chapitre 32
Write by leilaji
Chapitre 32
***Elle***
Le sexe a ce truc de magique qu’il nous révèle très souvent à nous même quand on se libère complètement l’esprit, qu’on se laisse aller. Pendant ces moments, ce qu’on ne ferait pas dans notre état normal, on le fait volontiers quand l’homme de notre vie nous le demande en labourant notre corps. C’est bien mieux qu’une thérapie de couple, surtout après une grosse dispute. Surtout après une grosse dispute ! La tension est encore là, latente mais aussi le désir de se retrouver et de se pardonner. Adrien et moi, on se dispute assez souvent pour que je sache qu’il est en train de se faire pardonner… même si en réalité je n’ai rien à lui reprocher…
Le sexe a ce truc de magique qu’avec Adrien, même dans ces moments, il reste généreux comme dans la vie de tous les jours. C’est difficile pour un homme de rester généreux quand son sexe prend le contrôle de son esprit et de son corps. Il n’utilise pas mon corps pour se faire plaisir, quoique je le lui prête volontiers s’il me le demande, non.
Il l’adore, dans le sens propre du terme. Ce qui est différent.
Je ne peux pas mettre des mots clairs sur ce qui se passe entre nous quand nous faisons l’amour parce que bien souvent à ces moments là, je plane trop haut pour réfléchir posément. Mais je suis encore assez conscience pour me rendre compte que des mecs comme Adrien ne courent pas les rues. Il y en a, mais pour les trouver, je crois que Dieu lui-même doit mêler tresser ensemble les fils de vos destins.
- T’éloigne pas boo. Grogne-t-il
- Je suis là… je dis en le serrant plus fort dans mes bras.
- Reste concentrée.
A chaque homme ses défauts.
Tu ne peux pas faire l’amour avec Adrien et penser aux courses du lendemain. Il le sent tout de suite que t’es ailleurs et te ramène à lui.
Tu ne peux pas jouir tranquillement dans ton coin et fermer les yeux. Non. Il a besoin de contrôler le plaisir que son corps te donne, t’indiquer quand, comment et où… si tu t’éloignes, il te ramène à lui, d’une phrase, d’un ordre, d’un regard… Ton corps s’exécute bien avant que ton cerveau essaie de se rebeller. Il est toujours trop tard quand tu t’en rends compte.
Adrien est comme ça.
*
*
*
Sa respiration est sereine et on est tous les deux couchés en chien de fusil, imbriqués l’un d’un l’autre.
- Comment as-tu su ce que je voulais alors que je hurlais le contraire ? je lui demande en fermant les yeux.
C’est le petit matin, les premiers rayons de soleil commencent à filtrer à travers le voilage de la fenêtre de la chambre. C’est tellement bon d’être dans les bras d’Adrien. Je lui ai demandé d’éteindre la lumière quand on a commencé à faire l’amour, ce qu’il a fait à contre cœur pour ne pas faire perdurer mon malaise. Et maintenant que le soleil reprend ses droits sur la pénombre de la chambre, je commence à me demander où peut bien ce trouver cette foutue perruque.
- Ce n’est pas ce que tu dis qui m’importe, mais ce que ton cœur crie et qui raisonne dans ma tête.
Ca c’est du Adrien tout craché. D’où lui sortent ces phrases ? Il a l’air de tout savoir sur tout, de tout savoir sur moi.
- Tes phrases ressemblent à des phrases de livre Adrien, fais nous redescendre un peu sur terre papa, il y a la vraie vie qui m’attend hors de cette chambre… tout ça est irréel hein, je lui dis en ouvrant les yeux. Je vais me réveiller un jour, et tu ne seras plus là... Je serai juste malheureuse, en manque d’avoir connu ce trop plein de bonheur perdu à jamais.
- Non, t’inquiète. Je serai là. Toujours, affirme-t-il avec conviction en me retournant vers lui. Rien ne va t’arriver tant que je serai là.
- Tu ne peux pas me le promettre ça.
- Mais je peux au moins essayer jusqu’à la fin.
Je l’embrasse pour sceller sa promesse puis me replace confortablement dans ses bras. Je me sens lourde et fatiguée. Mes yeux ne demandent qu’à se fermer. Je n’ai plus qu’une envie, dormir. Mais mon esprit refuse d’oublier … Maintenant que je suis calme et détendue, je peux en parler sans être hystérique. Du moins je l’espère.
- Que s’est-il passé avec Samantha ?
- T’es sure de vouloir parler de ça maintenant ? demande t-il en grognant
- Oui. Je veux savoir si…
- Si ?
- Tu en avais vraiment très envie.
- Elle !
- Dis-moi. S’il te plait.
- Evidemment.
