Chapitre 27
Write by leilaji
LOVE SONG
Tome II
(suite de Xander et Leila + Love Song)
ALEXANDER
Episode 27
Son regard perçant m’a manqué. Même cette colère que je lis dans ses yeux m’a manquée.
Leila.
Elle baisse sa main pour que la flamme ne brule plus la mienne. De sa main libre, elle tourne ma paume vers le haut et regarde la chair mise à vif. Je ne la quitte pas des yeux un seul instant. J’ai besoin de la prendre dans mes bras, de me fondre en elle. Mais elle ne me laissera pas faire. J’ai eu tellement peur de la perdre.
Je lève la main pour caresser son visage mais elle se détourne. Le foulard mal attaché tombe délicatement sur le sol, libérant ainsi sa luxuriante chevelure. Je ne résiste pas à l’envie de glisser mes doigts dans ses cheveux mais elle m’en empêche aussi.
Le trouble que j’ai causé en apparaissant par surprise s’envole. Elle n’est plus que colère et aigreur. Elle n’a pas l’intention de me faciliter la tache. Je le vois dans le raidissement de son corps. Comme si elle se souvenait tout d’un coup que je la répugnais. Le désarroi que je ressens à ce moment même ne me surprend pas. J’ai peur de la perdre. Je suis terrorisé à l’idée de ne plus faire partie de sa vie. Mais le lieu où nous nous trouvons ne s’y prête pas. Ici c’est le Taj. J’ai fait bâtir ce palais pour elle. Je lui ai donné tout ce que j’avais. Elle ne peut pas tourner la page et me laisser seul face à l’adversité.
Je dois rester maitre de moi si je veux réussir à la convaincre de me revenir.
Nous nous sommes fait beaucoup de mal mais ce n’est rien comparé à ce que les autres nous ont fait. Tout peut encore être sauvé. A condition d’y aller en douceur. Si je lui révèle tout, tout de suite, elle ne l’acceptera pas. Je connais ses codes. Elle se braquera et il n’y aura plus d’issue pour nous. Je dois d’abord lui rappeler que je suis celui qui l’aime. Je suis toujours le même Alexander qui tenait sa main et a tourné sept fois autour du feu avec elle. Je suis le même homme qui lui a promis de l’aimer dans cette vie et toutes les prochaines. Leila doit comprendre que je suis celui qui l’aime et qui ne lui fera jamais de mal. Je dois l’en convaincre avant de lui assener une vérité qui va l’anéantir. Elle a eu tellement de mal à s’attacher à sa nouvelle famille. Ce n’est pas aisé de se découvrir de nouvelles racines à son âge. Je vais y aller avec tact. Si elle se réfugie dans son orgueil habituel, elle ne m’écoutera pas. Alors, il n’y aura plus jamais d’Alexander et de Leila. Ce sera fini pour de bon.
— Qu’est-ce que tu fais là ? demande-t-elle d’une voix dure. Tu étais censé être en prison.
— Et me voilà devant toi. Preuve que je n’avais pas à y être. Tu as eu mes messages mais tu es en retard Leila.
— De quoi tu parles ? Je n’ai pas reçu de message de toi.
— Je t’en ai envoyé Leila pour te donner rendez-vous ici à 23 heures.
— Arrête, tu mens comme d’habitude.
— Alors que fais-tu ici si tu ne les as pas reçus ?
— Je suis venue dire au revoir à ce que nous avions, une toute dernière fois.
Je marque un arrêt. Est-ce qu’elle essaie de me dire que c’est par le plus grand des hasards qu’on se retrouve tous les deux ici ? Dire au revoir à ce que nous avions ?
— Tu ne peux pas faire ça.
— Si, je le peux.
— Il faut que je te dise que …
— Que quoi ? coupe-t-elle en me jetant un regard assassin.
Cette souffrance que je lis dans son regard me cloue. On se tait tous les deux. J’ai l’impression que ça fait une éternité que je ne l’ai pas vu. Elle a maigri. D’horribles cernes mangent ses yeux et je remarque que le pli amer qui incurve ses lèvres m’était inconnu. Et moi avec ma sale gueule ! On doit faire pitié tous les deux. Je n’ai plus rien de l’homme dont elle est éperdument tombée amoureuse. L’homme puissant et maitre de lui-même.
Elle a créé le chaos en moi, comme dans ma vie. Mais jamais je ne lui en voudrais pour cela. Ce chaos vaut bien un baiser d’elle.
