Chapitre 28
Write by leilaji
LOVE SONG
Tome II
(suite de Xander et Leila + Love Song)
GABRIEL
Episode 28
Ce sentiment de joie qui fait vibrer mon cœur de contentement est indéniablement gratifiant. Un travail colossal mène à une victoire grandiose. Autour de moi, tout le monde s’anime et vaque à ses occupations. Les techniciens règlent les derniers détails du super concert de remerciement de mon émission.
Je jongle avec les obligations qui découlent de ma société et de mon rôle de conseiller auprès de Leila avec brio. Je ne suis pas peu fier de moi. Mais je le suis plus encore de Lola qui a traversé la tempête sans se noyer.
Hier, elle a gagné la première place du concours. Le public l’adore même si son adversaire n’a pas démérité. Peut-être que s’il avait été question d’enregistrer un album, elle aurait été déclassée dès le début. Sa voix conserve de petites imperfections phoniques qu’elle a du mal à gommer. Mais Lola sur scène est une artiste imbattable.
Chaque soir, j’ai prié pour qu’elle gagne et qu’elle réalise à quel point elle est magnifique. Je prépare le spectacle de la victoire depuis quelques temps déjà. Je l’ai conçu en pensant exclusivement à elle. Si quelqu’un d’autre avait gagné, je ne sais pas ce que j’en aurais fait. Lola est une boule d’énergie sur scène. Tout le monde ne peut danser comme une pro et chanter comme une diva en même temps.
Donc ce soir c’est le show ! Je suis en coulisse pour superviser les derniers détails. Ma société de production a loué le stade de Nzeng Ayong qui peut contenir pas mal de spectateurs. L’ingénier du son m’arrête un moment pour discuter de la défaillance de certains micros. Je lui dis d’essayer de les bricoler comme il peut. Ce n’est pas à une heure du début du spectacle que je vais aller acheter de nouveaux micros. Le peu de bénéfice que j’ai fait, je l’ai directement injecté dans ce concert. A la sortie, ceux qui l’on aimé et souhaiteraient le voir, pourront acheter un code d’activation qui coute 2000 francs. Le spectacle sera entièrement filmé, remasterisé et prêt à la vente dans une semaine. Pourquoi vendre un code d’activation ? Si je vends les CD, ils ont tôt fait de les copier pour se les passer gratuitement. Les africains aiment bien l’art mais ils n’aiment pas payer pour l’admirer. C’est de l’argent que je perds quand ils serrent leur poche. Alors je préfère donner des codes d’activation qui permettent de regarder le spectacle en streaming de manière illimitée pendant deux semaines sur une plateforme impossible à pirater.
Lola se prépare avec les danseurs du groupe de Scalinov. Les candidats éliminés plus tôt, feront la première partie du concert. C’est ce qui a été convenu dans chacun des contrats signés avant le lancement de l’émission.
Une heure plus tard, la foule en liesse scande le nom de Lola à plein poumons. Elle est juste à coté de moi et essaie de se détendre. Elle fait une courte prière avec les danseurs afin de les aider à se concentrer sur ce qu’on attend d’eux : foutre le feu.
Les danseurs quittent Lola et entrent en scène. Est-ce possible que la foule puisse crier encore plus fort ? Non. Mais j’ai l’impression que si. Parfaite illusion.
Les choristes débutent le morceau choisi par mes soins et chantent « Cash ». J’ai fait installer un écran géant tout au fond de la scène. Des images pré-enregistrées de l’émission y défilent mélangées à celles tournées en temps réel. Ceux qui sont au fond du stade ne ratent rien du spectacle.
L’un des participants, éliminé au deuxième tour commence le rap de Jovi (artiste camerounais) en argot. Etant donné qu’on a beaucoup de mots argotiques en commun avec le Cameroun francophone, le public comprend très facilement. Dès que Steeve se rapproche du Chorus, Lola entre en scène. Les danseurs font la révérence pour l’accueillir, histoire de faire comprendre que la reine est dans la place. Lola porte des talons vertigineux à plateau sculpté dans du bois. Je ne sais pas comment elle fera pour danser sans se tordre la cheville. Mais il n’y a pas d’inquiétude à avoir. C’est Lola. Elle danse sur n’importe quoi. Elle porte une mini-jupe ultra courte en raphia qui a l’avantage de mettre ses longues jambes fuselées en valeur. Cette jupe est complétée par un haut en feuilles de bananier tissées. Sur sa tête une couronne en cauris. Si j’ai voulu qu’elle présente le morceau de Jovi avec cette tenue, c’est qu’on lui a longtemps reprochée pendant la compèt de ne chanter que des morceaux américains. Le RnB et la pop c’est son monde. Mais je veux qu’ils voient tous qu’elle peut faire ce qu’on appelle ici du « tradi-moderne » sans les décevoir.
