Chapitre 25: Au revoir éternel.
Write by Lalie308
Jour sombre, jour de deuil dans tout le village. Les funérailles étaient rares chez les nelcaliens, principalement à cause de leur quasi-immortalité. Ils n'y étaient donc pas habitués comme les humains. Ils n'étaient pas habitués à ce que, du jour au lendemain un être cher leur soit arraché, parfois de la pire des manières comme c'était le cas de Soka ; ils n'étaient pas habitués à ne plus voir les sourires, les larmes, le visage des êtres qui leur sont chers. Ils n'étaient pas habitués à l'au revoir éternel.
Tout le peuple était vêtu de noir, ils étaient au soir même de la mort de Soka. C'était la tradition d'enterrer le plus vite possible les morts, de confier le plus rapidement l'âme du défunt aux ancêtres avant que le monde charnel ne s'en empare de nouveau. Ils se trouvaient dans la grande cour sacrée du village où siégeaient les défunts du peuple. Il n'y avait pas une seule larme hypocrite et cela, les humains pouvaient bien le leur envier. Ils s'aimaient réellement entre eux ou tout au moins pour regretter la mort de leur prochain. La mort pour eux n'a jamais réellement été une malédiction, puisqu'elle représentait la plénitude de l'âme ; mais dès qu'elle devenait aussi brutale, aussi prématurée, aussi macabre, elle devenait la pire des malédictions. Ils avaient tous le cœur en peine, la raison de sa mort ayant déjà fait leur tour du village, ils en voulaient aux humains.
Cody et Brad n'avaient daigné se montrer à l'enterrement au risque de révolter encore plus le peuple. Ils avaient préféré rester loin pour les laisser pleurer le défunt en paix. Luz se trouvait au centre, accompagnée de Célesta, Nerdy, Taniata et un des anciens. Elle avait le regard vide, les yeux cernés et le cœur en morceau. Voir ce petit être qui avait des siècles devant lui, dans ce trou froid et profond la révoltait, voir ce visage éteint l'attristait, se rappeler de ce qu'avait pu vivre Soka la désolait.
— Mata. Nous sommes ici pour essuyer la perte d'un enfant, d'un frère nelcalien que la mort a arraché de la façon la plus brutale qui soit, commença le sage, perçant le silence pesant et triste qui planait dans la cour.
— Commençons déjà par nous rappeler de ce garçon fragile qui n'a pas eu la chance de profiter de cette belle vie dont nous disposons. Avant sa naissance, il avait déjà perdu ses frères et sœurs lors de la guerre. Comme vous le savez, les dégâts de cette guerre resteront à jamais dans nos cœurs. Ces parents qui l'ont eu dans un état de tristesse trop élevé on finit par se tuer, l'abandonnant seul à nos soins. Il a eu la chance de tomber sur notre sœur Taniata et sa famille qui ont pris soin de lui. Malheureusement, la douleur avait été trop grande et il a décidé de rejoindre ses parents.
Taniata plus calme, pleurait silencieusement. Tous savaient combien elle était proche de Soka qui était pour elle un jeune frère, un ami.
— Souvenons-nous alors de Soka et prions pour que son âme trouve la paix qu'il n'a pas obtenue dans notre monde, termina-t-il.
Le peuple se mit alors à chanter des chants de lamentation et de supplication, chaque note portait leur peine profonde et leur espoir que Soka rejoigne un meilleur monde. Célesta et Luz marchaient chacune d'un côté de la tombe, un bras au-dessus de cette dernière. Elles firent sept allez et retour en prononçant des paroles indescriptibles. Après les différents rituels, ils refermèrent le trou et installèrent une pierre tombale en plante. Luz sentait le regard réprobateur de chaque nelcalien sur elle, elle sentait leur colère et se disait parfaitement le mériter. Ils se retirèrent ensuite un à un, y compris Taniata que certains avaient obligé à partir, lui montrant leur soutien. Luz resta là à observer le lieu où siégeait le corps de Soka. Elle ne pouvait s'imaginer comment il avait pu se ressentir quand il a appris que ses parents avaient péri par suicide à cause de cette guerre qui n'était même pas la leur, mais celle des humains. Elle ne savait pas si avoir eu ses parents assassinés comme les siens était aussi terrible qu'avoir ses parents suicidés. Célesta se rapprocha d'elle et lui caressa le bras.
— Je m'en vais pour voir si tout le monde se porte bien. Je sais que ce sera difficile, mais il faudra parler au peuple pour éviter que cela ne se reproduise, déclara-t-elle d'une voix morne.
— Je sais, je le ferai demain. Je m'excuserai, souffla Luz d'une voix morte.
— J'espère que tu ne sens pas coupable. Tu as juste fait ce que te dictait ton cœur et ne doutes pas de cela. En tant que déesse tu devras essuyer des pertes comme ça, tenta-elle de la rassurer.
