Chapitre 3

Write by Auby88


Nadia P. AKLE

 

Notre dialogue se poursuit.

- Tu vois, Nadia, j'ai bien raison de te dire que nous sommes des putes après tout. Mais toi tu parles de "femme, d'humaine et blablabla avant tout". Vois comment t'es obligée de cacher ta vraie identité, parce que tu es bien consciente qu'autrement tu n'aurais pas autant​ d'abonnés.

- Je sais, mais il est permis de rêver. Tu es trop pessimiste !

- Autrement dit ?

- Tu vois trop les choses en noir !

- C'est faux. Je suis juste réaliste. Il est permis de rêver, peut-être ! Mais pas pour les putes comme nous ! Donc descends de ta planète Mars et reviens sur la planète Terre. Nous, les putes, ne sommes bonnes qu'à satisfaire le bas des hommes et c'est tout. Rien de plus. La société ne nous voit qu'ainsi et je ne m'en plains pas.

- Tu n'as jamais eu envie de changer, de devenir une autre personne ? Moi si.

- On ne change pas, Nadia, c'est faux ! On ne devient pas une autre personne, c'est absurde ! On peut à la limite prendre un nouveau départ, mais pas changer. Une pute, ça reste éternellement une pute. Peu importe le temps, peu importe si tu cesses de te prostituer, on te verra toujours comme une pute. Donc, ma petite, il n'y a pas autre avenir pour toi que d'être une pute. Alors plutôt que de rester là à sciencer, philosopher, réfléchir sur des futilités, pense à comment exceller dans ton métier et gagner plus d'oseilles...


Je ne dis mot. C'est perdre son temps que d'essayer de convaincre Carine. Je la laisse parler.

- ... Parce qu'à force de te limiter à un client par jour et à peine trois fois par semaine, tu ne te feras pas beaucoup d'argent. Il te faut multiplier les clients comme au bon vieux temps !


Je secoue fermement la tête.

- Jamais plus, je ne ferai cela !

- Il te faudra pourtant revenir à tes anciennes habitudes. Et puis, j'ai des contacts qui peuvent te fournir de la bonne dope pour que tu sois toujours en pleine forme.

Je m'insurge aussitôt.

- Je ne toucherai plus jamais ni à l'alcool, ni à ces saletés de drogue ! Jamais plus, tu m'entends !

- C'est bon, calme-toi. Je ne vais quand même pas t'y forcer si tu ne veux pas !

- Toi aussi, tu devrais arrêter d'en consommer. Ça te tue à petits coups.

- Arrêre tes sermons, tu veux. Laisse-moi regarder la télé. De toute façon, tu parles wouya wouya (beaucoup) seulement depuis, tu dis chaque fois que tu vas quitter prostitution là, mais tu es toujours dedans.


Elle n'a pas tort. J'y pense mais depuis je n'agis pas. Aussi bizarre que cela puisse paraître, le changement m'effraie.


- Au fond de toi, tu sais bien que tu n'as aucun avenir hors de la prostitution. T'auras pas de mari. T'auras pas d'enfants. Et même pour trouver boulot quelque part, il y a droit de cuissage qui fait fureur.


Je fuis son regard.


- Et droit de cuissage là, c'est prostitution déguisée puisque tu vas coucher avec les patrons pour obtenir un poste. Tu vois, c'est retour à la case départ, ma belle !


Je ne dis plus rien. Elle vient d'avoir le dernier mot.


Elle continue à regarder le feuilleton et moi je me concentre à nouveau sur mon téléphone...


* *

 *

Je lève les yeux vers elle car elle vient brusquement d'éteindre la télé. C'est ce qu'elle fait chaque fois quand on passe la séquence où on entend l'héroïne principale du feuilleton Fatmagül crier, quand on diffuse le feuilleton. Elle faisait aussi pareil pour la telenovela La Doña.


Je connais la raison de ce geste, devenu un réflexe pour elle. Alors je ne dis rien. De toutes façons, quand Carine vient chez moi, la télé lui appartient.

- Bon maintenant, je vais me mater un bon truc : du porno ultra bandant comme j'aime.


Elle ouvre son sac.

- Ah non, Carine ! Pas ça, s'il te plaît. Je ne veux pas encore avoir les voisins sur le dos !