A ma nne mot wama, Tam me he moani
Tu me parler de quoi, METS L’ARGENT A TERRE
Ma yi boa biem biama, Petit vélo là fini
Nyanga assikife ana ana ma yi Moani
METS L’ARGENT A TERRE! (Alawubade)
Je n’avais encore jamais entendu Lola chanter en fang. Sur ce morceau, elle force le trait de son accent pour lui donner ce petit coté classique africain. Le joueur de cithare installé à coté des choristes fait courir ses doigts sur son instrument. La magie opère. Des cris « traditionnels » sont lancés par les choristes lorsque Lola fait quelques pas de bikutsi.
Eyiééééééééé !!!
Il lui a suffit de regarder une des danseuses camerounaises du groupe pour capter les pas et les reproduire à la perfection. Je ne sais pas s’il y a une danse qu’elle ne saurait imiter. Le tintement de la cithare met l’accent sur le rythme traditionnel qui donne du cachet à la chanson. Je tenais à ce qu’on entende bien le virtuose et ses doigts magiques.
Ce que le public ni Lola ne savent, c’est qu’au prochain chorus un homme va monter sur scène. Je jette un coup d’œil aux deux vigils qui doivent l’aider à monter sur scène. Ils le font. L’homme sort de ses poches deux liasses de billet. Lola danse. Le séduit. Dès qu’elle entame « MET L’ARGENT A TERRE », il la couvre de billets. Le public exulte. Même à cette distance, je vois des étoiles danser dans les yeux des spectatrices. Quelle femme n’aimerait pas être ainsi couverte de billet par un prétendant ?
Lola frotte de son pouce son index et son majeur. C’est un signe bien connu pour représenter « l’argent ». Puis elle pointe le sol de son index pour signifier à l’homme qu’il doit mettre l’argent à terre. Le tout saupoudré d’une mine dédaigneuse que seules les pestes savent faire. Les feuilles virevoltent puis tombent à ses pieds. Evidemment, ce sont des coupures de billet de 500 et 1000 francs mais ça a son petit effet. Elle ne le regarde même pas et continue de chanter « METS L’ARGENT A TERRE » comme si le parterre coloré de billet était insignifiant à ses yeux. Je crois bien que c’est la première fois que les gens voient ca dans un spectacle. Je ne peux me retenir de sourire.
Les chansons s’enchainent. Elle chante son premier succès « umbrella » que le public adore. J’avais pensé à une pluie artificielle. Mais elle aurait pu glisser en dansant donc j’ai abandonné l’idée et elle a eu droit à une pluie de paillettes en faisant tournoyer son parapluie noir. L’entendre interpréter umbrella qu’elle destinait à Mickael, calme très rapidement ma joie. Je ne peux pas le lui interdire car c’est cette chanson qui l’a fait connaitre. Mais j’avoue que ça me fait mal parce qu’elle l’interprète avec une tristesse que la chanson n’a jamais évoqué auparavant. Puis elle leur sert les succès qu’elle a interprétés dans mon émission notamment c’est chelou de Zaho.
- Alors les filles, la prochaine chanson, on l’a toute vécu au moins une fois dans notre vie. Hein les gos, quand une taspé (pétasse) court après ton mec et que cet imbécile craque et pense que tu ne t’en es pas rendue compte. Les gos vous êtes chaudes pour chanter avec moi ?
- Oui, crient les femmes présentes.
- C'est chelou, débute –t-elle sans instrumental. Cette façon qu'elle a de te regarder. C’est quoi ces manières de t'appeler bébé ? Tu diras à cette tas ...
- Pé , répond le public.
- Que je vais la ta ... continue Lola.
- Per, répond encore le public.
