Chapitre 3

Write by Lilly Rose AGNOURET

Chapitre 3

 

Khazey

 
   

L’on discute tout en observant Ma Pauline qui pose les plats sur la table. Je la taquine en disant :

- Ma Pauline, tu disais que ton garde-manger était vide, n’est-ce pas ?

Elle sourit et me dit :

- Je te ferais un bon plat de nyemboué demain. Mais au fait, pour combien de temps es-tu là ? Et pourquoi n’as-tu pas prévenu avant d’arriver ? Et comment vont les filles ? Et ton épouse ? Et puis…

- Femme ! Si tu te mets à parler maintenant jamais les plats n’arriveront à table ! lui fait son époux.

J’éclate de rire et réponds :

- Vous n’avez pas changé. Ça fait du bien de vous retrouver.

- Hum ! J’apporte les plats. Mais où se trouve ta sœur ? Les enfants, à table ! crie Ma Pauline.

Les enfants qui jouaient dehors déboulent en courant dans le salon en réclamant du couscous.

- On se lave les mains, d’abord ! crie Ma Pauline qui emmène les enfants dans la cuisine, à la queue leu leu.

Je regarde ce joyeux bazar et souris avant de demander à mon père :

- Pourquoi l’avez-vous laissé la foutre en cloque cinq fois, en 5 ans ? Papa, tu as fait de ta fille une poule pondeuse.

Me père ouvre grand les yeux et me dit :

- Quand tu veux chasser le renard, il faut te lever avant l’aube.

- Papa, je ne comprends rien à ce que tu dis.

- Comme je te le disais, ton retour était attendu. Pour combien de temps es-tu là ?

- Pour longtemps. Mais cela ne répond pas à mes questions, papa. Comment as-tu pu laisser ta fille vivre pendant tout ce temps dans un taudis et faire autant d’enfants comme si à elle seule, elle avait mission de repeupler le Gabon ?

- Fils, peut-on boire tranquillement ? C’est samedi. Le week-end commence à peine. Dis-moi, c’est quand la dernière fois que nous avons eu la chance de manger à la même table ?

Là, je sens l’agacement monter en moi. Je respire et demande à nouveau :

- Papa, pourquoi ta fille la plus intelligente, la plus brillante de toute, tu sais, celle qui a décroché le bac à 16 ans et qui avait déjà un master II à 21 ans, vit-elle maintenant dans un taudis avec quatre enfants et une grossesse à terme ?

- Ta sœur est dans la chambre. Appelle-la et pose-lui la question, me fait-il.

Là, je me rappelle que depuis notre arrivée, Azaliah se terre dans l’une des chambres de la maison. Je me demande d’ailleurs laquelle. Je demande à mon père où je pourrais la trouver. Il me répond :

- Elle est sûrement dans l’un des studios de derrière en train de fomenter un plan pour son évasion. Je l’ai fait ramener trois fois ici. À trois reprises elle a pris la poudre d’escampette.

En entendant cela, je me lève prestement et vais en direction de la cuisine. Je sors de la maison et me dirige plus en avant à l’arrière de la maison, qui est séparée des trois studios de mon père dont deux sont en location. Je cogne à la porte de celui qui toujours reste à la disposition des membres de la famille. Personne ne répond. Je cogne à nouveau. Aucune réponse. Je pousse alors la porte. Là, je remarque que les bagages de ma sœur sont là dans le salon. Je vais en direction des deux chambres. Elles sont vides. Je me place alors devant la porte de la douche et entends que l’eau coule de l’autre côté de la porte. Rassuré, je reviens à table. J’appelle mes deux grands neveux et leur dis :

- Je vous charge de surveiller Azaliah. Si jamais j’apprends qu’elle est partie d’ici, je vous mettrai tous les deux à la rue.

Charles me dit alors :

- Hum, tonton, ça c’est une mission casse-cou. Même ! Papy n’arrive pas à gérer le cas et c’est nous que tu veux envoyer au casse-pipe !

- Oui, c’est ça. Vous avez compris. Si elle s’en va d’ici, je vous ferai vivre un enfer.

- En tout cas, fait Francis en se caressant la tête ! Peut-être que la grossesse va la bloquer. En tout cas, je ne parle pas des choses qui me dépassent ! On verra !

Ils s’en vont en direction de la cuisine pour se laver les mains. Bientôt, nous nous retrouvons tous autour de la table. Ma Pauline est obligée d’aller chercher Azaliah pour la traîner jusqu’à la table.

