CHAPITRE 3 : PREMIER RENDEZ-VOUS
Write by Chrime Kouemo
Simon gara sa Toyota Rav 4 le long du trottoir et descendit du véhicule. Esther lui adressa un sourire quand il la rejoignit de l’autre côté pour lui ouvrir la portière.
Marchant côte au côte, ils se dirigèrent vers l’entrée du restaurant. Il avait choisi pour leur premier rendez-vous une enseigne de restauration réputée à Bastos. C’était Pascal, son collègue et ami, qui lui avait conseillé ce restaurant. Il avait confiance en son jugement concernant les coins où sortir dans Yaoundé. Etant d’une nature casanière, il ne connaissait rien ou presque des endroits branchés de la ville qui l’avait vu naître et où il avait grandi. A l’adolescence, quand ses camarades de classe découvraient toutes les boîtes de nuit en vogue et les derniers coins branchés, lui se dévouait à l’église, poussé par ses parents qui rêvaient pour lui d’une carrière sacerdotale. Ce n’était qu’arrivé en classe de Terminale qu’il avait réalisé que ce désir tenait plus de celui de ses parents qu’aux siens propres. Il ne s’était alors plus imaginé passant une vie entière enfermé dans un monastère, sans pouvoir jouir de la vie de famille à laquelle il aspirait tant.
Une serveuse à la mine aimable les accueillit dès leur entrée dans la salle de restauration, et les installa dans un coin où ils pourraient profiter de la vue sur le jardin extérieur richement fleuri.
— C’est très chic ici, dit Esther en laissant son regard errer dans la pièce. Tu es un habitué des lieux ?
— Non, pas du tout. C’est aussi la première fois que je viens ici. C’est un collègue qui me l’a recommandé.
La serveuse revint prendre leurs commandes. Après son départ, il enchaîna :
— Alors, comment ça s’est passé ta semaine ?
— Plutôt bien. J’ai de la chance cette année d’avoir une majorité de classes d’examen; les élèves restent au moins concentrés jusqu’à la fin, ce qui n’est pas le cas pour les autres où on sent une certaine lassitude.
— Tu feras partie des professeurs correcteurs des examens ?
— Oui, je serai dans un centre d’examens à Douala. Je t’avoue que j’aurais préféré retourner à Bafia pour m’occuper de notre champ avec ma mère.
— Pourquoi ?
— De plus en plus, les primes pour la correction des copies d’examen s’amenuisent et même quand ça sort, tu as toujours des gens qui veulent couper leur part dessus. C’est un peu comme le matricule que tu monnaies pour obtenir alors qu’il te revient de droit.
— Ah oui, j’en ai entendu parler par Tantie Rita.
— Oui, sans son intervention, Dieu seul sait combien de temps j’allais encore attendre avant de toucher mon premier salaire.
Simon secoua la tête. Les méthodes camerounaises en matière de rémunération des salariés de la fonction publique étaient révoltantes. D’années en années, les magouilles s’invitaient dans toutes les procédures administratives. Madame Moyo lui avait raconté qu’un jeune professeur diplômé pouvait attendre facilement jusqu’à trois ans pour obtenir le fameux matricule et toucher son premier salaire. Après, les gens s’étonnaient de la corruption qui continuait de prendre de l’ampleur malgré toutes les mesures prises par le gouvernement. Comment pouvait on espérer qu’un professeur ne prenne pas de pots de vin s’il n’avait aucune rémunération pour le travail effectué pendant plusieurs années ?
Exerçant en tant qu’expert comptable dans un cabinet international réputé, il avait eu la chance de ne pas connaître ce genre de turpitudes.
— Et tu disais que tu t’occupais d’un champ avec ta mère ? Quels sont les cultures que vous produisez ?
— Un peu de tout : manioc, macabo, arachides, pommes de terre et maïs bien évidemment. Tu possèdes aussi des champs ?
— Oui, en quelque sorte. J’aide ma tante dans la coopérative agricole que nous avons monté ensemble avec quelques proches à Nkolmetet. J’y vais donc en visite au moins une fois tous les trois mois.
— OK. C’est de plus en plus rare de voir les gens de la ville s’intéresser à l’agriculture.
— Et c’est dommage parce que l’autosuffisance alimentaire est la clé de notre développement.