Elle tire le garçon qui a fait pleuvoir les billets sur elle et lui fait des mimiques de jalouse. Il fond complètement et lui fait un grand sourire béat. Le public chante quasiment toute la chanson avec elle. Les paroles défilent sur l’écran géant pour mettre tout le monde dans le bain. A la fin de la chanson, le mec prend la parole et dit :
- Tu peux la taper quand tu veux Lola.
Elle éclate de rire et les vigiles le font descendre de scène après qu’elle l’a gentiment embrassé sur la joue pour la plus grande joie des spectateurs.
Pour son dernier passage, les danseurs, les choristes ainsi que les musiciens du live quittent la scène. Seul reste le cithariste. Ce n’était pas prévu dans le spectacle que j’ai préparé. Je ne sais donc pas ce qui se passe. Est-ce qu’elle a ajouté une nouvelle chanson à son répertoire ? Pourquoi ne m’en a t-elle pas averti ?
La cithare égrène quelques notes tristes puis la voix de Lola se pose, vibrante d’émotion contenue. Le public ne crie plus, ne bouge plus. Il reste immobile comme subjugué par la voix enchanteresse.
Les jours passent mais ça ne compte pas j'ai tant de mal à vivre.
Ivre de ce parfum si différent du tien, pire
J'ai compté chaque minute qui me retient à lui
Comme si j'étais ma propre prisonnière.
Ça fait bientôt un an qu'il m'a sauvé, de toi
Souvent je me demande où j'en serais, pour toi
Souvent je me demande ce que tu fais, où tu es, qui tu aimes…
Sors de mes pensées !
J'ai changé d'adresse, de numéro
J'ai balancé tes lettres et tes défauts
J'ai fais semblant d'avoir trouvé la force
Je garde au plus profond de moi
Tout c'que tu m'as aimé
A la fin de la chanson, les spots s’éteignent. Les acclamations vibrent et réchauffent le stade plongé dans la fraicheur nocturne. Voilà ! C’est fini. Je peux enfin respirer.
Lola fait un petit speech pour clore la soirée. Elle s’assoit par terre, rompt la distance entre elle et le public comme si elle s’apprêtait à faire des confidences à un ami.
- Je reviens de loin les gars.
- Lola je t’aime ! crie quelqu’un dans le public.
- Je t’aime aussi, répond-elle avec un sourire triste. Je reviens vraiment de loin. J’ai eu un enfant très jeune. Trop jeune. Et tout le monde sait ici ce qu’on pense des filles qui ont eu des enfants à l’âge que j’avais. J’ai abandonné mes études par manque de moyens. Je me suis souvent perdue avec tout ce qui m’est arrivé. J’ai galéré. Et aujourd’hui je suis là devant vous, à chanter sans jamais avoir honte de la femme que je suis devenue et de la mère que je suis pour mon fils. On n’a pas tous le même destin. Ne vous comparez jamais aux autres. S’ils avancent vite et que vous faites du surplace, dites-vous que c’est parce que votre temps n’est pas encore arrivé. Apprenez juste à chaque jour, donner le meilleur de vous-même. Même si vous avez l’impression aujourd’hui que votre vie c’est de la merde, n’abandonnez jamais vos rêves. Toutes les merdes de votre vie… c’est l’engrais de la plante du succès. Et surtout, laissez les gens vous aider à atteindre vos buts. On n’y arrive jamais tout seul. C’est ce que j’ai appris. On n’y arrive jamais tout seul. Jamais.
Elle les remercie d’avoir voté pour elle tout au long de l’émission alors qu’il y avait de meilleurs chanteurs qu’elle. Les flashs des appareils photos et téléphones crépitent. Elle les salue et leur donne rendez-vous pour son prochain album. Puis elle quitte la scène acclamée par tous.
Je devrais être heureux parce que la soirée a été magnifique dans tous les sens du terme et que ce n’est pas près de s’arrêter vu ce que j’ai prévu pour elle. Mais non, je ne le suis pas. Une seule phrase résonne dans ma tête : « je ne l’aime pas comme toi ». Je fourre ma main dans ma poche et me laisse submerger par la peur.
*
**
Tout le monde a quitté le stade. Spectateurs, artistes, musiciens et techniciens ont tous disparu. Je raccompagne Lola chez elle. Elle se démaquille dans ma voiture. Et parce que c’est elle, je ne le lui interdis pas, même si je sais que son fond de teint va saloper le cuir des sièges.
- Tu as aimé ?
- Oui.