J’observe les enfants qui jubilent devant leurs assiettes de couscous. Je regarde Ma Pauline et lui demande :

- C’est quoi cet amour pour le couscous ? Je ne comprends pas.

C’est l’un des petits qui me répond :

- Le couscous, c’est bon !

Je regarde le petit. C’est là que j’en arrive à l’évidence qu’effectivement, je suis resté trop longtemps trop loin, à ne penser qu’à moi, mon avenir, mon foyer, mon bien-être. Sinon, comment est-ce possible que je sois incapable de distinguer Pierre-Elie, de Jamsine, de Pascal, de Jérémy ? Je les regarde et me tourne vers mon père pour lui demander :

- Pourquoi sont-ils aussi chétifs ? Quand ont-ils été déparasités ?

Mon père reste zen et me répond :

- Je ne suis pas médecin. Si tu veux des réponses à tes questions, adresse-les à ta sœur.

La sœur en question reste les yeux accrochés à son assiette comme si sa tête ne pouvait plus pivoter. Je la regarde longuement et bientôt, je finis par lui demander :

- Comment ça se passe au boulot ?

Le silence qui tombe sur la table nous enveloppe comme un silence de plomb. Mon père se lève alors de table, s’essuie la bouche avec une serviette et annone :

- Je vais faire une sieste ! Je dois assister à une réunion importante cet après-midi. Réveillez-moi à 15h, s’il vous plaît.

Il tourne les talons. Je le retiens en disant :

- Il faut qu’on parle, papa.

Il hausse les épaules et me répond :

- Je suis fatigué de parler. Il paraît que j’emmerde le monde quand j’ouvre la bouche !

Là, il s’en va sans plus de cérémonie. Je reporte mon attention sur Azaliah qui semble se faire plus petite qu’un sourire. De nouveau, je lui demande :

- Ça se passe comment au bureau ? Tu es en congé maternité, c’est ça ?

Ma Pauline vient à sa rescousse et lance :

- Alors Khazey, comment vont Iris et Anaée ?

Je n’en reviens pas que personne ne daigne répondre à mes questions. C’est comme si l’on voulait me faire comprendre que mon absence, je vais devoir la payer avec des questions sans réponses. Alors que je veux revenir à la charge, mon téléphone sonne. C’est ma mère au bout du fil. Elle râle en me disant :

- Mon petit père, tu ne m’as pas rappelé ! ça veut donc dire que tu as assez d’argent pour me payer un bon avocat. Parce que, comme je te l’ai dit ce matin, je vais égorger ce couillon de Mbina !

Là, je réponds simplement :

- Maman, pourquoi t’es-tu levée ce matin avec l’intention d’aller égorger cet homme ? Pourquoi ne pas l’avoir fait avant qu’il ne mette ta fille enceinte pour la cinquième fois ?

Là, je vois le visage d’Azaliah pâlir comme si on lui annonçait qu’elle avait un paludisme au stade avancé. Ma Pauline regarde son assiette, les autres font comme s’ils étaient devenus invisibles. Il n’y a qu’un petit qui, en toute insouciance, demande :

- Mamie Pauline ? Ze veux encore du couscous.

Excédé par cette histoire de couscous à laquelle je ne comprends rien, je me lève de table et sors faire un tour dehors. Là, je demande à ma mère :

- Maman pourquoi jamais ne m’as-tu dit que la situation d’Azaliah était aussi compliquée ?

- Je t’en ai parlé plusieurs fois, Khazey. Tu étais occupé à être heureux en France, à te payer des vacances au ski avec ton épouse, à aller à Disneyland avec tes enfants. Je te disais d’appeler ta sœur et la seconde d’après tu me parlais de ta feuille d’impôts que tu devais remplir. Je n’ai jamais rien compris à la feuille d’impôts, mon père. Ici, les impôts sont payés à la source. Je ne pouvais pas comprendre pourquoi ça te fatiguait autant et pourquoi tu avais si peu de temps et d’énergie à consacrer à nos petits soucis du quotidien. Bref, je n’ai pas envie de te répondre ainsi, mais vu que tu as posé la question, je dirais que tu étais centré sur toi-même au point d’en oublier le reste.

Je respire un grand coup et lui demande :

- Maman, pourquoi t’es-tu levée ce matin avec l’intention d’aller égorger cet homme ?