Entre les quatre murs de ma cellule, je l’ai cent fois imaginé. En prison, j’ai largement eu le temps d’imaginer ce que je ressentirai en la voyant de nouveau. Mais l’intensité des sentiments qui se bousculent en moi, est bien au-delà de ce que j’avais cru bon d’imaginer.
Elle est plus belle encore que dans mes souvenirs.
— Ah je sais ! s’exclame t-elle en posant la petite bougie par terre. T’en avais marre de la baiser dans mon dos alors tu lui as tranché la gorge et tu es rentré au pays retrouver ta bonne vieille femme africaine, réputée docile. Femmes noires, qui pardonnent aux hommes toutes leurs conneries. Surtout lorsqu’elles sont stériles comme moi.
— Ne dis pas ça. Ca n’a rien de stupide de pardonner les erreurs.
— Tu me l’as jeté au visage la dernière fois qu’on s’est parlé. Femme stérile. C’était comme un poignard que tu me plantais en plein cœur. Tu ne t’en souviens pas ? Laisse-moi te rafraichir la mémoire…
— Tu n’as pas besoin de faire ça. Je sais exactement ce que je t’ai dit.
Elle retient un hoquet de douleur et ses yeux se mouillent de larmes. Elle sera bientôt à bout. Je le sais. Je la connais.
— Le mal que tu me fais, Alexander, personne d’autre n’est capable de le faire. Parce que je n’en ai donné le pouvoir à personne d’autre qu’à toi. C’est parce que je t’aime que tu te permets ça ? De me mentir, de me tromper…
— Ecoute pour le bébé de Neina…
— Neina ! Cette garce ! Comme si elle ne m’avait pas fait assez de mal comme ça. Tu as oublié qu’elle voulait me faire tuer. Elle n’a eu que ce qu’elle méritait.
Autant de haine dans sa voix, me surprend. A croire qu’Okili a déjà réussi à faire d’elle sa digne petite fille. L’image de Neina s’écroulant devant moi se réanime dans mon esprit. C’était la mère de Puja, la mère de ma fille. Elle n’aura plus jamais l’occasion de grandir auprès de sa mère, aussi mauvaise qu’elle fut. D’un pas vif, je rejoins Leila. Et la secoue brutalement.
— Elle ne méritait pas ça. C’était la mère de Puja.
— Je ne méritais pas ça non plus.
— Je ne te connaissais pas si dure Lei.
— Tu m’as endurcie, répond-elle en me repoussant loin d’elle. Tu as fait de moi ce que je suis aujourd’hui. Une femme amère qui ne croit plus en rien. Fallait pas revenir. Tout allait bien sans toi Alexander. J’ai appris à vivre sans toi.
— Et tu en es heureuse ?
Elle ne répond pas. D’un geste vif, elle ramasse son foulard et l’attache de nouveau sur sa tête. Puis elle marche vers la porte de sortie.
— Mais moi je ne veux pas apprendre à vivre sans toi, je murmure tellement bas que je m’entends à peine.
Elle se fige mais ne se retourne pas pour me regarder. Ses épaules se voutent.
— Tu as réussi à t’enfuir de ton pays, bonne chance pour la suite. Mais moi, j’en ai fini. Tout ça fait trop mal.
— Et tu penses que je vais te laisser me quitter ? je lui demande en essayant de capter son attention.
Déjà, elle continue de s’éloigner. Je la poursuis et la retiens mais elle ne veut pas que je la touche. Je plaque mes deux mains sur la porte l’empêchant ainsi de l’ouvrir. Elle ne peut s’en aller. Je réussis à la tourner vers moi et la plaque contre la porte. Elle refuse de croiser de nouveau mon regard.
— Laisse-moi partir Alexander. Je t’en prie. Rentre chez toi.
— Regarde-moi quand je te parle ! je tonne la faisant tressaillir et enfin lever les yeux vers moi. Où voulais-tu que j’aille ? Que devais-je faire si ce n’est revenir vers toi ? Où est-ce chez moi, si ce n’est là où tu es ?
Elle continue à se débattre mais je suis bien plus fort qu’elle. Je l’immobilise et me courbe pour coller mon front au sien. Son parfum m’enveloppe. Je ferme les yeux. Sa peau est si douce sous mes doigts.