- Alors pourquoi ne l’as-tu pas fait et pourquoi tu puais son parfum ?
Il me raconte comment les choses se sont passées et rétrospectivement, je frissonne d’angoisse. Non mais celle là ! Celle là ! C’est Léonie au carré !
- Arrête d’y penser. Il ne se passera jamais rien de ce genre, ok ?
- Hum. T’es un homme.
- Je suis un homme et alors ?
- C’est dans votre nature… d’être des salops.
- Wo ! tout de suite les grands mots.
- Pour que je sois salop comme tu dis, il faudrait qu’une salope qui bien qu’elle sache que je suis déjà avec quelqu’un me propose de coucher avec moi. On n’est pas salops tout seul. Vous y contribuez largement…
- Alors pourquoi ne l’as-tu pas fait ? Ah peut-être parce que je la connais, tu risquais de te faire prendre. Avec une inconnue tu aurais tenté le coup…
Cette fois-ci, il m’étale sur le lit et s’assoit sur moi, les jambes pliées de chaque coté de mon corps. Il se penche, le regard inquiet.
- C’est maladif chez toi, cette espèce de manque de confiance.
- Je ne veux pas être déçue, c’est différent. J’ai confiance en toi Adrien, mais je ne veux pas me réveiller dans dix ans et découvrir une femme devant chez moi qui me présentera ton fils où ta fille, ou une autre qui me rira au nez en me disant que ton dernier voyage en Afrique du sud c’est avec elle que tu l’as fait ou…
- Arrête.
- C’est ça la vie des africaines… plus tôt nous apprenons à l’accepter et mieux nous nous portons.
- Et ça t’a réussi avec Gaspard ?
Je soupire. Non, ça ne m’a pas réussi de m’y être préparée dès le départ. Même avec cet état d’esprit, ça fait mal.
- Je ne dis pas que je n’ai jamais fait ça à une femme. Je ne suis pas un ange. J’ai déjà couché avec des femmes différentes dans la même journée tout en prétendant ne pas les connaitre. J’ai déjà arrêté de répondre au coup de fil d’une fille parce que je l’avais sauté et que je n’avais plus rien d’autre à en tirer… c’est instinctif chez l’homme d’avoir envie de diversifier les plaisir…
- C’est ce que je disais…
- Mais tromper n’est pas instinctif boo. C’est un choix. Tu choisis de laisser ta braguette fermée ou pas. C’est tout. Je ne dis pas que c’est facile de faire ce choix. Aujourd’hui, il suffit de mettre le nez dehors pour avoir des centaines de paires de fesses et de seins qui se baladent à volonté devant tes yeux. C’est compliqué à gérer. Mais pas impossible, tu comprends. De la même manière que je t’ai demandé de me choisir moi, c’est de cette même manière que moi je continue de te choisir en permanence. C’est ça qu’il faut comprendre. Chaque matin je me lève et je te choisis toi. Tu cois que le choix se fait une seule fois puis c’est tout ? Non. C’est en permanence. Tu vois une femme que t’as envie de sauter, tu choisis quand même ta meuf et tu passes ton chemin. Je te choisis toi, tous les jours Elle. Et j’attends que tu fasses de même pour moi.
Il m’embrasse. Je ferai de même pour toi Adrien, et plutôt deux fois qu’une, je me dis intérieurement.
Cet homme est un roc sur lequel se reposer.
- C’est bon, on peut passer à autre chose ?
- Je te choisis toi ce matin…
- Très drôle.
- Je t’aime aussi soit dit en passant.
Il sourit et s’affale de nouveau sur le lit.
- Bon maintenant assez discuté femme. Fais-moi à manger…
Pour une fois qu’il me demande de lui faire à manger, je ne vais pas me faire prier et lui mitonner un festin. J’espère qu’il a tout son temps ce samedi. Mais j’ai quand même envie de le taquiner un peu.
- Hé c’est quoi ça un ordre ?
- Non, mais toi tu es trop insolente hein, qui m’a donné une femme pareille ? dit-il en me poussant vers le bord du lit.
Je m’agrippe à lui pour ne pas tomber. Je rigole et me lève prestement. Franchement après la nuit qu’on a passé ensemble et les mots qu’il vient de me dire, même s’il me demande de faire trois fois le ménage de son studio, à poil, je le ferai. Et avec le sourire !
*
*
*
Préparer pour cet homme c’est comme faire à manger pour trois autres personnes à part nous. Il avale des quantités industrielles de nourriture.
- Quoi tu es sérieux là ? Tu te ressers ?
- Ouep. J’ai faim. Tu m’as fatigué. Ajoute-t-il en faisant bouger ses sourcils.
- Non mais LOL quoi !