Sur ces mots, elle se retira. Nerdy était toujours présent, le regard neutre et fixant la pierre tombale. Ils restèrent ainsi dans le silence pendant un long moment.
— Je n'ai jamais voulu ça, commença Luz à mi-voix.
Elle sentait le besoin de s'expliquer en présence de Nerdy et du corps inerte de Soka.
— Et pourtant, répliqua sèchement Nerdy.
— Je me demande si c'est la mort de Soka qui te fait si mal ou la présence de Cody, continua-t-elle d'une voix mordante en levant la tête vers Nerdy.
Ce dernier la fixa longuement et reporta son attention sur Soka.
— Tu sais bien qu'humain et nelcalien, c'est une incompatibilité extrême. Tu t'es entêtée prétextant le faire pour la paix alors que tu ne le faisais que pour toi, pour satisfaire tes désirs, rétorqua sèchement Nerdy.
Luz posa un regard dur sur lui, elle ne dit rien et marcha vers lui. Lorsqu'elle vint devant lui, elle le gifla fortement avant de s'éloigner du lieu, par respect pour Soka. Nerdy la suivit, le visage froissé.
— Tu choisis de fuir ? N'ai-je pas raison ? s'écrit-il, la voix sévère.
Elle fit violemment volteface, beaucoup plus loin du tombeau.
— Mes parents n'ont jamais été une incompatibilité, affirma-t-elle, résolue. Je crois en l'unité entre les humains et les nelcaliens.
— Bon sang Luz, écoute-moi pour une fois, se plaignit-il. Ces humains sont des menaces. Nous ne pouvons pas leur faire confiance. Ils sont pleins de vices.
— Ma mère, elle n'était pas vicieuse, à ce que je sache elle était humaine, rétorqua-t-elle, agacée.
Nerdy se tut et la considéra pendant un moment.
— Je me demande pourquoi je perds mon temps, tu as choisi Cody et donc les humains, finit-il par dire, la voix lugubre.
Luz souffla d'agacement.
— Je n'ai choisi personne. Je n'ai aucun choix de ce genre à faire. Je veux juste l'unité, la paix, rien de plus.
— Reviens à la raison Luz, tu serais bien mieux en te battant au côté des nelcaliens, à mes côtés, rétorqua-t-il fortement.
— Parles-tu toujours de la guerre là ou d'autre chose ? le provoqua-t-elle.
Nerdy ne répondit rien, lui lança un dernier regard accablé et se retira. Elle souffla et se rendit dans sa chambre. Elle s'assit devant celle-ci en se rappelant que la dernière fois qu'elle s'y était installée, elle avait appris le mensonge de Célesta ou du moins ce qu'elle lui cachait par rapport à Hongust, elle se rappelait comment cela l'avait affectée alors qu'elle prétendait plus tôt ne plus vouloir rien avoir à faire avec lui, elle se rappelait de l'erreur qu'elle avait commise, elle se rappelait de la déception que cela lui avait infligée. Sa pensée dériva d'abord sur Nerdy, elle pouvait lire du désespoir et de l'attachement dans son comportement, le problème était qu'elle n'avait jamais su comment réconforter quelqu'un, lui dire qu'elle l'apprécie et qu'elle veut son bien parce que toute sa vie elle n'avait attendu que cela. Elle avait toujours pensé que pour donner de l'affection, il fallait déjà en recevoir, mais sa vision avait changé. Elle voyait comment elle tenait aux nelcaliens et même aux humains, elle savait combien elle s'était sentie bien en réconfortant Wilniv. Sa pensée retourna sur Cody, elle ne savait pas ce qu'il pouvait penser en cet instant, s'il se sentait coupable comme elle, s'il regrettait de l'avoir écoutée et d'être venu dans le village. Soka, pauvre garçon. Luz ne savait pas si c'était mal, mais elle ne s'empêchait
pas de s'identifier aux autres. Elle s'identifiait à Soka qui s'était volontairement désocialisé et isolé alors qu'elle avait été mise à part. Des souvenirs douloureux remontèrent.
*
Les enfants de la cité jouaient de partout et riaient aux éclats. Le père d'Axa était occupé avec tout le travail qu'il avait, du moins c'est qu'il lui avait dit. Elle se demandait ce que les adultes avaient toujours à faire, pourquoi ne s'asseyaient-ils juste pas pour passer du temps avec leur famille. Son regard se posa sur ces enfants qui pourtant étaient pour la plupart avec un parent. Elle se demandait pourquoi ils n'étaient pas si occupés et pourquoi son père oui. Elle se demandait s'il ne l'aimait pas. Elle remarqua au loin Cody, un garçon étrange qui était un peu plus âgé qu'elle, il jouait souvent avec son ami Brad, mais des fois il était seul et triste. Mais elle ne voulait pas aller lui demander ce qu'il avait parce qu'il n'était pas gentil avec elle, contrairement à son ami Brad. Elle le trouvait méchant. Axa se dirigea vers un groupe d'enfants qui jouaient, elle gloussa lorsque la balle lui tomba dans les mains, mais eux, ils ne riaient plus et s'éloignèrent, lui cédant la balle. Elle avait eu mal ce jour-là et tous les autres. Au départ, ces enfants jouaient avec elle, mais leurs parents le leur avaient interdit. Ils leur avaient dit qu'elle était dangereuse et méchante. Mais ce n'était pas vrai, elle était gentille, elle voulait juste des amis. Ce n'était pas de sa faute si des fois elle s'énervait et que tout volait autour d'elle, ce n'était pas de sa faute si elle voyait des gens pleurer et mourir le soir, ce n'était pas de sa faute si cette femme lui parlait bien qu'elle ait toujours été docile avec elle. Ce n'était pas de sa faute si elle était différente.
