chapitre 26
Write by leilaji
Chapitre 26
***Adrien***
Elle quitte soudainement mes bras. Son visage, déformé par le tourbillon des différentes émotions qui la secouent, me fait de la peine.
Est-ce que j’ai bien fait de choisir de le lui annoncer moi-même ? L’annonce d’une maladie aux conséquences lourdes qui risque de bouleverser une vie se fait selon un dispositif bien précis : le médecin annonce le diagnostic, propose une prise en charge thérapeutique et évoque la mise à disposition d’une équipe soignante dont la composition varie selon les besoins. Chaque annonce est unique car chaque patient l’est. Il faut savoir doser aussi bien que possible l’empathie et le professionnalisme. S’il fallait se laisser envahir à chaque fois par les émotions des patients, les médecins ne s’en sortiraient pas. Mais pour ne pas non plus rester de marbre face à la douleur d’autrui, on écoute et on soutient.
Peut-être aurait-il été bien mieux qu’une personne neutre et plus distante d’elle lui annonce la nouvelle. Je ne l’aurais pas connue, c’est ce que j’aurai préconisé. Mais, la situation est différente quand on se sent impliqué. Je connais Elle, c’est la femme que j’aime. Je ne pouvais pas lui infliger une telle annonce faite par … Léonie ! Peut-être aurai-je dû penser à un confrère ? Je ne sais plus, mes idées s’embrouillent. Je pensais qu’elle pourrait encaisser et me laisser lui annoncer que le mot cancer n’était plus signe de fatalité et qu’elle n’avait pas à en avoir peur.
- Attends, comment es-tu au courant avant moi ? demande t-elle en essuyant ses larmes d’un geste vif.
- C’est… Léonie qui m’en a parlé.
- Avant moi ? De quel droit divulgue –t-elle de telles informations. C’est bon tout le Gabon va être au courant, non mais je rêve, elle n’a pas trouvé un autre moyen pour t’éloigner de moi ?
- Je ne suis pas tout le Gabon, elle n’en a parlé qu’à moi et moi seul. Ne dis pas n’importe quoi Elle, si elle l’a fait c’est juste c’est par égard pour nous.
- De toute manière je n’y crois pas un seul instant. Tu vas appeler ta copine Léonie et lui dire de ne pas me chercher où elle va me trouver. Dit-elle d’une voix dure.
- Elle.
- Quoi Elle ? Tu la défends maintenant c’est ça ? Ca vous amuse tous les deux de me mettre au centre de vos conneries ?
Tout ça est en train de partir en sucette !
- Je ne suis pas malade, elle a dû se tromper de patiente si tant est qu’elle fait preuve de bonne foi.
- Ce n’est pas en refusant d’admettre la réalité que tu t’en sortiras…
Elle s’attrape la tête un bref instant et me tourne à nouveau le dos.
- Je ne peux pas être … malade. C’est tout ce que j’ai à dire, ajoute-t-elle en me faisant face. Ces résultats ne sont pas bons. De toute manière, venant de Léonie rien ne m’étonne plus.
- Léonie n’a peut-être pas toujours joué franc jeu avec moi mais sois sûre que c’est une grande professionnelle. Elle n’irait pas jusqu’à inventer pareille affaire Elle, je t’en prie… calme-toi.
- Me calmer ? C’est ma vie qui est en jeu pas la tienne. Et maintenant je vais rentrer chez moi… ajoute-t-elle en passant devant moi et en m’évitant lorsque j’essaie de la rattraper.
- Elle !
- Ne me touche pas.
Elle fonce dans le studio ranger ses affaires et je la regarde faire en essayant de me raisonner moi-même.