— Si tu es là à me parler encore et encore, c’est parce qu’au fond de toi, tu sais que je suis incapable de trancher la gorge d’une femme qui serait enceinte de moi. Je n’ai pas tué Neina. Elle n’était pas enceinte de moi. C’était un coup monté. Tu me connais et tu sais à quel point elle peut être perfide quand il s’agit d’obtenir de moi ce que je ne veux pas lui donner. Ce que je ne lui ai jamais donné Lei. Ce qui t’appartient depuis le jour où nos regards se sont croisés.
— Pourquoi nies-tu aujourd’hui ? Tu ne l’as pas nié quand je te l’ai demandé.
— Je pensais que tu parlais de Puja. Je… Lei. Regarde-moi. Oui là, regarde moi dans les yeux. Regarde-moi, j’insiste doucement.
Je prends son visage dans mes deux mains en coupe.
— Elle n’était pas enceinte de moi. Je n’ai plus jamais couché avec elle depuis Puja et tu le sais. Tu le sais… Regarde-moi !
— Et tous ces secrets… Tous ces non-dits… L’argent envoyé chaque mois, tu ne m’en as jamais parlé.
— Mera dil… Puja était gravement malade et je ne voulais pas que tu t’inquiètes pour ça et que tu subisses les machinations de Neina et je … Je voulais juste te protéger. Tu te rappelles ? Attraper les épines pour que tu puisses admirer la rose. Crois-moi ! Je n’aurai jamais pu te faire ça. Il faut que tu me croies. Je ne t’ai jamais menti. Tu pourras appeler Puja, elle te le racontera elle-même. Elle a failli mourir et elle m’a fait jurer de ne plus jamais l’abandonner. Ce n’est qu’une petite fille, tellement douce et gentille. J’ai été un si mauvais père à sa naissance. Tu as tout fait pour créer un lien entre elle et moi et je t’en serai toujours reconnaissant.
— Tu mens, proteste-t-elle en secouant doucement la tête.
Mes mains glissent vers le haut et empoignent sa chevelure à pleine main. Je l’oblige à me regarder et approche mes lèvres des siennes. Je veux qu’elle s’abandonne à moi. Son corps m’appartient. Je veux qu’elle me redonne ce qui est à moi. Je sais que c’est insensé de se dire les choses ainsi. Mais c’est la pure vérité. Son corps est à moi.
— Je t’aime, je murmure en promenant mes lèvres sur la peau de son cou là où pulse une veine. Il n’y a pas un seul instant où je ne pense à toi mera dil.
Elle déglutit et son regard se trouble. Je lèche son oreille et la serre plus fort contre moi. Tout doucement, la tension en elle se relâche et elle pose sa tête sur ma poitrine. Ses mains agrippent ma chemise. Elle me pousse légèrement. Puis se raccroche de nouveau à moi.
— Pourquoi tu me fais ça…
— Je pense à tes lèvres avides sur ma peau. A ton corps chaud serré tout contre le mien. A ce que je ressens quand je suis en toi.
— Alexander…
— Cette folie est née avec toi mera dil. Donne-moi ce qui est à moi, je susurre en lui arrachant son pagne.
Je l’embrasse voluptueusement. Je cueille chaque soupir au bout de sa langue. Mes mains descendent et empoignent ses fesses. Elle gémit mais ne s’écarte pas de moi.
— Dis-moi que tu me crois, parviens-je à articuler entre deux baisers profonds
Elle halète de plaisir mais ne répond pas. Elle défait maladroitement le bouton de mon pantalon sans jamais cesser de m’embrasser. D’une caresse subtile, elle me fait geindre. Nos gestes sont dictés par l’urgence. Je retrouve avec une douce amertume le gout de ses lèvres. Elle m’a tellement manquée que ça en est presque douloureux. Pourquoi ne répond-elle pas ?
— Lei…
Elle me tire vers l’unique canapé sans dossier poussé contre un des murs de la pièce. En cuir beige et de boutons dorés, personne ne s’y assoit jamais.
Lorsqu’on y est, elle m’oblige à m’assoir. Leila se baisse pour faire descendre mon pantalon. Mon caleçon suit le même chemin. Elle ôte son tricot et se penche pour m’embrasser.
— Lei… Parle-moi.