Elle vit cette mère prendre sa fille dans ses bras en riant aux éclats. Où était sa maman à elle ? se demanda-t-elle. Cette fois, elle n'insista pas comme les autres fois et choisit d'aller
s'asseoir et de regarder les autres. Elle s'assit, seule et rejetée à quatre ans. Elle ne voulait pas pleurer, non. Papa avait dit qu'elle était une princesse et que les princesses ne pleuraient pas. Mais si elle avait mal, que devait-elle faire ? Un petit garçon un peu plus âgé se rapprocha d'elle en riant méchamment, voulant lui arracher le ballon des mains. Aucun adulte ne s'exprima. Elle tenta de résister, elle ne voulait pas lui laisser le ballon, il était pour tout le monde. Quelqu'un poussa le garçon et il tomba sur les fesses en pleurant.
— Ne la touche plus, ordonna la petite voix de Cody qui était venu l'aider.
Le garçon à terre semblait apeuré, Cody avait l'air effrayant. Le truand se releva et courut vers sa mère qui le prit dans ses bras. Cody se tourna vers Axa. Elle vit son visage triste de plus près, il avait des bleus comme si on l'avait tapé. Il ne dit rien à Axa et retourna s'asseoir. Axa ne dit rien et s'assit aussi. Après, le garçon de tout à l'heure revint avec sa mère et ils prirent le ballon, elle les laissa faire et ne dit rien. Elle savait que personne ne l'aimait, mais pourtant, Cody venait de la défendre alors qu'il n'avait jamais été gentil avec elle.
Elle avait tant envie de jouer, de rire comme eux, mais elle n'avait pas le droit. Elle se leva et alla dans la Troïka. Elle s'assit au sol dans sa chambre, recroquevillée. Des larmes tachaient ses joues. Papa avait dit de ne pas pleurer, mais elle voulait pleurer. Elle n'était pas une princesse, les princesses ne sont pas détestées, elle était un monstre.
— Axa, appela une voix, celle de son père.
Elle ne voulait pas qu'il la voie pleurer, elle se releva et nettoya son visage. La porte s'ouvrit et il entra dans la chambre.
— Que fais-tu ici, toute seule ? Tu ne joues pas avec tes amis ? lui demanda-t-il en s'agenouillant devant elle.
— Ils ne m'aiment pas.
Son père lui caressa doucement les cheveux, ne sachant pas quoi dire. Il ne lui avait jamais fait de câlin comme le faisaient les autres parents. Mais il était gentil avec elle. Ainsi se résumait sa vie depuis l'enfance, solitude.
*
Luz pensait à cette époque lointaine où elle se sentait si seule. Maintenant, elle était entourée, du moins elle n'était plus seule. Soka, lui, l'avait été toute sa vie. Elle avait Célesta, Cody, Brad et même Nerdy. Cody vint s'installer près d'elle, dans le silence.
— Je suis désolé, s'excusa-t-il.
Luz sortit de sa rêverie et tourna la tête vers lui.
— Ce n'est pas de ta faute, répondit-elle calmement.
Cody ne répondit d'abord rien, fixant un point devant lui puis finit par se tourner vers Luz.
— Tu te rappelles de ce jour à la cité où ce con voulait te prendre ta balle quand on était petits ?
Luz le regarda étrangement, il avait pensé à la même chose qu'elle.
— Oui et tu m'as bien défendue ce jour-là. Tu avais des bleus aussi, ton père te frappait déjà hein ? J'aurais dû le voir à ce moment-là.
— Tu n'avais que quatre ans, ne te sens coupable de rien. J'aurais tellement préféré que tout soit plus simple et que tu ne sentes pas responsable de tous les malheurs qui arrivent, continua-t-il.
— Moi aussi, mais ce n'est pas ma destinée, souffla-t-elle en souriant faiblement.
Il la prit alors doucement dans ses bras, comme la fois dans la salle d'entraînement, la serrant fort contre lui. Elle ressentit un lourd poids sur son cœur, une très mauvaise impression. Et bientôt, ses doutes se confirmèrent lorsqu'elle eut cette vision. Elle se releva brutalement.
— Cody tu m'as trahie.
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Lalie