Chapitre 3

Write by QUEENEMMA

Lundi matin, 7 H 00, Abidjan, commune du Plateau, chambre de l’agriculture, premier étage, Alexandra était déjà à son bureau.

Elle consulta ses mails, supprima les spams et entreprit de répondre à ceux reçus durant le week-end. 

Depuis ses déboires avec son mari, elle avait arrêté pratiquement de travailler les week-ends. Elle passait du temps dehors avec son fils Christ-Yvan pour rester le plus loin possible de son mari. L’idée du divorce ne la répugnait que juste à cause des répercussions que cela aurait sur son enfant ; mais pour sa part, la vie conjugale avec Wenceslas    était bel et bien finie. 

Alexandra secoua la tête. Elle ne voulait plus penser à tout cela, surtout pas à son lieu de travail, encore moins aujourd’hui. Elle devait préparer un appel d’offres national pour la fourniture de mobilier pour de nouvelles agences de l’entreprise dans laquelle elle travaillait depuis sept ans. TECHNOBURO était leader du marché de fourniture et matériels de bureau divers, de matériels d’impression et de consommables en tout genre et se portait plutôt bien. 

Alexandra était désormais responsable des achats dans cette structure depuis plus d’un an. Elle avait un bon traitement salarial et aimait son métier ; même si elle aurait adoré que sa valeur soit plus reconnue au sein de cette structure. Alexandra était certes responsable d’achat mais pas de la partie rentable de TECHNOBURO. Elle était de la section des achats qui englobait tout sauf les produits commercialisables. Non pas qu’elle avait refusé de s’en occuper mais son patron, le directeur logistique était encore du genre à penser que l’informatique était une affaire d’hommes. Et elle détestait cet état de fait. Elle valait autant que le responsable de la section des produits à plus-value, voire plus même. Cette situation était le seul hic dans son quotidien professionnel et elle prenait sur elle en attendant que la situation change. 

Car malgré tout, TECHNOBURO restait la structure qui lui avait donné sa chance. Elle y avait pratiquement débuté sa carrière et elle s’y sentait vraiment comme chez elle. Et elle disposait de deux assistants, deux acheteurs juniors Evelyne Soro et Jean-De-Dieu Ahizan. Ils étaient efficaces et Alexandra avait pleinement confiance en eux. Evelyne était avec elle depuis trois ans, depuis qu’elle avait été promue chef de la section achat à faible plus-value. Elle avait exigé ensuite l’embauche d’un autre assistant lorsque la structure avait évolué et était devenue leader du secteur. Et vu l’ampleur que prenait l’extension de TECNOBURO à travers le pays, sa section ne tarderait pas à devenir un département à part entière. Elle serait en plus en charge de l’approvisionnement en fournitures de bureau et autres articles nécessaires au fonctionnement des agences qui se créeront bientôt. Ce qui ne serait pas pour la déplaire, au contraire. Alexandra aimait relever les challenges et savait qu’elle aurait les tripes pour diriger toute le département achat en entier et pourquoi pas la direction logistique toute entière. En tout cas, elle en rêvait, enfin si Charles BOGA lui en laissait la possibilité. Charles était le responsable des achats à plus-value de TECHNO BURO. Et à ce simple titre il se prenait pour plus important qu’Alexandra au sein du département achat. Il se prenait carrément pour le nombril du département. Alexandra le méprisait vu qu’il ne se gênait pas pour lui rappeler ce fait quand il le pouvait ainsi que son statut de femme au sein de la structure. Mais il restait l’un des meilleurs acheteurs qu’elle ait connus. Charles était incisif dans son travail. Sa devise : « GAGNANT À TOUS LES COUPS ». Il négociait toujours les contrats les plus avantageux pour la structure, à la grande joie de la direction. Il aurait été promu Directeur logistique si le poste n’était pas dirigé de main de fer par l’actuel Directeur, Monsieur KAMAGATE IBRAHIM.

Bref Charles était un phénomène à lui tout seul et une journée entière ne suffirait pas à la jeune dame pour décrire son ressenti face à cet homme. Elle l’admirait malgré elle et détestait le reconnaître comme un adversaire de valeur et calibrer ses performances en fonction des siennes.