Elle prend ma main et la pose sur un de ses seins. J’en caresse le mamelon qui se dresse d’excitation. Elle se retourne, me présente son dos balayé par sa crinière. J’embrasse chaque parcelle de peau libre, la fait frissonner par chaque morsure. Et avec la douceur dont elle seule est capable quand nous faisons l’amour, elle s’empale avec délicatesse sur moi. Cet étau humide, étroit et chaud qui m’étreint me fait fermer les yeux un bref moment. Elle me présente son profil. Je peux apercevoir une partie de son visage crispé par ce qu’elle ressent. J’ai une main sur un de ses seins tandis que l’autre s’agrippe à ses hanches. Sa peau se couvre d’une fine pellicule de sueur. Elle se cambre encore plus. J’exhale un soupir dans son cou. Les fesses rejetées en arrière, elle me chevauche avec une intensité maitrisée. Je ne vois que son dos qui ondule suavement. J’accompagne chacun de ses mouvements par de puissants coups de rein.
— Parle-moi…dis mois que tu me crois, je grogne à son oreille.
Elle refuse de le faire. C’est sa manière de me punir. Elle sait à quel point je déteste ne pas pouvoir la regarder dans les yeux quand elle jouit. Je me saisis de son menton et tourne sa tête pour pouvoir l’embrasser. Elle m’esquive. Mais intensifie sa cavalcade. Je gémis plus fort incapable de me contrôler alors qu’elle fait preuve d’une détermination redoutable.
C’est primitif.
C’est sauvage.
On n’entend rien d’autre que nos deux corps qui se reconquièrent et se séparent. Ses ongles se plantent dans la peau de mes cuisses. Elle penche la tête en arrière.
C’est nous qui nous retrouvons. Même si elle le refuse.
J’essaie tant bien que mal de reprendre le contrôle. Mais le plaisir est si intense que j’ai du mal à aligner des paroles cohérentes. Elle pousse son dos vers mon torse. Son sexe me happe complètement. Cette danse lascive de ses reins va me perdre. Sa croupe qui monte et descend sur moi, a fini de me rendre fou. Elle gémit mais refuse de communiquer avec moi. Je glisse une main vers l’avant et la caresse. Elle gémit plus fort, se cambre plus fort, m’enserre plus fort.
Puis son corps se contracte. De manière assez fugace au début avant de le faire de plus en plus fort. Sa peau glisse. Son cœur bat plus fort sous ma main. Je m’empare de ses lèvres. Elle halète sans retenue dans ma bouche. J’y suis presque. Mais je me retiens pour qu’elle aille jusqu’au bout de son plaisir. La montée du plaisir est telle, qu’elle se met à psalmodier des mots incohérents. Je m’attends à ce qu’elle s’effondre sur moi mais son corps est toujours aussi tendu qu’au début du premier orgasme, qui est aussitôt suivi d’un autre et encore d’un autre. Les contractions de son sexe sont si vives que je finis par jouir à mon tour. Nous mettons de longues minutes à reprendre notre souffle et à nous séparer l’un de l’autre.
Ca ne lui était encore jamais arrivé. Je suis fasciné de voir son corps réagir avant son cœur.
Je ne sors de ma léthargie que lorsque ses épaules se mettent à trembler, secouées par des pleures muets. Je la tourne vers moi. Elle lève enfin les yeux. Elle passe une main douce dans mes cheveux, sur ma barbe naissante. Je ferme les yeux. Son index trace des sillons sur la peau de mon visage. Puis son pouce malmène ma lèvre inférieure. J’ouvre les yeux quand elle s’arrête. Deux grosses larmes roulent sur ses joues creuses. Je me lève tout en la gardant dans mes bras. Elle pose la tête sur mon épaule. Elle n’est pas plus lourde qu’une enfant. Je fais quelques pas et ramasse le pagne abandonné par terre. Sans jamais la lâcher, je reviens la poser sur le canapé. Je la couvre et me couche juste à ses cotés.
— Si ca ne te détruit pas de ne pas m’avoir dans ta vie Leilajaan, dis le moi maintenant et je m’en irai. Je te laisserai faire ta vie. Tu ne me reverras plus jamais, je murmure en essuyant ses larmes.
— Alexander…
— Leila…
Son regard se durcit. Mais plus comme à notre rencontre. Elle sait qu’elle va céder mais lutte jusqu’au bout contre elle-même.
— Tera naam ishq.
Elle secoue la tête vivement.
— C’est ce que ton nom signifie pour moi. A chaque fois que je le prononce, je ne suis plus le même homme, je ne suis plus Alexander. Je suis Alexander de Leila. N’est-ce pas la même chose pour toi Leila?