- Quoi ?
- Ah les expressions d’Oxya qui me manquent. Elle ne rigole plus la fille là. Elle garde son sérieux et te dit LOL, avec un petit air de dédain là.
- Le mec qui va tomber amoureux d’elle aura de vrais problèmes.
- Ca je ne te le fais pas dire. J’ai hâte d’y être !
J’ai fait un bouillon de carpes avec de la banane plantain mure, comme les myene de Lambaréné aiment.
- Merci pour le repas Elle.
La partie du film que j’adore. Une phrase simple : merci pour le repas. Une phrase qui te dit : « merci de t’être donnée du mal pour moi, j’apprécie, j’ai bien mangé ». C’est toujours mieux qu’un homme qui mange ta bouffe tous les jours mais ne daigne jamais te remercier pour les efforts consentis.
- On va prendre quand les enfants ? demande-t-il en repoussant son assiette vide devant lui.
- Je les ai tous les soirs au téléphone. Ils vont restés encore un peu là-bas. Miracle, Gaspard m’a même envoyée un chèque pour la prochaine année scolaire. J’ai oublié de t’en parler.
- C’est normal qu’il le fasse. C’est leur père après tout.
- Hum, jusqu’à maintenant, il l’avait oublié. Bref. On devrait … en profiter … tous les deux. Rester un peu …
- Seuls ?
- Oui.
Si j’avance dans ma vie c’est parce que je sais retenir m’améliorer. Je sais qu’un couple bien que très solide a aussi besoin de se retrouver de temps en temps en tête à tête pour recharger les batteries.
- Viens là. Fait-il en se tapotant la cuisse.
Ce geste là, il l’aime bien finalement. Je me lève et vais m’assoir sur sa cuisse. Il passe son bras autour de ma taille et me regarde tranquillement. Il sait que j’ai quelque chose derrière la tête, il attend juste que je parle.
- J’aimerai bien … qu’on aille boire un verre tous les deux… en amoureux. Dis-je en détournant les yeux priant pour qu’il ne me dise pas qu’il avait prévu de ne rien faire ou qu’il a une garde au CHU d’Angondje.
J’ai rarement eu l’occasion de sortir en couple avec Gaspard alors que ce sont des choses que j’ai toujours aimé. Etre avec mon mec, se montrer, bavarder gaiement, se séduire… finir la nuit ensemble. Adrien et moi avons sauté tellement d’étapes que j’ai bien envie de faire un petit retour vers les escales normales d’une relation. Les premières attentions : quand le mec t’ouvre la portière, fais attention aux moindres de tes désirs… enfin quand il n’a pas encore couché avec toi et qu’il met tout en œuvre pour arriver à ses fins.
Je veux surtout qu’on le fasse parce que la semaine prochaine, il va falloir recommencer les examens pour savoir où j’en suis exactement avec mon cancer, quels sont les résultats définitifs de la chimiothérapie et si la tumeur a assez rétrécie pour qu’on puisse l’opérer et la retirer définitivement, ou s’il faudra faire une mastectomie.
J’ai peur, alors je veux profiter encore un peu de ces moments ou tu ne sais rien de ce qui va t’arriver.
- En amoureux hein ? Qui t’a dit d’abord que j’étais amoureux de toi ? demande Adrien me tirant ainsi de mes pensées négatives.
Je lui donne une bonne taloche sur la tête pour protester ce qui le fait rire.
Va pour le week-end en amoureux !
Comme je n’ai pas de quoi m’habiller chez lui, on est allé à la maison après qu’il ait fait son trolley du week-end. J’ai laissé ma voiture chez lui, et on s’est rendu chez moi dans la sienne. Une fois à la maison, nos petites habitudes ont refait surface et on a patiemment attendu la soirée pour se préparer à sortir, lui devant un match de basket et moi devant le miroir à essayer tous les maquillages possible pour cacher la fatigue sur mon visage ainsi que mes énormes cernes.
A 19 heures, j’appelle les enfants et on passe une bonne trentaine de minutes à bavarder gaiement. Ils me font même des confidences sur leur seconde maman qui ne prépare que les pâtes. Une Leila 2 celle-là. Elle n’a qu’à venir prendre les cours de cuisine chez moi, je ne veux pas qu’elle me fasse maigrir les enfants même si au fond, ils adorent les pâtes comme tous les mômes. Oxya me parle des jumeaux et mon cœur se serre un peu mais je suis bien contente qu’elle accueille ses frères de la sorte. C’est elle le chef du groupe, si elle les aime, les garçons feront pareil.