Le repas fut servi, et ils continuèrent de discuter d’autres sujets assez variés. Esther partageait beaucoup de valeurs avec lui et dans ses propos, on sentait un attachement profond de sa part à son métier et au pays malgré les difficultés traversées. Ce n’était pas le cas pour tout le monde, il était bien placé pour le savoir. Sa dernière relation en date qu’il croyait bien ancrée avait volé en éclats pour une histoire d’immigration au Canada.
Il avala un morceau de sa viande de chèvre grillée et chassa par le même biais ses sombres pensées. Il passait un bon moment en compagnie d’Esther et cela semblait réciproque. Elle avait un sourire qui semblait ne jamais vouloir quitter son visage quand elle lui parlait. Il aimait la simplicité de son allure, son visage peu maquillé et ses cheveux au naturel.
— On se voit à l’église demain ? demanda Esther assise sur le siège passager, le regard rivé à celui de Simon.
Simon venait de stationner son véhicule au pied de l’immeuble d’habitation de sa compagne de soirée à Obili.
— Oui, j’y serai. Je peux passer te chercher si tu veux ?
— Oh merci beaucoup. Ça ne fait pas loin pour toi de venir jusqu’à Biyem Assi pour la messe ?
— Si, mais Saint Marc c’est mon église de cœur. C’est là où j’ai pris tous mes sacrements et où j’ai servi pendant plusieurs années.
— Ah ?! Tu as été servant de messe ?
Il hocha la tête en souriant. Cette époque semblait lointaine tellement tant de choses s’étaient passées dans l’intervalle, mais il gardait des souvenirs clairs de cette période de sa vie à présent révolue : l’odeur de l’encens qui embaumait l’antichambre de la grande salle où était célébrée la messe, les prières avec le diacre, le prêtre et les autres servants, les chasubles bien repassés qui devaient toujours être d’un blanc immaculé ... Trois jeunes de son groupe de servants de messe avaient poursuivi au séminaire, lui avait changé d’avis. Il avait aimé cette vie, mais il savait qu’il n’était pas fait pour ça.
— Tu as voulu rentrer dans les ordres ?
— Oui, il y a longtemps.
— Qu’est-ce qui t’a fait changer d’avis ?
Il haussa les épaules.
— Je n’ai pas reçu l’appel, on dira.
Le silence se fit dans l’habitacle. Le bruit assourdi des rues animées un peu plus loin leur parvenait à travers les vitres de la voiture et se mêlait au ronronnement de la climatisation . La fraîcheur de l’air soufflé était agréable.
Le regard de Simon était rivé à celui d’Esther et il vit qu’elle triturait la lanière de son sac à main posé sur ses cuisses. Sans trop réfléchir, il se pencha et posa ses lèvres sur les siennes. Le soupir qu’elle émit fit tressauter son cœur dans sa poitrine. Doucement, il l’embrassa, goûtant sa bouche. Elle glissa une de ses mains autour de son cou tandis qu’il approfondissait le baiser.
C’est le sourire aux lèvres qu’il prit le chemin de sa maison quelques instants plus tard.
***
Denise frappa un léger coup sur la porte et attendit d’être invitée à entrer. Une seconde plus tard, la mine joviale d’Eric Ndoumbe, le directeur du service marketing et communications de Ngaleu Group, l’accueillit.
— Denise, comment ça va ?
— Très bien, merci et toi-même ?
— La forme. Allez, entre.
Il l’invita à s’installer dans le fauteuil en face de son bureau. Après quelques banalités échangées, il lui demanda :
— Que me vaut l’honneur ?
— C’est à propos d’un nouveau spectacle que je prépare pour la fin de l’année. Je voudrais discuter d’un nouveau partenariat avec Ngaleu Group.
Un sourire intéressé étira les lèvres d’Eric.
— Je me demandais quand tu reviendrais vers nous depuis tout ce temps ?
— Il me fallait le temps de me remettre physiquement et de travailler sur un nouveau projet.
— OK... Vu le succès des affiches la dernière fois, je rempile direct sans me poser de questions, assura t-il en se frottant les mains.
— Merci ! Je souhaiterais cette fois-ci inclure les affiches pour la promotion de mes cours d’ici le mois prochain et pour le même prix.
— Tu ne trouves pas que tu en demandes trop ? Kamsi t’avait pratiquement déjà offert ta publicité l’année dernière. Ce n’est pas à toi que je vais apprendre que nos encarts publicitaires sont très demandés, surtout en période de fin d’année.
