CHAPITRE 3
Write by Maylyn
Pas la peine de me retourner pour savoir qui venait de crier ainsi : El Dragón ! Ma mère, cette femme de 43 ans qui même au réveil en paraissait à peine 35, belle femme aussi claire de peau que mon père était noir, qui malgré son mètre 60 savait s’imposer même devant les 1m90 de Papa. Oui ma mère qui, vêtue d’une robe de chambre en soie blanche et d’un bonnet de nuit assorti, semblait déjà prête à partir en vrille. Je jetai un coup d’œil à l’horloge murale qui indiquait 5h30. Mince ! L’heure à laquelle elle se réveillait pour préparer le petit déjeuner de son mari qu’elle a toujours tenu à faire elle-même.
-Je répète ma question, articula –t-elle lentement, et j’espère avoir une réponse très rapidement! Qu’est-ce qui se passe ici ? Et toi Désiré, que fais-tu à genoux devant ces gamines qui semblent se croire dans la salle d’attente du studio de Meiway ? Il tourne un clip dans ma maison et je ne suis pas au courant ?
Poussant un soupir, mon père se releva et vint vers elle les mains jointes en signe de supplique :
-S’il te plait Cécile, avant de te donner en spectacle à une heure aussi matinale, assieds-toi et écoute ton fils déclara-t-il doucement.
Se retenant visiblement de sortir une autre réplique sanglante, elle obéit-une fois n’est pas coutume- à Papa et pris place avec cette élégance dont elle seule avait le secret, dans le fauteuil situé en face du canapé que JP venait de quitter précipitamment. Fixant les occupantes du dit meuble, elle reprit :
-Alors ? Pierre-Marie tu as quelque chose à m’expliquer il paraît.
Après un signe d’acquiescement de mon père, je recommençai à tout raconter. Mais je débutais à peine l’histoire que déjà elle s’exclamait :
-Pierre-Marie Désiré Aka ! Comment peux-tu prendre de tels risques ? Et si c’étaient des génies ou des esprits ou que sais-je encore ? Il faut faire très attention avec ces gens-là !
-Merci Tata ! Toi au moins…
Le regard que lui lança mon père stoppa net Jean-Paul qui donna l’impression de vouloir fusionner avec le fauteuil sur lequel il était assis.
-Tu sais très bien que ton fils n’est pas imprudent Cécile. Et puis, il a juste appliqué l’une des règles de l’éducation qu’on lui a inculquée ! Laisse-le terminer d’accord ? Vas-y PM, nous t’écoutons.
Et je pus ainsi continuer sans interruption cette fois-ci mais je voyais au fur et à mesure que je parlais à travers la palette d’expressions que le visage de ma mère exprimait qu’elle fut d’abord horrifiée puis scandalisée et enfin peinée par l’histoire de ces jeunes filles. Lorsque j’eus terminé, elle resta silencieuse quelques minutes puis se levant, elle frappa dans ses mains et déclara :
-Pierre-Marie, vas à la cuisine et dis à Jeanne de préparer la chambre vert anis parce qu’on a des invitées. Lorsqu’elle aura terminé, qu’elle fasse couler un bain chaud et qu’elle sorte l’un de mes pyjamas et deux tee-shirts propres de mon dressing. Ensuite, dis à Aïssata de mettre de l’eau à chauffer pour le petit déjeuner et de faire sortir la nouvelle boîte de Corn Flakes que j’ai achetée la semaine dernière et tout ce qu’il faut pour faire du chocolat chaud. Jean-Paul, au lieu de débiter des inepties, rends-toi utile tu veux bien ? Tiens ça et vas le donner à Koné. Il doit être dans le garage. Qu’il achète le double de tout ce qu’il paie d’habitude en baguettes de pain et en viennoiseries. Quant à toi Yves, tu ferais mieux de monter prendre une douche et penser à dormir un peu ! Le spectacle est fini ! Enfin Désiré, appelles François et parle-lui de cette affaire. En tant que Procureur de la République, je pense qu’il peut faire quelque chose non ? Il faut bien que tous ces dîners d’affaires organisés par mes soins servent à quelque chose n’est-ce pas ?