Adrien fait interruption dans la chambre et me fait signe qu’il est temps de partir. Je fais des bisous immatériels aux enfants et raccroche un peu plus tard après avoir bavardé quelques minutes avec leur belle-mère. Je l’ai remerciée d’en prendre soin, parce que je sais que ce n’est pas facile d’en avoir autant chez soi d’un coup surtout si on n’y est pas habitué.
Je regarde Adrien et hausse les sourcils. Les hommes ont de la chance. Moi, je me débats avec ma perruque, mon maquillage, mes bijoux, mon parfum, quel ensemble mettre et lui vient tranquillement me retrouver habillé d’un jean, un tee-shirt blanc et un veston en jean. Heureusement qu’on ne va pas chez ma mère parce qu’avec ses tatouages aussi exposés, elle allait me demander des comptes.
- T’es déjà prêt ?
- Oui boo. Faut qu’on y aille.
- Y’a pas le feu… Attends, j’ai un cadeau pour toi. Lui dis-je en sortant de mon placard une boite emballée de papier cadeau bob l’éponge.
Je n’ai pas trouvé mieux et en plus j’avais la flemme d’aller en acheter un plus approprié.
- Qu’est-ce que c’est ? demande-t-il en soupesant la boite.
- Ouvre, tu verras.
Il déchire le papier tout en me regardant, mal à l’aise. Quoi, s’il lui n’aime pas les cadeaux, moi j’aime, il vaut mieux qu’il s’y habitue. La boite dévoile sous ses doigts, une montre sport, noire. Il la regarde longuement puis la passe à son poignet.
- Avec la charge des enfants en moins ce mois, ça m’a fait un peu de sous imprévus alors plutôt que de m’offrir un nouveau truc inutile… J’ai pensé à toi en la voyant. Je… ce n’est pas une montre qui vaut des millions hein, mais c’est une bonne marque et elle m’a fait pensé à toi alors… Elle te va bien en tout cas…
- Merci boo. Murmure-t-il tout simplement en me serrant dans ses bras.
A le voir y jeter un coup d’œil de temps à autre, je finis par lui demander ce qui ne va pas :
- Je crois bien que c’est la première fois qu’on m’offre un truc, alors ça me fait tout drôle.
- Non arrête !
- Sérieux, vous les femmes, vous savez seulement recevoir des cadeaux, en faire c’est une vraie torture pour vous… Je ne me souviens pas avoir déjà reçu un cadeau d’une femme avec laquelle je sors.
- Même pour la saint-val ?
- La saint-valentin c’est une arnaque commerciale, je ne fête pas des conneries comme ça.
- Il y a une première fois à tout ! je lui dis malicieuse. Moi j’aime les cadeaux et les fêtes, faudra t’y faire…
- Bon on peut y aller maintenant ? Tu ne t’habilles pas ?
- Mais moi aussi je suis prête.
- Tu rigoles là.
Quoi ? Qu’est-ce qu’elle a ma tenue ? C’est une robe noire classique.
- Elle, là on est on couple. Tu oublies pour ce soir que tu es maman et tu m’allumes, ok. Je ne sors pas avec ma grand-mère que je sache, alors change moi ça.
Bon, c’est lui-même qui a dit « tu m’allumes ! ». On ne me dit pas deux fois ça.
*
*
*
***Au Hollywood Café***
On s’est installé dans un petit coin pas très loin du bar et on sirote tous les deux des cocktails non alcoolisés. Les yeux d’Adrien ne m’ont pas quittée depuis qu’on n’est descendu de la voiture. L’ambiance est bonne et moi je suis tout à fait détendue alors que lui…
Comme j’ai un peu minci par rapport à mon gabarit habituel, je me suis dit que je peux me permettre d’être sexy à mort sans trop choquer les gens. Je porte un dos nu qui se résume à très peu de tissu gris sur un pantalon cigarette très classique. J’ai pris le temps de boucler les mèches de ma perruque et je me suis maquillée sobrement. J’ai épilé mes aisselles que je n’avais pas épilées depuis des lustres et porté un string sous le pantalon. Comme j’ai marché devant Adrien, j’espère qu’il a pu admirer le spectacle tout son saoul.
- Quelque chose ne va pas Ad ?
- Bon ok, je l’ai bien cherché. T’es carrément bandante comme ça. J’adore. Mais ce que j’adore moins c’est le regard des autres mecs sur toi.
- Je ne les vois même pas les autres mecs Ad. Il n’y a que toi dans ma tête.
Il sourit et je me lève pour aller nous prendre deux autres verres, histoire de me pavaner un peu. Ca fait du bien à l’égo de détourner tous les regards à chacun de mes passages. Une fois au bar, j’attends patiemment nos verres lorsqu’une main se pose sur mon épaule. Je me retourne et découvre surprise, une vieille amie d’enfance perdue de vue depuis un bout de temps.