Denise se carra profondément dans le fauteuil et soutint le regard du jeune homme sans ciller. Eric était un requin et il n’avait pas vu d’un très bon oeil qu’elle bénéficie d’un coup de pouce de la part de son patron.
— Je le sais parfaitement. Mais je sais aussi que mes affiches ont fait encore plus parler du groupe Ngaleu, et c’est toi même qui m’avais dit la dernière fois que les ventes de billets avaient augmenté grâce au buzz.
Il se caressa la barbe quelques secondes sans rien dire avant d’ajouter :
— Bon... Le mois prochain est trop proche, les encarts sont tous pris. Je peux te proposer dans trois mois, et juste sur quelques bus. Pour le spectacle, ça devrait aller. Je ferai le point avec mes équipes et te tiendrai au courant.
Denise hocha la tête, cachant du mieux qu’elle put son soulagement. C’était mieux que ce qu’elle espérait. Elle n’avait pas voulu solliciter à nouveau Kamsi pour sa publicité — il n’aurait pas refusé, elle en était certaine— car elle tenait à s’en sortir toute seule cette fois.
— Merci Eric. Tu ne regretteras pas de m’avoir fait confiance, dit-elle en se levant pour prendre congé.
— Toujours aussi sûre de toi à ce que je vois ? Fit-il en inclinant la tête.
— Il faut bien !
Il passa devant elle pour lui ouvrir la porte.
— Ça te dit qu’on aille boire un verre ensemble ?
Elle leva les yeux vers lui. Eric était bel homme et lui avait déjà fait comprendre à plusieurs reprises son intérêt pour elle. En temps normal, elle n’aurait pas dit non, mais elle avait déjà eu une histoire, quoique très brève, avec son patron, et même pour elle qui s’embarrassait peu du qu’en-dira-t-on, elle trouvait la situation délicate.
— Peut-être un de ces quatre, répondit-elle, l’éconduisant subtilement.
Il comprit le message.
— Okay...
Denise traversait le couloir qui menait aux escaliers quand elle tomba sur Kamsi et Stella étroitement enlacés, sortant du bureau de ce dernier.
— Hé ! Denise ! C’est comment ? Tu passes au bureau et tu ne me dis même pas ?
Elle réprima un sourire. Kamsi était vraiment un personnage atypique. D’une nature généreuse, il était doté d’une vive intelligence, d’un sens aiguisé pour les affaires et d’une culture très étendue, mais ne se prenait jamais au sérieux.
Il avait mis un terme à leur aventure de quelques semaines pour se mettre avec Stella qui était devenue de sa femme. Ils avaient malgré tout gardé de très bons rapports. Stella s’était méfiée d’elle au début, mais cela n’avait pas duré; il ne fallait pas être fin observateur pour deviner que Kamsi était fou de sa femme.
— Pardon, je sais que tu es un gars occupé. Je suis venue discuter avec Éric.
Il s’avança vers elle pour lui faire la bise, puis elle fit de même avec Stella.
— Si tu as besoin que j’intervienne, dis-le moi, proposa t-il.
— Non, merci ça ira. Eric et moi avons déjà trouvé un accord. Alors, comment allez-vous tous les deux ? Et la petite ?
Le beau visage de Stella s’éclaira d’un sourire.
— Oh très bien ! Nadjela a déjà sept mois.
— Waouh ! Ça passe vite hein ?
— Je t’assure ! Et toi ? Ça va mieux, ta cheville ? Tu as repris tes activités ?
— Oui, beaucoup mieux merci. J’ai repris les cours depuis quelques jours.
— Ah ! Heureuse pour toi. Ça tombe bien d’ailleurs. Je voudrais prendre un abonnement d’un an à ma belle-sœur comme cadeau d’anniversaire.
— C’est une excellente idée cadeau, je confirme, fit Denise, ravie. Tu peux me donner son nom ? Je l’ajouterai à ma liste.
— Ok. Envoie-moi les coordonnés Orange Money pour que je te fasse le transfert.
— Merci beaucoup !
— Je t’en prie. J’avais beaucoup aimé le stage découverte de la dernière fois.
— Ah oui, je confirme, intervint Kamsi d’un ton plein de sous-entendus.
Ils éclatèrent tous les trois de rire. Denise prit congé d’eux, le sourire aux lèvres, l’humeur au top. Elle venait d’avoir une nouvelle élève, et la publicité pour ses nouveaux projets était assurée. C’était Eloïse qui avait raison. Elle avait connu un creux de la vague, mais un creux n’existait pas sans sa crête; elle allait donc certainement remonter.