Elle se reconcentra donc sur ses courriers électroniques et y détecta un mail qui parlait d’un séminaire de redéfinition des objectifs de vie. Elle regarda de plus près cet email. La session se tenait dans deux semaines jour pour jour. Trois jours à Assinie. Dans un lieu paradisiaque en bordure de mer. Et le montant de ce séminaire n’était pas donné. 250.000F payable à la réservation…        

        Et il y avait une possibilité de suivi personnalisé à la demande après le séminaire. Elle lut le nom du coach de vie. ALAIN-YVES AFAKAN. « Connais pas », se dit-elle, puis elle se traita d’idiote en se demandant si elle connaissait qui que ce soit dans ce domaine. Elle sourit en se disant qu’elle aurait bien besoin de vacances et de redéfinir ses objectifs de vie actuellement. Sa vie lui semblait fade et douloureuse. Il n'y avait que son fils et son travail qui lui apportaient joie et satisfaction en ce moment. 

Alexandra AMAN soupira. Décidément, elle était loin d’imaginer la tournure que prenaient les évènements de sa vie actuellement. Elle pensa à sa volonté de divorcer d’avec Wenceslas. Ou à sa non volonté de divorcer. A vrai dire elle ne savait plus vraiment. Elle n’avait toujours pas réussi à surmonter les infidélités de son mari et se doutait d’y réussir un jour. Et elle ne voulait plus vivre dans ce simulacre de bonheur que son mari voulait lui offrir. Elle s’était rendu compte qu’elle était fatiguée de se donner à lui et de recevoir ça en prime. Elle pensait mériter mieux que cela. Et si Wenceslas ne pouvait pas lui offrir la tranquillité d’esprit, au moins qu’il la laisse vivre seule en paix. 

Mais le plus grand dilemme de sa vie de couple actuellement résidait au sort de son fils. Jamais elle n’avait envisagé faire subir à son fils une séparation prématurée d’avec son père. Christ-Yvan adorait son père et souffrirait énormément d’un éloignement subit. Dieu merci ces derniers mois leur différend n’avait jamais touché leur fils. Elle et Wenceslas    avaient un accord tacite dans leur guerre froide. Ils ne se disputaient jamais en présence de leur fils et faisaient corps et âme en face de lui. 

Christ Yvan ne soupçonnait même pas que son père et sa mère faisaient chambre à part depuis bientôt trois mois.  Les parents ne se couchaient uniquement que lorsque celui-ci dormait, heureusement qu’il n’était pas du genre à débouler dans la chambre de ses parents sans crier gare. Sinon il n’aurait pas manqué de poser la question de savoir pourquoi son père ne dormait pas dans ‘’ la chambre de PAPA ‘’ ?  Elle n’aurait su comment répondre à cette question, Wenceslas peut être si. Il avait le don de faire avaler des mensonges même pris la main dans le sac alors il aurait peut-être pu, lui.

La jeune femme consulta l’horloge murale fixée dans son bureau. 07 H 35. Déjà. Dire qu’elle était venue pour s’isoler et travailler. Le bâtiment commençait à se remplir petit à petit de monde et elle n’aurait plus la faveur du silence qu’elle était venue rechercher.

Elle se dit qu’il était temps d’arrêter de rêver et décida de se plonger dans ses notes qu’elle avait préparées pour la réunion qui aurait lieu à 09 heures avec ‘’le grand patron’’.

Bonjour Alexandra, lancèrent deux voix qui s’avérèrent être celles de Evelyne et Jean de Dieu alias “JD’’, ses assistants.

Alexandra sourit en entendant cet agréable accord de voix de ses subordonnées. Elle releva la tête et leur répondit à leur salutation. 

Evelyne une jeune femme de vingt-quatre ans, de taille moyenne et ronde. Elle était vêtue d’une veste en pagne en manche trois quart et d’un pantalon noir. Elle portait des escarpins noirs et s’était élégamment maquillée. Evelyne était une jeune femme coquette et originale qui n’avait pas peur de briser les conventions vestimentaires de l’entreprise. De plus c’était une jeune femme battante, qui avait un grand cœur et qui ne se laissait pas marcher sur les pieds. Au niveau professionnel, Evelyne était une assistante hors pair.

Quant à JD, il était un haut bonhomme d’un mètre quatre-vingt, de corpulence assez imposante. Il avait toujours fait penser à un mannequin à Alexandra. Elle l’appelait souvent son mannequin quand il se mettait sur son trente et un, chose qui arrivait cependant rarement. JD était un garçon simple dans son attitude comme dans le vestimentaire, peu bavard et assez réservé.