- Jennifer ! Tu vis encore dans ce pays ? On m’a dit que ton mari te séquestrait chez toi et là, je te croise ici ? Mon Dieu que belle hein ma co !
- Brenda ! Je suis heureuse de te voir. Ca va ?
- Oui ça va. On se maintient. Moi j’ai pris 20 kilos et toi tu n’as même pas changé ! Il est où notre mari ? demande-t-elle en scrutant la foule à la recherche de Gaspard.
- Je suis divorcée.
- Hum donc t’es en chasse si je comprends bien ?
- Non. Je suis avec mon mec. dis-je en lui montrant Adrien.
Je ne sais pas pourquoi, son regard traverse Adrien pour chercher derrière lui.
- Le mec en costume là ?
Je rigole et la prends pas la main pour la mener à notre petite table. Adrien qui pianotait son téléphone lève la tête quand nous arrivons.
- Ad, je te présente une vieille amie à moi, Brenda. Brenda voici mon mec Adrien.
La langue me démange de préciser docteur Adanlossesi, histoire qu’elle ne se dise pas que c’est peut-être le portier de la boite, mais je ne le fais pas. Je n’ai pas à me justifier. Brenda me donne de petits coups de coude. Et moi je rigole comme une idiote face à son attitude.
- Enchantée.
Adrien se lève et lui fait la bise puis se rassoit et lui propose un verre. Mais je décline l’offre à sa place et raccompagne mon amie au comptoir du bar. Entre femmes on se connait.
- Je t’en supplie Jennifer dis moi qu’il a un frère… Je t’en supplie.
- Exemplaire unique maman. Trop tard pour toi, je réponds en rigolant.
- Kiéééé. Rien que la voix grave là…
On papote encore un peu puis elle jette un coup d’œil à son portable.
- J’attends une amie. On va faire la tournée des boites pour s’amuser un peu. Je viens d’avoir une promotion.
- Félicitation.
- Merci. Ah bah la voilà en train de parler à ton mec. On dirait qu’ils se connaissent.
Je regarde vers notre salon et mon cœur manque un battement. Je reconnaitrais cette chute de rein entre mille.
- Samantha !
- Tu la connais ?
Je ne prends même pas le temps de répondre à Brenda, je m’avance vers eux. Une fois à son niveau, je tapote légèrement sur son épaule. Elle se retourne avec le sourire et je lui donne une gifle magistrale qui fige toute l’assemblée.
« Bonsoir oh, tu fais quoi là oh, laisse mon mec oh. » Tout ça ces des enfantillages à un moment donné. La rage que j’avais contenue à toutes nos précédentes rencontres est ressortie d’un seul coup. Et je pense que pour le moment elle est trop sonnée pour répliquer.
- Putain Oyane ! s’écrie Adrien.
Je lève mes yeux vers lui et il fait une drôle de tête. Samantha qui semble comprendre que toute la boite nous regarde s’avance vers moi. Qu’elle vienne ! J’ai un pantalon. Je vais lui donner la raclée du siècle même si mes seins doivent se retrouver dénudés et que ma perruque doit tomber pour ça. Je m’en fous.
Adrien se met entre nous et s’adresse à Samantha tandis que moi il m’éloigne d’une main. Je ne tiens pas en place.
- Samantha, tu en veux une autre ? demande-t-il calmement. Passe ton chemin, l’histoire est close maintenant.
Samantha le regarde longuement, tandis que moi je m’échauffe derrière Adrien. Quand Sam recule d’un pas, Adrien se tourne vers moi, énervé, me prend la main, paie nos consos et nous fait sortir de la boite sous le regard déçu des clients qui attendaient le reste de la bagarre.
Je sais : la violence ne résous rien.
Je sais : Adrien a horreur de ce type de comportement.
Mais la voir tranquillement draguer une nouvelle fois mon mec alors qu’il a déjà dit non, non mais là… je ne pouvais pas laisser passer ça.
Maintenant que la colère est passée, je me rends compte que j’ai mal à la paume. Seigneur, je n’y suis pas allée de main morte hein, elle a dû voir des étoiles la garce !
- Plus jamais tu refais ça!
- Hum.
Je ne promets rien oh.
Au moment où on s’installe dans la voiture pour tranquillement rentrer à la maison, Adrien est appelé pour une urgence au CHU d’Angondje. Vu qu’il n’est pas de bonne humeur après la fin catastrophique de notre soirée, je ne me plains pas.
- J’y vais avec toi et tu rentreras avec la voiture ?
- Ok, je réponds sagement.
- Tu ne boudes pas ?
- Non pourquoi, tu vas sauver des enfants ! je lui dis en bouclant ma ceinture de sécurité.
