Chapitre 2

Write by Auby88

Nadia P. AKLE


Deux des zem stationnés près de maman Evivi me proposent leurs services. Comme à chaque fois, je refuse. Parce que ces zems-là aiment trop surtaxer les clients. C'est eux les plus paresseux — selon moi évidemment — et pourtant c'est eux qui jouent aux plus travailleurs. Comme si en étant assis derrière leurs motos, on aura air climatisé ou bien on sera à l'abri des intempéries. Essaie voir. C'est air pollué-là que tu vas respirer. C'est chaud soleil d'Afrique là qui va taper ton crâne et si tu ne sais pas faire, oui si tu n'as pas chance, c'est pluie qui va t'achever !


Je hèle donc l'un des zems qui circulent, indique ma destination, discute le prix et m'assois. Lui, il fait partie des types de zem que j'apprécie : cordial, soigné et moralisateur. Pas à l'extrême bien sûr !

Durant le trajet, il me parle de son quotidien, de comment sa femme est morte en laissant 4 enfants à sa charge. Je l'écoute avec attention. Je reste émue par la vie de cet homme qui en quelques secondes s'est retrouvé père et mère. Il fait des petits boulots comme celui de Zem qu'il cumule avec celui de professeur vacataire, sous-payé évidemment. Ce père de famille, je l'admire. Rien à voir avec le mien. D'ailleurs, j'espère qu'il repose en paix ! (Soupir)



* *

*

Voilà, je viens d'arriver à destination. Discussion interrompue. Je remercie le zem, le paie puis pousse le portail. Mireille ou Mimi, la fillette de ma voisine accourt vers moi.

- Tata, tata, bonjour. Tu m'as ramené quoi ?

- Des biscuits.

J'ouvre mon sac à main.

- Tiens, mais montre-les d'abord à tes parents avant de les manger.

- Ok. Merci Tata.

- Allez, Mimi, rends-vite ses biscuits ! Je t'ai toujours dit de ne rien prendre chez cette mauvaise femme. C'est comme ça elles font pour corrompre les petites filles et leur voler leur innocence !

Ça c'est ma voisine. Elle vient à l'instant de sortir de sa chambre. Elle passe son temps à vociférer contre moi. Comme à chaque fois, je ne dis mot.

- Arrête, maman Mimi ! Tout ça juste pour un sachet de biscuits qu'elle a gentiment donné à notre fille ?

Ça c'est son mari, papa Mimi.

 

- Toi, qui t'a sonné ? Rentre à l'intérieur ! C'est comme ça ces sales femmes-là font pour détourner les petites filles. Vaut mieux couper le mal à la racine. En tout cas, Papa Mimi, je te préviens, si tu oses me tromper avec cette ordure ou son acolyte-là, je te coupe tout en bas. Et tu sais que j'en suis capable !


Quelle désolation ! Je les laisse à leur discussion et continue mon chemin. Si je le voulais, je lui piquerais son mari sans même qu'elle le sache. Mais je n'ai rien à foutre de cette femme aigrie et de son lâche de mari qui se laisse dominer par elle. Lui-même, gringalet de son état, qu'est-ce qui lui a pris de prendre une femme qui fait deux fois plus que lui, tant horizontalement que verticalement ? Quand femme comme ça se bat avec mari comme ça, c'est perdu d'avance ! Ç'est combat Mohamed Ali contre Sonny Liston. KO au premier round en à peine 2 minutes ! (Sourire )


Ok, on répète partout que quand on s'aime, les différences importent peu. Mais il doit y avoir des limites, n'est-ce pas ? En tout cas à chaque fois que je les vois, ils me rappellent "tonton Drissa et tantie Abi dans la série burkinabé Les Bobodioufs". En version plus jeunes bien sûr. (Sourire)


- Bonjour Chéco !

Ça c'est le voisin suivant, celui qui est près de ma chambre. Je le surnomme monsieur Don Juan. Car c'est un coureur de jupons invétéré qui change de femme comme on change de chaussures et qui empêche de dormir avec son lit qui craque constamment la nuit. Fort heureusement, je ne suis pas toujours là pour entendre ce bruit infernal.


Il me suit. Je le remarque mais n'y prête pas attention. Tandis que je cherche mes clés, il vient près de moi et pose un bras contre ma porte.