Oui, je garde de mauvais souvenirs des fois où elle vient visionner ces vidéos à la conne ici. Elle met le volume tout en haut, si fort qu'on peut entendre les actrices gémir et crier sans cesse "Oh mon Dieu" depuis le portail.

- Qui te cause même ? De tes voisins, je m'en fous. Tu parles comme si eux mêmes ne s'envoyaient pas en l'air, comme si eux mêmes ne regardaient pas ça, surtout le jeune pervers qui collectionne les fesses et balcons là. Et puis toi même qui parle là, c'est quoi tu fais avec les clients ?

- C'est différent !

- Où est différence là ? Toi tu fais en privé, les acteurs ils font en public. Pardon, arrête ton hypocrisie là, on va avancer.  Et puis, je te le redis, porno comme ça là, ca forme !

Non Sérieux ! me dis-je intérieurement. Que peut-on apprendre de ces vidéos, parfois violentes, où les femmes passent pour des personnes asservies, pire pour des objets, où elles feignent de ressentir du plaisir ?

Définitivement, les vidéos x, ce n'est pas ma tasse de café.

Oui, je suis bizarre, une personne avec plein de contradictions, complexe, incompréhensible, je l'admets. Mais je suis ainsi.

En plus, toutes ces vidéos à caractère sexuel me rappellent un peu trop mes débuts dans la prostitution. Or de tout ça, je n'aime pas me souvenir.


La voix de Carine me tire de mes réflexions.


- Nadia, je te le redis une pute, c'est juste bon pour la baise. C'est juste tais-toi et suce-moi. Alors ferme un peu ta tronche d'intellectuelle là. On n'a rien à faire avec ça ! Tu dénigres le métier là pourtant je te le rappelle, tu es toujours dedans. Bon finalement, j'irai mater mon DVD chez moi. Il y a trop d'aigris, d'hypocrites par ici !


Je la toise ouvertement.


- Au fait, on m'a récemment contacté pour une partouze avec plein de mecs, une bonne orgie sexuelle comme j'aime !

- Ne me dis pas que tu as accepté !

- Oui, bien évidemment. Tu n'es pas intéressée ? Ça paye bien je t'assure.


Je secoue la tête, tellement je suis depassée par ses propos. Écoeurant tout ça !

- Tu ne vas pas bien, Carine, c'est sûr. Tu as besoin de te faire soigner !

- Arrête tes sermons. Je n'en ai que faire !

- Tu devrais arrêter de martyriser ainsi ton pauvre corps !

- J'en fais ce que je veux !

- Tu dois voir un psy, c'est urgent !

- Si jamais, tu me tends encore un piège pour essayer de m'emmener chez un psy, je ne te le pardonnerai jamais !

- Je me fais du souci pour toi, Carine !

- Je ne t'ai rien demandé. Et puis je me sens bien dans ma peau.

- Tu mens, tu mens, Carine. Tu ne te sens pas bien dans ta peau. Et tu prends de plus en plus de risques ! Ce n'est ..  pas normal ! C'est ... insensé !

- Mais ça paye !

- Encore faudrait-il que tu sois en vie pour profiter de tout cet argent que tu souhaites amasser !

- Je t'ai assez entendue, Nadia ! Je me barre d'ici !

- Non, je n'ai pas fini de te parler.

Je me lève et me rapproche un peu plus d'elle, pour l'empêcher de s'en aller.

- Je tiens beaucoup trop à toi ! Je n'ai pas envie qu'il t'arrive quelque chose ! Tu dois parler à un psy de tout ce que tu as vécu avec ton feu beau-père !

- Tais-toi ! vocifère-t-elle en ma direction.

- Non, je ne me tairai pas. Pas aujourd'hui. Il faut que quelqu'un t'aide à accepter ton corps, à arrêter de le voir comme quelque chose de très sale et donc sans valeur parce que ton beau-père a longtemps abusé de toi !

- Tais-toi ! hurle-t-elle.

Elle est visiblement en colère, vu les traits de son visage qui se déforment. Mais je suis plus que jamais décidée à lui dire ce que j'ai sur le coeur.