*
*
*
Je suis sur le chemin du retour, lorsque mon téléphone sonne. A cette heure de la nuit, la rue est déserte mais je préfère me garer pour répondre. Surtout que c’est le numéro de mon frère qui s’affiche. Quand il appelle, c’est souvent pour m’expliquer un problème.
Je décroche.
- Maman Elle. Dit une toute petite voix d’enfant.
- Annie ?
- Viens me chercher s’il te plait.
- Que se passe-t-il mon bébé ? je lui demande en cachant le plus possible mon inquiétude.
- Papa tape … la tantine. Ils crient. Ca me fait peur. Moi je veux dormir … avec toi maman Elle et aussi bébé Africa pleure.
Je sais qu’elle-même pleure. J’en ai le cœur brisé. Etienne n’apprendra donc jamais de ses erreurs ? C’est quoi son histoire de taper les femmes !
- Mon bébé. Va dans ta chambre et laisse-les se disputer entre grandes personnes. Je viens te chercher tout de suite.
- D’accord. Viens vite.
- Ne raccroche pas mon bébé. Garde le téléphone avec toi.
Je laisse moi-même mon téléphone en mode haut parleur, le balance sur le siège passager et démarre pour Owendo. J’en ai marre des conneries d’Etienne.
Quand j’arrive sur place, la porte est grande ouverte. Mais je sais qu’Annie va bien puisque je l’entends au téléphone cajoler son bébé africa malgré sa propre peur. Je raccroche enfin.
- Etienne ! Tu es où ?
Aucune réponse. Je n’entends pas non plus de jeune femme pleurer ou se plaindre. Peut-être a-t-elle réussi à lui échapper… Je l’espère. Il manquerait plus qu’il ne l’ait gravement blessé. Je regarde au salon et passe à travers les traces de lutte. Ca me fait froid dans le dos qu’un homme puisse être aussi violent avec la femme qui partage sa vie. Ca n’a pas de sens. Etienne doit se faire soigner. Un bruit étouffé me provient de la cuisine.
- Etienne ?
J’ouvre la porte et tombe sur lui affalé sur une chaise.
- Oh la grande ! Tu fais quoi là ?
Les yeux injectés de sang, il pue l’alcool à des kilomètres à la ronde. Elle a dû lui balancer un truc à la tête, il a l’arcade sourcilière en sang. Bon au moins, il n’y a pas mort d’homme.
- Qui te mange ? Hein ! Donc toi toute ta vie tu vas lever la main sur les femmes ?
- Elle m’a… insulté l’enfant. Mtchrrr. C’est une salope de toute manière…
- Et tu la ramènes chez toi ? Les motels ce n’est pas fait pour les chiens.
Je ne sais même pas pourquoi je perds mon temps à lui parler. Je me dirige vers la chambre de la petite et la trouve recroquevillée dans son placard. Je prépare rapidement quelques affaires pour qu’elle passe la nuit. Je reviendrai demain prendre le reste. Puis je prends Annie dans mes bras et la rassure du mieux que je peux avant de revenir sur mes pas. Je suis vraiment énervée par l’attitude de mon frère. Comment peut-on être inconscient et criminel à ce point ? Pourtant, nous même n’avons jamais connu ça ! C’est vrai que maman était dure avec nous mais c’était pour notre propre bien. C’est quoi son problème ? C’est ça l’exemple qu’il veut montrer à sa fille ? Que les femmes doivent être battues comme plâtre lorsqu’elle déplaise à leur homme.
Lorsqu’on traverse le salon, je vois son téléphone vibrer dans la main d’Annie. Je le lui prends, elle commence à somnoler. Pauvre petite !
C’est un message d’une certaine Josie : « Si tu es un homme, attends-moi ! ». Je relis le message une deuxième fois puis une troisième fois. A la cuisine mon frère s’est servi un autre verre. Annie dans les bras, je prends tout de même le verre et le balance dans l’évier.
- Elle va revenir avec ses frères. Monte dans la voiture, on s’en va.
- Oh la grande… ils n’ont qu’à venir ! Y’a quoi ? Mtchrrrr. Une salope comme ça…
- Etienne ! Ne m’énerve pas. Allons-y. La petite est fatiguée.
Je parle de sa fille qui somnole sur mon épaule et il se lève. Encore heureux que son cerveau fonctionne quand il s’agit de sa fille.
Nous levons le camp.
Tandis que je conduis, je jette un coup d’œil à Etienne. Il s’est endormi sur le siège arrière, sa fille à ses côtés. Mon téléphone sonne. C’est Adrien qui m’envoie un message.
« Je viens de finir. J’espère que tu ne dors pas encore. La soirée n’est pas terminée boo ».