- Fils, me fait-elle sur un ton de dépit. J’ai appris il y a deux jours que cela fait près de cinq mois que ta sœur a perdu son emploi.

- De quoi parles-tu, maman ?

- Khazey ! Je suis en train de te dire que cela fait cinq mois que ta sœur nous ment par omission. Elle est au chômage. Pourquoi ton père ne t’a-t-il pas raconté ce qui s’est passé ? C’est lui-même qui m’a appris la nouvelle il y a deux jours.

- Qu’est-ce qui n’a pas marché, maman ? Dis-le moi !

- Je n’aime pas parler au téléphone et cela tu le sais. Et je ne vois pas comment tu pourras régler une affaire qui se passe au Gabon alors que tu es tranquillement en France. Je vais moi-même me charger de ce type !

- Maman, je suis à Port-Gentil.

Elle a un temps d’arrêt avant de me dire :

- Tu es à Port-Gentil ! Comment peux-tu arriver sans prévenir ? C’est quoi cette histoire ? Pourquoi ton père ne me l’a-t-il pas dit quand il est passé me voir il y a deux jours pour me parler de la situation d’Azaliah ? Depuis quand es-tu cachottier à ce point ? Où es-tu ?

- Pour quelqu’un qui n’aime pas les conversations téléphoniques, tu parles énormément ! Bref, je suis chez papa.

- Mais à quoi jouez-vous ton père et toi !!! C’est quoi cette surprise ? Et que faites-vous ?

- Nous étions à table ! Je…

Je n’ai pas la possibilité d’en dire plus car ma mère s’énerve sérieusement en disant :

- Khazey Omanda, je te signale que ta mère c’est moi ! Si tu dois manger la nourriture de quelqu’un à ton arrivée à Port-Gentil, c’est la mienne. Mon père, je te laisse moins de trente minutes pour arriver chez moi, sinon, je vais sérieusement m’énerver.

Rien n’a changé. Enfin, à part le fait que j’ai 5 ans de plus que la dernière fois qu’elle a menacé de me mettre une fessée.

- Madame Mariah Azizet, je te signale que je suis un grand garçon, maintenant. Tu ne vas quand même pas me menacer à chaque fois devant mes enfants ! fais-je en riant.

- Fils, je t’attends. TOUT DE SUITE !

- Heureusement que tu es la femme de ma vie ! À la façon que t’as de vouloir me tirer les oreilles, il y a longtemps que j’aurais fait prononcer le divorce entre nous.

- Ce n’est pas la peine d’essayer de me séduire ! Tu auras droit à une fessée ! Mon fils est à Port-Gentil et je ne suis pas au courant ! C’est quoi ce désordre ?

- J’arrive, chef ! À tout à l’heure.

Quand je reviens à l’intérieur, je tire ma révérence en disant :

- Il faut que j’aille voir maman.

Ma Pauline me retient en disant :

- Tu n’as pas fini de manger, Khazey !

- Si je ne pars pas maintenant, maman viendra ici faire un scandale. J’aurais dû lui dire que je suis là !

- Ah, je vois ! Dis-lui bien que ton arrivée a été une surprise pour nous. Je ne veux pas qu’elle m’accuse d’être à l’origine de la famine dans le monde.

Je regarde Ma Pauline et je comprends tout ce que cache sa tirade. Avant de partir, je lui demande :

- Il faudra que tu m’expliques cette histoire de couscous ! Qu’y a-t-il de spécial dans un plat de couscous ? En plus, les petits le mangent sans sauce.

Elle sourit, pose une caresse sur la tête d’un des petits et répond :

- C’est un plat de fête pour eux !

Je me tourne vers Azaliah qui n’a pas levé la tête de son assiette et lui dis :

- Il faudrait peut-être penser à les emmener voir un médecin dès lundi. Je les trouve un peu trop maigres.

Charles, l’un de mes grands neveux, sourit et me lance :

- Hum, tonton Khazey, il faut faire doucement ! C’est ton premier jour ici. Le pays est violent !

Je le regarde sans rien dire. Je me tourne vers Ma Pauline et lui dis :

- Dis à papa que je serai là pour le dîner. À tout à l’heure.

Arrivé sur le pas de la porte, je fais demi-tour et lance à Azaliah :

- J’espère qu’il ne te prendra pas l’idée sotte de te tirer d’ici. Amuse-toi à ce jeu avec moi et tu ne me reconnaîtras pas.

