoue la tête. De son sac à main, Sandra sort un paquet qu'elle tend à Cica.

- Merci Sandra, c'est gentil.

Sans grande envie, elle prend le cadeau des mains de Sandra et s'apprête à l'ouvrir.

- Non, ma chère, dit-elle bien haut. Ceci n'est pas quelque chose qu'on ouvre en public ! Cela te servira avec ton amoureux. Richmond m'a dit que tu en avais un !

Elle ne répond pas. Elle lève juste des yeux interrogateurs vers Richmond qui est occupé à discuter avec sa soeur. Elle s'en va dehors, oubliant exprès le cadeau dans le canapé. Sandra aussi s'éclipse…


- Dis, comment Sandra a-t-elle su que nous venions ici ? demande Satine à son frère.

- Bah ! Elle m'a dit qu'elle a surpris notre conversation hier soir chez maman.

- C'est bizarre ! Tout ça ne sent pas bon. Sa venue à l'improviste. Ce cadeau qu'elle vient d'offrir à Cica. Je suis sûre qu'elle cache quelque chose.

- Bof ! fait-il. Cela m'importe peu, ni ne m'étonne venant de Sandra. Elle a toujours été imprévisible et enquiquineuse. De toute façon, Cica sait se défendre. Elle n'a pas besoin de mon aide !

Il parle avec dédain dans la voix. Satine écarquille les yeux, étonnée par les propos de son frère. Car d'habitude, il est aux petits soins avec Cica, toujours soucieux d'elle.

- J'ai mieux à faire que de cogiter là-dessus, ajoute-t-il​. Et tu devrais suivre mon exemple. Je te laisse. Je vais discuter avec les mecs.

Il laisse Satine. Elle demeure perplexe...


Dehors, à l'arrière de la maison.

- Attends, Cica !  

Sandra parvient à la rattraper. Elles sont près de la piscine.

- Tu as oublié ton paquet. Pourtant, il m'a coûté une fortune. Fais-moi le plaisir de l'ouvrir maintenant que nous sommes entre femmes.

Cica défait, malgré elle, le paquet et demeure interdite devant le contenu : un couteau en bois avec un mot écrit en lettres capitales : "NE TOUCHE PAS A MON MEC SINON …"

Sandra ricane :

- Tu ne pensais quand même pas que je t'aurais offert de la fine lingerie pour que tu puisses continuer à te pavaner devant mon homme !

Cica dévisage la femme devant elle.

- Je n'arrive pas à croire que tu sois si mauvaise. Tes menaces ne me font pas peur ! J'avais espéré voir en toi quelque étincelle de bonté, mais plus je te regarde, plus je me rends compte que ton coeur est noir. Tu n'as rien de bon en toi. Tu es perfide, mauvaise. Je me rends compte que tu ne mérites pas Richmond.

Sandra essaie de la gifler mais Cica retient sa main.

- Je suis une fille gentille, mais ça ne signifie pas que je ne sais pas me défendre contre les gens de ton espèce !

- Tu ne perds rien pour attendre ! vocifère Sandra. Je t'aurais prévenue.

- Je n'ai pas peur de toi, Sandra !

- Je te le redis, éloigne-toi de mon mec, ou tu le regretteras !

- Plutôt que de passer ton temps à menacer toutes les femmes qu'il côtoie, tu devrais plutôt mieux t'occuper de lui !

- Je n'ai aucun conseil à recevoir d'une  crève-la-faim comme toi !

- Je ne te permets pas …

- Que se passe-t-il ici ? demande Samson. Pourquoi vous disputez-vous ?  

- Demande-le lui ! Elle a osé me menacer avec ça ! commence Cica.

En parlant, elle lui montre le paquet au sol.

- Je ne fais que défendre ce qui m'appartient de droit, riposte Sandra.

- Calmez-vous, toutes les deux ! Cica, il vaut mieux que tu rentres à l'intérieur. Il y a Satine qui te cherche. Quant à toi, Sandra, il faut qu'on parle sérieusement de tout cela.


Il attend que Cica soit partie, pour entraîner Sandra à l'écart, près des grands arbres qui forment une haie.

- Qu'est-ce qui t'a pris de faire cela ? Tu n'aurais pas dû te déclarer à ton ennemi. Si Richmond l'apprend, c'en sera fini pour toi.

- J'en avais marre de rester là à ne rien faire !

- Je t'ai pourtant dit de prendre exemple sur moi. Tu vois comment j'agis en douce dans son dos, sans même qu'il le remarque.

- J'en suis témoin mais tu ne peux savoir combien je la déteste, combien je hais son visage de sainte nitouche,  combien j'enrage en les imaginant l'un sur l'autre hier en train de se foutre de moi, combien je suis jalouse quand il la regarde avec des yeux tendres, des yeux qui ne m'ont jamais contemplé ainsi.

- Ne me dis pas que tu es amoureuse de Richmond, parce que cela ne se voit pas. Tu n'en veux qu'à ses sous.

- Je l'aime à ma manière.

- Quoi qu'il en soit, ne fais plus de gaffe, Sandra. Tu es déjà prêt du but. Très bientôt, tu seras son épouse et tu pourras mettre la main sur tout son fric.

Ils rient.

- A propos, je te remercie de m'avoir prévenue. Richmond pensait pouvoir continuer, en toute tranquillité, sa lune de miel avec sa pétasse.

- Ce salaud est tellement obnibulé par cette fille qu'il ne s'est même pas rendu compte tout à l'heure que tu lui as menti.

Il parle de son ami avec rage en fixant le vide.

- Je me demande bien pourquoi tu le hais autant.

- C'est une histoire personnelle, Sandra. Je te la raconterai un jour si tu restes bien sage comme d'habitude. Ça ne te dirait pas qu'on s'amuse un peu ici ?

- Non, nous ne sommes pas seuls.

- Avoue que la chienne en toi ne désire que cela, que je te prenne avec bestialité comme je suis le seul à savoir le faire.

- Oui, j'en meurs d'envie. D'autant plus que Richmond ne me touche plus.

Il l'attire vers lui, mais elle le repousse violemment. Satine vient vers eux.

- Je vous dérange ? s'enquiert-elle.

- Non ! Nous ne faisions que discuter ! répond Samson.

- D'ailleurs, nous en avons fini, ajoute Sandra.

Satine demeure à nouveau perplexe en les regardant s'éloigner.


































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