Chapitre 26

Write by leilaji

Love song tome 2


Episode 26


Leila 


(je ne pète pas la forme pour écrire. C’est un peu court mais il vaut mieux ça plutôt que RIEN lol)


L’eau du robinet goutte depuis une bonne minute déjà mais je suis incapable de me lever pour aller le fermer. Mes yeux pèsent autant que deux couvercles de marmites en fonte. Mon téléphone est toujours éteint et je ne compte pas l’allumer. Il ne fait pas bon pour moi d’être joignable en ce moment. Les gens veulent savoir si mon ex mari me battait et si c’est pour cela que je prends la défense des femmes, que je parle d’égalité. Je passe pour une femme amère, bafouée par un mari volage qui a fini par tuer sa maitresse. Je ne suis pas une femme amère, du moins je l’espère. Je ne sais pas si on fait part à mon égard de compassion ou de curiosité malsaine. Tout ce que je sais c’est que chaque appelle me heurte. Je n’ai jamais aimé les projecteurs, être le centre de l’attention.  Je n’arrive plus à gérer. Depuis quelques temps, je suis toujours au cœur de scandales liés à Alexander. L’opinion publique finira par en avoir marre de moi. Quelle crédibilité j’ai en tant que femme politique, si ma vie privée est un spectacle de tous les jours ? 

Comment font les gens pour survivre à des situations qui leur échappent. Quand on est dans l’œil du cyclone et que tout est détruit au passage, comment se protège –t-on ?  J’ai toujours eu le contrôle de ma vie. Pauvre ou riche, j’ai toujours été aux commandes de ma destinée. Mais il y a un arrière gout de non-dit dans les yeux de mes proches en ce moment. Depuis que mon grand-père est apparu. J’ai appris à connaitre l’homme de pouvoir derrière le papi affable et cet homme me fascine. Mais j’ai aussi appris à connaitre l’homme intraitable lorsqu’on s’oppose à ce qu’il veut. Et cet homme me fait peur. Je suis fatiguée. Tout simplement fatiguée. 


Contrairement à ce qu’avait prévu Gabriel, le premier ministre a tenu à me rencontrer en privé avant de me convoquer officiellement le lendemain à la primature. Sa secrétaire est parvenue à me joindre sur la ligne fixe de la maison après plusieurs appels. La maison. Il y a quelques mois encore jamais je n’aurait appelé cette vieille bicoque coloniale, la maison. Mais les choses changent et il faut changer avec elles. 

Prince est donc venu me prendre pour me déposer au lieu du rendez-vous. Contrairement à notre habitude, nous ne parlons pas durant le trajet. La tête posée sur la vitre, les bras croisés, j’essaye de ne pas me laisser envahir par la tension ambiante. Libreville défile devant mes yeux. Libreville et son non-sens. Libreville, capitale d’un pays pétrolier avec ses maisonnettes en bois en plein centre ville. Libreville où les gens chôment mais trouvent l’argent pour être abonnés au câble. Les antennes de canal poussent comme des champignons sur tous les toits. Libreville ou l’étranger se fond dans le local comme s’il y avait toujours été. Libreville m’a tout donnée, le bon comme le mauvais. Mais je me suis demande, si cette ville ne mérite pas mieux que moi et mes incessants problèmes de couple. Les femmes de ce pays méritent mieux. 


— On est arrivés Lei, me dit Prince, interrompant ainsi ma rêverie.

— Ecoute, lui dis-je après une minute de réflexion, je te demande pardon pour la dernière fois. 

— Il n’y a pas de mal. 

— Je n’étais pas…

— J’ai dit que ça ne faisait rien Lei, coupe-t-il plus fermement. 


Il me sourit et son air candide me rassure. Je détache ma ceinture et me rapproche de lui. Il me fait une grimace adorable puis me prend dans ses bras. Mon cœur se serre à chaque fois qu’il a un geste tendre envers moi. Je crois que même si je n’ai jamais pu expérimenter les embrassades d’un père, les siennes doivent être celles qui s’en rapprochent le plus. 


— Même si c’est dur, murmure-t-il à mon oreille, même si ca te semble impossible, ne te décourage pas. Impossible n’est pas Okili et tu es sa digne petite-fille. 