Evelyne contrastait de son collègue JD par son exubérante jovialité. Ils se complétaient pourtant parfaitement professionnellement. Là ou JD alliait à la perfection, précision et efficacité, Evelyne complétait finesse et diplomatie. A eux deux ils étaient indispensables au bon fonctionnement du service. Alexandra tremblait d’avance au jour où l'un des deux assistants déciderait de partir sous de meilleurs horizons. Non pas qu’elle ne voulait pas que ses assistants évoluent professionnellement, non, mais elle s’était attachée à ces deux collaborateurs. 

Mais en attendant, elle espérait bien compter sur leurs compétences. Elle devait rencontrer les membres de son équipe à 8H15 min pour une réunion rapide d’une quinzaine de minutes, afin de faire le point de la semaine à venir et préparer sa réunion de département qui aurait lieu à 9 heures avec le directeur.

*****************************************************

La journée se déroula sans encombre majeure. Après sa réunion avec le chef du département, elle se concentra sur son travail et ne vit pas passer l’heure. Quand elle leva la tête sur l’horloge qui trônait dans son bureau, il était déjà 12 heures 30 .la pause était pour 13 heures. Mais elle ne se sentait pas l’âme de déjeuner. Elle avait déjà téléphoné deux fois chez elle pour voir si tout allait bien. Christ-Yvan avait cours aujourd’hui et n’était pas à la maison et Alexandra avait piloté le repas du soir depuis son bureau. 

Malgré le froid dans son foyer, elle veillait à la bonne tenue de sa maison. Elle supervisait depuis son bureau, et ce comme toujours les plats de son époux et de son fils. Plus une question d’habitude qu’autre chose. 

Son téléphone fixe sonna et mécaniquement elle décrocha d’une main tandis qu’elle pianotait son clavier d’une main en corrigeant un rapport à envoyer à son responsable. C’était un appel la guérite de l’immeuble lui annonçant qu’elle avait un visiteur en bas. Sans même prendre le temps de demander les références du visiteur, elle leur demanda de faire monter celui-ci et ne se rendit compte de son omission qu'une fois le téléphone raccroché. Elle voulut rappeler mais se ravisa. Après tout, la personne concernée serait sous peu devant elle et elle aurait le temps de découvrir son identité. Elle retourna donc à sa tâche et oublia son visiteur. Une dizaine de minutes plus tard, trois coups frappés à sa porte la fit sursauter.

Elle marqua une pause, mi de l’ordre dans la paperasse qui trainassait sur son bureau puis lança « entrez ». 

Il y eut une pause de dix secondes avant que la porte ne s’ouvre lentement sur une magnifique femme au teint clair lumineux, plantureuse, moulée dans une robe. Le regard d’Alexandra était encore rivé sur sa paperasse sans qu’elle se rende compte que sa visiteuse était à deux pas d’elle. A la seconde où son regard se posa sur la jeune femme qui souriait devant elle, Alexandra poussa un grand cri de joie et sauta littéralement au cou de celle-ci.

Mais arrêtes de me serrer ainsi fort, protesta la jeune femme prisonnière des élans d’affection et de joie non refrénés d’Alexandra, tu vas m’étouffer.

Mon dieu, Serena, dit-elle enfin en cessant ses embrassades, mon dieu …c’est toi, c’est vraiment toi ?

Eh oui, c’est moi, affirma cette dernière en faisant un tour sur elle-même afin qu’Alexandra en juge pas elle-même

Mais pourquoi tu ne m’as dit que tu rentrais, et d’ailleurs depuis quand es-tu là ?

Oh juste depuis deux jours, répondit Serena. Tu es la première abidjanaise à savoir que je suis revenue au pays. Je voulais que tu sois la première.

Oh comme je suis contente de te voir, dit Alexandra en serrant de nouveau son amie dans ses bras.

Voir Serena KOUASSI, son amie de longue date, lui faisait énormément plaisir. Il y avait si longtemps qu’elles ne s’étaient pas revues.  Trois ans en fait. Serena et elle étaient amies depuis plus de dix ans. Leur amitié avait étonné plus d’un au vu de l’antagonisme qui caractérisait les deux jeunes femmes. Pendant qu’Alexandra était une femme réservée, calme et réfléchie, Serena était exubérante, impulsive et débordante d’énergie. Mais leur attachement l’une à l’autre s’était révélé profond. Bien que les circonstances de la vie les aient éloignées, elles s’appréciaient et s’aimaient toujours autant. Alexandra avait toujours senti en Serena, son alter ego, la femme qu’elle aurait aimé être si ses bases morales et culturelles le lui avaient permis.  Serena était vraie, vibrante, séduisante, croquant la vie à cent à l’heure, laissant les regrets au passé et attaquant l’avenir avec l’insouciance qu’il fallait pour ne pas vivre sa vie à moitié. De son côté, Serena enviait à son amie sa réserve et sa sensibilité au monde, sa générosité, son amour pour la justice et la droiture. 

