Chapitre 28

Write by Auby88

Edric MARIANO


Je marche d'un coin à l'autre de ma chambre. Depuis quelques jours, mon esprit est le siège de pensées conflictuelles. Et ce soir, davantage.


"Dois-je le faire ou pas ?"

Cette question, je me la suis posée un millier de fois récemment.


Je prends ma tablette, mes clés et ouvre ma porte. Aujourd'hui, je ne serai pas lâche ! affirmé-je en sortant dans la rue.



Des minutes plus tard.


- Edric ! Je suis bien surpris par ta visite. Je pensais que tu ne viendrais que demain.


Eliad se lève de la table et m'entraîne vers le canapé. De ma position, j'aperçois sur la table une photo et un pendentif.


- Il faut que je te parle, Eliad. C'est très important.

J'affiche une mine grave.

- Tu sembles si sérieux. Allez, viens. Veux-tu que je te serve quelque chose ?

- Oui, volontiers.

- Une préférence ?

- Non. Ce que tu veux, pourvu que ce soit fort.

- Là, tu m'intrigues vraiment !

Il se dépêche de remplir deux verres à shot et de revenir vers moi.

- Je prends le mien et le vide d'un trait.

Il me regarde faire.

- Allez, je t'écoute.

- C'est à propos de Nadia, lancé-je d'un coup en le fixant.

- Attends, c'est pour me parler d'elle que tu as fait cette scène dramatique ? Tu devrais t'inscrire au théâtre, toi ! achève-t-il.

- Il m'a fallu des heures, que dis-je, des jours de réflexion pour oser venir t'en parler. Et toi tu trouves que c'est une comédie !

- Alors, dis-moi ce que c'est. Oui, éclaire ma lanterne. Parce que je ne vois aucun autre mot pour qualifier ce que tu fais à l'instant… Tu débarques chez moi la veille de mon mariage avec Maëlly pour me parler d'une autre femme. Si je ne tenais pas à ce que nos relations demeurent fraternelles, je t'aurais déjà flanqué un bon coup de poing et jeté dehors !

- Le sujet que j'aborde est capital car il y va du bien-être de plusieurs personnes !

- C'est sûrement l'alcool qui te fait délirer. Avoue que tu en as consommé une bonne quantité avant de mettre les pieds chez moi !


Son commentaire me blesse, alors je lui crache, sur un ton sec :

- Reconnais une bonne fois pour toutes que tu n'aimes pas Maëlly et annule ce foutu mariage !

- T'es devenu fou, c'est sûr !

- Non, je suis raisonnable.

- Je t'aime bien, Edric. Mais laisse-moi te rappeler que Maëlly et moi sommes des adultes et que notre relation ne te concerne en rien !

- Oh que si, cela me concerne...


Il écarquille les yeux.

- ... plus que tu le penses d'ailleurs.  Parce que je…


Ses yeux fixés sur moi me font réaliser que je m'apprête à faire une énorme gaffe en lui avouant mon amour pour Maëlly. Alors, je refrène mon ardeur.


- … Parce que je tiens beaucoup à toi, mon frère, et que je ne veux pas que tu commettes une erreur demain... Parce que beaucoup de personnes seront malheureuses après votre mariage : autant toi, ta fille, Maëlly, ses parents, les tiens que Nadia...


"...Et moi" ajouté-je intérieurement.


Il continue de me fixer, ses paumes posées contre ses joues, ses coudes posés sur ses genoux. Cela me déstabilise, je l'avoue, mais je continue :

- Oui, Nadia. Parce que cette femme t'aime énormément, Eliad. Tu n'imagines à quel point... Je t'assure qu'il n'y a jamais rien eu entre nous et que son lien avec la prostitution remonte à bien longtemps. Je peux te le jurer… Si je te parle d'elle la veille de ton mariage, c'est parce que je pense qu'il n'est jamais tard pour bien faire les choses.


Son visage, jadis impassible, laisse entrevoir un sourire qui se transforme bientôt en ricanement, doublé d'applaudissements. Je suis décontenancé.


- Bravo, frérot. Ton argumentaire était bien émouvant. Dommage, je n'ai rien ressenti. Tu diras à ton amie que je ne suis pas tombé dans votre petit jeu.


- Quoi ? Comment ? Parce que tu crois que c'est Nadia qui m'envoie ? m'insurgé-je.

- Alors si ce n'est pas le cas, je ne vois pas quel est ton intérêt à ce que je n'épouse pas Maëlly !

- Je te l'ai dit. Je ne conçois pas que tu l'épouses sans l'aimer.

Il se lève et pointe un doigt vers moi.

- Mais qu'est ce que tu sais de l'amour, toi ? Tes relations, si je puis les nommer ainsi, n'ont jamais duré plus d'une nuit. En plus, c'était avec des femmes sans morale.

- Oui, je ne sais peut-être pas grand chose des affaires du cœur, mais la normalité suggère qu'on se marie par amour.

- Et pourquoi penses-tu que je n'aime pas Maëlly ?

- Pendant plus de sept ans, tu n'as jamais répondu à ses avances, alors ce n'est pas en six mois que tu parviendrais à l'aimer ! Voyons, Eliad ! Même le dernier des sots est conscient que tu ne ressens rien pour Maëlly !

- L'amour se construit, au jour le jour, Edric. Rien n'est immuable.

- Je te le concède. Mais quel amour veux-tu construire avec une femme que tu épouses demain, quand sur la table derrière toi, il y a la photographie de ton épouse décédée et le pendentif que tu avais offert à Nadia ?