— Arrête de me dire des trucs pareils. Dans ta bouche, je ne sais même pas si c’est un compliment. 

— Ca l’est. 

— T’es sur ? 

— Parfois. 


On éclate de rire et il descend de la voiture pour m’ouvrir la portière le temps que je récupère mon sac. Prince essaie de me le prendre des mains mais je le garde. Je sais que c’est un homme diplômé qui devrait être ailleurs qu’à mes cotés à jouer les gardes du corps. Il a choisi de l’être parce que je suis sa sœur et qu’il veut me protéger. Je ne pourrai jamais lui rendre ce qu’il me donne en étant à mes cotés dans les moments les plus difficiles. 


Quelques minutes plus tard, je suis installée dans un bureau richement décoré et je patiente calmement devant un café chaud. Je me suis toujours demandé pourquoi les riches aimaient les salons de style Louis XIV et autres. On ne s‘y sent jamais à l’aise. J’ai toujours l’impression que la guillotine peut passer d’un moment à un autre sur mon cou. Lorsque la porte s’ouvre sur le premier ministre, je me lève pour répondre à son salut. Je  comprends tout de suite que les choses ne vont pas aussi mal se passer que je le pense. On discute de tout et de rien pendant un moment. Il me fait même de petites révélations sur ce que les autres ministres qui s’entendent bien avec moi lui ont dit à mon propos pour prendre ma défense. 


— Et ceux qui ne m’aiment pas ? 

— Je ne pense pas que ce soit important de s’en occuper, dit-il en décroisant les jambes et en se penchant vers moi. Bon. Parlons de choses plus sérieuses. Il devrait y avoir une sanction. J’ai été contacté par les ambassadeurs des pays que tu as cités dans ton discours. Ils veulent des excuses publiques. 


Mon cerveau retient un seul mot clef : « devrait ». C’est déjà là une faille. Je prends une grande inspiration avant de m’exprimer. Il regarde mes mains qui tremblent. Oui j’ai peur de perdre ce boulot que j’aime. Et pour tout dire, je ne sais même pas pourquoi je viens de dire que je ne ferai pas d’excuses publiques. 


— Tes mains tremblent, me fait-il remarquer. 

— Parce que c’est difficile de tenir mordicus que je ne ferai pas d’excuses quand le patron me demande de faire des excuses. En réalité, ca fait longtemps que je n’ai plus eu de patron. 

— Je vois ça. 

— Je ne veux pas en faire et ça signifie surement que je serai virée.

— Surement.

— Mais je n’ai aucune envie de voir tout ce que j’ai commencé à mettre en place, s’envoler parce que je ne serai plus là pour mener à bout mes batailles. 

— Je comprends. 

— Je maintiens ce que j’ai dit. Défendre les droits d’une communauté n’est en rien une insulte à une autre communauté. Défendre les noirs ce n’est pas insulter les blancs, et défendre les femmes ce n’est pas appauvrir les hommes. A moins que les blancs ou les hommes, se soient accaparés de choses qui ne leur appartiennent pas, et craignent que ça leur soient arrachées. Ce qui rendrait ma bataille encore plus légitime. Je maintiens donc ce que j’ai dit.


J’essaie de ne pas vomir la café que je viens à peine d’avaler. Le stress me rend nerveuse. 


— Tu es jeune. Tu dois savoir prendre soin de tes alliés. La politique c’est beaucoup de diplomatie et de compromis.

— Je le sais Monsieur le Premier Ministre. Mais quand on ne possède rien, on n’a rien à compromettre. 

— Tu me rappelles, ton père. Avant qu’il ne se détourne de la politique. Il a fait parti un bref moment des jeunes leaders charismatiques d’un parti pas très connu. Le rêve de ton grand-père de le voir à la place que tu occupes s’est brisé à sa mort. Je suppose qu’il tente à nouveau sa chance avec toi. 

— Vous l’avez connu ? Mon père. 

— Oui. Mais il est malheureusement parti trop tôt. 

— Oui. 

— Bon. Tu maintiens ta position ? 

— Oui Monsieur le Premier Ministre.

— Je vais voir ce que je peux faire pour toi. Ton grand-père m’a déjà demandée de t’aider à maintenir ta place. Je vais voir ce que je peux faire. 