Physiquement, elles auraient pu se ressembler. Toutes deux faisant exactement un mètre soixante-quinze (coïncidence) et disposaient toutes deux d’un corps voluptueux à souhait (poitrine et postérieures avantageux). Seulement Alexandra était d’un teint noir de jais, et d’une beauté sereine tandis que Serena était d’un teint clair, du fait de ces ascendances mulâtresses précisément d’une grand-mère française et d’un grand père ivoirien. Et contrairement à Alexandra, Serena n’hésitait aucunement à mettre en valeur son corps dans des tenues qui la mettaient à son avantage. On aurait pu croire que Alexandra serait jalouse de la beauté de son amie mais aucunement. Elle l’admirait mais sans plus. Elle appréciait son amie pour sa franchise légendaire, son intelligence vive. 

Elles s’étaient attachées l’une à l’autre bien que tout ou presque les opposaient. Serena était fille d’un aristocrate ivoirien, et détentrice de la nationalité française du fait de ses ascendances. Ses parents possédaient des entreprises dans le domaine portuaire, dans l’industrie cosmétique ainsi que dans diverses structures de secteur économique ivoirien et dans la sous-région. Ils faisaient partie de la haute aristocratie ivoirienne et les régimes politiques qui ont défilé n’ont rien ôté en leur influence, vu qu’ils étaient apolitiques. Serena avait bénéficié d’une vie dorée vu qu’elle était née avec une cuillère en argent dans la bouche.

Alexandra avait pour père un cadre de la fonction publique notamment à la direction des impôts et d’une mère comptable dans une structure privée de la place. Tous deux étaient à présent à la retraite mais avait tenu à offrir à leurs trois enfants le meilleur que pouvaient leur donner leurs revenus. Alexandra et ses frères n’avaient manqué de rien mais leurs parents, avaient inculqué de solides valeurs morales à leurs enfants et leur avaient fait comprendre qu’ils devraient gagner leur pain à la sueur de leur front. Très tôt, ils les avaient responsabilisés et Alexandra avait appris assez vite que son avenir dépendrait de ses études. Elle avait été une élève studieuse. Et au vu de ses résultats encourageants au baccalauréat, son père lui avait proposé de passer le concours d’entrée à l’institut polytechnique de Yamoussoukro, qui formait en ce temps les élites de ce pays. Elle avait accepté, puis avait réussi le concours d’entrée mais avait été orientée dans une école préparatoire en classes commerciales, qui ouvrait des opportunités sur des cycles en ingénierie comptable, en management, en logistique et en assurance. 

C’est à cette période que Serena et elle s’étaient rencontrées. Et qu’était née leur amitié.

Elles avaient débuté toute la première année des cours en tronc commun (qui se déroulait) sans vraiment se côtoyer. Serena avait un cercle d’amis de fêtards, de fils à papa et de profiteurs attirés plus par son statut de fille riche que par son propre charisme, tandis qu’Alexandra faisait de son mieux pour avoir une moyenne acceptable ou rester dans club de ceux qui ne serait pas renvoyé. Le rythme des cours effréné avait eu raison de pratiquement de la plupart des petits génies qui étaient dans ce tronc commun. Bien que quelques-uns réussissaient à sortir du lot, la plupart stagnaient et la dépression pour eux n’était jamais loin. 

Un jour, Alexandra rentrant d’une séance d’étude tardive, avait trouvé une jeune fille cachée dans un coin obscur, sanglotant à n’en plus finir. Il s’agissait de Serena qui pleurait son échec dans cette classe préparatoire. Bien qu’elle ait semblé être une jeune fille insouciante, son échec lui pesait mais sa renommée de bimbo et de fille à papa l’empêchait de pleurer son humiliation devant « sa cour ». Alors à chaque échec, elle trouvait un endroit calme (sa chambre étant toujours assiégée par les autres) pour épancher sa douleur.

Alexandra l’avait consolé du mieux qu’elle pouvait. Elle l’avait rassuré sur la légitimité de sa détresse, mais du fait qu’elle devait être forte pour surpasser cette épreuve. Serena avait été surprise de voir que ce petit bout de fille (on l’appelait la sainte en secret) recelait un puits profond de force morale en elle. Elle en avait été impressionnée. Depuis ce jour, elle et Alexa étaient devenus compagnons d’études. Elle avait étudié ensemble durant les deux années de tronc commun, et avait réussi le concours d’entrée en classe ingénieurs. 