- Oui ? C’est tout ce que tu trouves à dire ? Gabriel, on a tout déchiré. C’était fantastique, fabuleux, sublime. Quand je pense qu’hier encore, je ne savais pas si c’était moi ou elle qui présenterait le concert. Je ne pourrais jamais assez te remercier pour le boulot que tu as abattu. Tous les techniciens en parlaient. Même ceux qui sont plus vieux que toi t’appelle maintenant le big boss.
- C’est bien.
Elle fourre les lingettes démaquillantes usées dans son sac à main et tourne la tête vers moi. Son visage ne porte plus aucun de ces artifices que les femmes adulent.
Je suis en colère contre elle et je refuse de céder à son regard insistant. Mais malheureusement pour moi, je trouve toujours que c’est la plus belle femme au monde. Alors je finis par lui demander d’une voix sourde pourquoi elle a choisi cette chanson. J’en revois encore le clip dans ma tête, avec ce putain de mec qui conduit une moto, tout comme Mickael le faisait.
- Pourquoi cette chanson ? je finis par demander une nouvelle fois, las d’éviter son regard curieux.
- Pourquoi pas cette chanson ? Elle est très bien, j’aime beaucoup. Surtout que je l’ai interprétée quasiment a capela. Avec la cithare, c’était très lyrique.
- Pourquoi cette chanson Lola ? Est-ce que je dois comprendre un sous –entendu ? Est-ce qu’il y a un message que tu me fais passer ?
- Tu pourrais être plus explicite ?
- A chaque fois c’est comme ça Lola. Tu me tiens à distance un moment puis quand on peut enfin se mettre ensemble, tu me tournes le dos. Est-ce que c’est ce que tu vas faire une fois de plus ?
Nous sommes arrivés devant le petit studio qu’elle loue et dont j’ai continué à payer les loyers le temps que l’émission finisse. On n’est pas exactement dans un quartier populaire mais c’est tout comme. La parcelle qui abrite le studio n’a pas barrière. La route qui mène ici n’est pas bitumée comme la plupart des routes secondaires des quartiers. La lumière publique est complètement déglinguée et clignote de temps à autre, faisant plus de mal que de bien aux yeux. On se croirait dans un mauvais polar. Lola pose sa tête sur l’appui-tête et soupire fort. Son ventre gargouille. Elle doit mourir de faim.
- Tu n’as rien à dire ?
Elle tourne la tête vers moi et me tend la main. Je tapote le volant pour me calmer et regarde sa main comme si elle était une excroissance douteuse.
- Gabriel !
- Quoi ?
- Tu boudes comme un gamin. C’est mignon une minute mais plus longtemps ca devient agaçant, tu sais !
Elle prend ma main de force et la pose contre sa joue.
- Je l’ai choisi parce qu’elle me faisait mal. J’avais l’impression qu’après Mickael, je la chanterai toute ma vie durant en pleurant. Mais c’est faux. Je me suis rendue compte que je pouvais merveilleusement l’interpréter. C’est un défi que je me suis imposée. J’ai tourné la page. J’y suis arrivée grâce à toi Gabriel. Ne gâche pas tout. Il y a encore quelques mois, je n’aurai pas pu la chanter sans m’effondrer, suffoquer sur scène, croyant que j’étais la femme de cette chanson. Mais je ne le suis pas. Tu m’as poussée à faire l’émission et grâce à toi je me suis rendue compte que malgré le malheur, la vie continue. J’en ai rien à foutre de toutes les chansons d’amour… parce que j’en ai une rien qu’à moi. Qui lorsque je suis triste me console et lorsque je suis heureuse me fait danser. Tu es ma chanson d’amour Gabriel. C’est ce que tu es pour moi. Une love song. Les autres chansons, je les interprète tout simplement, je m’en sers pour le public. Mais toi, je te vis. Chaque seconde.
- Lola, je murmure en la prenant dans mes bras.
J’aime quand elle se glisse dans mes bras et me laisse la serrer très fort. Elle sent bon, la sueur et aussi la lavande de son démaquillant.
- On aura toujours l’ombre de Mickael qui planera au dessus de nous. Je l’ai accepté, fais-le. Mais ça ne veut pas dire qu’on doit en souffrir. C’est à nous de mieux le gérer. Je ne peux pas modifier le passé mais l’avenir ... Comment dire, l’avenir est plein de surprises. Il nous appartient. A nous d’en profiter. Et c’est pour ça que j’aimerai que tu restes cette nuit.