Je souris. Je peux aller le chercher, sinon, il sera obligé de prendre un taxi pour rentrer. C’est vrai que c’est à l’autre bout de la ville mais j’ai envie de le voir. Je me gare tout d’abord pour l’appeler et le prévenir de mon arrivée.
- Oui boo…
- Ecoute j’ai dû aller chercher Annie avant de rentrer et je suis avec Etienne aussi. Il est bourré. Je viens te chercher et on rentre tous ensemble. Je vais t’expliquer dès qu’on se voit.
- Il est tard Elle. Laisse tomber.
- Non attends moi. Dès que j’arrive, je te bipe et tu sors, je lui dis avant de raccrocher pour qu’il n’ait plus son mot à dire.
Je commence à fatiguer au volant avec la soirée mouvementée que j’ai eu mais j’arrive finalement au CHU d’Angondje. Etienne et Annie dorment désormais profondément. Je détache ma ceinture quand mon cœur manque un battement. Une voiture est passée vraiment très prés de la mienne quand j’ai voulu ouvrir la portière pour descendre. Hum les fous du volant c’est à toute heure dans ce pays ! Aujourd’hui c’est samedi et les gens se défoulent souvent sur la boisson le week-end. Je sors mon téléphone de la poche de mon pantalon et salue le gardien qui est à l’entrée des deux bâtiments : le CHU d’Angondjé et l’institut de cancérologie. Il me regarde bizarrement. Je sais je suis très peu vêtue et je crois même que je commence à avoir froid.
Lundi, il faudra venir faire les examens… J’ai le cœur qui bat vite rien qu’à cette idée. Pourvu que les résultats soient à la hauteur de ce que j’espère. Je marche tranquillement vers le bâtiment du CHU d’Angondje et passe la lourde porte vitrée.
Le CHU est calme. J’aime beaucoup la propreté des lieux, ça change de notre vieil hôpital général. On s’y sent tout de suite en sécurité quand on entre. L’air conditionné me fait du bien. Je lève la main pour composer le numéro d’Adrien lorsque je sens une douleur fulgurante dans ma poitrine. La douleur est tellement forte que je ferme les yeux pour ne pas tanguer. Les battements de mon cœur m’affolent complètement, le souffle court, je regarde autour de moi… Seigneur que m’arrive –t-il ?
Mon cœur bat trop vite. Les larmes me montent aux yeux. Des bribes du discours de l’oncologue me reviennent en mémoire…
- Les effets secondaires de la chimiothérapie ne se limitent pas aux nausées, à la fatigue ou à la perte des cheveux, comme vous le voyez dans les films. Il peut arriver que les effets soient beaucoup plus graves et endommagent de manière permanente le corps dans de rares cas. Les anthracyclines sont parmi les agents de chimiothérapie les plus efficaces, entre autres dans le traitement des cancers du sein comme dans votre cas, de la prostate et de plusieurs leucémies. Le problème c’est que les mêmes agents qui tuent les cellules cancéreuses tuent aussi les cellules du cœur. Dans notre jargon, on dit qu’ils sont cardiotoxiques. Pour vérifier le fonctionnement de votre cœur et rechercher tout changement, on procédera à une électrocardiographie (ECG) et peut-être aussi une échocardiographie et une ventriculographie isotopique (MUGA).
Et je m’étais mise à rire dépassée par tout ce qu’on me disait en me rendant compte à quel point les mots scientifiques étaient difficiles à retenir mais à force de côtoyer les malades et de faire soi-même tous les différents examens, on finit par les connaitre et parfaitement les prononcer. Mon Dieu, comme si perdre ses cheveux, vomir en permanence, être fatiguée à l’extrême ne suffisait pas ! Finalement avec cette chimio, on nous soigne ou on nous tue ?
Il m’avait dit de faire attention à tout changement dans mon rythme cardiaque, tout essoufflement ou signes de rétention de liquide, comme un gain de poids soudain, et d’en aviser l'équipe de soins.
Malgré le malaise grandissant, j’essaie de ne pas paniquer plus qu’il ne le faut et tente à nouveau de composer le numéro d’Adrien. Il saura quoi faire parce que j’ai mal à un tel point que je n’arrive même pas à avancer d’un seul pas ou à crier à l’aide. A peine le téléphone sonne t-il que je sens la terre autour de moi trembler…
Non, ce n’est pas la terre qui tremble. C’est moi qui convulse ? Que se passe-t-il Seigneur ?!