Et bien qu’elles se soient retrouvées en filières différentes, leur amitié n’avait pas cessé. Et celle-ci durait encore. 

La vie avait dû les séparer momentanément, car Serena avait voulu vivre en France un moment. La perte de son frère d’une maladie rare, l’avait obligé à revoir ses priorités de vie. Ayant un boulot prospère dans le domaine de l’assurance, elle avait d’un coup tout abandonné pour se lancer dans sa passion, le design d’intérieur. Vu que ses parents avaient longtemps combattu son rêve, elle l’avait réalisé toute seule, avec ses propres économies. Et elle l’avait fait. La voici maintenant de retour après cinq ans d'exil comme elle aimait à plaisanter. 

Leur dernière rencontre datait de quelques mois après la naissance de Christ-Yvan. Serena avait tenu à voir le bébé de son amie. Puis était reparti quelques jours plus tard. Voir son amie la remplissait d’une joie indicible.

Comment ça, tu l’as surpris ? encore une fois ? demanda Serena en se servant de l’eau, après que son ami lui ait raconté d’une traite ses déboires conjugaux, dans le restaurant où elles avaient décidé de déjeuner ensemble. 

Alexandra hocha la tête. 

Waouh Alexa, pourquoi tu ne m’as pas contacté pour m’en parler ? Tu sais que je serai venue illico ! pour lui botter les fesses au moins ; et t’aider à gérer tout ça. 

J’avais honte Serena ! J’avais mal ! j’avais du dégoût pour moi-même ! je me sentais coupable ! Comment peut- on expliquer tout ça à quelqu’un ? comment je pourrais t’expliquer ça à toi alors que… ? 

Serena prit la main de son amie dans la sienne. Cette dernière la serra fortement. Comme celle-ci lui avait manqué. Et combien elle s’en voulait de n’avoir pas pu soutenir son amie. Et surtout de ne l’avoir pas protégé contre cet imbécile de Wenceslas. Elle avait envie d'être surprise de tout ça. Mais elle avait toujours su que ça finirait ainsi. Elle avait même prévenu son ami.

Que comptes-tu faire maintenant ? demanda Serena 

Si seulement je savais. Mon mari me dégoûte. Je ne supporte plus sa simple présence. Cependant la simple idée de priver mon fils de son père me terrifie. Je ne saurai pas comment expliquer à nos parents pourquoi je veux partir. Je vois bien ma belle-mère, qui m’a toujours détesté d’être une fille de la classe modeste, me ricaner au visage qu’elle savait que je ne ferai pas le poids. Sans compter que Wens est capable de me faire perdre la garde de mon fils. Quand je pense à tout ce que je vais devoir endurer pour mettre fin à ce simulacre de mariage, je crois que c’est préférable que je ne fasse rien. Et pourtant … 

Serena comprenait tellement bien son amie. Elle avait vu sa mère vivre et encaisser ça pendant tellement d’années. Elle était toujours révoltée contre ce que son père avait fait subir à sa mère. Encore plus contre le laxisme de sa mère. Mais elle comprenait son amie quand elle hésitait à infliger un divorce à son filleul. Pour l’avoir vécu, même sans enfant, elle savait que divorcer était une épreuve atroce à supporter pour un être humain. 

Qu'en penses tes parents ? demanda-t-elle bien qu’elle en devinait la réponse.

Ah…Mes parents ! Je n’ai jamais eu le courage de leur avouer la vérité. Mon père est persuadé que mon mari est un homme bien vu qu’il prend bien soin matériellement de nous. Et ma mère… Je sais qu’elle se doute bien de certaines choses mais tu la connais…Le mariage même dans le brasier mérite d’être maintenu alors. Ils ne comprendraient pas. Pour eux, j’aurai échoué. Seul notre cadet, Daniel, est au courant des infidélités de Wenceslas pour l’avoir surpris en ville avec des filles. Il m’en avait parlé mais j’ai lui demandé de ne rien dire aux parents. 

Je te comprends, fit Serena compatissante. 

Elle décida cependant de la dérider le temps du déjeuner. Serena lui annonça son projet d’ouvrir une agence de design d’intérieur haut de gamme ici à Abidjan. La ville était pleine d’opportunités et elle comptait bien s’y faire une part de marché. Depuis Paris, Elle avait commencé les démarches administratives pour la création et cherchait un appui ici pour accélérer les choses. Alexandra en fut ravi pour elle et lui assura son soutien si besoin. Elles s’extasièrent ensuite des photos de Christ-Yvan. Serena avoua que son filleul était le plus beau au monde. 