Ca m’a pris du temps, mais j’ai fini par comprendre qu’accepter de telles nouvelles dès l’annonce n’est pas chose aisée. Elizabeth Kubler-Ross a modélisé les 7 étapes du deuil (ou de la perte d’un travail, de l’annonce d’une maladie grave…) qu’elle a présenté dans son livre « On Death and Dying ». Je m’y réfère souvent pour pouvoir accompagner au mieux de mes compétences mes patients et leurs parents soumis au choc de l’annonce d’une très mauvaise nouvelle. Même si chaque patient est unique et que souvent les étapes modélisées peuvent être confondues en une seule émotion ou encore se multiplier par dix émotions différentes, le modèle me sert de base pour aider mes patients à affronter leur sort.
Je ne pensais pas devoir m’y référer un jour pour un autre proche. Je suis déjà passé par tout ça quand j’ai perdu Claire. Lorsqu’il a fallu que j’analyse ma propre tourmente pour enfin avancer, je me suis rendu compte que je suis passé par ces sept étapes à différents moments de ma vie : le choc et le déni, la douleur et la culpabilité, la colère, le marchandage, la dépression et la douleur, et enfin la reconstruction.
Elle est en à la première étape, le choc et le déni. Elle nie les faits, refuse d’accepter la situation car elle lui cause une insupportable douleur. C’est tout à fait normal qu’elle agisse ainsi. C’est la première réaction censée de toute personne qui se met mentalement en légitime défense.
Je ramasse la couverture qui git sur le sol et la range dans un des placards de la chambre tandis qu’elle finit de ranger ses affaires.
Elle est fin prête à s’en aller. Mais elle s’immobilise et me regarde durement.
- Tu étais au courant depuis quand ?
- Hier.
- Donc ce week-end, tout ce que tu as fait n’était qu’une mascarade c’est ça ?
- Je te signale que c’est toi qui a proposé de venir chez moi. Tu as l’air de dire que je t’ai piégée
- Ah oui. C’est moi. Dit-elle avec dédain en remettant sa montre à son poignet.
- Où vas-tu comme ça ? Je pensais que tu avais tout ton week-end de libre ?
- Moi aussi, je pensais avoir tout mon week-end de libre. Mais apparemment, ma vie est en péril alors tu m’excuseras de ne plus avoir envie de m’amuser avec toi.
Elle se dirige vers la porte de sortie et je la suis tentant en vain de la convaincre de rester un peu. Je parle mais elle ne m’écoute pas, tout ce qu’elle fait c’est pleurer et me tourner le dos.
Quelques minutes plus tard, elle démarre en trombe sa voiture et me laisse planté au beau milieu de parking comme un con.
***Elle***
J’ai le cerveau complètement vide pendant que je conduis. Je roule sans trop réfléchir et m’arrête quand je me rends compte que je suis juste devant l’entrée qui mène à la maison que loue maman. Quand j’arrive, les enfants sont tous très surpris de me voir. L’atmosphère apaisante de la maison me redonne un peu de sérénité un peu comme si ici rien ne pouvait m’atteindre. J’ai une mine de déterrée alors à ma vue maman craint une mauvaise nouvelle. Ses yeux me questionnent même si ses lèvres restent closes. Je les rassure immédiatement et prends mes enfants dans mes bras.
- Maman, qu’est-ce que tu fais là ? demande Oxya en dardant sur moi son regard de lynx.
Je grimace un sourire que je veux sincère …
- Vous me manquiez trop alors je suis venue vous chercher.
- Ouais ! crie Ekang en s’accrochant à moi.
- Mtchrrr, ton fils là, je vais bien le frapper un jour ! fait maman en débarrassant la table.
Je rigole et leur demande d’aller prendre leurs affaires. Ils filent vers la chambre commune qu’ils partagent tous quand ils sont chez ma mère.
- Que se passe-t-il ?
- Rien maman !
- Je n’aime pas la figure que tu as là hein !
- Je vais bien, c’est le travail qui me fatigue.
- Accroche-toi ma fille, le travail c’est le premier mari de la femme. Sans mon travail je ne sais pas ce que nous serions devenus hein. Donc accroche-toi. Ca va aller.