Comme elle ne me répond pas, je ferme les yeux un bref moment pour dissimuler la douleur fulgurante que me cause son silence. Je la serre très fort dans mes bras pour calmer ses pleurs. Je ne veux pas qu’elle soit malheureuse. Elle s’agrippe à moi et pleure tellement fort que j’en tremble aussi. Je ne veux pas partir sans lui rendre ce qu’elle a perdu par ma faute. Je me rhabille. Je fouille dans la poche de mon pantalon et en sors sa montre ainsi que le bracelet qu’elle ne quitte jamais et qu’elle avait glissé dans ma valise avant que je ne parte pour l’Inde. Ses yeux s’écarquillent en reconnaissant la montre. Je remets ma chemise sans la boutonner.
— Le destin nous joue de drôles de tours parfois. Cette montre m’a donné la force de te retrouver Lei. Si je dois te perdre encore une fois, je ne veux pas la garder.
— Où l’as-tu eu ?
— Ce serait trop long à t’expliquer.
Je lui remets le bracelet ainsi que la montre au poignet. Elle les regarde, incrédule. Mon pouce caresse son poignet pour une dernière fois. Et lorsque je veux me lever pour la quitter, son bracelet s’accroche au manche de ma chemise. Nos regards se croisent. Je défais l’anicroche et me lève mais de son autre main, elle me retient. Elle me retient si fort. Ses yeux me scrutent avidement. Elle n’a besoin de rien dire d’autre. Je reprends place à coté d’elle et elle enfouit sa tête dans mon cou.
— Ne m’abandonne pas encore une fois, pleure-t-elle. Ne me laisse pas. Je n’y arriverai pas cette fois. Je n’ai plus assez de colère contre toi pour me retenir loin de toi, si tu me tournes le dos et t’en vas.
Je fonds sur elle. Le baiser qu’elle me donne, aussi désespéré que mon cœur une seconde auparavant, me ravage. Je l’embrasse à en perdre haleine. Ses ongles s’enfoncent dans le bas de mon dos. Je glisse ma main dans ses cheveux. Je ne m’arrête de l’embrasser que lorsque mes lèvres sont bien trop meurtries pour continuer.
— Je t’aime. Je suis là Leila.
— Ne me laisse pas. Pas encore.
Je m’adosse contre le mur et elle se blottit dans mes bras. Je détends ma jambe. La banquette n’est plus aussi confortable que tout à l’heure. Je tire de ma poche un paquet de cigarette tout abimé. Je n’ai pas de quoi l’allumer. Mais ça me calme de l’avoir en bouche.
— Ta jambe te fait mal ?
— Seulement quand on me baise comme tu viens de le faire, je réponds de manière brute pour la taquiner.
Elle se cache de moi en souriant, s’accroche à ma chemise et je la serre plus fort.
— A cause de l’accident ?
— Oui. Quand j’ai cru que tu étais partie et que je t’ai vu en compagnie d’Elle.
— Tu as traversé sans regarder.
— J’ai eu beaucoup de chance. Même si en réalité j’ai oublié tous les moments autour de l’accident. Je tombe de sommeil Lei. J’ai peur de fermer les yeux et de voir que tu n’as pas pu rester, que tu es partie.
— Je serai là Khan. Je serai là.
Elle ôte la cigarette de ma bouche et pose un baiser sur mes lèvres. Je ne parviens plus à lutter. Mes yeux se ferment et je m’endors.
*
**
Je n’ai pas vraiment eu le temps de me reposer. Nous nous sommes endormis au petit matin. Le peu de lumière qui filtre de sous la porte m’indique qu’il fait nuit. Ma tête cogne comme un burin sur un mur en béton. La nuit a été longue. J’ouvre un œil puis l’autre et vois la petite bougie abandonnée par terre éteinte. Je frissonne de peur. Quand est-ce que je suis devenu si superstitieux ? Je n’aurai jamais dû la laisser s’éteindre. Je ne sens plus la présence de Leila dans mes bras. Je me redresse. Mon téléphone sonne dans la poche de mon jean. Personne ne connait ce numéro alors qui essaie de me joindre ? Une erreur ? Non bien sur, c’est Okili ! Il doit surement déjà savoir que je suis là, avec elle. Je décroche tout en tentant de garder mon calme.