Pourquoi ne suis-je pas stupéfaite qu’il s’en soit mêlé ? Cet homme rode sur ma vie comme un charognard sur un cadavre.


— Sans son appui, je saute c’est ça ? 

— Pour dire la vérité, oui. L’avoir derrière toi, te protégeant, c’est comme avoir tout un parti politique avec toi. Il n’est connu que de ceux qui comptent vraiment. Et jamais il n’a aimé la gloire pour lui-même. Le Gabon ne le sert pas, ma fille. Il sert le Gabon. C’est un homme juste. Bon, peut-être pas. Mais toujours juste. Il mérite ton respect parce qu’il est en train de tout sacrifier pour toi. Ne le déçois pas. Ok ? 

— Oui, Monsieur. 

— Bon, je vais pouvoir peut-être enfin savourer mon dimanche avec mes petits-enfants à mon tour.

— Bon dimanche Monsieur. 

— Bon dimanche Madem…Madame Okili, rectifie-t-il en me faisait un sourire satisfait. 


Le simple fait qu’il m’appelle Madame me fait plaisir et me prouve qu’il suit de prés les revendications que je porte sur mes épaules. Je suis à la fois soulagée et éreintée malgré la courte entrevue. Nous nous séparons rapidement. Prince me récupère à la terrasse de l’immense villa où il patientait tranquillement. 


— T’es virée ?

— Chut. 

— Quoi chut? Tu l’es ou pas ? 

— Le russe a agi. 

— Je savais qu’il le ferait. Il agit toujours, marmonne –t-il en m’ouvrant la portière. 


Une fois dans l’habitacle de la voiture, je mets un peu de musique pour me détendre. Une pub passe à la radio. Prince démarre et on s’engouffre dans la circulation fluide du quartier Haut de Gué-Gué. Plutôt huppé comme endroit, les grosses bâtisses se suivent les unes après les autres. 


— Tu sais qu’aujourd’hui c’est le dernier volet du show de Lola ? 

— Quel show ? 

— L’émission de Gabriel qui se déroule au Taj. Lola est en finale. 

— Oh mon Dieu c’est super pour elle. Je suis complètement déconnectée de la réalité en ce moment. 

— Tu veux y assister ? J’ai des billets. On pourrait y aller ensemble. Ca lui fera plaisir de nous voir parmi le public. C’est très serré. Sa concurrente est une chanteuse Gospel qui déchire tout. Lola chante bien mais c’est pas non plus une diva. C’est le charme spécial qu’elle a sur scène qui casse la baraque. 

— Dis donc. Tu en sais des choses sur elle, je lui fais remarquer en faisant bouger mes sourcils de manière égrillarde. 

— Je ne l’intéresse pas. 

— Tu veux que je m’en mêle. 

— Surement pas. S’il me faut l’aide de ma grande sœur pour emballer une fille c’est que je ne mérite pas cette fille. Alors tu viens ou pas ? demande-t-il en surveillant le feu tricolore qui passe au vert. 

— Non. Je suis fatiguée. Je veux être dispo à la maison au cas où Denis appelle. L’idée qu’Alexander soit seul dans une prison en Mumbai m’insupporte. 

— Je croyais que tu ne voulais plus entendre parler de lui après ce qu’il t’a fait. Il t’a quand même trompé Lei. Et il savait à quel point ca te détruirait de l’apprendre. Ca ne l’a pas empêché de le faire. 

— Il voulait des enfants. Je ne lui en donne pas. N’importe qui aurait fait pareil. Ca fait mal mais c’est comme ça que le monde tourne. Je dois l’accepter. Je veux passer à autre chose. 

— En envoyant Denis le sauver ? Un jour lui aussi en aura marre de t’attendre et passera à autre chose Lei. Et là tu te retrouveras toute seule. Ce n’est pas que je veux absolument te pousser dans les bras d’un autre mec que l’indien. C’est juste que tu es spéciale. Et il l’accepte. Il te protège de tout. Denis l’accepte. 


Je détourne la tête, histoire qu’il comprenne que je ne veux plus en parler. Il me laisse à la maison. 


— Viens avec moi voir Lola au Taj, s’il te plait. 