Oh ne te laisse pas avoir par son joli minois. Il peut être un vrai diable quand il veut. Vois comment il nous mène à la baguette Wens et moi. 

Oh ça, c’est parce qu’il est enfant unique ma chère, plaisanta Serena. 

Humm, à cette allure, il risque de le rester longtemps, répondit Alexandra avec un petit air triste. 

Oh Non Alexa, ne te laisse pas abattre par tout ça. Tu ne vas pas être triste quand je suis là. Tu sais quoi ? Je m’engage officiellement à te changer les idées jusqu’à ce que toute cette histoire trouve une solution. Et on va commencer aujourd’hui même. Comme au bon vieux temps. Un plan de destressing en béton.

Hummm Serena… je te connais. Tu as quel plan pour moi ? 

Oh rassures-toi. J’ai des projets de paix et non de malheur pour toi ma fille.

Alexandra s’esclaffa devant la référence biblique que lui sortit son amie. Elle se rendit compte que rire de bon cœur lui faisait un bien fou. La magie de Serena opérait déjà. 

Vas-y je t’écoute. Quels sont tes plans pour moi ? 

J’ai un vernissage ce soir. Je cherchais quelqu’un pour m’accompagner. 

Un lundi soir? 

Ça commence tôt t’inquiète. Je passe te chercher ? 

Hummm… Christ-Yvan a cours le lendemain. 

Alexandra… On ne va pas en boite. Tu rentreras tôt, fais-moi confiance. Et puis ton cher époux peut bien s’occuper de son fils une heure ou deux en plus ce soir non ? 

Une ou deux heures ? 

Alexa, tu as un couvre-feu ? 

Non mais j’ai l’habitude d’être là pour son bain, son dîner et son coucher. 

Juste une nuit, il ne mourra pas. Préviens juste ton Wens. 

Prévenir qui ? à cause de quoi ? pardon ! je gère ma vie sans lui désormais…

Ehhhh Alexa … tu veux que ton mari m’accuse de pervertir sa femme encore ???

Tchrrrrr !!!!qu’il s’estime heureux que ce soit toi qui me pervertisses !! 

Cette fois, ce fut Serena qui éclata de rire. Voir Alexandra exprimer sa colère ainsi était un spectacle hautement jovial. Le deal fut signé et rendez-vous prit pour 18 heures. 

Serena fut ponctuelle. À l'heure dite, celle-ci se pointa vêtue d’une robe portefeuille en soie imprimée, fendue, qui lui dévoilait la cuisse. Elle créa une émeute devant le bureau. Plusieurs hommes du bâtiment se mirent à la reluquer sans vergogne. Mais Serena était à l’aise quand elle était l’objet de tous les regards. Alexandra par contre, c’était tout le contraire.

Tu aurais pu me prévenir qu’on devait se mettre sur son trente et un, fit remarquer Alexandra à son amie. Regarde comment je suis fagotée ! J’aurai pu faire un tour à la maison changer de tenue !

Oh tu es superbe dans cette tenue Alexa… Moi je dois pécho ce soir alors (tournant sur elle-même pour montrer sa splendeur).

Ah Seigneur !! à nos âges tu penses encore à pécho ??? 

Eh moi je suis divorcée, à la recherche de sensation forte. Soo… !!!!!

Hummmm ma chérie, pardon allons y avant que tu ne crées une émeute ici, fit-elle à son amie.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Elles se rendirent au lieu du vernissage dans le véhicule d’Alexa. Elles n’étaient pas si à l’heure qu’elles l’auraient cru, Un beau petit monde circulait déjà dans ce qui semblait être une galerie. “un petit monde bien guindé”, pensa cette dernière. Elle reconnut plusieurs personnalités du monde artistique, quelques personnages mondains amateurs d’art. Bien sûr, Serena était dans son monde. Elle évoluait d’un cercle à l’autre, distribuant des salutations, des accolades et des œillades à certains soupirants. Pendant que celle-ci faisait son show, Alexandra profita pour s'éclipser en direction des œuvres exposées. Les tableaux exposés semblaient être de plusieurs artistes. Elle reconnut que le pays regorgeait de talents certains. Les œuvres étaient magnifiques. Certaines, incompréhensibles pour le profane qu’elle était, mais ne vous laissaient sûrement pas indifférents. 

