Chapitre 32 (suite) : Confessions
Write by Auby88
"Il faut souvent reprendre haleine plusieurs fois avant de pouvoir entendre toute la vérité.
Anne Barratin ; De toutes les paroisses (1913)"
"Quand on conserve longtemps dans son âme l'image d'une offense reçue, on finit par haïr véritablement.
David Augustin de Brueys ; Les amusements de la raison (1721)"
Richmond ouvre une page au hasard..
" Easy (Izzy).
Belle à la peau d'ébène.
Yeux de biche qui m'entraînent,
peu à peu sur le sentier de l'amour.
Sourire cristallin, plus radieux que le jour.
Dans tes bras pleins de tendresse,
j'aimerais pouvoir mourir d'ivresse.
Pas d'alcool mais de bonheur.
Car à tes côtés, n'existe plus la peur !
Je t'aime. Signé Leo. "
Cica ! murmure Richmond.
"J'étais dehors avec des copains quand j'ai entendu sa voix suave et envoûtante. Je n'ai pas hésité à entrer dans ce cabaret. A l'instant où je l'ai vue, j'ai compris que c'était elle que je voulais pour la vie. Je n'ai pas hésité à l'approcher, à lui raconter comment j'étais venu à elle. Son sourire m'a enchanté. On s'est raconté nos vies, nos secrets. Je lui ai dit que je me prénommais Leo pour qu'elle ne me lie pas à la famille hypocrite que je fuis. Elle m'a conseillé de l'appeler ou de passer la voir à chaque fois que l'envie de boire me venait. Grâce à elle, j'ai oublié le goût de l'alcool sur mon palais. Izzy et Leo, un beau duo ! Amis pour la vie ! Âmes-frères pour toujours ! "
Richmond soupire longuement. Il choisit une autre page au hasard, en arrière.
"J'en ai marre d'être incompris par tous, en particulier par mon frère qui ne me taille aucune importance et par ce traite de Samson, qui couche avec maman. J'en ai marre de devoir me taire, de subir les railleries des copains, de les entendre m'appeler "le blanc aux pieds noirs" juste parce que je suis un spécimen unique, le fils noir d'une mère plus que blanche. Je sombre peu à peu dans l'alcoolisme pour tout oublier."
La colère s'insinue progressivement dans ses veines pendant qu'il continue à tourner les pages du journal. Son visage se déforme peu à peu ! Sa rage atteint son paroxysme quand il tombe sur des photos compromettantes de Samson et sa mère.
- Le sale traître !
Avec furie, il quitte la chambre. Avec hâte, il descend les marches. Il empoigne Samson, surpris par la soudaineté de son geste, le soulève du canapé, lui assène un coup de poing et le repousse violemment en arrière. Samson échoue sur le sol et peine à se relever. Sandra et madame AKOWE l'aident. Les yeux de Richmond restent terrifiants. Samson ne comprend rien.
- Qu'est ce qui t'as pris de faire cela, Richmond ? interroge la mère.
- Cette vermine a sa place à terre ! Vous vous êtes tous bien moqués de moi ! hurle-t-il. Vous avez tout manigancé ! Tu n'es qu'un sale traître, Samson ! Comment as-tu pu coucher avec ma propre mère ?
- Qui t'a raconté une sottise pareille ? se défend Samson.
- Une sottise, tu dis ?
Il sort les photos de sa poche et les jette sur le sol.
- Je vous écoute !
- Ce doit être un montage, mon fils !
Elle fuit son regard.
- Moi, je n'ai plus rien à cacher à présent, réplique Samson. On pourra enfin régler nos comptes face à face.
- Samson, cela suffit ! ordonne la mère.
- Non. Tu ne peux savoir à quel point je te déteste Richmond, à quel point j'ai toujours été jaloux de toi. J'ai toujours dû vivre dans ton ombre pendant que tu recevais toute la gloire pendant les concerts, pendant que tu avais toutes les femmes à ton pied.
Richmond n'en revient pas.
- Tu m'as toujours dit que cela ne te gênait pas et je t'ai cru. Tu ne sais à quel point je te considérais.
- Toi, Richmond, tu n'aimes personne à part toi-même. Tu ne penses qu'à toi seul. Tu ne sais même pas que j'ai divorcé d'avec mon épouse. Tu sais pourquoi je te hais le plus ? Parce qu'au collège tu t'es permis de coucher avec Marie dont j'étais profondément amoureux.
- Marie ! s'étonne Richmond. Ta rancoeur remonte à si longtemps, pour si peu !
- Si peu, tu dis ! Tu savais que j'aimais cette fille, qu'elle était l'amour de ma vie ! Et pourtant tu n'as pas hésité à lui prendre sa virginité pour la rejeter l'instant d'après. Elle a dû quitter l'école pour ne plus subir les railleries de ses copines.
- Nous étions des adolescents fous et inconscients à cette époque ! Tu as vraiment perdu la tête, Samson ! Ne me dis pas que c'est pour te venger que tu as séduit ma mère !
- Oui, mais ce n'était qu'une petite compensation. Je revois encore la tête d'idiot de ton frère quand je lui ai montré les photos.
Richmond est horrifié.
- Comment as tu pu me trahir alors que je te payais pour ton silence ! s'exclame la mère.
Richmond regarde sa mère avec dédain. Sandra reste figée. Elle craint que Samson finisse par tout dévoiler à son sujet.
- Tu l'entends Richmond ? Ta mère me payait et continue encore de payer pour mon silence. Et je ne m'en plains pas. En plus, je me suis fait plusieurs fois ta jolie Sandra.
Richmond jette un regard furieux vers Sandra, qui honteuse, baisse la tête.