— Je t’ai laissé une seule chance de me prouver que tu aimais réellement ma petite fille. En restant loin d’elle. A l’abri dans cette satanée prison. Tu crois que je n’aurai pas pu te faite tuer dans cette prison ? Et tu viens de me démontrer ton stupide égoïsme. Tu la veux hein, quoique ça lui en coute. Elle est en train de construire sans toi, la vie qu’elle mérite et tu reviens tout ravager encore une fois. Tu veux te mesurer à moi c’est ça ? Tu crois vraiment pouvoir gagner. Alors que tu es chez moi ? Compte sur moi pour régler ça.
— Oki…
Il a raccroché ! Merde. Le sang pulse à mon oreille et la colère s’empare de moi. Je souffle pour me retenir de casser quelque chose mais je n’y arrive pas. Je jette le téléphone par terre et l’écrase de toutes mes forces avec mon talon pour me défouler. Puis je me mets à compter dans ma tête à rebours et à penser à cette nuit puis me calmer. Et petit à petit, j’arrive à reprendre le dessus.
— Qu’est-ce qui se passe ? demande Leila.
Je lève les yeux et remarque qu’elle a pris le temps de rallumer une autre bougie. Elle la pose sur un socle mural et vient me prendre dans ses bras pour me calmer. Elle est redevenue la Leila d’Alexander.
— Je vais te raconter ce qui s’est réellement passé avec Neina et tu vas m’écouter sans rien dire parce qu’on a plus de temps à perdre. Il faut qu’on parte. Loin !
Elle hoche la tête et vient s’asseoir à mes cotés. Je parle d’une voix monocorde, raconte tous les détails sordides, le chantage, la face cachée de son grand-père qu’elle ne connait pas réellement. A la fin de mon monologue, elle accuse le coup. On pourrait entendre une mouche voler dans la salle.
— Il... Tu…bégaie-t-elle en cherchant ses mots.
— C’est un psychopathe Leila. Cet homme est dangereux.
Mon regard déterminé l’empêche de contester ma version des faits.
— Il n’a fait que me défendre contre toi. C’est tout.
— Leila, dis-je doucement en la forçant à m’écouter plus attentivement. Il a fait trancher sans remord la gorge de Neina alors qu’elle était enceinte. Il a menacé de te tuer si je revenais te chercher. On ne peut pas rester. Il vient de m’appeler. Dans les prochaines minutes, il aura fait localiser mon téléphone. Il sait surement même déjà où on est. Il faut qu’on parte.
Je me lève et boutonne ma chemise et essaie de l’aider à se rhabiller.
— Qu’on parte pour aller où ? Pour faire quoi ?
— On trouvera bien. Mais il faut partir Lei. A Mumbai, à Londres… on verra.
— Et que je laisse encore une fois tout ce pour quoi j’ai travaillé pour toi ? Tout ce que j’ai bâti, tout ce pour quoi je me suis battue, pour toi ? Toi et encore toi. Toujours toi.
— Il s’agit de nous, pas seulement de moi.
— Ici c’est chez moi Alexander. Si ce que tu dis est vrai. Je trouverai la solution pour nous protéger. Mais on ne peut pas tout abandonner comme ça. Fuir…
Je me fige. Même si on n’a plus de temps à perdre, je lui dis le fond de ma pensée.
— Si je reste Lei. Soit il me tuera, soit je le tuerai. L’un de nous deux mourra.
— On n’en arrivera pas là.
— Si Leila. On en arrivera là.
— Non. Compte sur moi pour régler ça, dit-elle d’un ton ferme qui me rappelle étrangement celui d’Okili.
Je la regarde et me demande si au fond, je connais vraiment cette femme. C’est une tout autre personne que j’ai face à moi. Une personne froide et distante. Elle devait déjà avoir ses propres doutes sur lui. Je n’ai fait que confirmer ce qu’elle soupçonnait. Du moins je l’espère.
*
**
On sort rapidement. A cause du jardin fourni, les bruits de la nuit nous parviennent étouffés. Personne dans la vaste demeure ne vient à notre rencontre. La propriété est à peine éclairée, on se croirait dans un palais maudit. On rejoint la voiture qu’elle a garée non loin de la salle des fêtes. Leila prend le volant pour éviter que j’aie à montrer mon permis de conduire en cas de contrôle routier. On boucle tous les deux nos ceintures. Elle serre le volant, démarre puis s’arrête juste devant le portail. Elle détache sa ceinture, se tourne vers moi et soupire longuement. Ses yeux brillent d’un sentiment que je n’arrive pas à décrypter, comme si elle venait de prendre une résolution sans m’en parler. Sa main saisit la mienne avec force.