- Chéco, on se fait une petite sortie ce soir ?

- Non, je ne suis pas intéressée.

- J'ai beaucoup d'argent tu sais, renchérit-il en me montrant des billets de 10.000 FCFA. Ça devrait suffire non ?


J'ai envie de lui dire : "Pauvre con ! Imbécile oui. Au lieu de payer tes arriérés de loyers et de doter une femme, c'est devant moi tu viens brandir tes sales billets avec une insolence déroutante. T'es malade, oui !"

Mais je me ravise.

- Je ne suis pas intéressée.

- J'insère ma clé dans la porte qui s'ouvre, mais il me barre la route.

- Ma poupée ! C'est pourtant ton travail non !

Le sourire mesquin que je lis aux coins de ses lèvres me contrarie énormément. Je le pousse aussi fort que je peux, rentre à l'intérieur et ferme ma porte à clé !


Je l'entends rouspéter.

- Ça c'est le monde à l'envers. Une pute qui se prend pour une princesse ! Elle devrait se sentir fière et heureuse qu'un homme comme moi s'intéresse à une saleté pareille ! Idiote va ! C'est parce qu'on est dans un pays de Droit hein ! Sinon femme impure comme ça là, ya longtemps on t'aurait bannie, ostracisée du pays, mieux encore lapidée, décapitée ou brûlée !


J'inspire profondément pour détendre mon esprit. Aux insultes du genre venant autant d'hommes que de femmes, je suis habituée.

On m'appelle pute, jeteuse de foulard, catin, prostituée, agenouillée, pécheresse, impure, ordure, saleté, Marie-Madeleine, salope, marie-couche-toi là, putain, bordelle, poufiasse, morue…


Mais quoi qu'on dise, au fond de moi, il y a cette petite voix qui me murmure :

Pute, mais humaine avant tout.

Pute, mais femme avant tout.

Pute, mais.... Toujours mais …

 

********


Des jours plus tard.

Assise à l'une des chaises du Lounge bar, je sirote mon cocktail Rio. C'est sans alcool. Juste du jus d'orange, de la limonade, du sirop de grenadine, quelques rondelles de citron vert et des glaçons bien évidemment.


Je porte l'une des robes achetées, il y a quelques jours, chez Chidi. Je l'ai envoyée au pressing et elle est comme neuve, comme si elle était tout droit sortie d'un prêt-à-porter. Ok je l'admets, ce n'est pas une grande marque, mais c'est joli sur moi et ça relève plus mon sex-appeal, ma sensualité. Moulante mais sans excès. Courte mais pas trop. Elle descend au niveau de mes genoux. Oui, je m'habille sexy mais pas vulgaire.


En tout cas, sur mon corps de déesse, le plus troué des haillons paraîtrait sublime. Je continue de savourer mon cocktail en attendant que quelqu'un s'intéresse à moi. Et oui, rares sont les fois où j'aborde mes potentiels clients. Je suis une prostituée certes, mais​ je ne m'affiche pas pour autant. Ce sont les clients qui s'amènent toujours vers moi​. Et je reconnais qu'il faut être aveugle pour ne pas me remarquer.


- Nadia !

Mon prénom résonne dans mes oreilles. Je me retourne.

- Oui ! Ah Non ! Je m'appelle Nadia, mais je ne suis pas Nadia Buari ! contredis-je aussitôt.

L'inconnu est très bel homme. Sur la chaise vide près de moi, il s'assoit.

- Mais vous lui ressemblez tant !


Voilà en partie pourquoi on s'intéresse à moi. Je suis la sosie de Nadia Buari ; cette jolie actrice ghanéenne très connue surtout pour son rôle dans le film ghanéen Beyonce, la fille du président. Mais contrairement à cette libano-ghanéenne, moi je ne suis pas métisse. Juste naturellement claire. Je suis une béninoise, née de parents à la peau noire.


Je continue la discussion avec l'homme.

- On me le dit souvent mais …

- Vous avez pensé à faire carrière dans le cinéma ?

- Non.

- Vous devriez pourtant. Vous pourrez lui servir de doublure !