Son coup de cœur fut une œuvre gigantesque. L'œuvre semblait représenter un couple enlacé, en proie aux extases de la chair. Ou plutôt leur ombre. Mais n'empêche que l’acte était assez explicite sans être vulgaire. Il s’y dégageait un tel érotisme que Alexandra en eut la chair de poule. Elle avait en face d’elle un couple d’amants passionnés, dont le désir transperçait le tableau. Elle en aurait eu les moyens, elle aurait pris cette œuvre. Quant à savoir où elle l’aurait exposée, c’était une autre paire de manches. Elle imaginait bien les questions de Christ-Yvan : “ Ils font quoi Maman ? pourquoi le monsieur serre le cou de la dame ? Pourquoi il la frappe ? etc. ”. Elle pouffa de rire en imaginant la scène.

J’ai déjà vu des réactions dégoûtées, concupiscentes ou admiratives devant ce tableau, mais des rires, je dois avouer que c’est une première, fit une voix masculine derrière elle.

Surprise, elle se retourna et fit face à un homme qui la dépassait d’une bonne tête. Il avait aux lèvres un sourire suffisant qui la laissa…elle ne saurait l’expliquer. 

Je ne me moquais pas du tableau, non, tenta-t-elle de se justifier. Noon juste que je me suis souvenue d’un fait drôle.

Hummmm, fit l’homme pas très convaincu.

Si… personnellement j’aime bien ce tableau. Si j’en avais les moyens je l’aurais pris. 

Qu’est-ce qui vous fait croire que vous ne pouvez pas vous l’acquérir ? 

Vous l’estimez à combien ce tableau ? 

J’ai entendu dire que la mise aux enchères était à Cinq millions de francs FCFA. 

Alexandra fut choquée du montant. Il lui faudra défaire son bas de laine pour s'acquérir un tableau pareil. Elle dut avoir une expression assez comique parce que cette fois ci ce fut son interlocuteur qui s'esclaffa. Son rire était franc et bon enfant. Gênée de cet accès d’hilarité à son égard, elle se mit à regarder aux alentours, de peur que l’attention ne se focalise sur eux. Paradoxalement, ils étaient les seuls dans cette zone de la galerie. 

A voir votre tête, si vous étiez la seule enchérisseuse, les artistes de ce pays ne feraient pas fortune. 

Je ne m’attendais pas à ce qu’une œuvre de cette envergure coûte aussi chère. Pour une femme comme moi en tout cas qui ne dispose pas de moyens illimités comme beaucoup de personnes présentes ici. 

On a pour habitude de dire que l’art n’a pas de prix.

Nous on a plutôt l’habitude de dire que la santé n’a pas de prix, rétorqua-t-elle. 

L’homme sourit. Son interlocutrice avait de la répartie. Il aimait. Il se rapprocha d’elle d’un pas et lui dit :

Faisons une petite expérience. Regardez ce tableau. Regardez-le bien. Imprégnez-vous de chaque centimètre carré de couleurs, de traits, de dégradés… puis fermez les yeux (Alexandre s'exécute). Imaginez que vous êtes l’artiste. Et que vous avez en face de vous ce couple qui s’aime et que vous devez peindre. Pensez à l’émotion que vous devriez ressentir pour pouvoir reproduire chaque détail de ce tableau. La force de leur passion, la sensualité de l’amante… imaginez-vous en train d’entendre les gémissements durant leurs ébats, de visualiser leur danse pendant qu’ils se font mutuellement plaisir. Sentez-vous traverser par chacune de ses émotions et sensations … Et déversez tout ça sur cette toile. 

Ce que Alexandra ressentit était un cocktail d’émotions et de sensations assez brut : il y avait eu du chaud, du très chaud et du froid. Elle avait senti l’odeur de musc et de sueur combinés. Elle avait ressenti le goût d’épices et de saveurs sucrées tout au fond de sa gorge. Et son coeur… tel un tambour qui battait le rythme de la danse des amants, tout ça sous une lumière fortement contrastée. Elle semblait ressentir le choc des deux corps empreints de passion amoureuse, qui semblait lutter pour une survie. Elle ouvrit les yeux brusquement lorsqu’elle sentit quelque chose frôler sa peau. Elle se retrouva nez à nez avec son interlocuteur. Bien que surprise, elle ne réagit pas, encore sous le choc de la petite expérience sensorielle à laquelle elle s’était laissée aller avec un parfait inconnu. 