En sortant des bureaux de Ngaleu Group, elle repensa à sa rencontre avec Kamsi et Stella. Leur bonheur faisait vraiment plaisir à voir. Elle ne put s’empêcher néanmoins de ressentir un petit pincement au cœur. Ça n’avait rien à voir avec une quelconque jalousie envers Stella, mais plutôt avec la certitude qu’elle ne connaîtrait plus jamais rien de tel. Son cœur amoureux était comme gelé depuis deux ans. Sa dernière histoire d’amour en date l’avait entraînée dans les abimes et elle avait franchi ses propres limites pour la vivre à fond. Le final avait été tragique et plus jamais elle ne voulait revivre cela. L’amour n’était pas fait pour tout le monde, elle en était persuadée. Si certaines personnes en doutaient, ses relations amoureuses en étaient la preuve parfaite. Elle n’avait fait que blesser les gens avec qui elle avait été car elle s’attachait difficilement et se sentait très vite étouffer dans une relation. La seule fois où c’était enfin arrivé, ça s’était achevé de façon désastreuse, et elle s’était promis de ne plus s’y laisser prendre.
De toutes les façons, contrairement aux jeunes de femmes de son âge , elle n’avait jamais rêvé d’une parfaite petite vie de famille. Elle était un esprit libre et elle avait toujours estimé que son métier de danseuse-chorégraphe qui impliquait de nombreux voyages et événements était incompatible avec le classique « ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants ». Et puis, elle trouvait ce modèle un peu fade.
Adolescente, sa mère avait tout fait pour la faire entrer dans son moule, en essayant de lui imposer les bonnes manières — ou plutôt ce qu’elle considérait comme tel— , sa façon de s’habiller. Rien d’étonnant à ce qu’elles aient passé une bonne partie du temps à se prendre le chou.
De son entourage, seule Eloïse la comprenait, même si leurs aspirations communes étaient radicalement différentes. Eloïse était mariée depuis plusieurs années avec Martin et ensemble, ils avaient trois enfants, ce que son amie avait toujours voulu d’aussi loin qu’elle se souvienne. Mylène, elle, pensait que c’était parce qu’elle n’avait pas encore trouvé le « bon ». Denise ne l’avait pas détrompée, n’ayant pas eu le courage de lui avouer qu’elle avait déjà rencontré cette personne, mais qu’une autre en avait perdu la vie par sa faute.
Son cœur se serra atrocement dans sa poitrine. Deux ans plus tard, la douleur était toujours là, vive, mordante. Ses yeux la picotèrent et elle chaussa rapidement ses lunettes de soleil.
Parvenue à la route principale, elle préféra marcher quelques minutes avant de stopper un taxi.
***
La sonnette de la porte d’entrée retentit, faisant sursauter Denise. Essoufflée, elle appuya sur le bouton de l’enceinte Bluetooth posée sur une étagère pour interrompre la musique. Depuis son retour du centre ville en milieu de l’après-midi, elle broyait du noir. Le seul remède efficace dans ces conditions était la danse. Alors, depuis une heure, elle dansait sans s’interrompre, revisitant d’anciennes chorégraphies, inventant de nouveaux enchaînements.
Elle s’empara de la petite serviette qu’elle avait laissée sur le dos d’une chaise et s’épongea le visage.
En ouvrant la porte, elle trouva Simon sur le seuil, un plateau recouvert d’un torchon de cuisine à carreaux dans une main. Elle ne l’avait pas revu depuis leur petite prise de tête après la signature du contrat de bail une semaine plus tôt.
— Je me demandais si tu finirais pas m’ouvrir.
— Pourquoi ? Tu as sonné pendant longtemps ?
Il hocha la tête.
— Entre, dit-elle en reculant pour le laisser passer. J’étais en train de m’exercer un peu... tu sais, à me déhancher de façon vulgaire.
Simon prit un air contrit et ses épaules s’affaissèrent légèrement.
— Euh... justement, je suis venu m’excuser par rapport à mes propos de la dernière fois.
— Vraiment ?
— Oui, vraiment. Mes propos étaient déplacés et je te prie de m’excuser.
Denise se rapprocha de lui et pointa du doigt le plateau.
— Il y a quoi là dessous ?
— Un gâteau fondant au chocolat.