— Je n’ai aucune envie de mettre les pieds au Taj, Prince. Aujourd’hui… C’est l’anniversaire de mon mariage. Celui qui ne vaut rien mais m’a rendue tellement heureuse à un moment de ma vie. Je ne veux pas mettre les pieds au Taj et je ne vais pas allumer mon téléphone portable. Je vais regarder à la télévision comme tout le monde puis dormir comme une souche. Voilà mon programme. 

— Ok. C’est toi qui vois. 


*

**


Denis a pris l’avion pour sortir Alexander de prison. Même s’il pense ne rien pouvoir faire, je sais qu’il est capable de le faire sortir de n’importe quel taudis de Mumbai. Je ne sais pas s’il l’a fait pour son ami ou pour moi. Son ami. Peuvent-ils encore s’appeler ainsi ? J’ai gâché leur amitié. Je triture un moment mon portable puis le met enfin en charge. Il n’est pas très tard alors j’allume la télévision et m’installe pour passer une bonne soirée en compagnie de l’incontestable talent de Lola. J’espère qu’elle gagnera.

Nous en sommes au vote du public lorsque la sonnerie stridente du téléphone fixe me fait sursauter. Je veux savoir si Lola a gagné ou pas alors je laisse sonner longtemps avant de me décider à décrocher. Mais la coupure pub me fait perdre du temps alors je  me lève. 


— Tu as réussis à persuader Denis de partir en Inde ? 

— Papi ?

— Qui veux-tu que ce soit à une pareille heure? Il t’aime et tu lui demandes d’aller chercher le blanc ? Et il le fait ? 


L’incrédulité dans sa voix me hérisse le poil. J’éteins la télévision pour mieux me concentrer sur la conversation. S’il l’a fait c’est que quelque chose en lui l’a poussé à le faire. Quoique les gens en disent, Denis ne fait jamais rien qu’il n’a pas envie de faire. Ce n’est pas quelqu’un qu’on peut contrôler. 


— C’est le dernier service qu’il me rend. Après il partira. Il ne veut plus travailler avec moi. 

— Tu as tellement tiré sur la corde qu’elle s’est finalement rompue petite sotte. 

— Papi. 

— Fini les bêtises. Tu crois vraiment qu’un homme de la stature de Denis, on en croise à chaque coin de rue ? Tu as une idée de qui il est vraiment, de ce qu’il fait pour toi ou tu penses toujours avec tes fesses? Tu penses que ton cabinet, tu ne l’a bâti que grâce à ton travail ? Tu as oublié tous les gros clients qu’il t’a envoyés ? Sans lui et ses recommandations, tu ne serais pas en train de faire la fière aujourd’hui. Leila ! Il ne fait pas bon de me mettre en colère. Vraiment pas. Il y a une alliance avec sa famille qui doit être respectée. 

— Cette alliance ne me concerne pas. Même lui ne m’en parle pas. 

— Tu ne me coupes pas la parole quand je te parle. Ca suffit. Ton père. Ton père a été une humiliation cuisante. Ton frère m’a déjà beaucoup déçu. Pourquoi aucun d’entre vous ne prend au sérieux la vie de ce pays ? Mais je ne tolèrerai pas d’échec avec toi. Tout ce que je suis en train de faire pour toi ne te suffit pas ?  Mais qu’a-t-il donc que tu n’arrives pas à oublier ? Il siffle et tu accoures ? Une si belle carrière que tu vas détruire pour un homme qui a été incapable de prendre soin de toi ? 


Mon sang se glace. Il a l’air d’être tellement en colère. Il ne m’avait encore jamais parlé sur ce ton, avec ce dédain dans la voix.


— Je n’ai pas demandé à Denis de le ramener. Juste de le faire sortir de prison parce que tout son argent est avec moi. Ces derniers temps, j’ai liquidé la plupart de nos biens communs et je tenais à lui renvoyer cet argent pour que les choses soient définitivement réglées entre nous. C’est fini entre lui et moi. Mais j’avais l’impression d’avoir une dette morale c’est tout. Après l’aide de Denis, je n’aurai plus aucune dette envers lui. Il pourra faire sa vie à Mumbai et moi la mienne ici. 

— C’est un assassin. Et même s’il est loin de toi, il arrive quand même à te nuire. Penses-y. 

— J’y pense. 

— Tu fais tellement pour les autres. Pourquoi ne penses-tu pas à toi pour une fois ? 