Je lui souris, je me force longuement mais … c’est dur. Je finis par m’avancer vers elle et la serrer très fort dans mes bras. J’ai envie de redevenir une toute petite fille dont elle pourra prendre soin et qui ne sera pas obligée de prendre des décisions douloureuses car sa maman veille au grain.
- Je sais que tu ne me dis pas tout ma chérie. Mais je suis là si tu as besoin de moi. J’espère que ce n’est pas pour un homme que tu pleures hein !
- Non maman.
C’est sur mon propre sort que je pleure. Dès que j’entends les enfants approcher je me détache d’elle et redresse les épaules.
- Allez, on dit au revoir à mamie.
- Aurevoir mamie. Crient-ils en chœur
- Mais et mon manioc ? demande Obiang
Celui là et la nourriture hein. Sa grand-mère me tend un grand sachet rempli de bâtons de manioc que je lui confie. Il sert très fort le sachet dans ses bras et me sourit de toutes ses dents.
- Merci mamie.
Il lui fait la bise et on s’en va. J’écoute Oxya d’une oreille distraite me détailler leur samedi de folie.
***23 heures***
Je suis devant l’ordinateur et j’essaie comme je peux de m’informer mais je n’arrive pas à me décider à écrire le mot cancer dans le petit dictionnaire médical de l’ordinateur. C’est devant l’ordinateur, remplie de doutes et d’incertitudes qu’Oxya vient me trouver :
- Maman ! Tu ne dors pas ?
- Je fais une petite recherche mon bébé et toi que fais-tu là ? Il est tard tu sais.
- Je peux t’aider… Tu cherches ?
- Oh les élèves de la section vente en pharmacie feront un exposé sur le cancer auquel je dois assister et je voulais faire de petites recherches avant, pour ne pas paraitre trop idiote devant la classe lundi.
Je me demande comment ce mensonge a pu me venir aussi vite et avec tellement de naturel.
- Hé c’est mon domaine ça, allez lève toi je vais te montrer comment faire… dit-elle en faisant craquer ses phalanges avec expertise. You just have to google it !
- Quoi ?
- Laisse tomber maman, ce n’est pas de ton époque laisse tomber. Dit-elle en levant les yeux au ciel.
Je me lève et lui laisse volontiers la place. En quelques clics, elle me dégote un nombre incalculable de sites internet qui traitent du cancer. Je lui demande d’affiner les recherches en précisant le cancer de sein, ce qu’elle fait en deux nouveaux clics…
J’ai le cœur qui bat tellement fort… Et Adrien qui ne fait qu’appeler, ça ne m’aide vraiment pas.
- Tiens, lis celui là. Il est bien présenté et c’est le site officiel du ministère de la santé en France. Mais il y a aussi des blogs ou des forums qui traitent de ça maman… Tu veux quoi ?
- …
- Maman ?!
Elle se tourne et je lui souris.
- C’est bon Oxya, va dormir, je vais me débrouiller pour le reste.
- Ok maman. Mais si tu t’embrouilles tu m’appelles…
- Oui… ma chérie, va dormir.
J’essaie de maitriser ma voix pour qu’elle ne tremble pas. Mais c’est difficile.
Le lendemain à 8 heures du matin, les enfants me trouvent toujours assise devant ce satané ordinateur avec lequel j’ai conversé comme une folle toute la nuit…
- Maman ? Tu es toujours devant l’ordinateur me demande Oxya qui commence à s’inquiéter …
- Non, je viens de me réveiller… Je cherchais une recette spéciale crêpe du dimanche pour enfants chéris.
- Ouais, je veux des crêpes au nutella !
- Et moi je veux les mêmes crêpes que Charlotte aux fraises, crie Annie en se frottant les yeux pour mieux se réveiller.
- Et toi Ekang, que veux-tu ?
- Les crêpes c’est pour les bébés et moi je ne suis plus un bébé. Dit-il en retournant se coucher.