— Hum... excuses acceptées. Je ne résiste pas à un gâteau au chocolat.
— Merci. Encore désolé.
— OK.
Elle lui prit le plateau des mains et le déposa sur la table à manger.
— Dis-donc, tu as bon goût pour la décoration ! J’aime beaucoup. On se croirait chez tes parents.
Le regard admiratif de Simon balayait la pièce à vivre, s’attardant sur les rideaux en toile de lin couleur crème, les tableaux accrochés aux murs et les plantes d’intérieur disposées çà et là.
— Merci ! On peut dire que c’est la seule chose que je tiens de ma mère.
— Hum... Je ne vais pas m’aventurer sur ce terrain. Je suis venu en paix.
Denise esquissa un sourire.
— Très sage de ta part en tout cas. Je vais déguster ton gâteau au dessert. Tu restes dîner avec moi ? J’ai fait une salade.
— Oui, avec plaisir. Merci.
Rapidement, Denise alla récupérer des assiettes à la cuisine. Elle était agréablement surprise par la visite de Simon qu’elle n’avait pas revu depuis la signature du bail. Elle trouvait touchant qu’il soit venu s’excuser même si ses propos de la dernière fois l’avait à peine blessée car elle était comme vaccinée. Il aurait été carrément suicidaire pour elle de prendre la mouche chaque fois que quelqu’un lui faisait une réflexion désopilante sur son métier. Elle recevait des messages graveleux des hommes et des injures des femmes vertueuses tous les jours sur sa messagerie Facebook, sans compter les discours moralisateurs que certaines personnes ne pouvaient s’empêcher de poster en commentaires sous la moindre de ses publications. À force, elle s’était bâti une cuirasse et s’amusait à répondre avec verve à certains commentaires pour animer sa page quand l’envie lui chantait. La plupart du temps, cependant , elle les ignorait purement et simplement et poursuivait ses activités. Elle partait du principe que ses cours ne s’adressaient pas à tout type de public. Malgré son absence d’activité de plusieurs mois, le nombre de ses abonnés augmentait; elle n’allait donc pas s’attarder sur quelques puritains à l’esprit étriqué.
— Wow ! Il est super bon, ton gâteau ! Tu l’as acheté où ? Demanda Denise, les papilles encore en extase après avoir dégusté une première bouchée de la pâtisserie.
— Nulle part. C’est moi qui l’ai fait.
Denise écarquilla les yeux.
— Ah bon ? Chapeau bas alors. Je me suis régalée.
— Le plaisir est pour moi.
Elle repoussa son assiette vide et tapota légèrement son ventre.
— Deux heures de footing obligé demain pour évacuer tout ça, dit-elle en grimaçant.
— Tu cours souvent ?
— Plus depuis mon accident, mais je dois m’y remettre. Ça m’aide à travailler mon souffle.
— Si ça peut te motiver, on peut courir ensemble ?
— Oui, pourquoi pas ? Ça fait longtemps que tu cours ?
— Depuis cinq ans environ. Au départ, c’était pour préparer une rencontre sportive avec l’association des experts comptables et puis, j’y ai pris goût.
Simon et elle discutèrent jusque très tard dans la soirée. Elle l’interrogea sur les dix années écoulées et il lui raconta comment il s’était retrouvé à la tête de sa famille après la mort de son père, et tuteur d’une fillette de dix ans. Son parcours forçait l’admiration. D’autres personnes à sa place auraient laissé la famille s’occuper de ses sœurs —il n’avait que vingt-cinq quand il était devenu totalement orphelin — Elle l’avait toujours connu comme étant quelqu’un de responsable et solide, mais il lui apparaissait maintenant encore plus comme quelqu’un d’honorable. Comment se faisait-il qu’il soit encore célibataire ? Elle se promit de lui poser la question une prochaine fois.
— Alors ? Tu laisseras Amandine participer à un de mes cours ? lança t-elle en raccompagnant Simon à la porte quelques instants plus tard.
— Euh...
Elle se retint de pouffer de rire en voyant la grimace qu’il faisait. Ce n’était visiblement pas pour demain la veille qu’il changerait d’avis sur ses cours.
— Je te taquine ! Merci d’être venu t’excuser. Je ne t’en demanderais pas plus, reprit-elle en lui faisait un clin d’œil.
Il lui adressa un sourire crispé et après un dernier signe de la main, referma la porte derrière lui.