- Je vois, mais je ne suis pas intéressée par le cinéma. Et vous, qu'est-ce que vous faites dans la vie ?

- Je suis un homme d'affaires. Je viens du Gabon et je suis ici pour quelques jours.

Tandis qu'il me parle, je le scrute. Séduisant, teint noir, élégant, courtois et encore célibataire vu son annulaire sans trace. En tout cas, tout ça est sans importance tant qu'il a du cash.

- Très intéressant, mais je dois m'en aller. Il se fait tard.

En répondant, je jette un coup d'oeil à ma montre et me lève. Ça fait partie de ma stratégie : ne pas donner trop d'importance au client.

- Déjà ! Et moi qui pensais terminer la soirée en compagnie d'une aussi belle femme que vous !

Voilà la phrase magique, celle que j'attendais pour lui proposer mes services.

- C'est encore possible, dis-je en me rasseyant et lui souriant largement. Cependant, ce ne sera pas gratuit.

Il me sourit. J'en fais autant en poursuivant :

- J'accepte de vous tenir compagnie en contrepartie de la moins que millième partie de votre patrimoine.

Devant lui, je dépose un feuillet.


- C'est juste, n'est-ce pas ? Vous me comprenez à demi-mot ?

- Oh que oui, ma belle ! me répond-t-il, les yeux fixés sur le papier.

Il les décolle ensuite pour ajouter :

- Vous me charmez tant ! Vous êtes si agréable !

- Merci pour le compliment. Mes tarifs sont très raisonnables, n'est-ce pas ?

- En effet, ils sont très raisonnables. D'ailleurs, un peu trop raisonnables pour une beauté comme vous !

Je mime un sourire devant tant de flatterie.

- Marché conclu donc ? demandé-je en lui tendant la main, comme il le ferait avec l'un de ses partenaires d'affaires.

- Oui, Déesse !

- Bien ! On y va ?

- Oui, avec grande hâte ! Après vous !


* *

 *

J'ai fini ma besogne. J'ai pris une douche et là je m'habille pour rentrer chez moi.

- Tu es vraiment unique, Nadia ! commence l'homme en me scrutant. Reste avec moi pour toute la nuit. Tu t'en iras demain matin.

- Je suis désolée, mais non.

- Je peux doubler la mise si tu veux !

- Non, je ne suis pas intéressée.

- Alors quand est-ce qu'on se revoit ?

- Jamais ! répliqué-je en le regardant fièrement.

- Mais …

- Mes services, je ne les rends pas plus d'une fois à la même personne !

- Tu pourrais faire une exception pour moi ! Je quadruple, non je quintuple le prix.

- Ce n'est pas une question d'argent. C'est juste un principe. Moins on se connait, mieux c'est !

- Attends !

Je n'ecoute pas l'homme. Pour moi, c'est un ènième inconnu. Derrière moi, je referme la porte et emprunte l'ascenseur qui me ramène au bar.


Une fois en bas, je me rapproche du barman et lui glisse quelques billets. Ici comme ailleurs, ce sont les employés d'hôtel qui m'informent lorsqu'ils reçoivent des clients importants.

Puis je passe par la grande porte tournante pour me retrouver à l'extérieur du Complexe Hôtelier. Je suis accueillie par l'air frais qui caresse mon visage et balance mes mèches de cheveux.


Tandis que je longe la rue résidentielle pour atteindre la route principale, je remarque des jeunes filles tapies dans l'ombre et à bonne distance l'une de l'autre.


Qu'est-ce qu'elles font là ? La même chose que moi évidemment, mais de manière archaïque. Elles attendent là, à l'affût, guettant les potentiels clients.


Il fut un temps où je faisais comme elles, mais plus maintenant. Il fut un temps où je restais là et à d'autres endroits comme elles, même sous la pluie, avec les moustiques assoiffés de sang humain. Mais plus maintenant !


Trois voitures s'avancent dans la rue. Les filles sortent de l'ombre pour les approcher. J'aperçois une quatrième voiture. Le conducteur semble vouloir s'arrêter près de moi, alors j'accélère ma marche. J'ai le pas facile, malgré les hauts talons que je porte. Non seulement je suis une professionnelle des talons, mais en plus depuis ma tendre enfance, je suis une professionnelle de la marche.