Je questionne Oxya du regard et elle lève les épaules en signe d’impuissance puis se ravise et vient me chuchoter à l’oreille.
- Il s’est fait plaquer par sa copine, celle qui est moche avec un appareil dentaire que toute l’école déteste.
Et ben dis donc !
Nous commençons la séance crêpes quelques instants plus tard et mettons avec joie la cuisine sans dessus-dessous. Lorsque vient l’heure de manger nos différentes préparations en famille, je me rends compte qu’il y a des chances pour qu’on ne se retrouve plus tous ensemble comme ça. Qui va s’occuper de mes enfants si quelque chose m’arrive ? Surement pas Vanessa la femme de mon ex-mari. Ma mère quand à elle est trop âgée pour se remettre à élever trois enfants. Elle a déjà donné et mérite largement de se reposer.
- Maman Elle?
- Oui ma chérie…
- Pourquoi tu pleures ? demande Annie de sa toute petite voix.
Je ne me suis même pas rendue compte que je pleurais à chaudes larmes en les regardant. Jusqu’à quand vais-je pouvoir les protéger de la triste réalité ?
Elle court dans ma chambre où j’ai stocké ses affaires et reviens avec un livre de lecture tout écorné.
- Ne pleure plus hein, je vais te lire une histoire hein.
Je rigole bien malgré moi. Annie ne sait pas lire mais passe son temps à faire semblant de déchiffrer les mots en en inventant à chaque ligne.
***Mercredi***
- C’est l’examen anatomopathologique qui permet d’établir de façon définitive le diagnostic de cancer. C’est une preuve histologique. Comme on a décelé une anomalie lors de votre mammographie, un prélèvement au niveau de cette anomalie a été réalisé et analysé au microscope afin d’établir un diagnostic définitif. Un cancer a été diagnostiqué, l’examen des cellules et des tissus prélevés nous permet de préciser le type de cancer … et blablabla
Ma vision se trouble, et mes oreilles bourdonnent. C’est étrange, ses lèvres bougent mais je n’entends absolument rien. Le temps s’écoule comme au ralenti et mon esprit s’éloigne, s’éloigne…
Je veux me lever, sortir de cette salle de consultation et ne plus jamais voir ce médecin froid qui me parle comme s’il lisait un discours de santé publique ennuyant. Tous les termes techniques qu’il utilise me passent au dessus de la tête. Je ne les comprends que parce que j’ai passé mes précédentes nuits à lire tout ce que je trouvais sur le cancer. Sans ça, je serai encore plus perdue que je ne le suis déjà. Il doit voir tellement de patients défiler chaque jour qu’il ne se rend même pas compte d’à quel point je suis affectée par ce qu’il est en train de me dire.
Diagnostic confirmé…
Je veux me lever, je dois fuir mais je n’y arrive pas. Je sens que mes jambes ne vont pas pouvoir me porter bien loin. J’ai froid et chaud et même temps. En fait, j’ai juste envie de lui bâillonner la bouche pour le faire taire à jamais.
Le problème c’est qu’en même temps j’ai envie qu’il continue de me parler. Sa voix monocorde et sa présence sont aussi rassurantes qu’une longue ordonnance. Dans sa blouse blanche immaculée et avec sa figure de père bienveillant, j’ai envie … de pleurer dans ses bras.
Peut-être finit-il par le sentir, car il s’arrête et me regarde.
- Madame Oyane. Vous êtes forte et jeune. Vous allez vous accrocher d’accord ?
Que veut-il que je lui réponde ? Non, je ne veux pas m’accrocher à la vie ! Il est fou ?
***Quelques temps plus tard***
Qu’ai-je bien pu faire de mal ? On parle souvent de karma ou de conneries de ce genre, dont la philosophie se résume à très peu de chose : tu fais du mal, tu le paies !