Je ne sais pas quoi répondre. J’ai le cœur qui bat à cent à l’heure. En une demi-seconde, je suis passée de la jalousie la plus absurde à la joie la plus intense.
- T’en es sure ? Je ne voudrais pas que tu le regrettes.
- Je me dis que c’est parce que Dieu savait d’avance toutes les difficultés qui me tomberaient sur la gueule qu’il t’a placé sur mon chemin. Tu prends soin de moi, je veux aussi prendre soin de toi. Reste cette nuit. S’il te plait. On a une victoire à ne fêter rien qu’à deux.
Je coupe le contact et continue de la dévisager bêtement. Elle dépose un doux baiser sur mes lèvres puis descend de la voiture. Ses valises sont dans le coffre. Je les récupère et essaie de les tirer puisqu’elles ont des roulettes. Mais c’est peine perdue. Le chemin est bien trop irrégulier. Et cette boue laissée par les eaux usées qui suintent de canaux bousillés vont me salir mes chaussures. Je m’arrête.
— Qu’est-ce qu’il y a ?
— Mes chaussures…
Elle croise les bras sur sa poitrine.
— Tes sérieux là ?
— Ce sont des chaussures faites main. Des Tchozo dessinées rien que pour moi!
— Et elles coutent chères ?
— Très chères !
— Bon bah tant pis. Moi qui comptais porter aujourd’hui les sous-vêtements en dentelle trouvés la dernière fois en solde.
Lola parle de sous-vêtement et c’est le court-circuit dans ma tête.
— Quels sous-vêtements ? je finis par demander après quelques secondes de silence.
Elle sort son téléphone de sa poche et le pianote rapidement. Le mien vibre quelques secondes plus tard dans ma poche. Je pose les valises par terre et ouvre whatsapp. Je regarde la photo longuement et avale difficilement ma salive. Il n’y a pas de dentelle. Il n’y a pas même pas de sous-vêtements. Il y a juste Lola nue qui regarde l’objectif avec tout le sérieux du monde. Sans précipitation, je remets le téléphone dans ma poche.
Ma poche me semble mille fois plus lourde que d’habitude.
— Convaincu que ça vaut largement la peine de salir tes chaussures ? demande-t-elle en faisant la moue
— Convaincu.
Je la suis sans rien dire d’autre, une valise dans chaque main et essayant de na pas tressauter chaque fois que mes pieds se fourrent dans je ne sais quoi. Lorsqu’on arrive au pas de la porte, et qu’elle sort ses clefs de son sac à main, contre toute attente, la porte grince et s’entrouvre. On se fige.
- Tu as laissé ta porte ouverte tout ce temps ? je demande inquiet.
- Non. Je ne comprends pas.
- Ok. Reste là. Je vais voir à l’intérieur.
Je me débarrasse de mes deux charges et entre prudemment. C’est un petit studio d’une chambre avec un salon et une salle de bain. J’en aurai vite fait le tour. Bien que je le lui ai interdit, Lola me suit. Elle appuie sur l’interrupteur et éclaire la pièce centrale qui était plongée dans le noir. Le malaise s’épaissit. Tout a été saccagé. Les coussins de ses fauteuils en rotin ont été éventrés et ceux qui sont intacts gisent par terre. Les assiettes éclatées en mille morceaux sur le sol crissent sous nos pas. Lola se raccroche à moi. J’espère que ceux qui ont fait ça ne sont plus là.
- Ca me fout la trouille Gabriel, murmure-t-elle.
- Je crois qu’on t’a cambriolée.
- Mais, ils n’ont rien emporté et ils ont tout cassé.
- Oui c’est vrai. C’est assez étrange. Tu crois que ça pourrait être l’œuvre d’un concurrent qui a perdu ?
- Gabe… La plupart vient d’ailleurs. Comment auraient-ils pu connaitre ma maison ?
Elle s’écarte de moi. Elle remet un des fauteuils en place et s’assoit. En se rendant compte qu’elle s’est assise sur une feuille, elle la retire de sous ses fesses et la lit. Ses yeux s’écarquillent d’effroi et elle porte sa main devant sa bouche. On ne dit plus rien. Du coup, en entend les chants des criquets au loin. Lola me cache des choses.