Il lève les yeux vers moi. Mes mots viennent de le choquer. Enfin ! Sur le canapé, il se laisse choir, puis baisse la tête.

Un silence s'installe entre nous. Un silence que je ne compte pas interrompre. Un silence que lui même finit par écourter en relevant la tête.

- Edric, comment peux-tu concevoir que je me mette en couple avec une prostituée !

- Rectificatif. Une ex-prostituée !

- C'est du pareil au même, Edric. On me trouve dur, mais tout ce que je dis est sensé. Il ne s'agit pas de plans cul, comme tu les aimes mais d'une relation sérieuse et durable. Comment veux-tu que je partage ma vie avec une femme que tant d'hommes ont déjà usée ? Comment puis-je m'unir à elle, véritablement, sans penser une seule seconde à son sale passé ?

- Quand on aime vraiment, tout cela n'a pas d'importance !

- Et c'est justement là le problème. Je n'aime pas PAGE.


Là, je suis perdu.

- J'ai toujours pensé que tu…

- Non, je ne l'aime pas et je suis sincère quand je te le dis. Je ne nie pas que je suis attiré par elle, qu'elle hante mes nuits, que je la désire au point de ne pas pouvoir entièrement me donner à Maëlly. Mais rien de plus. Parce que crois-moi, si vraiment je l'aimais comme j'aime Camila, je ne l'aurais laissée dehors sous cette pluie battante après lui avoir fait tant de promesses. Tu comprends ?


Je hoche juste la tête. Il inspire bruyamment puis continue en souriant :


- PAGE était mon arc-en-ciel après la pluie. Elle avait toutes ces qualités qui me faisaient penser à Camila. Maintenant que j'y repense, je crois bien que c'était surtout cette similitude qui m'a rapproché d'elle. J'avais l'impression que la vie me donnait une deuxième chance, en me ramenant ma Camila sous les traits d'une autre qui lui ressemblait énormément...


Le sourire sur son visage s'éclipse et le ton de sa voix change.


... puis mon rêve s'est transformé en cauchemar quand j'ai su la vérité sur elle. Je me suis rendu compte, que depuis tout ce temps, j'étais juste sous l'effet de l'anesthésie. Et la douleur en me rendant compte qu'elle n'était pas ma Camila, a été plus importante.


Il se lève et me fait dos pour ajouter en y joignant des gestes :

- Malheureusement, aujourd'hui  je me retrouve avec deux femmes qui sont loin de moi, mais qui me hantent en permanence : l'une dans mon coeur et l'autre dans ma tête.


Je me lève et mets une main sur son épaule.

- Je m'excuse, frérot, de t'avoir fait repenser à tout cela. Ce ne doit pas être facile pour toi de gérer une situation pareille… Le mieux que tu puisses faire, dans ce cas, c'est d'annuler ton mariage avec Maëlly.


Il volte-face vers moi.

- Je ne peux pas lui faire cela. Elle sera devastée, tu comprends ?

- Il vaut mieux tout arrêter à temps, Eliad.

- Non, je ne suis pas un lâche.

- Bon sang Eliad ! Réagis !

- J'épouserai Maëlly demain !

- Non, ne fais pas cela. Ecoute, si tu le souhaites, je peux t'aider à retrouver PAGE !


Il me regarde bizarrement.

- Tu es toujours en contact avec elle ?

- Oui, admets-je

Il fronce les sourcils.

- Non, ce n'est point ce que tu crois ! continué-je aussitôt.

- Nous discutons via une plateforme littéraire où elle publie régulièrement son auto-biographie, nous incluant tous. Bien sûr sous d'autres noms.

- Elle écrit, tu dis ?

- Oui, avec un pseudo. On s'écrit par moment pour faire des commentaires sur ses écrits. Mais elle ne sait pas qui je suis. Nous pouvons donc utiliser ce moyen pour la retrouver... J'ai même ma tablette avec moi. Prends-la et lis son histoire. Tu te rendras compte que Nadia, ou PAGE commes tu aimes l'appeler, est vraiment une bonne personne. Certes, Elle n'a pas toujours pris les bons chemins mais elle se tue chaque jour pour avoir un meilleur avenir et pour qu'on cesse de la voir uniquement comme une prostituée.


Il se lève une nouvelle fois.


- Je te remercie Edric, mais non. Le compte à rebours est déjà lancé. Il n'y a plus de marche en arrière possible. Et je te le répète : PAGE n'est qu'un fantasme. Rien de plus !


La tablette reste bloquée dans ma main. Moi, je ne sais plus quoi lui dire.

- A présent, Edric, j'ai besoin de me reposer. Une longue journée m'attend demain.

- J'imagine, répliqué-je faiblement.


Une sonnerie de téléphone retentit dans la pièce.

- C'est ma fiancée qui appelle. On se voit demain. Bye !


Il me fait un signe d'aurevoir, sans trop prêter attention à moi.

- Allô, ma belle, tu ne dors pas encore ?

- …

- Non, je discutais avec Edric, mais il s'en va déjà.

-….

- Oui, j'ai bien hâte de te voir dans ta robe demain...


Je ne peux rester là à entendre tout cela, quand mon coeur déborde de jalousie.  Je prends le soin de déposer ma tablette sur le canapé, avec l'espoir que l'histoire de Nadia attendrira quelque peu Eliad et lui fera changer d'avis sur elle ; avec l'espoir que demain Maëlly ne deviendra pas madame MONTEIRO.



 




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