Je suis maintenant au bord de la voie. Je hèle l'un des rares zem qui passent par là à cette heure tardive de la nuit puis monte derrière sa moto, en prenant soin de nouer un pagne.



**********

Le lendemain

Je suis chez moi avec Carine.

Carine c'est le genre de fille qui fait toujours tout à l'extravagance au point de vous dégoûter : faux-cils et faux-ongles très longs ;  couleurs de fards pas harmonieux ; fond de teint trop lourd ; piercings au nez ; tenues vulgaires, transparentes, très décolletées et tellement courtes sans aucun carré de tissu en bas pour couvrir son intimité ; teint multicolore à force d'utiliser des produits décapants, des injections de gluthation pourtant interdites dans certains pays Européens​ ; lèvres trop pulpeuses pour êtres naturelles ; fesses rebondies et gros seins obtenus en utilisant ces fameuses pommades "bobaraba" que je trouve dangereuses.


Voilà Carine. Est-il​ encore nécessaire de préciser qu'elle aussi exerce le plus vieux métier du monde ? Non, ce n'est pas la peine. La description que je viens de faire renseigne largement là-dessus.


Mais bon sang, qu'est-ce que je fais avec une dévergondée pareille, moi qui suis discrète ! N'est-ce pas ?

Eh bien aussi paradoxal que cela puisse paraître, aussi vulgaire qu'elle puisse paraître, je tiens beaucoup à elle. Non seulement parce que nous exerçons dans le même domaine, que nous nous connaissons depuis des années mais aussi parce qu'elle m'a toujours protégée, défendue dans ce monde à part. Mais surtout parce que je connais l'histoire de sa vie.


Carine, c'est ma meilleure amie. Que dis-je ? Meilleure amie ? Ah ça non, car ce mot n'exprime pas combien Carine est importante pour moi.

En effet, meilleur c'est quand tu as le choix entre plusieurs, quand tu peux comparer au moins deux entités. Or dans mon cas, il n'y a pas de choix possible. Carine est la seule amie que j'ai. Et ça me suffit. Carine c'est mon amie. Carine, c'est ma soeur de coeur.


Actuellement, elle regarde Novelas TV tandis que moi j'ai les yeux pointés sur mon mobile Infinix. Sur la plateforme littéraire, je modifie les récents chapitres que j'ai publiés.

- Ne me dis pas que tu es encore entrain de faire ton truc machin là !

- Ecrire, tu veux dire !

- Oui. D'ailleurs je trouve que tu perds ton temps !

- Ecrire me confirme que j'existe. Ecrire a toujours été ma passion. En plus, sur le site où je publie, les gens apprécient beaucoup mes histoires.


Elle quitte soudainement son siège pour venir m'arracher le téléphone des mains. Je l'entends rire.

- C'est ça ton profil ? Mariée et mère de deux enfants ! Pas qu'un mais deux ! Mais tu rêves grand dêê, ma petite !

- Donne-moi mon téléphone.

- Attends, cette fille-là, cette Stacy que tu décris là, c'est moi ?

Je hoche la tête. Elle sourit en ma direction.

- Tu m'as superbement décrite. Chapeau, ma grande. Comme c'est chou ! Tu tiens beaucoup à moi !

- Oui. Faut-il encore que je te le rappelle ?

- Non, je n'en ai pas besoin. Sache que moi aussi je tiens beaucoup à toi ! achève-t-elle en me rendant mon téléphone.

- Si un jour, tes écrits te rapportent du fric, pense à me payer mes intérêts dêê ! Parce que tu ne vas pas parler de la sublime Carine gratuitement hein !

- Ok, dis-je en souriant.

- Même si à dire vrai, je doute que tes écrits te rapportent quoi que ce soit, ni même te servent à quelque chose. Pour moi, c'est une vraie​ perte de temps !

 - Carine, ne recommence pas, s'il te plaît !

- Pourtant, j'ai raison. Regarde, tu t'efforces d'être ce que tu ne seras jamais pour que la société t'accepte.

- Non, j'ai toujours eu l'envie d'écrire ! riposte-je en levant les yeux vers elle.

- Oui, mais tu le fais sous couvert, en anonymat et en utilisant un profil faux !


Je baisse les yeux.


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