Chapitre 3

Write by Olys_ Soul

  

 

Ma sœur avait rendez-vous à l’hôpital st Joseph après notre déjeuné. Du haut de ses vingt- six ans, elle était pédiatre à l’hôpital st Jean mais donnait de temps à autre des consultations à des enfants nécessitants des soins particuliers. Je ne connais pas grand choses à ces histoires de médecins mais mes cours à l’Université de port- au- Prince en Gestion des affaires étant terminés pour ce semestre j’avais le reste de ma journée de libre je lui proposai donc de l’accompagner. Elle accepta sans se faire prier comme les autres fois.

C’était un grand hôpital. Devant la barrière comme pratiquement devant toutes les institutions de ce pays, il y avait un groupe de politiciens en herbe en pleine discussion. On aurait dit l’assemblée nationale en pleine séance.

Ils n’arrêtaient pas de s’invectiver à tour de rôle sur un dossier politique qui battait son plein ces derniers jours. Le dossier #petrocaribe  , un fond mal géré ou plutôt dilapidé par on ne sait qui. Tous semblaient vouloir d’une vérité qu’ils n’accepteraient jamais, c’est que nous sommes, chacun à notre manière responsable des maux de ce pays à commencer par la qualité de ceux qui nous représentent.

Mais notre mère nous ayant appris à ne pas nous attarder sur les cènes de rue on passa notre chemin.

Une fois les salutations d’usage faites aux  collègues puis aux supérieurs de ma sœur  je commençai ma ronde muni de ma carte d’accès provisoire.

Je passais de chambre en chambre discuter un peu avec les patients histoire de les divertir un peu. L’hôpital avait une aile où les soins étaient prodigués à moindre coûts à l’intention des plus démunies : des enfants de rues accidentés, des mendiants, des gens dans le besoin…

Lorsque j’entrai dans la salle destinée aux enfants c’est étrange mais j’étais toujours tiraillée par mes sentiments. Je ressentais tantôt de la légèreté  de part leur innocence et tantôt de la tristesse lorsqu’on se plongeait dans leur regard qui racontait tant de souffrance.

Ce soir là il y en avait un d’environ douze ans. Je le remarquai le premier parce qu’il s’adonnait à une prestation des plus incroyable. Il chantait à tue tête «   Fè l’ mache, fè l’ mache[1] », une chanson pas des plus enfantine. J’étais curieuse. Il ne faisait même pas un demi-mètre, il était tellement chétif pour son âge. Il se tortillait dans tous les sens.

_ Mais qu’est-ce qu’il a ce garçon ?

Les autres patients de la salle n’appréciaient pas particulièrement sa prestation. Mais cela ne l’empêchait pas de continuer. Il sautait sur le lit. Sa blouse  ouverte à l’arrière laissait entrevoir ses petites fesses noires mais si on ne l’arrêtait pas il risquait d’enlever la seringue qui lui injectait  du sérum. Je l’attrapai par l’autre mais parce qu’il était debout sur le lit et s’apprêtait à sauter.

_ Hey hey. Calme-toi. Tu pourrais te blesser. Tu ne vois pas que le sang commençait à monter dans la seringue ?

Il se retourna vers moi et ces yeux étaient voilés d’un nuage blanc. Dès que mes yeux c’étaient posés sur lui j’étais défaite. Je me sentais si mal de lui avoir posé cette question. Je senti qu’un éclair m’avais transpercé le cœur. J’ai failli fondre en larmes mais il a rétorqué presque immédiatement.

_ Mais non Mme. Vous ne voyez pas ?

Il était en train de se rire de moi. J’ai été tellement soulagée j’avais déjà les yeux perlés de larmes.

_ Non excuse moi. Ce que je suis tête en l’air.

_ Ce n’est pas grave. Ça m’arrive tout le temps.

Il avait des égratignures sur toute une partie de son visage ainsi que ses genoux et un énorme pansement sur l’avant  bras droite.

_ Comment tu t’appelles, dis- moi ?

_ Tibou 

_ Tibou ? C’est ton petit nom sans doute. Mais ton vrai nom c’est quoi.

_ Mais on a qu’un seul nom Mme.

On aurait dit un petit M. qui  m’instruisait sur les choses de la vie.

_ D’accord. Moi c’est Georgia.

Il tourna la tête et avec un petit sourire narquois.

_ Non. Gigi c’est plus sympa. Ça va mieux à votre voix.

Je souri  bêtement. J’étais confuse mais d’avantage curieuse.

_ Qu’est-ce qui t’es arrivé ? Comment tu t’es blessé ?

_ Je me suis fait renverser par une moto  hier matin?

_ Mais qu’est-ce que tu faisais en pleine rue ? En matinée en plus, à cette heure là tu devais être à l’école non ?

_ C’est ma maison.

J’étais perdue. À l’entendre cela semblait tellement ordinaire qu’un petit garçon de sept ans vive dans la rue. J’avais du mal à comprendre.

_ Mais où sont…

_ Georgi

C’était ma sœur. Je n’avais pas vu l’heure passée. Il était déjà plus de cinq heures, il était temps pour nous de rentrer. Je déposai un baiser sur le front  de Tibou et lui promis de revenir lundi le voir. Il a souri et m’a dit au revoir. Fiona devait rencontrer Will, son fiancé  dans un bar plus loin. Cela voulait donc dire que je terminerais le reste du trajet toute seule.