A qui ai-je fait du mal pour mériter ça ? A mon mari ? Quoi parce que je l’ai trompé ? Mais lui m’a trompé un millier de fois plus, il a fait des enfants dans mon dos, et quand j’avais besoin de lui il n’était jamais là. Pourtant, je suis restée aussi longtemps que j’ai pu pour que mon mariage tienne. A qui la faute s’il m’a poussée dans les bras d’un autre, s’il a refusé d’être le soutien moral qu’il devait être pour sa femme ? C’est de ma faute ? J’ai élevé ses enfants ! Je les ai nourris, torchés, éduqués ! Qui dit mieux ? Hein.
Quoi, on me punit pour mes enfants ? Parce que j’ai quitté leur père et je ne suis plus aussi présente auprès d’eux que je l’étais auparavant ? Mais je travaille ! Je sue sang et eau pour maintenir le style de vie qu’ils ont connu avec leur père dans nos vies. Je paie tout, toute seule, le crédit de la maison, leur scolarité, la nourriture, les soins, je ne demande rien à personne… Ce n’est pas facile, de se lever tôt et de rentrer tard, d’être souvent bien trop fatiguée pour surveiller leur devoir ou écouter leurs petites histoires. Ce n’est pas parce que Leila est comme une petite sœur pour moi que je dois profiter de la situation, je travaille aussi intensément que les autres.
Alors pourquoi me récompense –t-on ainsi ? Ce n’est pas juste pourquoi moi ? Je ne mérite pas ça.
- Tu es sure que ça va aller ? me demande Leila inquiète. Je peux rester avec toi si tu veux…
- Non ce n’est pas nécessaire. Je veux juste que tu gardes bien les enfants et puis laisse les s’amuser un peu. Ekang se plaint tout le temps des livres que tu lui achètes.
- C’est parce que je ne sais pas quoi choisir d’autre. Il aime trop cafter celui là. Je vais bien lui tirer les oreilles en rentrant comme Xander n’est pas là il ne pourra pas prendre sa défense.
Nous savons tous les deux que nous bavardons pour ne pas parler de l’essentiel. Les choses sont allées très vite, tellement vite que je n’arrive même pas encore à réaliser que je vais effectuer ma première chimio. Obligée de passer par là pour réduire la taille de la tumeur avant de pouvoir l’opérer. On m’a parlé de chimiothérapie néo adjuvante.
- Tu m’as dit que tu en as pour trois à quatre heures c’est ça ?
- Tu peux envoyer ton chauffeur venir me chercher ?
- Non je viendrais moi-même… Elle…
- Oui.
- Pourquoi docteur tatoo n’est pas là ? Tu n’es pas obligée d’affronter cette … maladie toute seule.
Depuis qu’elle a appris mon cancer, Leila a peur de prononcer le mot cancer comme si en le prononçant, elle me condamnait à mourir. Je n’en mène pas large mais ça m’amuse qu’elle prenne autant de précaution pour ne pas dire : CANCER. A cette allure, tous les synonymes vont y passer.
Pourquoi docteur tatoo n’est pas là ?
Peut-être parce que de manière tout à fait déraisonnable j’ai balancé toute ma colère contre lui et que pour le moment je ne veux pas le voir. Les messagers de mauvaises nouvelles sont toujours les premiers sacrifiés en temps de guerre. Et là, je suis en guerre contre mon propre corps parce que c’est ça le cancer. C’est ton corps qui essaie de te tuer à petit feu…
Je ne réponds pas à Leila et je descends de sa voiture.
Je suis à l’institut de cancérologie de Libreville qui a ouvert ses portes il n’y a pas très longtemps. J’entre sans chercher longtemps où aller puisque je suis maintenant une habituée des lieux. Une infirmière m’accueille et me guide vers la salle de chimiothérapie encore neuve qu’on m’avait précédemment fait visiter avant mon opération pour poser mon cathéter.