— Qu’est-ce qu’il y a Leila?
— Promets-moi de m’aimer. Quoiqu’il arrive.
— Ne t’inquiète pas. On va gérer ça.
— Promets.
— Je te le promets Lei.
— Où qu’on aille, il nous retrouvera toujours. Parce qu’il me veut moi, il veut une héritière. C’est ici que tout à commencé et il faut que ça se termine ici aussi.
Elle lâche ma main pour redémarrer la voiture.
On n’a pas le temps de voir venir, la voiture. L’autre voiture. Qui semblait nous attendre. Le crissement de pneu ! L’autre voiture qui a foncé sur nous. Je n’ai pas le temps de la protéger du choc. Je n’ai même pas le temps de penser à ma propre vie.
Les vitres ont éclaté.
Nos vies ont éclaté.
(Normalement je devais m’arrêter là, mais comme je suis de bonne humeur on continue)
*
**
Adrien
Je vérifie que tout va bien dans la nouvelle clinique que je viens d’ouvrir à Angondje et rend visite à chacun des patients avant de m’en aller dormir un peu chez moi. Encore une fois, je vais retrouver les enfants déjà couchés mais ce n’est pas grave. On se rattrapera après. Les installations sont neuves et je suis très fier du standing de ce nouvel établissement. Une fois le crédit de la première remboursé, je me suis lancé le défi d’en ouvrir une autre. Et pour le moment ça me réussit.
Je me suis déjà débarrassé de ma blouse blanche en portant une veste sport grise achetée par Elle. Elle est assez longue pour cacher certains de mes tatouages qui intimident les patients pas très ouverts d’esprit.
Je vois deux policiers entrer dans la chambre 6 et fronce les sourcils. Le temps de les rejoindre et de voir ce qu’ils font là, je demande au mec de la sécurité de ma suivre. Je n’ai pas peur de me servir de mes poings en cas de problème mais je crois que ça ne fait pas très bon genre pour une propriétaire de clinique de blesser des flics. J’ouvre la porte et entre.
Alexander, le mari de Leila a les mains menottées dans le dos. J’ai entendu parler de ce qui s’est passé en Inde. Je sais qu’il peu être taré quand on touche à sa femme et je me dis que les choses ont dérapé là-bas parce qu’elle n’était pas là pour le contrôler. Je ne pouvais pas refuser qu’on l’interne chez moi. Ses problèmes avec sa femme ne me concernent pas.
Suite à l’accident de voiture où un fou furieux leur a foncé dessus, ils ont tous les deux été emmenés. Je ne suis pas un traumatologue mais son cas était assez « léger » pour que je puisse m’en occuper moi-même. J’ai prévenu Elle qui a tout de suite alarmé Denis et le grand-père de Leila. Alexander s’est réveillé en arrivant à la clinique. Il n’a que quelques contusions, une cote fêlée. Mais par mesure de sécurité et parce que je sais qu’il a des ennuis, je l’ai gardé en observation plus longtemps que nécessaire. Il a eu de la chance, la ceinture de sécurité l’a bien protégé. Je sais que mon gabarit impressionne tellement que, peu de gens ose se foutre de ma gueule, surtout quand j’ai les sourcils froncés. Alors je joue les mecs nerveux.
— Qu’est-ce que vous foutez dans la chambre de mon patient ?
— Cet homme est recherché par la police judiciaire de son pays. Nous l’emmenons. Il va être extradé.
— Je ne crois pas non, intervient une voix derrière moi.
Je me retourne et vois Denis qui fait signe à un homme en costume qui s’avance avec plein de documents en main. Qu’est-ce que ce couillon fait là ? Je demande à l’homme de sécurité de la clinique de nous laisser.
— Je suis maitre Murim. La procédure à l’encontre de mon client a été invalidée à Mumbai en Inde. Je vais vous expliquer ce qui a entrainé l’invalidation. Mais vous feriez mieux de le lâcher tout de suite.
— Nous avons reçu des ordres, insiste le policier. On l’emmène d’abord et on voit les documents après. Sinon le procureur va nous emmerder.
Denis lance un appel et un homme décroche avec la voix de celui qui est tiré d’un lourd sommeil. Il lui explique la situation très brièvement.