Elle lève la tête vers moi et la baisse aussitôt !

Je m’en vais tranquillement en me demandant si j’ai assez d’énergie pour écouter tout ce que maman aura à me dire. Installé derrière le volant, je reçois un appel de la part de mon frère, Frédéric. Il s’écrit alors :

- Frangin, maman vient de m’appeler pour me dire que tu es à Port-Gentil ! Pourquoi n’as-tu pas prévenu ? C’est quoi cette surprise ? On se voit quand ?

- On aura tout le temps de se voir. Je suis là pour rester. Alors, on s’appelle.

- Comment ça on s’appelle ! Dis-moi où tu es et je te rejoins. Tu es descendu chez papa, c’est ça ?

- Je t’appelle plus tard, frangin. Maman m’attend.

- Écoute, appelle-moi dès que tu es libre. Où sont les enfants ? Et Maya ?

- Je suis arrivé tout seul. On en parle tout à l’heure.

- D’accord ! J’attends ton coup de fil !

Je raccroche et décide de me concentrer sur la route. Mais avant de démarrer, je reçois le coup de ma petite sœur Imani. De sa voix fine, elle me lance :

- Onèro, mbolo ! itchango sè ?  (Bonjour grand frère. Et les nouvelles ? )

- Bonjour toi ! Comment vas-tu ?

- Ça va, ça va. Je m’étonne que tu n’aies prévenu personne de ton arrivée. C’est quoi cette surprise ? C’est papa qui m’a appris que tu es là !

- Écoute, je t’appelle dès que je suis libre. Je vais voir maman.

Là, elle me dit :

- Hum ! Khazey Omanda est de retour ! ça fait du bien de pouvoir se faire remonter les bretelles face à face par son grand frère chéri. Sinon, dis, tu es là pour combien de temps ? Pourquoi es-tu arrivé tout seul ?

- Je suis là pour rester, Imani.

- Pour rester ? Oh ! Ton épouse et toi êtes vraiment cachottiers. Je l’ai eu au téléphone il y a deux semaines et ne m’a rien dit.

- Mademoiselle Onanga, on se voit dès que je suis libre.

- Je me fâche si tu me zappe pendant ce week-end. Je sais que tu es le fils de ta mère, mais ça ne doit pas t’empêcher de penser à ta petite sœur chérie.

- Et si je te dis que j’ai deux petites sœurs, qu’est-ce que tu me réponds ?

Elle éclate de rire et me répond :

- ça fait vraiment du bien de te savoir ici. J’espère que tout ira bien pour toi. Ce n’est pas évident de se retrouver à Port-Gentil après avoir vécu dans une grande ville. Je t’assure qu’après mon retour de JoBourg, il m’a fallu un temps de réadaptation tellement l’ennui m’étouffait. Bref, on est à Pog et on gagne des millions de cfa. Donc, on n’a pas le droit de se plaindre.

- On se retrouve ce soir chez papa si tu le veux.

Elle marque un temps d’arrêt avant de me dire :

- Ok. À tout à l’heure.

- Et dis au mec que tu me caches qu’il est temps qu’il vienne t’épouser.

Là, il y a un blanc sur la ligne avant qu’elle me réponde :

- Je suis majeure et vaccinée. J’ai acquis le droit de mettre du rouge à lèvres, porter des mini jupes et passer les soirées en boîte de nuit le week-end. Ça veut dire que…

- Ça veut dire que tu es toujours ma petite sœur et que tu ne devrais pas faire autant de cachotteries au sujet de ta vie amoureuse.

Elle soupire et me dit :

- Je suis manager. Je gère deux équipes de 10 personnes. Je suis la boss que tout le monde tient en respect. Mais il faut que le seul mec qui arrive à me faire trembler vienne me rappeler qu’il peut me faire pleurer par un seul de ses regards. Arrête de faire le grand frère méchant, Khazey ! Ne viens pas me traumatiser. Papa et maman s’en sortent très bien dans ce rôle.

- Je vois ! Bref, on se voit ce soir ! À tout à l’heure, beauté.

- Ouais ! À tout à l’heure, beau gosse !