- Merde. Il faut que j’appelle Madame Khan.
- Pourquoi ? Qu’est-ce qui se passe Lola ?
- Rien.
- Rien ? Lola. Je vais commencer par perdre patience. Que se passe-t-il ?
Elle me tend la feuille et me raconte une histoire abracadabrante sur monsieur Khan qui l’aurait contactée pour qu’elle l’aide. Ce qu’elle n’a évidemment pas fait car elle avait peur. Sur la feuille, il y a des menaces maladroitement gribouillées. Comme si la personne responsable du saccage n’avait pas voulu s’attarder sur les lieux. Il lui reproche de ne pas l’avoir aidé et lui promet de se venger si jamais elle en parle à qui que ce soit.
- Mais il est cinglé ce mec ! Il t’a appelé et tu n’as rien dit à personne ? Lola ! Bordel !
- Il m’a dit de ne rien dire.
- Cet homme a égorgé une femme enceinte de lui et toi tu lui fais confiance ?
- C’est le mari de Madame Khan.
- Ex mari Lola. Ex mari.
- Je ne savais pas qu’il le prendrait comme ça. J’ai vraiment essayé par tous les moyens de trouver une solution pour lui mais l’aider c’était rater la finale. S’il ne s’agissait que de moi, je l’aurais fait. Mais rien que de penser à la déception que ça te causerait si je ratais la finale, j’ai préféré rester.
Je m’approche d’elle et m’accroupit pour la regarder droit dans les yeux. Ce qu’il y a dans ma poche attendra un meilleur moment.
- Prends ce que tu peux récupérer. On va chez moi.
- Quoi ! Non. Hors de question que j’aille m’installer chez toi.
- Pourquoi ?
- Comment ça pourquoi ? Toi et tes trucs de blancs là ! Tu dois venir te présenter à mes parents pour que je puisse emménager chez toi… Qu’ils sachent où me chercher quand ils ne me verront plus chez eux aussi souvent qu’avant.
- Lola. C’est les trucs d’avant ça.
- Vous les myenè c’est vraiment pas la peine hein !
- Parce que tu crois que les fangs c’est mieux ?
- Nous au moins on ne se brade pas pour pas cher ! dit-elle en croisant les bras.
- Et nous, on ne vend pas nos femmes ! je réplique immédiatement.
Elle roule des yeux et s’adosse.
- Je ne peux pas te laisser ici toute seule. Ce mec a un procès qui lui pend au nez et il a filé. C’est un fugitif. Si tu l’aides, tu te rends complice.
- Ce n’est pas tout Gabriel. Il m’a dit des choses graves sur Monsieur Okili.
Mon cœur sursaute. Je n’ai pas encore dit à Lola que je travaillais pour lui.
- Qu’est-ce qu’il t’a dit exactement ?
- Qu’il a été piégé. Il avait l’air sincère Gabriel et j’avais envie de le croire. Je ne pensais pas qu’il pèterait un câble comme ça chez moi.
- Il a des problèmes pour contrôler sa colère. Je crois que c’est ce qui le met à chaque fois dans les problèmes. Mais s’il pense pouvoir te menacer et s’en sortir sans problème c’est qu’il ne me connait pas.
- Qu’est-ce que tu vas faire ?
- Je vais voir Okili.
- Non.
- Pourquoi ? Lola, cet homme t’est venu en aide quand ton père était malade et que je n’avais rien pour avancer les frais. Il est influent. Khan n’est pas n’importe qui. Je ne suis pas sur d’être de taille contre lui tout seul. Même s’il a des problèmes aujourd’hui, il saura toujours rebondir et te faire du mal s’il le veut vraiment.
- Mon père a travaillé pour Monsieur Okili.
- Et ?
- Et il m’a dit que c’était un homme sans pitié. Et je crois mon père quand il me dit ce genre de chose. Papa a dit : « c’est vrai qu’il m’a aidé mais je sais que cet homme ne fait rien sans contrepartie donc Lola fait attention ». Je me trompe peut-être mais … Monsieur Okili ne voulait pas que Madame Khan reste avec son mari. Et si c’était vrai l’histoire du piège ?
A force de le fréquenter, je finis par le connaitre. Okili ne porte pas les étrangers dans son cœur ca c’est clair. Le pire dans tout ce qu’elle raconte c’est que quelque part au fond de moi, je me dis qu’il y a une chance pour qu’elle ait raison. Merde.