- Grâce à moi, elle était informée de tes moindres faits et gestes. Et je t'assure que je me serais aussi occupé de Cica, si elle n'était pas si rebelle avec moi.
Richmond lui assène un coup qui l'amène à nouveau à terre.
- Frappe-moi autant que tu veux parce qu'on est quitte à présent. Tu es aussi seul que moi !
- Vous avez réussi à me monter contre elle, mais dès que je lui parlerai, je suis sûre que Cica me pardonnera.
Richmond parle avec conviction.
- J'en doute beaucoup, surtout avec la façon dont tu l'as rejetée, elle et l'enfant qu'elle attend de toi !
Richmond est troublé par ce qu'il vient d'entendre. Il se laisse choir sur le canapé.
- Ah je vois ! poursuit Samson.Ta mère et Sandra ne t'ont pas dit ce qu'elles ont fait ?
Richmond écarquille les yeux. Son coeur bat très fort.
- Ecoute-moi bien. Elles ont ouvert la lettre manuscrite de Cica qu'elles ont échangé contre un tapuscrit complétement modifié en sorte que tu n'apprennes pas la grossesse de Cica. Je te précise, au passage, qu'Afi a été d'une aide précieuse dans nos manigances en déposant les photos dans son sac. La pauvre avait expressément besoin d'argent pour soigner sa mère. Il m'a juste fallu ensuite appeler le numéro de Cica en anonyme et tu t'es précipité vers son sac. Tu es une vraie marionnette, Richmond. Tu es facilement manipulable !
Pendant un court instant, Richmond se revoit avec Cica lors de leur première nuit. Il se rappelle de sa réaction quand il lui avait parlé de son désir d'avoir un enfant avec elle, des promesses qu'il lui avaient faites cette nuit-là, de tout ce qu'il lui avait promis en général. Il se rappelle aussi de la surprise dont elle lui avait brièvement parlé. Il se remémore également la manière dont il l'avait chassée de sa vie, malgré ses supplications. Son coeur d'homme et de père se serre. Il crie sa douleur de toutes ses forces et laisse les larmes sortir enfin, tout en gardant la tête baissée.
Satine observe la scène depuis sa position. Elle est assise depuis peu dans les escaliers. Elle demeure immobile. Elle se rappelle de Zinvié, des soupçons qu'elle avait eus sur Sandra et Samson. Elle a mal pour Richmond. Elle a mal pour Cica et ce bébé qui est en route. Des gouttes, saveur de sel, glissent le long de ses joues.
- Je t'ai toujours envié Richmond, reprend Samson en s'approchant de lui pour le narguer de plus près. Mais là, je me rends compte que tu vaux moins que moi. Tu n'es qu'un lâche, un lâche, Richmond !
Il lui tourne ensuite le dos. Richmond serre les dents et le pousse à nouveau violemment sur le sol. Une bagarre s'en suit entre les deux hommes.
Madame AKOWE ne fait que crier. Sandra demeure figée. Satine se précipite pour appeler du renfort. On finit par les séparer. Samson s'en va, le visage meurtri par les coups, mais il continue de rire ironiquement. Sandra le suit.
Satine nettoie le nez saignant de son frère. Il fixe longuement sa mère.
- Comment as-tu pu me cacher que j'allais être père ?
- Je suis désolée, Richmond. Mais qu'est ce qui te garantit que cet enfant est bien le tien ? Il n'est peut-être qu'un bâtard !
- Tu es vraiment sans coeur, maman.
C'est mon enfant ! Je n'ai aucun doute là-dessus. Cica n'a couché avec aucun autre homme que moi, maman, même pas Jonas. J'ai été le premier et le seul ! Et ce bébé que tu m'as fait renier, je le désirais plus que tout , crois-moi !
Il se lève.
- Où vas-tu ? s'enquiert Satine.
- Je vais voir Cica. Je suppose qu'elle doit être à l'orphelinat.
- Richmond ! Elle n'y est plus.
Il fixe Satine.
- Quoi !
- Maman et Sandra se sont chargées de mettre au grand jour les origines de Cica, après que tu aies dévoilé son secret devant elles. Elle n'a pas eu d'autre choix que de s'en aller avec sa mère vers une destination inconnue de tous. Je suis désolée.
Il soupire profondément, avant d'ajouter :
- J'ai agi comme un idiot. Merci Satine. Tu es la seule personne franche ici !
Il dépose un bisou sur son front.
- A présent, je n'ai plus rien à faire ici.
Il plisse les lèvres.
- Tu pars au Canada ?
- Non, Satine. A Fidjrossè, chez moi. J'ai besoin de m'isoler un peu pour reprendre des forces. J'ai perdu une bataille mais pas la guerre. Je ne reposerai que quand je pourrai à nouveau serrer dans mes bras les deux êtres les plus chers à mes yeux : Cica et notre enfant.
- Je viens avec toi, répond Satine.
Richmond ne s'y oppose pas.
- Je suis désolée pour tout, mon fils !
Richmond prend la main de Satine et tous deux s'en vont sans répondre à leur mère, sans regarder derrière...
Dans sa chambre à Fidjrossè, Richmond voit enfin le cadeau-surprise de Cica. Au chevet du lit, est posé un nournous blanc qui tient dans ses mains un petit cadre avec ces mots : « Dans neuf mois, nous ne serons plus deux, mais trois. Je t'aime, papa ! »
Il prend le nounours, s'assoit à même le sol et le serre contre lui. Il murmure à répétition :
- Si seulement … !
La porte de la chambre est ouverte. Satine entre et vient s'asseoir près de lui. Il pose sa tête sur ses jambes. Elle le console en passant la main dans ses cheveux. Ils demeurent silencieux.