Vous avez ressenti des choses n’est-ce pas ? fit l’homme en la dévisageant le regard planté dans le sien. Alors imaginez ce que le peintre a pu ressentir durant des mois voire des années avant de pondre cela. Ce qui vient de vous arriver, est pour lui une quasi obsession, qui lui prend les tripes comme une urgence jusqu’à ce que l'œuvre prenne vie. Un peu comme un accouchement. C’est un processus quasi divin. Vous avez déjà entendu que certains artistes avaient souvent l’impression d’être comme Dieu ? 

Pour toute réponse, elle cligna des yeux, trop surprise pour répondre.” “Waouh, c’est intense !  “, réussit -t -elle à articuler après quelques minutes de silence. L’homme sourit et riva les yeux sur le tableau. 

Vous êtes une artiste dans l’âme. L’exercice de projection qu’on a fait aurait pris une préparation énorme pour une personne normale. Mais vous, vous vous êtes immédiatement mis dans la peau de l’artiste. C’est rare, pour une personne qui dit ne rien connaître à l’art. 

Je n’y connais pas grand-chose effectivement.

(Tournant vers elle et plongeant son regard dans le sien) Vous devriez… Cet univers est fait pour vous. Cette œuvre semble faite pour vous. Je vous vois bien comme modèle en cette femme.

Alexandra, bien que troublée par le propos de l’inconnu, dû reconnaître que celui n’avait pas tort. bien qu’on ne voyait pas totalement le visage de l’amante, la silhouette, les traits masqués auraient pu être les siens. Ou d’une autre femme lui ressemblant. 

Je vous l’offre si vous le voulez … entendit-elle.

Hein ??? quoi !!!!

Le tableau, je vous l’offre … à vous. 

Noon !  Hurla-t-elle presque. Je ne peux pas 

Et pourquoi ? fit l’offre avec sourire moqueur

D'abord je ne vous connais pas… rétorqua-t-elle 

Mais encore … !!!

Et puis vous ne pouvez pas offrir une œuvre évaluée à cinq millions à une quasi inconnu.

Quelle loi l’interdit ? 

(Elle silencieuse) ....

Écoutez monsieur, merci pour la proposition, mais je ne peux clairement pas accepter. 

Vous avez peur ? 

Peur ? répéta-t-elle 

Peur oui… une autre femme aurait bondi sur l’occasion 

Je ne suis pas les autres femmes … 

L’homme resta silencieux en la regardant profondément. Cet examen détaillé la mettait extrêmement mal à l’aise mais elle avait du mal à se soustraire à celà. Le regard de cet homme sur elle la fascinait à un point où… que lui arrivait elle, se demanda-t-elle. Alexandra se sentait mal à l’aise de toute cette situation. Comment elle en était arrivée à recevoir une proposition aussi …irréelle ? c’était de la folie pure. 

Alexa…Alex … mais que fais-tu là-bas, je te cherche partout. Allez viens que je te présente quelqu’un. 

La femme soupira de soulagement. Elle porta son regard vers Séréna qui l’appelait avec de grands gestes. Sans un regard pour son interlocuteur mystérieux, elle se dirigea vers son amie à pas rapide lorsqu’elle entendit distinctement : “ sauvée par le gong !”. Elle tourna vers l’homme un regard interrogatif puis n’obtenant qu’un sourire énigmatique comme réponse, elle rejoignit son amie.

Deux heures plus tard, Alexandra était chez elle. Epuisée mais contente. Elle se sentait …revivre. Serena et sa magie, se dit-elle en souriant. La soirée avait été belle et enrichissante. Contrairement à ce qu’Elle s’était imaginé pour une soirée qu’elle avait estimé mondaine, elle y avait fait des rencontres intéressantes. Son sac était plein de cartes de visites récoltées ça et là essentiellement pour le compte de Serena qui avait passé son temps à flirter avec des hommes. Sacrée Serena.  

Elle se remémora cependant l’épisode intriguant avec cet inconnu qui avait eu la folie de lui proposer un tableau coté à 5 millions de francs CFA. Encore plus l’intermède de projection auquel il l’avait fait participer qui l’avait laissé pantelante. Jamais elle n’aurait imaginé ce que pouvait ressentir les artistes dans le processus de création. 

La dernière phrase de l’inconnu resonnait encore dans son esprit : ‘ Sauvée par le gong ’. Elle sourit malgré elle.la phrase avait du sens. La venue de Serena l’avait sauvée. Mais de quoi exactement avait-elle été sauvée ? 

C’est sur cette réflexion qu’elle s’endormit


AU CŒUR DE L'INFIDÉL...