Chapitre 25
Write by Meyroma
Je reste pétrifiée pendant presque une minute, devant la troublante image de cet homme en me demandant si ma vision est réelle ou hallucinatoire.
Lorsqu'il s'invite dans la salle et s'assied à l'endroit que ma mère venait juste de libérer, je réalise qu'il ne me reste aucune autre alternative que de l'affronter.
Les bras croisés sur ma poitrine bombée par une audace effrénée, je le soutien du regard sans cligner des yeux, pour lui montrer que je suis prête à l'affronter.
Sans avoir besoin d'ouvrir la bouche, je lui transmets un message qu'à voir son expression calme et pacifiste, il semble avoir réceptionné:
Aujourd'hui, il est hors de question que je me laisse piétiner gratuitement. Le temps de l' inoffensive belle fille qui encaissait passivement ton mépris est révolu. J'en ai ral le bol de ta fille et toi. Je te jure qu'à l'instant où tu me cherches, tu me trouveras.
Ma témérité se heurte à une impassibilité qui me déconcerte. Il réagit avec un sang froid que je suis incapable d'interpréter.
- Assieds toi Yasmine, je voudrais te parler.
Sans lui laisser la moindre chance de me frustrer comme il sait si bien le faire, je l'arrête spontanément.
- Après tout ce qui s'est passé, je n'ai rien à vous dire Monsieur. Maintenant que nous sommes tous sur le point de perdre Djibril, j'espère que vous êtes content et fier de vous. Bravo et félicitations!
Cette fois, je crois que j'ai dépassé la ligne rouge.
Le pire, c'est que je n'ai aucun regret. Au contraire, je me sens soulagée d'avoir pu me libérer car je pensais réellement tous les mots que je lui ai dit. Si j'ai pu me freiner dans l'expression de ma colère, c'est seulement par égard à son droit d'aînesse et rien d'autre. Il mérite toutes les accusations que je lui ai craché au visage, et encore plus. Si je pouvais laisser libre court à ma rage, c'est sûr que je lui arracherai les yeux sans hésiter.
À mon grand étonnement, il se montre encore plus serein qu'il l'était.
- Ta réaction est tout à fait fondée Yasmine. Frappe moi, si ça peut te soulager, je le mérite amplement. On dit que l'erreur est humaine. Même les aînés en commettent et les enfants ont le plein droit de les réprimander.
Ça alors! je rêve ou cet homme est entrain de chercher à se racheter? Je n'ai certes pas confiance en lui au regard de tout le mal qu'il m'a fait, mais je ne perds rien à l'écouter.
Je décide alors de lui accorder le bénéfice du doute en m'asseyant le plus loin possible de lui.
Maintenant que j'ai récupéré ma lucidité, je discerne ce sentiment de honte, de remords, de chagrin qui se manifeste dans sa voix. Il baisse les yeux et commence son discours.
- Ta colère et ta haine sont la moindre des choses dont je suis passible. Aujourd'hui, si le ciel me tombais sur la tête, je comprendrais que je le mérite parfaitement. J'ai échoué en tant que père avec Fati et avec Djibril.
Sa voix devient si tremblante que j'en ai de la compassion pour lui. Sa sincérité ne fait pas le moindre doute.
- Ma fille Fati à toujours eu ce caractère obsessionnel. D'ailleurs, je me rappelle qu'une fois, elle devait avoir huit ans seulement, elle a piqué une crise d'hystérie parce qu'elle avait perdu un jouet auquel elle était spécialement attaché. Une autre fois, elle devait n'avoir que dix ans, elle s'est montrée d'une agressivité excessive avec une camarade, tout simplement parce que cette dernière s'est assise sur son table-banc. Il y'a eu tellement de signes flagrants que l'administration de l'école a suggéré que nous consultions un psychiatre. Malheureusement, elle fut diagnostiquée atteinte de trouble obsessionnel compulsif. Elle refusait catégoriquement la thérapie et je n'ai pas eu le courage de l'en obliger. J'ai fermé les yeux sur sa maladie en espérant que la combler d'amour et d'attention la guérirait un jour . En grandissant, elle semblait complètement normale à mon grand bonheur. J'étais loin de me douter que le mal n'était pas définitivement éradiqué.