- Non ! Je ne me tairai pas ! Il est temps que tu sortes toute cette douleur enfuie en toi, que tu acceptes d'en guérir, que tu parles de ton viol et …


"Viol", je viens de dire le mot qu'il ne fallait pas. Aussitôt dit, je reçois en plein visage une gifle des plus sonnantes. Je me retrouve sur le sol, tenant ma joue et regardant la furie qui me fait face. Péniblement, je me remets sur pieds.

- Excuse-moi ! balbutie-t-elle visiblement encore perturbée. Le coup … est parti ... tout seul. Tu … en disais… trop… Il faut… que … je m'en …. aille… J'ai besoin .... de ma dose … pour me calmer. J'en ai urgemment besoin !

- Non, ne fais pas ça ! Ne va pas encore te droguer ! S'il te plaît !

Je tente de saisir son bras, mais elle m'esquive et sort. Je la suis, criant désespérément son prénom.

C'est à ce moment là que ma mégère de voisine a trouvé opportun de se pointer dehors. Tout juste pour nous narguer comme à son habitude.

- Mi kpon Agalèto énin lè ! (Voyez-moi  ces prostituées !)

Mais ce que maman Mimi, ma voisine a oublié, c'est que tous les jours ne sont pas pareils. D'habitude, nous passons notre chemin, moi suppliant Carine de l'ignorer. Mais aujourd'hui, c'est différent. Carine n'a plus envie de m'écouter.

- Agalèto ! Wo nú mi ! (Putes, honte à vous !) reprend-t-elle avec vivacité.

- C'est de moi, tu parles ? réplique Carine en faisant volte-face.

La discussion entre elles se poursuit donc en français.

- Oui, c'est de toi et de ta seconde que je parle !

Carine se rapproche un peu plus d'elle. Ça va chauffer, c'est sûr. Moi je ne suis pas belliqueuse, alors je reste à l'écart.

- Y a quoi, la pute ? Tu veux me taper ? Je me demande ce que les hommes trouvent à des ordures comme vous !

- Tout ce que toi tu ne peux pas leur offrir !

- Sottise oui ! répond maman Mimi.

- D'ailleurs, vous les femmes mariées qui vous croyez différentes de nous juste parce que vous vivez sous le toit d'un homme, vous devriez remercier nous les putes pour tous les services que nous vous rendons.

- Ça c'est le monde à l'envers ! Remercier des ordures comme vous !

- Oui. Parce que nous apprenons à vos maris comment mieux vous satisfaire au lit.  Et c'est sur nous qu'ils défoulent tout leur stress de la journée pour pouvoir paraître gentil, romantique, docile avec vous !


Ma voisine ricane.

- Que du blablabla !

- Pense ce que tu veux. D'ailleurs, ton mari aussi est passé plusieurs fois entre mes jambes et parfois même sans protection ! achève Carine.

J'écarquille les yeux. Ça je ne le savais pas !

L'instant d'après, la main de maman Mimi atterrit sur la joue de Carine. Ensuite, en deux ou trois mouvements, maman Mimi se retrouve sur le sol avec Carine assise sur elle. Moi-même je n'ai rien compris. Je cours vers elles et crie à n'en plus finir pour appeler à l'aide.

Maman Mimi a sous-estimé son adversaire. Une Carine en colère n'a rien à voir avec un papa Mimi en colère dêê ! Même ma joue en est consciente.


Maman Mimi a certainement oublié que combat de femmes, ce n'est pas affaire de taille, mais plutôt affaire de stratégie. Voilà, à cause de sa langue de vipère et de son idiotie, elle se retrouve sous la déchaînée de Carine qui lui donne des coups de poings à n'en plus finir. Maman Mimi le mérite quand même un peu, n'est-ce pas ? Oui.


Quoi qu'il en soit, la pacifique que je suis continue de crier. C'est le mari de la malheureuse qui sort en premier, les yeux lourds comme s'il venait de se réveiller.

Je me demande ce que cet incapable peut même faire dans pareille situation, sinon rester debout comme moi ! Et bien, je n'ai pas tort. Il est là à côté de moi, à ne rien faire, à part dire "Arrêtez ! ". Je le lorgne ouvertement. C'est mari ça là dont il faut se vanter ?