Je n’arrêtais pas de penser à ce petit garçon. Je ne savais pas ce que je devais  en penser exactement. J’étais tiraillée. Comment un enfant comme lui avait atterri dans la rue ? En plus avec un handicap ? Il n’y avait-il donc personne qui se souciait de lui ?

Cette question à fait remonter une vague de culpabilité en moi. Je vivais dans l’inconscience de ce monde là. Il m’arrive de temps à autres d’aller m’asseoir sur un banc du champ de mars sur la rue de l’Enterrement. On y rencontre beaucoup de garçonnets faisant la manche, lavant les pare-brises, les voitures etc. à même pas treize ans ils fumaient déjà. Quand on a grandi dans cet environnement on y prête plus vraiment attention. Mais Tibou… c’était tellement palpable, aveugle en plus. Comment j’ai fait pour être aussi gâtée par la vie et être aussi peu reconnaissante et aussi insouciante. Il fallait que je prenne connaissance de son histoire. Une voix au fond de moi criait «  Mais que feras tu après ? Tu as une vie tranquille, un nouveau boulot pourquoi te pourrir la vie avec cette histoire ? », Je ne savais quoi répondre pour la faire taire. Tout ce que je savais c’était qu’il fallait que je sache plus sur lui.

Toutes les lumières de la maison étaient éteintes. Tout ce qu’on entendait c’était une station évangélique que la radio de ma mère diffusait. Même lorsqu’elle dormait elle laissait allumer la radio sur ces stations. Parfois on l’entendait en pleine nuit chanter, louer dans le noir. La seule chose qu’il faille faire d’intelligent dans ces situations c’est essayer de ce rendormir. Si j’osais l’interrompre gare à moi. J’ai fait attention de ne pas la réveiller, elle devait se lever tôt le lendemain comme tous les dimanches pour aller à l’église.

Je rentrai dans ma chambre, exécutai mon petit rituel du soir : démaquillage, une bonne douche … des trucs de filles. J’ai eu du mal à fermer les yeux cette nuit là. Je n’arrivais pas à extirper les yeux tout blancs de Tibou. Je le vois encore ce petit visage innocent pourtant charger d’histoire. Il m’apparaissait comme une énigme.

Toc toc…

_ Georgi !

_ Mmhh

_ Tu devrais te réveiller ma chérie si tu ne veux pas risquer d’être en retard.

_ Mmmh.

Je fis une grimace, me tourna et me retourna dans mon lit. Il me paraissait qu’il était encore assez tôt comme à mon habitude jusqu’à ce qu’il ne le soit plus du tout. J’entrepris dans un ultime effort de me redresser … un vrai parcours du combattant. Une fois avoir réussi de gravir la montagne je pris mon verre d’eau, une grande respiration et resta là quelques minutes.

_ Georgia !

_ Oui maman je suis réveillée.

_  Mais encore dans ton lit.

C’est qu’avec moi on ne savait jamais vraiment tant que je n’étais pas debout et même là encore il y avait encore des chances pour que je me laisse séduire par les roucoulements de mon lit. Mais non, pas aujourd’hui.

On était le quatrième dimanche du mois et ces dimanches là l’adoration était à la charge d’Isaac, le neveu du pasteur. Pourquoi c’est si important ? Une jeune femme de vingt-trois ans célibataire d’une église Nazaréenne  comprendrait de suite. Il fallait que je sois sur mon trente et un.

Je me levai enfin de mon lit. Près de la fenêtre, j’avais disposé un grand miroir à pieds. Je me dirigeai vers lui pour contempler les dégâts que mon manque de sommeil de cette nuit avait occasionnés.  J’aurais tellement voulut passer le cap des soixante- dix mais j’allais devoir me contenter de mon mètre soixante-huit. Je passai mes mains dans mes cheveux crépus courts comme pour essayer d’entrevoir une solution à ce bazar. On aurait dit que les yeux de ma sœur me scrutaient mais non c’était les miens. Nous nous ressemblions tellement, si ce n’est que j’étais noire, le visage allongé et que j’avais des fesses en bonus. Je n’avais pas vraiment de quoi me plaindre mais nous les femmes ne sommes jamais satisfaites de notre morphologie.

J’étais  fin prête. Un dernier coup d’œil dans le miroir pour vérifier que ma tenue était impeccable. J’eu un petit sourire béât. « Comment peux-tu ? », j’avais presque oublié le sort de « Tibou ». Avait-il déjà déjeuné ? Avait-il mangé à sa faim ? Il ne paraissait pas être un garçon tranquille, faisait-on preuve de patience envers lui ?

Pendant tout le service je n’ai pas arrêté d’avoir des pensées pour lui. Mais ce n’était pas suffisant. Je le savais. Vivement que la journée soit passée. Ce soir là, je m’imaginai déjà notre rencontre. J’avais une foule de question à lui poser. Il me fallait savoir  ce qui l’avait conduit sur ce lit d’hôpital.

[1] Faite le marcher, faite le marcher.

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