À présent, c'est un homme désespéré, affligé, anéanti, qui se confesse. Malgré la peine qu'il m'inspire, je lui pose une question qui me tiens à cœur.
- Mais alors, tu savais pertinemment que ta fille était une psychopathe invétérée, mais tu m'as injustement m'incriminé et tu étais prêt à me laisser moisir en prison pour un crime que je n'ai pas commis, sachant que je suis aussi la fille de quelqu'un?
Il baisse honteusement la tête, n'osant pas m'affronter du regard.
- Le jour où tu aura des enfants, tu comprendras que quand on est parent, on est capable de tout pour protéger sa progéniture. L'amour rend aveugle. Je sais que ça ne m'exuse pas, mais que puis-je te dire? Pardonne moi si tu le peux. Je suis impardonnable.
Malgré la volonté qui m'anime, lui accorder mon pardon serait de la pure hypocrisie envers moi même.
Peut-être un jour, si ma plaie cicatrise, songé-je.
Une autre question me picote l'esprit et je n'hésite pas à l'extérioriser.
- Qu'est ce qui vous a poussé à venir aujourd'hui vous racheter?
Il me répond du tic au tac, ce qui me fait penser qu'il exprime fidèlement ses sentiments.
- Quand j'ai appris ce qui est arrivé à Djibril, je me suis immédiatement senti coupable. J'aime ce garçon comme s'il était mon propre fils. Mais au delà de tout cet amour, il y'a une histoire que même Djibril ignore...
Décidément c'est la journée des révélations. Il ne me manque plus que les pop-corn!
Je réajuste ma position pour mieux observer mon interlocuteur.
- Il y'a de cela une quarantaine d'années, je suis tombé gravement malade d'une insuffisance rénale de stade d'extrémités. Je t'exempt des détails sur toute les souffrances que j'ai enduré. Une greffe de rein était le seul traitement qui pouvait me sauver. Les membres de ma famille qui se sont avérés compatibles se sont montrés réticents, voire indisposés à me faire don de leurs rein. Ils ont tous fini par me tourner le dos.
Un sourire empli d'affliction se dessine sur ses lèvres asséchées par la narration. Puis il poursuit :
- Tu connais cette expression selon laquelle certaines amitiés valent mieux que certaines parentés? Eh bien mon meilleur ami à l'époque, en l'occurrence le père de Djibril m'en a prouvé la véracité . Dès qu'il a appris ma maladie, il n'a pas hésité une seconde à faire le test de compatibilité.
Un silence de mort s'installe un bref instant, comme s'il cherche à maîtriser ses émotions avant de continuer :
- Si je suis là aujourd'hui, assis devant toi, c'est parce que son rein m'a permis de guérir. Tu t'imagines bien que cet grand homme, qui aujourd'hui n'est plus de ce monde, je lui dois toute ma vie.
Pour la première fois, depuis le début de la séance d'aveux, je le vois verser une larme, qui a le mérite d'être contagieuse car je me met aussi à pleurer.
- A présent, tu comprends pourquoi Djibril est mon fils. Le voir dans cet état, par ma faute est le plus grand échec de ma vie. Je suis sûre que de là haut, ses parents me maudissent et ils ont tout à fait raison . Je ne mérite pas...et il éclate en sanglot.
Je regarde le vieil homme, cherchant les mots justes pour le réconforter.
- En lui donnant du sang, vous lui avez sauvé la vie.
Pas du tout convaincu, il me répond :
- Je n'ai fait que mon devoir. Djibril, je lui dois tout mon sang, jusqu'à la dernière goutte. En fait, je lui dois toute ma vie. En dehors de cette reconnaissance qui me lie à lui, il a toujours été un enfant adorable. Il a su gagner mon amour, ma fierté et ma confiance. Comment ais-je pu échouer à ce point ?
Tandis qu'il me fixe avec des yeux rouges, notre émouvant épisode de confession est interrompu par l'arrivée d'une nuée d'agents de police.
Que viennent-il faire ici?
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La suite dans le prochain épisode