— Je prends la responsabilité de tout ce qui va se passer, frangin. Ca te va ?
— D’accord. Mais envoie-moi l’avocat avec les documents.
— Pas de souci, dit-il en raccrochant. Aller discuter à l’extérieur avec l’avocat.
Ils se regardent un bref instant et ôtent les menottes à Alexander. Les deux policiers sortent accompagnés de l’avocat qui les abreuve de termes légaux qu’ils n’écoutent même plus.
— Où est-elle ? demande Alexander sans même jeter un regard à Denis.
— Dans une autre chambre. Malheureusement elle a eu moins de chance que toi. Elle avait défait sa ceinture. Le choc a été si violent qu’elle a traversé le pare-brise. J’ai examiné ses scanners et IRM. Ce n’est pas bon.
— Comment ça ? me coupe Denis.
— Hé, Denis, tu permets que j’explique au mari ce que sa femme a ?
Il nous toise puis quitte la chambre. Je sors les examens de Leila de son dossier. Je place les films IRM anatomiques devant une source de lumière pour afficher les images de contraste. Mais avant que je ne puisse en dire plus, une infirmière vient me chercher en courant, me révélant que la patiente de la chambre 16 s’est réveillée.
— C’est la chambre de ta femme.
Je cours pour aller la rejoindre. Elle est seule dans son lit et une infirmière l’aide à boire un peu d’eau. Dès qu’elle a fini, elle s’en va. Leila a de petites coupures sur tout le visage. Heureusement, les entailles ne sont pas assez profondes pour rester à vie. Alexander entre derrière moi. Je le sens soulagé et heureux de la voir vivante. Les mains croisées sur la tête, il regarde le plafond comme s’il priait pour remercier Dieu.
— Putain Leila, j’ai eu la peur de ma vie !
Elle le regarde intensément puis détourne la tête lorsque Denis entre à son tour.
— Denis. Dieu merci tu es là, murmure-t-elle tout bas. Qu’est-ce que je fais là ? Pourquoi je suis à l’hôpital ? Pourquoi ils sont là ?
Elle a du mal à garder les yeux ouverts et parle avec difficulté. Tous les trois, nous sommes tellement surpris par sa réaction qu’on se fige. Plus personne ne parle. Je m’approche d’elle pour l’examiner. Sa tension est bonne. Elle semble calme.
— Tu sais comment tu t’appelles ?
— Leila Larba.
— Ok. Leila. C’est Adrien. Comment te sens-tu ? Tu sais quel jour on est ?
Elle ne répond pas et refuse d’ouvrir les yeux. Je veux l’obliger à faire un effort.
— Lâchez moi je ne vous connais pas. Denis !
Je n’insiste pas pour ne pas l’effrayer car sa tension est en train de monter en flèche.
— Calme-toi. Ce n’est pas grave si tu ne me reconnais pas. Est-ce que tu reconnais au moins ton mari ?
— Je ne suis pas mariée.
— Fais un effort Leila.
— De quoi parlez-vous ? Il faut que je dise au cabinet que je ne pourrai pas venir travailler. Ma patronne va se fâcher.
Alexander s’approche. Tout dans son attitude dénote la colère : ses mâchoires serrées et son port raide.
— Tu es en train de parler de the Firm ?
— Oui. Pourquoi ? Denis qui est-ce ?
Alexander me regarde comme pour me prendre à témoin de l’aberration qu’il vient d’entendre. Denis s’avance vers Leila qui ne le rejette pas. Il lui prend la main, elle la serre fort puis se rendort. Mais je le sens profondément troublé. C’est bien la première fois qu’il ferme sa grande gueule. Il était réellement inquiet.
— C’est ce que je voulais t’expliquer sur ses IRM. Selon la gravité de l’accident et du choc reçu par le cerveau, les événements qui étaient en train d'être enregistrés dans la mémoire au moment même de l’accident sont perdus. Parfois même les choses qui sont passées après l'accident sont oubliées aussi. Chez la plupart des patients, il y a juste un blanc, un trou de mémoire. Mais à lire les IRM de Leila, le traumatisme crânien est sévère avec des lésions cérébrales.
— Ce qui veut dire ?
— Que l’accident a apparemment effacé entre quatre et cinq années de sa vie. Puisqu’avec Elle, elles ont travaillé à The Firm mais c’était il y a des années si ma mémoire est bonne. Mais on va faire des examens plus poussés…
— Elle va retrouver la mémoire