Dès qu’elle pousse la lourde porte à battant, l’odeur de produits me prend aux trippes. J’ai déjà la nausée alors que je n’ai même pas encore commencé le traitement. La salle est très claire et baignée de lumière qui fait tout paraitre très blanc. Il y a plusieurs fauteuils et je choisis celui qui est le plus éloigné des autres. Pour le moment, je n’ai pas très envie de faire partie du groupe des « malades ».
Les patients ici sont très âgés. C’est vraiment étrange, je crois que pour cette séance, je suis la plus jeune de la salle. Ils me regardent m’installer avec un regard compatissant pour leur nouvelle compagne de guerre. Ils se disent surement en me regardant : « dommage pour elle, pourtant elle a toute la vie devant elle ». Je ne veux pas de leur pitié, je tourne la tête pour ne plus voir personne.
Quand je pense que je vais devoir les subir toutes les trois semaines, je sens mon cœur battre d’appréhension.
L’infirmière me branche mon cathéter et commence à m’injecter un médicament pour ne pas vomir. J’ai pris mes précautions ce matin en ne mangeant que quelques biscottes trempées dans du café pour me tenir en éveil après ma nuit blanche.
L’infirmière approche avec un chariot, se lave les mains puis enfile des gants jetables avec dextérité. Elle me tend un masque, en enfile un à son tour et me rassure. Non on n’est pas contagieux, il s’agit tout simplement d’une mesure de précaution pour éviter toute contamination au moment de l’implantation de l’aiguille. Ensuite j’enchaîne 3 poches différentes répartie sur mes trois heures de présence en salle de chimio. La première, est constituée d’un liquide complètement rouge qui donne envie d’uriner, la seconde , je ne sais même plus ce qu’il y avait dedans et la troisième pour le moment ne me fait aucun effet jusqu’au moment où j’essaie de mettre le plat de viande en sauce proposé par la cafétéria de l’hôpital dans ma bouche.
La chimio se met à agir ?… Normalement c’est trop tôt pour que ça agisse, je ne devrai ressentir ce type d’effet que plus tard, une fois chez moi… Alors c’est peut-être mon cerveau et son appréhension qui me jouent un mauvais tour…
J’ai une violente nausée…
Mes yeux s’alourdissent, je me sens fatiguée comme si j’avais couru un marathon.
Je suis seule… Je regrette à présent d’avoir été aussi dur avec Adrien. J’ai eu tout le temps pour y penser sereinement et je me rends compte qu’il voulait tout simplement partager ce moment difficile avec moi quitte à tout prendre sur lui.
Et c’est exactement ce qui s’est passé. Il a tout pris. Mon chagrin, ma colère… Il n’a pas cessé de m’appeler, de m’envoyer des textos et à chaque fois je m’enfermais dans un sombre mutisme en essayant de le rendre coupable le plus possible. C’est comme ça quand on est gravement malade, on a besoin d’accuser quelqu’un de ce que le destin nous fait subir, sinon, plus rien n’a de sens. Il faut que quelqu’un soit coupable.
Je respire par la bouche pour dissiper les effets de la nausée. J’appelle une infirmière pour lui demander si c’est normal que je me sente partir comme ça… je me sens vraiment fatiguée…
Elle me rassure. Oui c’est normal… Je ferme les yeux et m’endors.
Je me réveille quand je sens une main chaude dans la mienne. La température de la salle est assez fraiche pour que la moindre source de chaleur soit un réconfort immédiat.
J’ouvre les yeux.
C’est Adrien.
Dieu merci, il est là.
Je me mets à pleurer dans ses bras devant tous les autres patients ainsi que les infirmières qui tournent les yeux pour nous offrir un peu d’intimité. Je ne pensais pas que ce serait aussi dur sans lui.
- C’est bon là maintenant, je crois que je t’ai offert assez d’espace pour ruminer ta colère mais maintenant il va falloir que tu acceptes que je suis là Elle. Pour toi.
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