Heureusement l'autre voisin, Don Juan, vient d'arriver du dehors. D'autres jeunes du quartier le suivent. Un beau spectacle au final pour tous ces hommes : l'une fesse en l'air et l'autre en slip à peine. On parvient à mettre un terme au combat de catch féminin improvisé et totalement gratuit. Maman Mimi a des bleus partout et le visage plein de boursouflures. Elle a réussi à remettre son pagne mais continue à insulter Carine qui en fait autant.


Don Juan tient fermement les hanches de Maman Mimi pour la retenir. Profit Oui ! Ça là, si ce n'est pas être pervers, c'est quoi ? Sinon est-ce que quelqu'un de sensé peut garder ainsi femme d'autrui ? Et dire que ça là veut coucher avec moi ? Même pour tous les diamants du monde, je ne coucherai pas avec un homme pareil. La Nadia d'avant Oui. Mais celle d'aujourd'hui, JAMAIS !!!


- Toi, pervers là, lâche-moi ! rétorque maman Mimi.

- Oui, lâche ma femme ! renchérit papa Mimi.

- Toi poltron, incapable, femmelette, faux mec comme ça là, tu dis quoi ? réplique Don Juan. Tu fais même honte à la gent masculine ! Si ce n'est pas pour te dominer et te frapper, je ne vois même pas pourquoi maman Mimi t'a épousé ! On aide ta femme, au lieu de remercier, tu insultes encore ! 

- Allez, rentre dans ta chambre ! reprend maman Mimi. Il n'y a plus rien à voir ici !

- Ce n'est pas toi oh ! C'est moi qui suis venu aider. Si je savais, j'allais laisser la go bien te botter !

- Allez, Va-t'en ! On t'a assez vu ! Rentre dans ta chambre !

- Oui, faut partir ! complète papa Mimi.


Don Juan feint de vouloir donner une gifle à papa Mimi qui sursaute aussitôt.

- Regardez-moi ce dindinbois (peureux en nouchi ivoirien) ! Ya rien là. Je rentre dans ma chambre, c'est mieux. Tchrouuuu !


Je souris intérieurement, tout en raccompagnant Carine dehors. Elle continue d'insulter maman Mimi, mais semble plus calme. Je projette de la raccompagner plus loin pour l'aider à trouver un zem, mais elle refuse. Je n'insiste pas pour ne pas la contrarier à nouveau.


Je reviens donc à la maison, consciente que c'est sur moi que vont tomber les représailles de Maman Mimi. Pauvre de moi, oui ! Je la retrouve sur la cour avec son mari.

- Toi, tu ne paies rien pour attendre ! me lance-t-elle ! En tout cas, c'est toi qui vas dépenser pour tous mes soins !


Je ne dis mot. Je me dirige prestement vers ma chambre, entre à l'intérieur, ferme à clé et les observe par la fenêtre.

- Arrête, maman Mimi. Si elle n'avait pas appelé de l'aide, Gladiator féminisé là t'aurait achevée !

Intérieurement, je ris.

- Toi là, tu dis quoi ? Mouilleur, peureux comme ça ! Je vais te régler ton compte tout à l'heure ! Donc toi là aussi, tu te mêles avec ces bordelles ?

- Moi ?

-Toi ! Oui Toi, fait-elle en le pointant du doigt ! Ou bien il y a une autre personne en face de moi ?

- Moi avec les putes ! Jamais  ! Je te le jure !

- Adingbannon ! (menteur) !  J'espère seulement que tu ne m'as pas refilé leurs saletés de maladies là. En tout cas, tu seras privé de sexe pendant un mois !

- Mais maman Mimi …

- Tchrouuuuu ! fait-elle en le poussant pour rentrer dans sa chambre.

Il la suit à l'intérieur.


Quelle cour commune que celle-ci ! Que des malades ! Il est grand temps que je dégage d'ici. J'y pensais déjà, mais j'hésitais à le faire. A présent, je n'ai plus le choix. Parce qu'après ce qui vient de se passer, maman Mimi me mènera la vie impossible. En plus, Carine ne voudra jamais plus s'amener dans cette maison.

Je m'empare donc de mon mobile et compose le numéro du démarcheur qui m'avait aidée​ à emménager ici.










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