Devant nos airs médusés et le sourire mi-amusé mi-étonné de son mari :
-Quoi ? Eh non ! Je ne suis pas Le Dragon auquel vous aimez bien me comparer ! Même si tous mes efforts restent vains et que vous restez des éternels ingrats, sachez Messieurs que j’ai un cœur moi !
Avant de disparaître dans le couloir qui menait à la cuisine, j’eus le temps d’apercevoir le clin d’œil qu’elle fit en direction des filles. Sacré Maman ! Elle nous étonnera toujours !
***
Mon réveil indiquait 14h10 lorsqu’en ouvrant les yeux, je le consultai. Les rayons du soleil semblaient vouloir percer les rideaux de ma chambre. Ce qui indiquait une belle journée. Ne voyant personne ni à côté de moi ni sur le matelas au pied du lit, je compris que JP et Yves étaient sans doute rentrés chez eux. Et soudain, tout me revint : la soirée en boîte, la rencontre avec ces jeunes albinos, Maman qui donne des ordres à tout le monde…Après avoir tous pris un bon bain, nous nous sommes retrouvés assis autour d’un petit déjeuner gargantuesque : en plus de tout ce que Maman avait demandé, il y avait toutes sortes de jus de fruits, des crêpes et plusieurs boîtes de confitures sur la table. Les filles toutes accoutrées dans des vêtements de Maman trop grands pour elles –Irène en pyjama et Anaïs et Yélé en tee-shirt qui leur arrivaient presque au pied- se montrèrent d’abord timides avant que la faim ne prenne le dessus. A les voir aussi affamées, nous eûmes une idée de ce qu’elles avaient enduré. A la fin du repas, sous les ordres de ma mère encore une fois, nous sommes allés tous nous coucher.
Mon ventre me rappela au présent. Je filai prendre une douche puis vêtu d’un tee-shirt blanc et d’une culotte « chasseur », je descendis pour manger quelque chose mais surtout pour savoir où en était l’affaire. Mettant une assiette de yassa de poulet dans le four à micro-onde, je sentis soudain un regard posé sur ma nuque. Me retournant, j’aperçus Yélé qui hésitait à entrer dans la cuisine. Apparemment, ma mère avait fait du shopping parce qu’elle était vêtue d’une petite robe fleurie qui lui allait plutôt bien.
-Salut ! Tu veux quelque chose ? Tu as faim ? Je me faisais une assiette. Si tu veux, je t’en fais une aussi.
-Non merci, répondit-elle d’une voix fluette. J’ai soif et comme j’étais seule au salon, je venais prendre un verre d’eau.
-Tu es toute seule ? Et les autres ?
-Ils sont dans le bureau de ton père avec un Monsieur.
-Ah ce doit être Tonton François. Tu veux bien que je te tienne compagnie alors ? Moi aussi, je suis seul.
-D’accord.
Après lui avoir servi un verre d’eau, nous nous rendîmes au « salon des jeunes » elle tenant la bouteille d’eau entamée et moi un plateau dans lequel il y avait mon assiette et un verre. Assis devant un film pour enfant, nous ne dîmes mot durant un moment. Puis, je décidai de lui poser quelques questions pour en savoir un peu plus.
-Tu as quel âge ?
-10 ans.
-Et Irène et Anaïs ?
-Irène a 16 ans et Anaïs 13 ans.
-Et tu es en quelle classe ?
- CM2.
- Ah c’est bien ça ! Alors comme ça tu es malienne ?
-Oui. Je vis dans un village au Nord du Mali.
-Et tu as des frères et des sœurs je suppose…
-Je vis avec mon oncle et l’une de ses femmes. Ma Maman est morte à ma naissance et je ne connais pas mon père.
-Oh je suis désolé.
-C’est rien, dit-elle presque blasée en haussant les épaules, ça fait longtemps maintenant.
-Oui c’est vrai, tu as raison…
Des voix venant du hall nous interrompirent. Une fois sûr que leur invité avait pris congé, j’allai à la recherche de mon père que je trouvai dans son bureau.
-Alors Papa, je viens aux nouvelles. Tu en sais plus ?