— J’y pense, je réponds une seconde fois de la même voix monocorde. .  

— D’accord. Je ferai revenir Denis alors. 

— Fais comme tu veux. 

— Bonne nuit ma chérie. 

— Bonne nuit. 


A mon ton sec, il a du sentir que j’étais blessée. Avant qu’il ne puisse ajouter quoique ce soit je raccroche.  Je n’ai plus la force de regarder la fin de l’émission. Je vais me coucher. 


*

**


Je n’arrive pas à fermer l’œil. Tout ça a trop trainé. Je me sors du lit. J’attrape les clefs, me rends au salon pour débrancher mon téléphone et sors de chez mon grand père. Le sol froid sous mes pieds nus ne me distrait pas de mon sentiment de solitude. Je démarre et roule sans destination précise. Je tourne longtemps en rond sans prêter attention à l’endroit où je vais. Puis je me gare devant une grande bâtisse que je ne reconnais que lorsque je sors de mon hébétude. Je suppose que tout le monde est maintenant parti et que la production fête la dernière de l’émission avec le staff. Je pose ma tête sur le volant de la voiture et cherche en moi, la force de m’en aller. Mais qu’est-ce que je fous ici ? Je descends de la voiture. 

Je trouve l’un des gardiens du Taj devant la salle de spectacle qui est dans l’aile ouest que Gabriel n’a pas voulu utiliser pour son émission. Tant mieux, au moins il n’y a personne pour se demander ce que je fais ici à une heure pareille. Le gardien est surpris de me voir devant lui, aussi débraillée. Je ne porte qu’un vieux pagne d’un mariage auquel je n’ai même pas pu assister et un léger tricot marron alors que la soirée est fraiche. J’ai ramassé mes cheveux dans un foulard mal noué. 

Il est minuit passé. Et normalement, lorsque nous sommes absents, il est chargé d’allumer les centaines de petites bougies qui composent l’éclairage de cette salle. A l’époque, Khan lui avait demandé de toujours veiller à ce qu’elles soient allumées et je vois qu’il a gardé l’habitude. 


— J’ai déjà tout allumé madame. Ca fait longtemps qu’on vous a vu ici. 

— Je le sais. Tu peux me laisser seule?  

— Je ne suis pas trop sur madame. Tout à l’heure il y avait un homme caché dans le jardin. Il est resté debout ici longtemps avant de s’en aller. J’ai essayé de le rattraper mais il est parti. C’est comme s’il attendait quelqu’un. 

— C’est étrange. 

— C’est peut-être dangereux de vous laisser seule Madame. L’émission de Monsieur Valentine est terminée et les gens sont rentrés chez eux mais il y a peut-être des malades qui trainent dans le coin pour voler des choses. 

— Ca va aller. Je ne vais pas rester longtemps de toute manière. 


Après quelques instants d’hésitation, il s’en va non sans m’avoir encore une fois demandée de faire attention. Je pousse la porte de la salle restée ouverte. Tout de suite mon cœur se serre. L’ambiance y est tellement différente de l’extérieur. Comme si ce lieu n’avait jamais été touché depuis notre rupture. Les centaines de flamme dansent devant mes yeux et illuminent mon cœur. Il faut que j’en finisse avec tout se qui me rattache à Alexander. Je m’avance vers la première petite flamme et souffle dessus pour l’éteindre.  Elle disparait. Je m’oblige en même temps à laisser derrière moi, un souvenir auquel je tenais encore de manière irrationnelle. Pour chaque bougie éteinte, je me force à me délester d’un souvenir. Je continue ainsi jusqu'à ce qu’il n’y ait plus qu’une seule bougie vaillante. Pauvre petite, survivante parmi les mortes. D’une main tremblante, je m’en saisis et la sors de son socle. Je marche vers le milieu de la salle. Elle réchauffe ma paume dans cet endroit  désormais privé d’âme. Je suis dans le noir complet et seule la chiche lumière m’éclaire. Au bord des larmes, je ne peux pourtant pas pleurer. 