***Marie France***
En prévision de ses prochains examens, le docteur Adan m’a demandée de lui transmettre le dossier de Madame Oyane. En tant que pédiatre, il ne devrait pas y avoir accès mais comme la patiente elle-même a donné son accord pour qu’il puisse étudier son dossier, j’en fais une copie que je lui porte. Je quitte l’institut de cancérologie et me rends au CHU, juste à côté. A peine le froid du hall m’enveloppe qu’une personne s’effondre devant moi. Mon stéthoscope au cou, je lâche le dossier que j’ai en main et accoure aussi vite que je peux. Quand je la retourne, je reconnais madame Oyane.
Seigneur !
Je dégage ses voies respiratoire et crie pour que d’autres me viennent en aide.
***Adrien***
Elle vient de me biper. C’est bon elle est là. La batterie de mon phone est tellement basse qu’il signale. Je l’éteins et range mes affaires. Elle n’aurait pas dû traverser toute la ville pour venir me chercher mais ce n’est pas grave. Je vais prendre le volant et nous conduire sagement à la maison.
Tout est enfin rentré dans l’ordre entre nous. On pourra enfin profiter l’un de l’autre. Apprendre à mieux se connaitre si c’est encore nécessaire, être une famille en somme.
S’aimer. J’allais oublier le plus important. S’aimer. Car comme je le lui ai dit, je me vois mal sans elle dans ma vie. Maintenant qu’on a pu aplanir nos difficultés, que sa chimio est derrière elle, on va enfin vivre notre vie. Je suis sûr que ses examens seront bons. Elle reprend du poil de la bête.
Toute cette épreuve sera bientôt derrière nous. Je sais que je l’aime de façon tout à fait déraisonnable … mais je crois que maintenant on va pouvoir prendre soin l’un de l’autre…
Ca va aller.
Je sors de la salle de repos des médecins de garde, et traverse le couloir. Je salue au passage les infirmières et les médecins que je connais personnellement et je me retrouve au hall. Apparemment une personne est emmenée aux urgences. J’entends les infirmières bavarder à ce sujet. Je sors du CHU et traverse la cours, me retiens de saluer le gardien qui dort sur sa chaise et repère ma voiture garée pas très loin.
Ce qui m’étonne c’est qu’il n’y a personne au volant et qu’Etienne et Annie dorment profondément à l’arrière… Où est Elle ? Pourquoi a-t-elle quitté la voiture ? Je me retourne pour voir si elle ne m’attend pas au portail. Peut-être suis-je passé devant elle sans la voir. Il n’y a personne. Je reviens sur mes pas tout doucement avec un malaise grandissant que je dissimule sous mon habituelle décontraction.
Je retrouve Marie France, l’infirmière de l’institut qui ramasse en tremblant des papiers éparpillés sur le sol auxquels je n’avais pas fait attention en passant la première fois. Elle lève la tête le regard triste et ouvre la bouche en regardant l’allée où on a précédemment transporté une personne aux urgences.
- Docteur ! murmure-t-elle tout simplement…
Et en une seule seconde, j’ai l’impression que je vais m’évanouir, que le monde autour de moi va s’évanouir avec moi. Disparaitre dans un puis sans fond.
Je lâche mes affaires et cours vers les urgences.
Non, pas maintenant. Pas ça !
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Après avoir couru comme un fou à la recherche de la salle où elle se trouve, je la trouve enfin avec toute une équipe qui s’affaire autour d’elle.
- 200 joules, dégagez ! crie le médecin.
Tous s’écartent d’elle pendant qu’on la choque pour ne pas être malencontreusement électrocutés, c’est la procédure. Son corps se soulève puis s’abaisse aussitôt… Ils reprennent le massage cardiaque.
Mais que s’est-il passé ?
Le bip monocorde de son électrocardiogramme me rend fou.
Seigneur Elle. Ne me fais pas ça.
Etrangement, je pense à Obiang à qui j’ai promis que sa maman n’aurait rien avec moi à ses côtés. Seigneur vient nous en aide.
Elle ne me fait pas ça…
- 300 joules, dégagez !
Le même scénario reprend. Aucune réaction chez Elle. Ils reprennent une nouvelle fois le massage cardiaque.
- 360 joules, dégagez !
Aucune réaction.
L’infirmière qui massait sa poitrine se recule et le médecin range les palets du défibrillateur. Mais que font-ils, ils abandonnent ? J’entre en salle.
***Marie France***
En fin de compte, j’ai suivi le docteur Adan. C’est la première fois que je vois un médecin réagir comme lui face à une situation de crise. Ils se mettent à trois infirmiers pour le retenir mais il finit pas se débarrasser d’eux. Avec son gabarit et son désespoir, difficile de le retenir.
Le médecin finit par faire signe de le laisser faire et il reprend le massage cardiaque laissé par l’infirmière et répète comme un fou le regard perdu dans le vide.
- Ne me fais pas ça Elle, je t’en prie…
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