Mon père m’expliqua alors que les trois adolescentes avaient été victimes de trafiquants dont la spécialité était de kidnapper des jeunes albinos pour les vendre au plus offrant. L’acheteur ensuite utilisait certaines parties de leur corps pour des sacrifices rituels. Irène et Anaïs avaient été prises l’une à la sortie de l’école et l’autre pendant qu’elle rentrait chez elle après un après-midi passé chez une de ses copines.
-Et pour la plus jeune ? C’est quoi l’histoire ?
-Oh Fils c’est encore plus triste. Tu sais, elle est orpheline de mère depuis sa naissance et son père l’a abandonné quand il a vu que c’était une albinos. Donc elle a toujours vécu chez le frère de sa mère. Et figure-toi que c’est lui-même avec la complicité de l’une de ses femmes qui a vendu la petite aux ravisseurs !
-Quoi ?
-C’est Yélé elle-même qui l’a dit à Irène. Elle était présente durant le marchandage ! Tu te rends compte ?
-Mais c’est ignoble !
-Pire que ça ! François s’en charge et il m’a promis de tout faire pour retrouver ces malfrats ! Il va prendre contact avec les autorités maliennes pour que celles-ci arrêtent et cuisinent l’oncle afin d’avoir d’éventuelles informations qui pourraient les mettre sur la piste de ces individus. D’après, ce qu’Irène nous a raconté, Yélé était une « commande »à livrer sur Abidjan donc c’est en roulant vers cette destination à bord d’une bâchée pleine de marchandises pour cacher la petite qu’ils ont vu et kidnappé Anaïs aussi. Et Irène qui elle, avait été enlevée par des complices, a rejoint les deux autres à l’arrière de la bâchée. Heureusement, elles ont profité d’un ralentissement de la voiture à cause d’un souci quelconque pour sauter et prendre leurs jambes à leurs cous ! Elles se cachaient dans le marché du Plateau depuis quelques heures lorsque vous êtes tombés sur elles.
-Ah ok ! Je comprends tout ! Alors, la suite ?
-Eh bien, nous avons contacté les parents des deux ivoiriennes dont tu imagines bien l’inquiétude et nous les avons rassurés en leur passant leurs filles au téléphone. Puis nous leur avons promis de les ramener au plus vite.
-Et c’est là que nous avons besoin de tes copains, entendis-je derrière moi.
C’était Maman qui faisait son entrée vêtue d’un magnifique boubou brodé bleu ciel qui seyait ses formes généreuses à merveille.
-Ah bon ? Pourquoi Maman ?
-Comme tu le sais, ton père part en voyage d’affaires pour deux semaines à Dakar demain et j’avais décidé de profiter de cette absence pour rendre visite à ta Grand-Mère qui n’arrête pas de me rabâcher les oreilles sur le fait que je ne pense à elle que le jour de la Fête des Mères ! Pff Mon Dieu ! Quand me débarrasserez-vous enfin de cette vieille sénile pour que je respire enfin ?!
Papa et moi échangeâmes des regards amusés. Car même si elles donnaient toujours l’impression du contraire, Mémé Mado et Maman s’adoraient ! Normal, de tous ses 8 enfants, c’est celle qui lui ressemblait le plus, aussi bien physiquement qu’au niveau du caractère.
-Tu m’écoutes Pierre-Marie ? Bref, nous serons absents donc avec tes deux suiveurs d’amis, vous êtes les seuls qui pouvez ramener ces petites chez elles. Alors Koné conduira Yves et Anaïs jusqu’ à Bouaké et Jean-Paul lui raccompagnera Irène avec Marcel pour chauffeur.
Et ressortant comme elle y était entrée, tout en élégance et en grâce :
-Et dis-leur bien que c’est non négociable ! Surtout concernant Jean-Paul ! De toute façon, j’ai déjà tout réglé avec leurs mères. Quant à toi, tu seras chargé de veiller sur la petite malienne jusqu’à ce qu’on sache quoi faire d’elle ! Compris ?
Avant même que je puisse émettre un éventuel avis, seul le parfum de son Chanel N°5 flottait encore dans la pièce.