Je ne vois plus rien des dorures de la décoration murale, du marbre éclatant du sol, plus rien. Il n’y a plus rien du Taj en moi. Il faut que j’accepte de me séparer de tout ce qui me retient à Alexander. Que je le décide vraiment. Non par vengeance comme je l’avais fait la toute première fois, mais parce que je suis convaincue que nous n’avons plus rien à faire ensemble. C’est trop dur. Je pensais ne plus pouvoir supporter d’entendre même prononcer son nom. Mais non. Il a fallu que je décide encore une fois de tout abandonner pour le sauver. Tout le monde me dit non. Pourquoi je m’entête ? Et moi qui me sauvera quand j’aurai besoin d’un homme à  mes cotés ? 


Pourquoi je m’entête ? 


Parce qu’il me manque. Sa folie, qui terrorise les autres me manque. Parce que cette folie ne m’a jamais fait de mal. Elle a réchauffé mon cœur froid. Elle a ensoleillée ma vie austère.  Elle m’a tout donné, puis tout repris. Je cille des yeux pour empêcher les larmes de couler.


Mon souffle caresse la lumière. La flamme vacille mais ne s’éteint pas. Je ferme les yeux un moment et laisse éclore sur mes lèvres un sourire aussi triste que l’est mon cœur. Tout cela a été une belle histoire mais elle doit s’achever. Elle va mourir ici même comme cette flamme dans les prochaines secondes. Parce que cette flamme c’est nous. Lumière dans les ténèbres, prêts à se battre contre chaque souffle contraire, contre toute noirceur. Mais quelle folie de nous être crus dans le droit de nous aimer alors que tout s’opposait à nous, tout nous séparait. 


Quelle folie ! 


Que lui avais-je dis la dernière fois que nous nous étions retrouvée à deux ici ? Oublie Leila, ne t’en souviens pas. J’étais saoule. Saoule de bonheur de l’avoir dans ma vie. Folle d’amour pour cet homme qui me consacrait chacune de ses pensées. Deewani. Tout cela a été pure folie. Pure folie. Ah, ça me revient. 


— Kehte hain ye Deewani Leila ho gayi, je murmure. Tout le monde dit que je suis folle d’amour pour toi Alexander… Ca n’a pas de sens de souffrir autant pour me retrouver toute seule aujourd’hui… dans le noir sans toi.  Sans rien de toi. Rien. Même pas un enfant…  Quel est cet amour qui détruit ? Mon Dieu pourquoi as-tu créé une telle chose ? Si belle et si vénéneuse. 


J’inspire une nouvelle fois, retenant l’air pour éteindre la lumière. Je veux la voir mourir sous mes yeux. Il le faut. C’est dire au revoir aux illusions passées que de le faire. Quelque chose a bougé ? J’ouvre les yeux lorsque je sens une étrange présence derrière moi qui me donne la chair de poule. Mes yeux se baissent vers ma poitrine. Je trésaille. Une main protège la lumière de la bougie de mon souffle. La peur me fige. 


— Pourquoi t’acharnes-tu à éteindre ce qui ne peut l’être mera dil?  


Je reconnais la voix et me crois dans un songe. Je me suis surement endormie à un moment ou un autre. Il est impossible que j’entende cette voix, ici. Cette voix ne m’appartient plus, je lui ai dit au revoir. J’ai éteint toutes les lumières des souvenirs passés. Je rêve surement. Mais quel doux rêve. Quelle douce folie que voilà. Si je pouvais encore y demeurer, la laisser me noyer. Cette voix de velours qui caresse mon âme n’appartient qu’à lui. Je ferme de nouveau les yeux et fais volte face. Je ne veux pas les ouvrir sinon la folie se dispersera. La réalité me reprendra  à mon doux rêve. Celui qui clos le long chemin parcouru avec lui. Je sens toujours la chaleur de la bougie dans ma main. Il faut que je l’éteigne et que je sorte de cette salle au charme si puissant qu’il me fait penser à lui. Qu’il me fait l’imaginer avec moi. Je souffle une nouvelle fois et ouvre les yeux. La main est au dessus de la flamme. 

La flamme la brule. 

Mais la main la protège. 

Je lève les yeux. Et pour la première fois depuis une éternité, je plonge à nouveau dans le vert de ses yeux étincelants.  


— Ce qu’il y a entre toi et moi mera dil, je ne le laisserai jamais s’éteindre.  Personne ne peut l’éteindre. C’est ainsi fait. 

— Alexander…


Mon cœur bat, à s’arracher de ma poitrine…

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