 

Il est 13h 30 quand j’arrive chez ma mère, dans cette cité tranquille où tout le monde se connaît et sait tout sur tout le monde. À peine suis garé devant la barrière de la maison que le portail s’ouvre. C’est le sourire kilométrique de Georgia, la meilleure amie de ma mère, qui m’accueille. Elle s’écrit :

- Khazey, c’est bien toi ? Mariah n’a pas menti ?

Je descends de voiture et m’apprête mentalement à faire la bise et la conversation à toutes les curieuses qui s’arrêteront chez ma mère comme par hasard.

Quand je passe le pas de la porte d’entrée, mon esprit s’apaise aussitôt en voyant ma mère arriver de la cuisine. Elle arrive vers moi en s’essuyant les mains dans un torchon. Elle sourit en me disant :

- Monsieur Omanda, sois le bienvenu !

- Madame Azizet, puis-je te dire combien tu m’as manquée ?

Me retrouvant dans ses bras, je me détends pour la première fois depuis le début de la journée.

- Je t’ai fait un bouillon de sardines fumées !

Je souris, me libère de son étreinte et lui dis :

- Tu cherches à corrompre mon estomac, n’est-ce pas ?

- Non, je sais juste que personne d’autre que moi ne sait faire ce bouillon comme tu aimes.

- Merci maman. Je suis heureux d’être là,lui fais-je en lançant un regard circulaire sur la pièce.

Elle me demande alors :

- Où sont mes petites-filles ?

Je souffle et réponds :

- Je tenais à ce qu’elle termine leur année scolaire.

Maman porte ses deux mains à ses hanches et me dit :

- Khazey ! elles sont à la maternelle. Qu’est-ce qu’il y a de si important à cet âge à part chanter l’alphabet ?

- Tu marques un point. Le fait est que je tenais à ce qu’elles puissent tranquillement dire adieu à leur environnement. Ça va être un grand changement pour elles de venir vivre ici. C’est la première fois qu’elles se retrouveront en Afrique.

- Elles viennent pour les vacances. Pourquoi parles-tu de changement ?

Je vais vers le canapé et m’assois les jambes croisées. Je lève le regard vers elle et lui dis :

- Je rentre définitivement. J’ai signé un contrat avec Vaalco. Je commence la semaine prochaine.

- Oh, Khazey, félicitations. Bon retour chez nous. Oh là là !

J’ai l’impression qu’elle va s’effondrer en larmes alors je me lève prestement pour aller vers elle. Je lui tiens une main et lui demande :

- Tout va bien, maman ?

- Oui, oui. Tout va mieux maintenant que tu es là. Si je parle, tes frères vont encore dire que tu es mon préféré. Je préfère ne rien dire.

Je la regarde longuement. Les traits de son visage sont tirés. Même si son visage garde la même douceur qu’avant, j’ai l’impression qu’elle n’a pas dû bien dormir ces derniers temps.

- Que se passe-t-il maman ?

- Rien, rien ! Je… Assied-toi à table je t’apporte à manger.

Quelques minutes plus tard, je suis attablé face à un bouillon de sardine fumée accompagné de bananes vertes.

- Tu sais y faire, madame Azizet ! Seigneur, ça fait du bien !

Je mange gaiement avec son regard posé sur moi. Je me perds à regarder autour de moi. Le décor a changé depuis ma dernière visite. Aucune de mes filles n’était née, à ce moment-là. Ma mère a fait encadrer une photo montage de tous ses petits-fils. Sur un meuble plus loin, il y a une photo de Frédéric et moi, alors que nous étions encore au lycée. Dans un coin trône une photo de nos grands-parents.

- Donc, si je comprends bien, ton épouse a accepté de te suivre au Gabon ? me fait maman.

- Ç’a été difficile de la convaincre, je te l’avoue. Elle n’a jamais vécu ailleurs qu’en France. Et quand je dis en France, je parle de la région parisienne.

Ma mère me regarde longuement et me dit :

- Hum ! L’amour l’aidera à apprécier la vie ici. Tu t’es habitué au froid de là-bas, le soleil d’ici lui plaira.

- Oui, je le pense. Je dois visiter trois villas lundi. J’espère que l’une d’elles conviendra. Ma prise de fonction est prévue pour mardi.

Nous n’avons pas le temps d’en dire plus car trois copines de ma mère arrivent avec des plats dans les mains. Je les accueille en souriant alors qu’elles posent les plats sur la table. Et là, le kongossa peut commencer. Comme si j’allais répondre à toutes leurs questions, mdr…

     

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