Non, on se trompe surement. C’est tout de même le grand père de Leila. Et c’est un homme qui m’a donné ma chance, ce que peu de gens ont fait auparavant. Il me conseille dans mes démarches pour réussir et me recommande à des gens alors même qu’il n’aime pas la musique que je produis. Ne pas aimer les blancs c’est une chose mais piéger un homme innocent c’en est une autre.
Lola se lève et regarde autour d’elle le désastre puis elle éclate de rire. Je me demande si le choc ne lui a pas grillé le cerveau.
- Lola, ça va ?
- Non. Ca ne va du tout.
- Alors pourquoi tu ris ?
- Parce qu’il y a un petit 99 % de moi, complètement paniquée par ce qui m’arrive. Il y a un indien fou qui me menace après m’avoir prétendument demandé de l’aider. Et que moi bêtement, je l’avais cru innocent et je m’en voulais à mort de ne pas pour voir l’aider.
- Et les 1% restant ?
- Et il y a un gros 1% de moi complètement séduite par le fait que tu es là. Avec moi. Et les 1% devienne au final 99% de je n’ai peur de personne car Gabriel est là pour moi. Quoi qu’il arrive. Tu es toujours là.
- J’ai rien compris à ce que tu as dit.
- C’est pas grave, chuchote-elle en s’accrochant à moi avec toute la force de ses maigres bras. Moi je me comprends.
Mon téléphone sonne dans ma poche et je décroche sans quitter Lola. C’est Raphael son fils qui m’appelle par facetime. Il signe et Lola traduit à chaque fois. La conversation va être longue mais je sens qu’elle sera la plus importante de ma vie.
- Alors tu lui as demandé ? Qu’est-ce qu’elle a dit ? décrypte Lola pour le compte de son fils.
- J’ai pas encore demandé ? je réponds à Lola en l’exhortant à signer pour que Raphael me comprenne.
- Demander quoi ? intervient Lola qui signe pour poser la question à son fils.
Il ne l’appelle toujours pas maman mais je sais que malgré ça, il reste l’homme le plus important de sa vie.
- Gabriel voulait m’emmener en vac aux states à la fin de l’émission si tu gagnes. Mais il a dit que les voyages, c’était pas trop ton truc... alors … bon ce serait long à raconter. Gabriel tu lui as demandé ou pas ? Il a dit que je devais appeler comme ça quand tu vas voir ma mignonne bouille tu ne pourras pas dire non. On peut y aller ?
Puis Lola me regarde histoire que je lui explique de quoi parle son fils.
- En réalité Raphael, c’est pas pour ça que je t’ai demandé d’appeler…
J’attends que Lola finisse de signer avant de continuer mais il signe à son tour et Lola s’arrête pour me dire ce qu’il a dit.
- Quoi ? Oh mec déconne pas sérieux. Traduit-elle pour el compte de son fils. Raphel surveille ton langage quand tu signes sinon tu me fais dire des bêtises. Bon Gabriel que voulais-tu demander à Raph ?
- S’il veut bien que je t’épouse ? S’il veut bien me laisser prendre soin de sa maman. S’il veut bien qu’on fonde une famille tous les trois, je réponds tranquillement comme s’il ne s’agissait pas d’une demande en mariage.
Lola se fige puis secoue la tête comme si elle avait mal entendu.
- Traduis Lola…
Ses yeux se remplissent de larmes et elle finit par me dire d’une voix troublée « Ce n’est pas drôle Gabriel. Vraiment pas ! ». Raphael s’agite sur l’écran et signe rapidement.
- Qu’est-ce qu’il dit ? je demande à Lola.
Elle jette un coup d’œil à l’écran.
- Il demande ce que tu viens de dire.
- Il ne lit plus sur les lèvres ?
- Si. Mais… je crois que comme on est dans le noir, il ne voit pas bien. Et ca lui demande beaucoup d’effort de lire sur les lèvres. Je lui dis toujours de porter son appareil mais, il dit qu’il ne se sent pas lui-même quand il ne signe pas.
Elle parle et pleure en même temps. Alors pour couper court au suspens, je sors de ma poche la petite bague que j’ai fait faire pour elle. Elle n’est pas énorme, elle n’est pas recouverte d’un tas de diamants mais je l’aime et je crois que Lola l’aimera aussi.
- Lola. On va faire simple. Traduis lui ce que je viens de dire… J’attends sa réponse.
Elle pleure de plus belle. Tout son corps est secoué par d’énormes sanglots. Et je commence à être perdu. Elle pleure si fort que je ne sais plus si ce sont des larmes de joie ou de peine. Je commence à paniquer.
- Lola ?
Elle a du mal à me répondre et cache son visage sous ses mains. Mon téléphone vibre. C’est un message de Raphael.
« Oui tu peux épouser ma maman. Elle a le droit d’être heureuse. Tu as de la chance d’avoir trouvé une femme comme elle. Je crois que si elle pleure c’est parce qu’elle ne croyait pas qu’elle pouvait encore être heureuse. Oui tu peux épouser ma maman. Merci. »
Je raccroche et essaie de parler à Lola.
- Je ne te pardonnerai jamais ce coup bas. Tu m’as fait pleurer et je suis pleine de morve maintenant.
- Je n’ai toujours pas ma réponse… Et là j’ai le cœur qui bat tellement fort que si tu tardes encore, je crois que je vais vomir sur toi. Trop de stress. Et tout ça va se transformer en demande de mariage la plus catastrophique du siècle.
Elle regarde la bague et sourit à travers les larmes.
- Je sais, elle est petite. Je devrais être à genoux mais si je le fais je vais salir mon pantalon.
- Elle est parfaite, dit-elle sans pour autant la mettre à son doigt. Tu m’aimes vraiment comme je suis ? Tu aimes la Lola sans diplôme, qui a un fils grand comme elle-même, qui danse à moitié nu sur scène… Valentine tu …
- Et toi ? Tu m’aimes comme je suis ? Le mec chiant et perfectionniste. Qui te gueule dessus pour te pousser à donner le meilleur sur scène, qui est jaloux mais consent tout de même à te partager avec le public ?
- Oui.
- Oui tu m’aimes comme je suis ou oui tu veux bien m’épouser ?
- Oui.
- Putain oui quoi Lola ?
- Oui pour les deux idiot !
- Tu es heureuse ?
- Oui. Même si j’ai les yeux rouges et que tu trembles encore d’appréhension, même si le salon complètement dévasté n’est pas prévu pour ce type de demande, je crois que c’est quand même la plus belle demande au monde. Merci d’avoir demandé à mon fils ma main.
D’une main tremblante, je lui glisse enfin la bague au doigt et l’embrasse comme jamais auparavant. Sa langue est douce et son baiser est encore plus sensuel que jamais. Je finis par y mettre fin à contre cœur. Nous devons y aller, on ne peut pas passer la nuit ici.
Lola récupère ce qu’elle peut et je la dépose chez ses parents. Tout au long du trajet, elle n’a pas arrêté de regarder sa bague. Elle est si petite comparée à tout l’amour que je lui porte. Mais c’est aussi ça Lola. Une fille qui s’émerveille de la plus petite des attentions et ne demande jamais rien. Et c’est bien pour cela qu’elle mérite tout.
Demain il va falloir que je parle à mon père. Et il va aussi falloir que je sois vigilant. Hors de question que qui que ce soit s’en prenne à Lola.
Je sais que plus le bonheur est grand, plus la douleur est vive quand il s’enfuit. Alors je compte bien ne jamais le laisser s’enfuir tant qu’elle m’aimera.
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Quelques jours plus tard.
Mon bonheur a été de très courte durée. Lorsque j’ai appris pour l’accident de Leila, j’ai accouru à la clinique. Monsieur Khan allait bien alors qu’elle est restée plongée dans le coma. Elle s’est réveillée sans souvenir de qui que ce soit. Elle n’a reconnu personne sauf Denis. Elle n’a pas reconnu son mari, ni Lola, ni moi, ni même son grand-père. Mais pourtant, elle a reconnu Denis. Personne ne comprend. Personne ne peut expliquer le pourquoi du comment. Mon job consiste à faire en sorte que l’histoire ne s’ébruite pas. Monsieur Adan va faire son possible pour qu’elle soit suivie seulement par lui et deux autres infirmières. J’espère réussir à faire en sorte qu’elle conserve son poste. Je ne sais même pas si elle est apte à reprendre son job.&n